Acta fabula
ISSN 2115-8037

2018
Janvier 2018 (volume 19, numéro 1)
titre article
Suzanne Dumouchel

La littérature résistante ou les nouvelles Humanités Scientifiques

Martial Poirson, Politique de la représentation. Littérature, spectacle, discours de savoir (xviiexxie siècles), Paris : Honoré Champion, coll. « Le dialogue des Arts», 2014, 266 p., EAN 9782745327987.

1Il faut le reconnaître, saisir d’emblée la thèse de cet ouvrage n’est pas chose aisée. Certes, on comprend que l’art théâtral est au cœur de la réflexion et qu’il est discuté dans une perspective politique, pour comprendre son rôle et sa fonction structurante au sein de la sphère publique. Mais les moyens d’y parvenir sont parfois obscurs et la fonction du compte-rendu trouve tout son sens puisqu’elle oblige une lecture attentive, le stylo à la main, pour comprendre les liens entre les notions abordées mais aussi entre les chapitres et entre les exemples.

2Ce n’est donc pas à une lecture facile que nous convie Martial Poirson mais à une lecture méritante où la pleine richesse de sa pensée n’est pas donnée aisément à voir. Car ici, le corpus est très vaste (il s’étale sur presque quatre siècles, du xviie siècle à aujourd’hui), il est au mieux défini par un genre, celui de la merveille, mais appliqué au conte, au théâtre (sous ses diverses formes), au cinéma, etc., et il est discuté tantôt sur un plan culturel, tantôt sur un plan social ou politique. C’est une œuvre qui foisonne, et dont l’objet est précisément l’articulation problématique entre économie, symbole et culture. Si l’auteur mêle allègrement les disciplines, c’est qu’il vise « l’indisciplinarité », c’est-à-dire qu’il fait du lien entre l’économie, la littérature et la politique en montrant les divers croisements et influences entre les savoirs. Il part pour cela de la littérature conçue comme le creuset de tous les savoirs, la plus à même d’en proposer une représentation et une histoire pour aboutir à une réflexion sur les « Humanités scientifiques », reprenant ainsi l’expression forgée par Bruno Latour1.

3L’ouvrage vise à faire le point sur « l’évolution actuelle de la recherche en littérature et en arts du spectacle au sein de sciences humaines et sociales elles-mêmes en pleine mutation », sans négliger une mise en perspective politique, permettant de repenser l’environnement idéologique et de relever un certains nombres de défis sociétaux (p. 12).

4On peut regretter la portée généraliste, quoique efficace, de la réflexion qui pourtant ne s’appuie que sur l’exemple spécifique du théâtre et du conte. D’autant plus que l’auteur a parfois tendance à utiliser des raccourcis en parlant des « arts » alors qu’il s’intéresse au théâtre et parfois au cinéma, à l’opéra ou au ballet mais non à la peinture, la sculpture, etc. Dans la mesure où le propos se veut militant (le terme est employé plusieurs fois par l’auteur) et où il propose une analyse générale du rôle de la « littérature et des arts » dans la société actuelle, on pourrait s’attendre à des exemples puisés dans d’autres champs littéraires.

5Le recours à la métaphore théâtrale intervient comme un outil efficace de réflexion sur la société et la politique. À rebours de Debord et de sa « société du spectacle », M. Poirson s’appuie sur Evreinov qui considère que c’est le discours, voire le dispositif politique qui repose sur des processus spectaculaires2. C’est dans ce sens qu’il faut considérer l’expression qui est à l’origine du titre du livre « politique de la représentation ». Il s’agit bien de s’interroger sur les formes et pratiques collectives de la représentation, susceptibles de modifier le champ de l’action. Quant à la représentation, elle comprend aussi bien la représentation politique ou esthétique que « l’intensification d’une présentation, la simulation de cette même présentation et la répétition de la présentation » (p. 14), sans oublier les transpositions et autres adaptations. Elle renvoie à la notion de performance et est conçue comme une action réelle et immédiate qui modifie immédiatement le statut de l’œuvre et sa réception. De fait, l’expression « politique de la représentation » est réinvestie en proposant un triple basculement (p. 16) :

- Déplacer le foyer de la représentation politique depuis l'institution et ses effets d'inculcation macro-politiques vers la multitude et sa pratique de la « micro-politique ».
- Déplacer le champ d'investigation et la grille de lecture de l'idéologie vers l'action concrète de transformation des modalités de perception, d'intellection et de signification concourant à la formation des représentations et à leurs processus d'adhésion ou d'accréditation.
- Déplacer l'impact d'une telle mutation de la simple suggestion vers l'émancipation, l'encapacitation et la maximisation d'une puissance d'agir renouvelée, voire réinventée.

6On comprend dès lors que l’ouvrage se veut non seulement théorétique mais surtout militant, en faveur d’un réinvestissement du champ des Sciences Humaines et Sociales et d’une fonction politique renouvelée et assumée des Humanités. L’auteur s’oppose ainsi à la « médiasphère » et au storytelling, qui favorisent la vacuité du langage et de l’enchantement.

7M. Poirson part de l’idée selon laquelle la croyance entraîne un savoir, une possibilité scientifique ou « techno-scientifique ». Elle est porteuse d’une inventivité et d’une créativité, ce qui explique qu’il s’appuie principalement sur l’exemple de la merveille, qui nécessite l’adhésion du spectateur / lecteur, c’est-à-dire sa croyance momentanée dans ce qui lui est donné à voir ou à lire : « La littérature merveilleuse surdétermine la question de la croyance en l’insérant explicitement dans une dimension spectaculaire » (p. 115). La mise en scène de la croyance, sa représentation, est donc signifiante. À l’instar de Barthes, M. Poirson considère que la littérature est « médiatrice de savoir » et qu’elle est finalement dotée d’un savoir politique lui permettant d’enseigner tous les savoirs et surtout de faire état des potentialités de chacun d’eux. La croyance mise au service du littéraire favoriserait la connaissance rationnelle.

8L’ouvrage réunit le tour de force de rendre de compte de quasiment quatre siècles d’art et de littérature. Partant du moment où le champ littéraire s’autonomise par rapport aux domaines théologiques, éthiques et politiques au xviie siècle, il rend compte jusqu’à nos jours des fonctions remplies par la littérature et le théâtre dans la vie politique. Dans la mesure où le xviiie siècle est un siècle charnière où les disciplines se constituent, la plupart des exemples se concentre sur cette période et notamment sur les adaptations et réécritures des textes de l’époque.

9L’ouvrage s’organise en trois chapitres : la politique telle qu’elle s’expérimente dans le chapitre « politique des savoirs », la politique telle qu'elle se rêve et se projette dans le chapitre « politique de la merveille » et enfin la politique qui se tourne vers un passé réinventé ou cherche à ressusciter ou subsumer les événements dans le chapitre « politique du répertoire, de la mémoire et du patrimoine culturel ».

Le monde dans la littérature

10La première partie est essentiellement consacrée aux relations entre l’économie et la littérature. Comment est abordée l’économie dans les arts en fonction des âges et quel rôle économique joue la littérature ? L’auteur considère que l’économie comme thème s’est développée avec son immatérialité, donc à partir du xviiie siècle, accompagnant en cela le moment où le public prend un rôle nouveau dans l’appréciation et le devenir des textes littéraires. En d’autres termes, lorsque la littérature et les arts deviennent des biens de consommation culturelle, le thème de l’économie fait son entrée dans le champ littéraire. Comment l’économie est-elle mise en fiction dans le champ littéraire ? Telle est la question principale à laquelle s’attache ce chapitre. Cela permet notamment d’envisager l’économie comme une « science morale » dans la mesure où elle renseigne sur les pratiques juridiques, commerciales et politiques en usage. L’évolution économique du spectacle vivant (mécénat, mercantilisme, théâtre étatique, etc.) ainsi que la professionnalisation ou non des auteurs sont retracées dans les textes de théâtre et signalent ainsi le rôle de « médiateur des savoirs » joué par la littérature. De fait la pensée économique a destin lié avec la notion de modernité, d’où le choix pour M. Poirson de cibler davantage sur cette science dans son premier chapitre :

De Scarron à Proust, en passant par André Chénier, Isabelle de Charrière, Flaubert, Maupassant ou Zola, les textes se recoupent autour de quelques questions centrales : comment articuler entre elles valeurs morales et valeurs financières, économie domestique et marché spéculatifs ? Comment juguler la marchandisation de l'humain et de ses affects ? Comment gérer le commerce des biens culturels et symboliques entre soif de gloire et vœux de désintéressement ? (p. 64)

11La littérature est invitée à penser l’économie à partir de ses marges. L’économie est un système descriptif mais qui contient volontiers un aspect prédictif ou prospectif, bien mis en valeur par la littérature. Elle fonctionne comme une représentation de la société à un moment donné, voire comme une mise en garde sur des travers ou des tendances. Au théâtre, elle relève essentiellement du registre comique, mais pas seulement ; notamment lorsqu’elle est mise en scène sous forme d’échanges de valeurs, voire de productions de richesses abstraites : l’honneur, la célébrité, la gloire. La période de « reproductibilité technique » (Benjamin) par exemple avec la création de l’œuvre de série modifie considérablement le rapport de la littérature et des arts à l’économie.

12M. Poirson montre ici que la vérité existe également au cœur de la fiction, au même titre que les « sciences » telles que l’économie, le droit, etc. contiennent également une part de fiction. Il récuse le découpage manichéen entre la vérité et la fiction et montre que la littérature est finalement porteuse d’une vérité signalée par la politique de la représentation. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de son ouvrage : montrer le rôle de la littérature dans la compréhension plus juste de la société. L’organisation économique aujourd’hui se signale par un « capitalisme cognitif » qui survient comme une quatrième phase après les périodes de capitalisme marchand, industriel et financier. À chaque fois, cela correspond à une représentation particulière dans le champ littéraire.

Adaptations & transpositions de la merveille

13Dans le second chapitre, on s’éloigne du champ économique pour se focaliser sur la relation à la croyance, fondamentale pour toucher une vérité représentée dans la littérature et les arts. Il s’agit ici de montrer que le vrai procède aussi de la fiction (suivant en cela les propos d’Aragon) dans la mesure où il est initié dans un processus d’adhésion du lecteur, même une adhésion consentie à un système fictionnel. Ce second chapitre s’intéresse donc plus particulièrement au conte et au théâtre merveilleux, à même de faire surgir de l’incroyable dans une situation vraisemblable, et potentiellement, plus à même de faire surgir un discours critique associé. L’allégorie par exemple relève bien du théâtre d’idées et favorise un jeu distancié entre le référent scientifique ainsi perverti et la proposition artistique qu’il inspire. À ce titre, les réécritures, les détournements ou transpositions des contes merveilleux au théâtre sont autant de signalements d’une croyance adaptée et renouvelée en fonction de la mise en scène.

14La notion de merveille permet finalement de renvoyer l’imagination aux limites du concevable, du possible et finalement du représentable (p. 113). Cette dynamique qui favorise l’élargissement des frontières de l’esprit humain est constitutive de la politique. En ce sens, le domaine de la merveille renvoie plus au « virtuel » qu’à ce que nous appelons le surnaturel. En effet, il s’agit bien d’un domaine de réalité qui n’existe pas encore matériellement mais qui joue un rôle fondamental dans les orientations du monde à venir.

La merveille circonscrit un espace de problématisation où se nouent une certaine conception de l'investigation technoscientifique, une certaine activité relevant de l'invention-créatrice, une certaine réflexion critique sur le statut de la croyance, un certain régime de spectacle ou d'illusion et en définitive, une certaine vision d'autres « mondes possibles ». C'est parce que cette articulation entre techno-science, création, croyance et spectacle joue un rôle de plus en plus crucial dans les développements sociétaux de la modernité qui se déploient depuis le xviie siècle, qu'elle est passible d'un questionnement de type politique. (p. 113)

15Dans cette acception, la merveille n’est plus un refuge pour les « ignorants », ces crédules qui s’abiment dans les superstitions mais plutôt un domaine de création techno-scientifique, qui récuse toute opposition simpliste entre vérité et artifice. Elle est potentiellement créatrice d’un futur autre et donc porteuse d’une critique sociale, politique ou esthétique réelle. La merveille « sert de charnière entre une capacité de lucidité et une puissance de voyance » (p. 115). Dans la mesure où elle mêle les styles, les genres, les topoï, les idées, les modes d’expression, les cultures et où elle s’adapte aux différents arts (littéraires, du spectacle, lyriques, chorégraphiques, cinématographiques, etc.), elle est adaptée à la dramatisation des conflits éthiques ou sociaux comme des querelles esthétiques et est génératrice de nombreuses innovations formelles, intellectuelles et idéologiques.

16Dans la lignée des travaux de Jean-Paul Sermain, M. Poirson considère que les pièces merveilleuses sont ainsi des « infrafictions » puisqu’elles remotivent une illusion consentie et refondent un pacte de croyance volontaire tout en le dénonçant3. Elles procèdent à un réenchantement du pouvoir fantasmatique et symbolique des croyances, qu’elles soient savantes ou populaires. Le recyclage, le bricolage, l’adaptation, et la transposition sont inhérents à la matière même du conte. Cela favorise une reconfiguration des discours de savoir en fonction de la représentation ainsi qu’une adaptation aux idées d’une époque. La relation d'expérimentation, de projection ou de reconfiguration est à vocation modalisante : elle ouvre sur des virtualités inédites dotées d’un caractère anticipateur, et donc réformateur, réel.

17Le conte théâtralisé est ainsi doté du pouvoir de faire émerger une parole émancipatrice, de résister à la tendance au storytelling qui favorise la narration d’histoires vides et sans inventivité, qu’il doit affronter symboliquement afin de reconquérir son pouvoir de scénarisation et sa créativité artistique.

Enjeux politiques

18On voit bien quels enjeux sont attribués au conte théâtralisé par M. Poirson, en réaction à une époque avide de communication mais vidée de son sens, vidée de croyance. Il s’agit bien de réactiver une conscience critique par l’intermédiaire de l’enchantement et donc de l’inventivité artistique.

19Cela contribue à une modification de la relation entre scène et enchantement, notamment à partir de la fin du xixe siècle. Alors qu’au départ ces textes étaient à destination d’un public adulte, éduqué, élitiste, jouant sur l’oralité, l’institutionnalisation d’une culture laïque et républicaine donne un autre rôle aux contes de Perrault par exemple. La moralisation du texte va jusqu’à gommer les aspects équivoques ou subversifs ; la représentation doit être exemplaire et pédagogique, parce qu’elle s’adresse à un public élargi ; les textes entrent dans un panthéon d’œuvres classiques alors même qu’il s’agissait de pièces mineures. Le conte devient un enjeu mémoriel et patrimonial (p. 143). Ce faisant, il perd sa qualité d’œuvre créative. Il devient le symbole d’une tradition conservatrice et se voit déshabiller de toute créativité artistique. C’est là un point central de la réflexion de M. Poirson. Comment conserver dans un panthéon littéraire la créativité inhérente aux œuvres ? Comment éviter de les réduire à une fonction pédagogique ou mémorielle visant à asseoir une conception politique d’unité culturelle du pays ? Sa réponse est simple : en ayant recours non pas aux textes mais en conservant les pratiques de spectacle vivant, en gardant à l’esprit la diversité des adaptations et transpositions et en proposant ainsi de lire un texte en fonction d’une mise en scène ou d’un choix de représentation. Il s’agit bien d’une fonction politique de la représentation pour éviter de réduire toute forme de créativité artistique dès lors que le pouvoir s’en empare :

Le développement, à la faveur du capitalisme moderne d’une culture de masse, ainsi que l’inflation d’une médiasphère fondée sur un rapport purement informatif au langage, voire instrumental à la communication, qui a pour conséquence immédiate de déliter toute tentative de sociabilité culturelle, se conjuguent pour déserter le terrain du récit et désactiver les fonctions sociales et culturelles qui lui sont traditionnellement dévolues. […] Une telle configuration historique entraine une réarticulation paradoxale, mais surtout une actualisation inattendue du rapport à l’art théâtralisé du conteur, considéré désormais comme un mode privilégié de résistance à la pensée dominante, de réappropriation critique d’un « espace public oppositionnel » envisagé comme alternatif à « l’espace public structuré par la représentation bourgeoise ». (p.151)

20Se pose alors la question de la patrimonialisation des arts vivants, qui perdent leur fonction critique lorsqu’ils sont « patrimonialisés ». C’est ici qu’intervient selon l’auteur le rôle du numérique dans les Humanités Scientifiques. Comment éviter de consacrer une œuvre, et donc de l’empêcher de continuer à vivre, à être adaptée ? Par les arts vivants. L’auteur propose ainsi la création d’un musée des arts vivants tout en regrettant que la France, grande nation des arts du théâtre, n’en soit toujours pas dotée, contrairement à la plupart de ses voisins et il milite (c’est son propre mot) pour la création d’un tel musée. Il œuvre pour une « mémoire de l’éphémère » susceptible de fonder une communauté interprétative plurielle. En ce sens, il considère que le numérique pourrait être une solution efficace, apte à créer un espace muséal dédié au spectacle vivant. En effet, le cinéma, qui s’est aussi beaucoup emparé de ces « fictions patrimoniales », notamment concernant le xviiie siècle, semble toujours prompt à représenter un imaginaire culturel collectif et à en réaffirmer les valeurs consensuelles plutôt qu’à montrer la diversité critique et disenssuelle d’une communauté interprétative.

21Au terme de ce parcours, M. Poirson recommande le développement d’un nouveau champ de réflexion, « l’économie de l’attention » qui serait au carrefour « de l’innovation technologique, de l’économie, du marketing, des sciences de la communication, de l’esthétique et de la rhétorique » (p. 206). Il s’agirait ainsi de considérer les formes d’enchantement auxquelles nous sommes soumis par les phénomènes médiatiques et les formes de résistance qu’elles ont occasionné en termes politiques mais également esthétiques et artistiques.

22La littérature, en tant que creuset de tous les savoirs et parce qu’elle se caractérise par son interprétation créatrice est donc un formidable outil au service de cette économie de l’attention. Elle propose des armes esthétiques constamment renouvelées pour contrer le foisonnement de captation médiatique. Contrairement à une « société de la communication ou de l’information », qui serait supposée réductible à une forme de connaissance objectivable et de données échangeables voire marchandisables, il convient de parler d’une « société de l’interprétation » favorisant le redéploiement des modes de production des connaissances, les régimes de croyance et les pratiques esthétiques. Les Humanités, selon M. Poirson, ont une fonction de barrage envers une vision marchande du monde et promeuvent l’idée d’une conscience critique et créative.

On peut dès lors à bon droit faire l’hypothèse d’une continuité entre « humaniores litterae », ces « lettres qui rendent plus humains » préconisés dès la Renaissance, et les actuelles « humanities », librement inspirées des « Cultural studies ». (p. 212)

23La littérature et les arts sont ainsi chargées d’éveiller les consciences critiques et civiques, de donner à entendre les minorités, de faire émerger des possibilités scientifiques et politiques non encore imaginées et de développer la résistance.

24Ce n’est donc pas l’économie politique dominante, ni même une certaine philosophie politique qui peut aider à questionner le devenir des sociétés humaines, mais bien les Humanités Scientifiques, dans leur capacité à offrir des modèles merveilleux virtuels plus ou moins fiables mais toujours critiques et innovants. Pour cela, M. Poirson conclue son ouvrage en suggérant des impératifs épistémologiques que nous reprenons ici :

- Actualiser indéfiniment les modes d’appréhension d’objets d’étude flottants, de comportements imprévisibles et de représentations volatiles.
- Étendre le domaine de la recherche à des objets de moindre proximité et conjointement, procéder à des synthèses théoriques robustes.
- Renverser la perspective interprétative en l’intégrant à une dimension plus dialectique.
- Élargir la communauté interprétative en favorisant les perspectives dissensuelles et les approches antagonistes. (p. 218)

25Alliant à une démarche scientifique, une approche militante, l’auteur incite à un positionnement critique sur l’avenir des Humanités Scientifiques. En conclusion, ce qui intéresse ici M. Poirson n’est pas le traitement thématique de la politique dans les œuvres littéraires et théâtrales, objet déjà traité et finalement peu utile dans sa démarche. Au contraire, il vise à évoquer la politique de la représentation à partir de « la notion modale de dispositif », qui permet d’envisager les modes de représentation et d’usages du politique. Le dispositif permet une mise à distance critique. Les discours de savoir sont pensés en fonction des effets induits et de l’incidence escomptée sur les récepteurs. Il s’agit bien des modalités d’arrangement, d’agencement, de processus de ces discours de savoir dans la sphère littéraire et spectatoriale. Ainsi, la littérature n’est plus seulement une discipline mais « le principe actif par excellence de déclassification des discours » et M. Poirson va plus loin en considérant que cette idée s’applique aux pratiques de représentation, c’est-à-dire également au spectacle vivant ou à la sphère publique. Dès lors qu’il y a représentation, il y a déclassification des savoirs. La littérature et les arts jouent un rôle primordial dans les nouvelles Humanités Scientifiques en ce qu’elles articulent les résultats scientifiques à des postures critiques posant les bases de ce que M. Poirson appelle, en reprenant le terme forgé par Platon dans ses Lois, notre moderne « théâtrocratie ».

26Cet ouvrage s’inscrit dans la droite ligne des penseurs comme Yves Citton avec, entre autres, son ouvrage Gestes d’Humanités, ou encore Martha Nussbaum et son livre, Les Émotions démocratiques ; des penseurs qui souhaitent défendre les Humanités non pas par nostalgie mais bien parce qu’ils ont une conscience aigüe de leur usage et de leur fonction dans la société des hommes4.