Acta fabula
ISSN 2115-8037

2007
Mars-Avril 2007 (volume 8, numéro 2)
Natacha Lafond

Pierre Jean Jouve et Henry Bauchau : les voix de l'altérité

Pierre Jean Jouve et Henry Bauchau: les voix de l'altérité, sous la direction de Myriam Watthee-Delmotte et de Jacques Poirier, Éditions Universitaires de Dijon, octobre 2006.

1Le livre Pierre Jean Jouve et Henry Bauchau: les voix de l'altérité, paru sous la direction de Myriam Watthee-Delmotte et de Jacques Poirier, aux éditions universitaires de Dijon, en octobre 2006, trace un parcours croisé autour de deux poètes modernes du XXe siècle.

2Blanche Reverchon, épouse de Jouve et psychanalyste, Béatrice de ces oeuvres selon ces lectures, est présentée comme un modèle de pensée et de vie. Le livre mêle ainsi étroitement les événements constitutifs de la vie de ces deux auteurs à des approches fondées sur la psychanalyse. 

3À la différence pourtant de la psycho-critique, il s'agit dans ces articles de montrer l'engagement des deux poètes eux-mêmes dans cette voie, à partir de l'introduction manifeste de Jouve, « Inconscient, spiritualité et catastrophe » (in Sueur de Sang, 1933, Oeuvre,  t. I, p. 198-199), qui permet d'en souligner l'unité pour une nouvelle contribution approfondie par les liens tissés de Jouve à Bauchau.

4Le livre se compose de trois approches croisées autour des deux poètes, éclairés l'un par l'autre dans une première partie, puis situés chacun dans leur poétique personnelle, avec un hommage de Bauchau à Jouve qui souligne ce parti pris de lecture par la psychanalyse. Plus que de revenir sur des données biographiques, le recueil présente un « élargissement » à des points particuliers de ces œuvres structurées par les recherches autour de l'inconscient.

5Pour finir, la voix de Bauchau nous ouvre à l'autre regard, du poète, qui fait retour sur les traces de l'homme Pierre Jean Jouve, tandis que les critiques se sont tournés vers l'élargissement « du paysage de vie » dans la poésie et le roman, pour une pensée de la psychanalyse dans la littérature aussi bien que de l'ensemble des œuvres, par la psychanalyse, au-delà des différences de genres littéraires, que ce soit le roman, la poésie, le théâtre ou l'essai : « Sa poésie et son roman, durement fondés sur les événements initiaux, les élargissent à tout le paysage de la vie » (« Voyance et vision ou le paysage chez Pierre Jean Jouve », par Henry Bauchau, p. 217).

6On peut relever quatre dimensions qui se nouent autour de ce parcours psychanalytique aussi bien pour les lectures croisées que pour les lectures particulières, qui tracent les frontières entre ces deux poètes.

7Tous deux se penchent en effet sur la question de l'être et, surtout, pour cette contribution, sur celle de ses limites : limites entre les générations, limites entre les sexes, limites entre les identités du moi, limites dans les représentations de l'être humain et du désir amoureux, par le rêve ou par les figures mythiques (citons, par exemple, la lecture de « La Petite X...incarnation et messagère de la psychanalyse » de Simone Jänder, « Pierre Jean Jouve : médiation et connaissance de soi » par Jacques Poirier, « Le motif homosexuel chez Pierre Jean Jouve, Henry Bauchau, et Pier Paolo Pasolini » de Christiane Blot-Labarrère, « La figure du chef guerrier dans l'oeuvre de Henry Bauchau » d'Andrea Pesaresi). À partir des scènes de roman jouvien, aux fondements de ces lectures, les critiques proposent des passages à certaines scènes poétiques et théâtrales, où la perspective psychanalytique est aussi subsumée dans d'autres voies de questionnement, comme les arts et le sacré : le désir de l'être androgyne, qui fonde la quête d'accomplissement de l'être par les deux poètes, est surtout présenté par les limites de l'androgynie, du désir et de l'unité (dédoublement et doutes etc.).

8Mais à la question de l'identité de l'être et de ses limites (dans une perspective freudienne) s'ajoutent aussi celle de la référence culturelle (dans une perspective jungienne) et des liens aux arts et à la poétique de cette psychanalyse en littérature.

9Les études de ces œuvres interrogent ainsi, grâce à la figure tutélaire elle-même, Blanche Reverchon, les limites de la psychanalyse par la question de la foi, certes problématique, surtout pour Bauchau, et par celle de la référence à l'Occident (« Psychanalyse et Extrême-Orient », par Olivier Ammour-Mayeur, « Gengis Khan et l'ambivalence du héros » par Anne Bergenat-Neuschäfer). Le sacré est une tentative qui transcende ces doutes, présence d'une initiation à l'invisible par l'adresse à un Dieu, tandis que l'Extrême-Orient est, dans le monde, l'autre adresse qui questionne les référents du monde occidental (tant par le politique que par sa distinction littéraire et culturelle).

10Enfin, par l'étude sur la figure de l'allégorie comme mise en perspective de ces interprétations plurielles (Bauchau) aussi bien que des références problématiques (Jouve) proposées par l'approche psychanalytique en littérature, ainsi que par celle de l'écriture des journaux et des essais, comme « autre voix »du littéraire de ces auteurs, le livre permet de marquer la spécificité de ce choix d'écriture (« Bauchau/ Jouve : autour de l'allégorie » par Geneviève Henrot Sostero). L' art y représente ainsi (« Pierre Jean Jouve : Poésie, Musique et Peinture » de Béatrice Bonhomme par exemple) cette interrogation des limites de l'être par l'ouverture aux liens entre les arts (de l'inconscient du/ dans le littéraire à l'expression de l'inconscient par les arts), présenté comme une forme et une pensée de la « psychanalyse »à l'œuvre dans le monde.