Fabula-LhT
ISSN 2100-0689

Dossier
Fabula-LhT n° 20
Le Moyen Âge pour laboratoire
Virginie Greene

La quête du printemps perdu

The quest for lost spring

1Quand on a réussi à lire Proust, on le relit1. Comme si l’investissement de temps et d’énergie engendrait la nécessité du retour. Si l’on peut trouver plus de « vingt bonnes raisons d’arrêter de lire », il est plus difficile de trouver des raisons d’arrêter de relire2. Surtout lorsqu’on a pour métier d’enseigner la littérature, qui est fait de relectures.

2J’ai rarement enseigné Proust, mais j’ai beaucoup enseigné Chrétien de Troyes. Cependant, dans ma vie de lectrice, Proust est bien antérieur à Chrétien, et la Recherche précède la Quête de plus d’une décennie. J’ai lu le Moyen Âge après avoir lu (et relu) Proust. J’ai accepté aveuglément le retour en soi, la déprise, l’intelligence mise au service de quelque chose qui n’est jamais complètement connu ou défini et que Proust nomme parfois « instinct », « vie spirituelle » ou « région profonde ». Mais j’ai adopté consciemment et consciencieusement la stratégie de l’idiot dont Perceval le Gallois demeure un des plus grands maîtres.

Perceval critique

3On peut voir des analogies entre À la recherche du temps perdu de Marcel Proust et Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, à commencer par le parallèle entre recherche et quête, et du coup entre leurs héros respectifs : « Le héros de la Recherche peut alors être rapproché de Perceval, lui-même confronté à ce type de processus, et l’histoire de sa “vocation invisible”, comparée à la quête du Graal3 ». Ici, ce n’est pas le héros de la Recherche que je rapproche de Perceval, c’est moi‑même que j’identifie à Perceval.

4Penser avec Perceval (qui, apparemment, ne pense guère) est la gageure que je me donne pour une lecture médiévalisante de Proust4. Ce que j’appelle « médiévalisant » est une forme d’attention critique de notre époque, utilisant le Moyen Âge comme imaginaire. Je ne parle ni de donjons ni de dragons. Je parle de l’imaginaire comme écran à projeter des images mentales assez fortes pour être indéfiniment reprises et adaptées à des buts variés.

5« Percevax, ce conte l’estoire, / A si perdue la memoire / Que de Deu ne li sovient mais5 ». Perceval est toujours à contretemps. Il parle quand il faudrait se taire et se tait quand il faudrait parler6. Amnésique ou complètement absorbé dans un souvenir, il est l’antithèse de Chrétien, le conteur du Graal, qui « entent et poine / Par lo commandemant lo comte / A arimer lo meillor conte / Qui soit contez en cort reial7 ». Quêter le Graal n’est pas le conter. Le destin de Perceval n’est pas plus de devenir écrivain que celui de Chrétien n’est de conquérir un graal. Les deux inachèvements (celui de la quête et celui du conte) ne se recouvrent pas et sont tous les deux contingents. Perceval pourrait achever sa quête ou pas. Chrétien aurait pu achever son conte. Il ne l’a pas fait, et on ne saura jamais pourquoi.

6Mais si celui qui erre devient aussi celui qui écrit, la quête infinie se transforme en œuvre‑vie :

J’éprouvais un sentiment de fatigue et d’effroi à sentir que tout ce temps si long non seulement avait, sans une interruption, été vécu, pensé, secrété par moi, qu’il était ma vie, qu’il était moi‑même, mais encore que j’avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu’il me supportait moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer comme je le pouvais avec lui8.

7Marcel Proust ne pouvait pas ne pas finir son œuvre puisqu’il en avait fait sa vie. Ce faisant, il a interverti les rôles du conteur et du quêteur. Il faut imaginer À la recherche du temps perdu comme une quête du Graal accomplie par Chrétien et racontée par Perceval, l’écrivain jouant le rôle de l’idiot, et son personnage parcourant le monde avec un regard de clerc, attentif, clairvoyant :

Il y avait en moi un personnage qui savait plus ou moins bien regarder, mais c’était un personnage intermittent, ne reprenant vie que quand se manifestait quelque essence générale, commune à plusieurs choses, qui faisait sa nourriture et sa joie9.

8Et ce n’est pas seulement à la fin du roman que le personnage manifeste ses qualités (intermittentes) d’observation et d’analyse. Dès son enfance, il se révèle d’une grande subtilité :

Si j’avais osé maintenant, j’aurais dit à maman : « Non je ne veux pas, ne couche pas ici. » Mais je connaissais la sagesse pratique, réaliste comme on dirait aujourd’hui, qui tempérait en elle la nature ardemment idéaliste de ma grand‑mère, et je savais que, maintenant que le mal était fait, elle aimerait mieux m’en laisser du moins goûter le plaisir calmant et ne pas déranger mon père10.

9On ne peut être moins Perceval. Celui-ci répond au tragique récit de sa mère lui révélant la manière dont moururent son père et ses frères par : « A mangier, fait il, me donez ! / Ne sai de coi m’araissonez11 ». C’est Chrétien qui précise : « Li vallez entant molt petit / A ce que sa mere li dit12». Il est vrai que quand le héros de la Recherche se jette dans les bras de sa grand-mère lorsqu’elle répond à son appel dans la chambre d’hôtel de Balbec, il revient comme Perceval à la posture du nourrisson13 : « Quand j’avais ainsi ma bouche collée à ses joues, à son front, j’y puisais quelque chose de si bienfaisant, de si nourricier, que je gardais l’immobilité, le sérieux, la tranquille avidité d’un enfant qui tète14 ».

10Comme réponse à l’aphorisme « on ne peut refaire ce qu’on aime qu’en le renonçant15 », la stratégie de l’idiot ne semble pas si inappropriée à une lecture de Proust, après tout. En renonçant à la subtile intelligence critique du héros de la Recherche et en la remplaçant par la prodigieuse idiotie du héros du Conte ou par « la tranquille avidité d’un enfant qui tète » commune aux deux, peut‑être pourra‑t‑on se détacher de Proust pour mieux l’entendre, en un geste iconoclaste, c’est‑à‑dire un geste d’amour. En tentant de détruire les images enchâssées depuis trop longtemps dans mon esprit au point d’y être devenue des icônes, voire des idoles, je n’essaie pas d’échapper au charme proustien, mais de le retrouver autrement.

Reverdies

11Proust est illisible, si par lire, on veut dire progresser d’un début à une fin d’une manière relativement directe. On avance, on recule, on piétine, on part de travers, on revient, on repart, on se perd dans une forêt de mots, renouvelée dans des scènes printanières. Comme le remarque Pierre Bayard, nombre de digressions proustiennes tiennent « paradoxalement au sens proustien de la synthèse » qui l’amène à choisir dans le récit de vie des scènes caractéristiques et à les développer « comme si l’œuvre assemblait de façon synthétique d’interminables petites autobiographies exhaustives16 ». Le printemps fonctionne comme lien et reprise tout au long de la Recherche, au point qu’on peut le voir comme la saison mentale et littéraire de Proust. Par printemps, j’entends à la fois l’ensemble de phénomènes naturels coïncidant avec le rallongement des jours entre le solstice d’hiver et celui d’été dans la zone tempérée nord, et le leitmotiv connu sous le nom de reverdie du conte et du chant médiéval d’Europe du nord‑ouest17.

12Le Conte du Graal commence par une reverdie :

Ce fu au tans qu’arbre florissent,
Foillent bochaische, pré verdisent
Et cil oisel an lor latin
Docement chantent au matin
Et tote riens de joie enflame,
Que li filz a la veve dame
De la gaste forest soutaine
Se leva et ne li fu paine
Que il sa sele ne meïst
Sor un chaceor et preïst
Trois javeloz et tot ensin
Ors do menoir sa mere issi
Et pansa que veoir iroit
Hercheors que sa mere avoit
Qui ses avaines li erchoient
18.

13Dans ces quelques vers et cette longue phrase sont rassemblés la croissance végétale, la reproduction animale, l’agriculture, la chasse, les champs, la forêt, la joie et le désir. L’impulsion à « sortir » d’abord sans but, d’un anonyme fils sans père, est la graine d’où germe le conte avec ses aventures, ses combats, ses amours et ses quêtes. Cependant, on ne trouve dans cette ouverture aucun motif religieux chrétien, à moins qu’on ne dissolve le christianisme dans un panthéisme paganisant. Le fils de la veuve n’est pas le Christ, le Christ n’étant pas le fils d’une veuve. Si l’on veut y voir une figure biblique, ce serait celle d’un Adam saisonnier, renaissant dans un Eden rustique.

14Proust a connu l’histoire du Graal par l’entremise de Wagner19. Ceci peut expliquer pourquoi il associe le motif du printemps dès le début au cycle liturgique et mystique de Pâques, alors que Chrétien de Troyes n’ajoute Pâques qu’à la dernière apparition de Perceval dans son conte. La première reverdie de Proust apparaît dans les vitraux de l’église de Combray, à la fin de l’hiver :

[…] et, même à nos premiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il me consolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir, comme en un printemps historique et qui datait des successeurs de saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre20.

15Sous les vitraux, des tapisseries à verdure répètent le motif végétal en l’associant aux amours d’Assuerus et d’Esther, d’un roi de France et d’une dame de Guermantes. Ce printemps « historique » visible en toutes saisons car incorporé à « un édifice occupant, si l’on peut dire, un espace à quatre dimensions — la quatrième étant celle du Temps21 », ce printemps artificiel et biblique annonce en permanence le vrai printemps, le printemps naturel, éphémère et essentiel des séjours à Combray, qui se font à Pâques fleuries, sauf le séjour d’automne suivant la mort de la tante Léonie22.

16Dans une tasse de thé bue « un jour d’hiver23 » éclot le printemps de Combray avec « toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne 24». Combray présente la reverdie en diptyque : « Le côté de Méséglise avec ses lilas, ses aubépines, ses bluets, ses coquelicots, ses pommiers, le côté de Guermantes avec sa rivière à têtards, ses nymphéas et ses boutons d’or25 ». Un troisième lieu s’y ajoute, mais hors du printemps : Montjouvain appartient à la nuit, une nuit chaude d’on ne sait quelle saison26. La scène de profanation sadique et gomorrhéenne s’articule aux promenades automnales du héros explorant ses désirs qui « n’avaient plus de lien avec la nature27 ».

17Combray contient tous les thèmes de La Recherche, et les dispose dans l’espace et le temps selon un schéma dont la complexité a généré une abondante littérature critique. Ma lecture percevalienne de La Recherche va se restreindre ici à l’observation des retours du thème printanier primitif qui nourrit l’œuvre de bout en bout, en particulier par la différenciation entre le printemps et toute autre saison, en considérant le reste comme du remplissage. Perceval n’a pas assez d’esprit pour saisir les raffinements esthétiques, psychologiques et sociaux, le comique, l’humour et la philosophie. Il perd la mémoire et s’endort dans les salons, les châteaux, les villégiatures et les maisons de passe, et ne se réveille qu’au chant des oiseaux ou des cloches de Pâques.

18Remplissage, le salon Verdurin, cette « petite église28 » sans verdure autre que le Beauvais du canapé29, salon par lequel il faut passer maintes pages avant de reconnaître la marque du printemps, « un printemps pur et glacé » apposée aux débuts sensuels des amours de Swann et d’Odette30. Cette marque s’inscrit à rebours dans la scène automnale où le Bois de Boulogne déploie « le premier éveil de ce mois de mai des feuilles31 », et dans le souvenir du bouquet de violettes au corsage de Mme Swann, « dont le fleurissement vivant et bleu en face du ciel gris, de l’air glacé, des arbres aux branches nues avait le même charme de ne prendre la saison et le temps que comme un cadre 32». De nouveau associé à Mme Swann, le printemps de Combray revient dans son salon « au temps des Saints de glace et des giboulées de la Semaine sainte » sous la forme de ces fleurs que l’on nomme « boules de neige » capables de rendre « le salon de Mme Swann aussi virginal, aussi candidement fleuri sans aucune feuille, aussi surchargé d’odeurs authentiques, que le petit raidillon de Tansonville33 ».

La saison du deuil

19À Balbec, pendant l’été des jeunes filles en fleurs, la vue des pommiers sans fleurs suscite le regret d’avoir manqué la floraison, et le désir de revoir la Normandie et ses clos à pommiers « au moment où avec la verve ravissante du génie, le printemps couvre leur canevas de ses couleurs34 ». De même, quand le héros visite l’atelier d’Elstir, les fleurs qu’il est en train de peindre sont désignées comme n’étant ni aubépines, ni épines roses, ni bluets, ni fleurs de pommiers, et par conséquent comme sans aucun intérêt35. Qu’elles soient sans doute de splendides princesses d’été (roses, lys, hortensias ou dahlias) ne les rendent pas dignes d’être nommées. L’été n’est une saison que dans le sens mondain de la période de villégiature où l’on fuit Paris pour un château, une villa ou un grand hôtel. Sinon, c’est un trou dans le temps, une plage stérile envahie par la mer, magnifique, hostile, changeante au rythme des marées et non des saisons.

20Il faut revenir à Paris pour retrouver le printemps se manifestant d’abord discrètement dans l’hôtel des Guermantes et ses dépendances par

le roucoulement des pigeons qui nichaient dans la muraille : irisé, imprévu comme une première jacinthe déchirant doucement son cœur nourricier pour qu’en jaillît, mauve et satinée, sa fleur sonore, faisant entrer, comme une fenêtre ouverte, dans ma chambre encore fermée et noire, la tiédeur, l’éblouissement, la fatigue d’un premier beau jour36.

21Le chant des oiseaux est suivi par « les marronniers, les platanes des boulevards » qui commencent à ouvrir leurs feuilles37 (Guermantes I,). Le héros doit cependant s’éloigner de la cité pour retrouver l’éblouissement premier :

Ayant quitté Paris où, malgré le printemps commençant, les arbres des boulevards étaient à peine pourvus de leurs premières feuilles, quand le train de ceinture nous arrêta, Saint-Loup et moi, dans le village de banlieue où habitait sa maîtresse, ce fut un émerveillement de voir chaque jardinet pavoisé par les immenses reposoirs blancs des arbres fruitiers en fleurs.

22Les lilas des jardins banlieusards rappellent « les pelotons violets disposés à l’entrée du parc de M. Swann » et l’air froid qui souffle sur les poiriers en fleurs est « vif comme à Combray »38. Mais une telle beauté est le cadre d’une révélation peu primesautière : en la maîtresse de Saint-Loup, le héros reconnaît « Rachel quand du Seigneur », rencontrée naguère dans une maison de passe. De même qu’il voit la prostituée dans la bien-aimée, en regardant les poiriers en fleurs, ce sont des anges qui lui apparaissent39. Ce cantique des cantiques pour un louche printemps de banlieue annonce sur un mode comique ce qui s’effectuera tragiquement dans le cycle d’Albertine : l’engloutissement du printemps aux enfers.

23C’est en été que la grand-mère a une attaque40. Est-ce à la fin de l’été ou au début de l’automne qu’elle meurt ? C’est en tout cas loin du printemps, et le retour d’Albertine à Paris, habituellement associé au printemps41, survient à contre-saison, associant le plaisir au deuil pendant un hiver brumeux. Le signe avant-coureur du temps nouveau est une invitation de la princesse de Guermantes, arrivant deux mois après un dîner chez la duchesse du même nom42, qui, lui, a lieu un soir neigeux43. Le printemps du faubourg Saint‑Germain est un leurre : le héros n’y est invité qu’après la saison des lilas44 et s’y retrouve un soir d’été45. Ce même soir, avant d’aller chez la princesse, il passe par chez la duchesse et y rencontre Charles Swann qui leur annonce sereinement qu’il ne pourra pas passer le prochain printemps à Venise parce qu’il sera mort avant46. Ce que dit Francis Dubost de Gauvain s’applique fort bien à Swann dans ce cas: « À Gauvain semble dévolue la part maudite, le triste privilège de focaliser sur sa personne les désirs de mort47 ».

Printemps d’enfer

24Quand le héros comprend que le pays humain qu’il croyait circonscrit à Montjouvain englobe Tansonville, Balbec, Paris et sans doute bien d’autres régions du monde, cette révélation transforme sa perception du temps et de l’espace. Il retourne à Balbec plus tôt que d’habitude, et y retrouve Albertine, « ici depuis Pâques », qui le guide dans cet autre monde vers une violente reverdie :

Là où je n’avais vu avec ma grand-mère, au mois d’août, que les feuilles et comme l’emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d’un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précaution pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu’on eût jamais vu et que faisait briller le soleil […] Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l’horizon, enserrèrent les files de pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l’averse qui tombait : c’était une journée de printemps48.

25Le printemps de Balbec contient simultanément la floraison et la déliquescence, l’azur et la boue, la beauté et l’abjection. Albertine aux nombreux visages le traverse comme un génie psychopompe, une perséphone que le héros finit par ravir en dieu avare, emprisonnant la force de réjuvénation qu’elle recèle et dont il comprend l’inévitable perversité. La perversion n’est pas naturelle ; c’est la nature entière dans ses pulsions et cycles de vie et de mort qui est perverse.

26Le souvenir de Combray revient encore une fois sans être nommé dans le « désir d’aller à la campagne au début du printemps revoir des aubépines, des pommiers en fleur » associé au désir d’aimer d’autres femmes qu’Albertine et de se « mettre au travail » pendant la période hivernale de la séquestration49. Et quand, chez les Verdurin, le septuor de Vinteuil illumine cette sombre période, il ne manque pas de rappeler « le triste petit bourgeois bienséant que nous rencontrions au mois de Marie à Combray50 ». Un rare éclat de printemps actuel (non remémoré mais perçu) entre dans la chambre close où Albertine dort parfois, avec les cris des marchands qui créent une impression printanière toute auditive : « ma joie m’apprit qu’il y avait, interpolé dans l’hiver, un jour de printemps51 ». Quand le printemps revient vraiment52, Albertine en note le retour en entendant les pigeons roucouler : « Et le sourcil presque froncé, comme si elle manquait en vivant chez moi les plaisirs de la belle saison : “Le printemps est commencé pour que les pigeons soient revenus”53 ». Ce printemps là devient pour le narrateur « une région » qui semble « le pays des femmes aussi bien qu’il était celui des arbres », un « univers nouveau, feuillu » contrastant avec « le monde vide de l’hiver54 ». Comme le printemps qui appelle irrésistiblement Perceval à quitter sa mère, ce printemps exhorte le narrateur à quitter sa chambre : « Oui, il fallait partir, c’était le moment55. » Trop tard. La même exhortation a déjà été entendue, et c’est Albertine qui est partie56.

27Son départ, puis sa mort, mettent en suspens les douces réminiscences du printemps :

Alors ma vie fut entièrement changée. Ce qui en avait fait, et non à cause d’Albertine, parallèlement à elle, quand j’étais seul, la douceur, c’était justement, à l’appel de moments identiques, la perpétuelle renaissance de moments anciens. Par le bruit de la pluie m’était rendue l’odeur des lilas de Combray, par la mobilité du soleil sur le balcon les pigeons des Champs-Elysées, par l’assourdissement des bruits dans la chaleur de la matinée la fraîcheur des cerises, le désir de Bretagne ou de Venise par le bruit du vent et le retour de Pâques57.

28Le deuil est un été brûlant, stérile, cruel, qui ne rappelle les beaux étés de Balbec que pour les rendre plus inaccessibles : « il fallait s’arrêter court devant ce même abîme, elle était morte58 ». Le printemps a disparu aux enfers.

Il n’y a plus de saisons

29La sortie du deuil se passe à Venise, pendant les « premiers beaux jours de ce printemps sans feuilles59 ». Venise s’offre au héros comme un Combray exotique, opulent et fabuleux, tout aussi maternel et printanier que le Combray de la première reverdie60. La présence de la mère du héros ressemble à une hallucination. Perceval ne s’y serait pas trompé, ayant compris qu’il ne reverrait jamais sa mère une fois que sa cousine lui en a annoncé la mort :

— Or ait Dex de s’ame merci,
Fait Percevaux, par sa bonté !
Felon conte m’avez conté.
Et des que ele est mise en terre,
Que iroie je avant querre ?
Que por rien nule n’i aloie
Fors por li que veoir voloie.
Autre voie m’estuet tenir […]
61.

30À sa cousine en deuil de l’homme qu’elle aime et dont elle ne veut pas abandonner le cadavre décapité, Perceval dit simplement : « Les morz a morz, les vis a vis62 ! ». Gauvain, en revanche, rencontre sa grand-mère et sa mère longtemps après leurs morts63.

31Quand le héros revient à Combray, à l’invitation de Gilberte de Saint‑Loup dans sa propriété de Tansonville héritée de son père, c’est à la « saison chaude64 ». Dans les promenades nocturnes que les horaires décalés de Tansonville permettent ou imposent, il ne retrouve pas celles de son enfance :

Les promenades que nous faisions ainsi, c’était bien souvent celles que je faisais jadis enfant : or comment n’eussé‑je pas éprouvé bien plus vivement encore que jadis du côté de Guermantes le sentiment que jamais je ne serais capable d’écrire, auquel s’ajoutait celui que mon imagination et ma sensibilité s’étaient affaiblies, quand je vis combien peu je revivais mes années d’autrefois. Je trouvais la Vivonne mince et laide au bord du chemin de halage65.

32La reverdie de Tansonville s’affiche dans la décoration intérieure d’une « demeure un peu trop campagne » où « chaque salon a l’air d’un cabinet de verdure, et où sur la tenture des chambres, les roses du jardin dans l’une, les oiseaux des arbres dans l’autre, vous ont rejoint et vous tiennent compagnie. » Dans ce printemps disjoint, en trompe‑l’œil, des fenêtres donnent « sur les belles verdures du parc et les lilas de l’entrée, les feuilles vertes des grands arbres au bord de l’eau ». Le héros n’y voit qu’un « vaste tableau verdoyant » jusqu’à ce qu’il y reconnaisse le clocher de l’église de Combray66. Nulle épiphanie de la mémoire ou des sens ne s’attache à cette notation. Puis la guerre, de même qu’elle brouille les classes et les mœurs, confond les saisons dans sa propre temporalité chaotique, et transforme Paris, le soir, en une campagne sans becs de gaz, un Combray nocturne, un Balbec de tempête ou un glacier des Alpes67.

33La guerre finie, le héros accepte de se rendre à une soirée chez la princesse de Guermantes dans l’illusion d’un retour à la source de jouvence : « J’avais eu envie d’aller chez les Guermantes comme si cela avait dû me rapprocher de mon enfance et des profondeurs de ma mémoire où je l’apercevais68 ». C’est pour se rendre compte qu’il a perdu le « privilège » de croire au prestige des Guermantes

comme après la première jeunesse on perd le pouvoir qu’ont les enfants de dissocier en fractions digérables le lait qu’ils ingèrent. Ce qui force les adultes à prendre, pour plus de prudence, le lait par petites quantités, tandis que les enfants peuvent le téter indéfiniment sans reprendre haleine.

34Ayant perdu « la tranquille avidité d’un enfant qui tète69 », il devient enfin capable de reprendre haleine et de poser les bonnes questions aux processions de graals divers qui se succèdent alors qu’il parvient au château désenchanté des Guermantes : roues de voiture sur les rues qui mènent aux Champs-Elysées70 ; pavé inégal dans la cour de l’hôtel de Guermantes ; cuillère heurtant une assiette ; serviette de table empesée71. Les questions que Perceval oublia de poser devant le passage d’une lance qui saigne, de candélabres d’or niellé, d’un plat d’or serti de gemmes et d’un tailloir d’argent72 portent sur le sens et la fonction du sacrifice et du repas indiqués par ces objets. Quelle sorte de viande est la nourriture contenue dans le graal ? À qui la sert‑on ? Une « sainte » nourriture qu’on ne sert qu’à un être « espirituax » dit un ermite à Perceval73. Selon le narrateur de la Recherche, la nourriture enfin identifiée est « un peu de temps à l’état pur » servi à

l’être qui était rené en moi, quand, avec un tel frémissement de bonheur, j’avais entendu le bruit commun à la fois à la cuiller qui touche l’assiette et au marteau qui frappe sur les roues, à l’inégalité des pavés de la cour Guermantes et du baptistère de Saint-Marc, etc., cet être-là ne se nourrit que de l’essence des choses, en elle seulement il trouve sa subsistance, ses délices74.

35Cet être est « notre vrai moi, qui, parfois depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était pas entièrement » et qui « s’anime en recevant la céleste nourriture qui lui est apportée »75.

36Les personnages distincts dans le Conte, à savoir Perceval, l’ermite qui se trouve être son oncle, le riche roi Pêcheur blessé qui se trouve être son cousin, fils du roi à qui l’on sert la nourriture contenue dans le Graal et qui est aussi un oncle de Perceval, enfin le conteur, Chrétien, sont tous, dans le Temps retrouvé, inclus dans le « je » qui raconte, commente, se souvient et agit au passé et au présent. « Je » contient un idiot athlétique, un ermite sagace, un roi blessé au lieu de son désir, de sa fécondité et de sa virilité, un autre roi qui se nourrit de « temps à l’état pur » ou de « l’essence des choses », et un écrivain qui tâche de retrouver à la fin l'impulsion d'écrire du début, espérant clore la boucle, clamant qu’elle est en fait close depuis le début76, et que la reverdie reviendra, transfigurée en temps de la rédemption comme chez Wagner, au prix de la mort de quelques femmes nommées Herzeleide, Kundry, Bathilde ou Albertine, sacrifiées ou se sacrifiant en cours de route au grand dessein romanesque et au grand destin de l’écrivain, non sans causer en lui deuil, remords et chagrin que le moi profond, le roi spirituel, inclut dans son régime alimentaire essentialien. Mais si Wagner parvient à arrêter son opéra au temps suspendu d’une ascension du Graal coïncidant avec une descente d’Esprit Saint sous forme de blanche colombe, miracle célébré par les derniers mots du chœur « Höchsten Heiles Wunder / Erlösung dem Erlöser » se taisant pour laisser la pure musique instrumentale achever le conte du Graal, ni Chrétien ni Proust ne peuvent s’empêcher de retomber dans le temps impur des vies humaines et d’y replonger leurs héros, sans autre fin possible qu’une parole interrompue plus ou moins abruptement.

Germinal

37Perceval, qui a disparu du conte depuis le défi de la demoiselle à la mule fauve77, y revient amnésique, déprimé et mécréant : « .V. foiz passa avris et mais, / Ce sunt .V. anz trestuit antier, / Ainz que il entrast en mostier78 ». C’est de nouveau le printemps, mais cette fois le conte n’en chante pas l’allégresse impulsive. Perceval qui a perdu le sens du temps demande : « Quel jor est il donc hui79 ? ». À quoi un chevalier pénitent répond : « Quel jor, sire ? Se ne savez, / C’est li vendredis aorez, / Li jors que l’an doit aorer / La croiz et ses [pechiez] plorer80 ». Perceval pleure, se confesse et se repent. Il entend le service divin, adore la croix, prie et reçoit la communion le jour de Pâques. Puis « De Perceval plus longuement / Ne parole li contes ci, / Ançois avroiz assez oï / De mon seignor Gauvain parler / Que riens m’oiez de lui conter81». Le conteur repousse l’Ascension et la Pentecôte à plus tard (en fait aux calendes grecques) et revient aux aventures du Charles Swann de la quête du Graal.

38Après son moment parsifalien, le héros de la Recherche reste en scène (Charles Swann, hélas, est mort, comme il l’avait annoncé, avant le printemps). Il descend l’escalier de la bibliothèque où on eût pu croire qu’il avait conquis le graal, pour le grand salon. Et là, « coup de théâtre » : il se retrouve dans un bal masqué, mais dont, comme dans un conte fantastique, nul ne peut retirer son masque car ce serait s’arracher le visage, sculpté par le temps. Alors qu’il était d’humeur printanière, enfin sûr que « l’œuvre que je n’avais plus aucune hésitation à entreprendre méritait l’effort que j’allais lui consacrer82 » (Temps retrouvé, p. 279), il se rend compte qu’il n’est plus au printemps de sa vie, car ses contemporains n’y sont plus non plus — et depuis belle lurette :

Les parties blanches de barbes jusque‑là entièrement noires rendaient mélancoliques le paysage humain de cette matinée, comme les premières feuilles jaunes alors qu’on croyait encore pouvoir compter sur un long été, et qu’avant d’avoir commencé d’en profiter on voit que c’est déjà l’automne. Alors moi qui depuis mon enfance, vivant au jour le jour et ayant reçu d’ailleurs de moi‑même et des autres une impression définitive, je m’aperçus pour la première fois, d’après les métamorphoses qui s’étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu’il avait aussi passé pour moi83.

39De même que Perceval, tout au début du conte, la première fois qu’il rencontre des chevaliers les prend pour des anges, le héros, à la fin du roman, semble rencontrer des vieillards pour la première fois de sa vie et les prendre pour de mauvais acteurs. Comment un homme du monde prêt enfin à devenir artiste, si lettré, si intelligent peut‑il avouer une telle naïveté devant le phénomène humain le plus visible, le plus déploré et le plus inévitable (épargné seulement aux jeunes morts) : le vieillissement ? L’auteur en décrit les effets physiques, mentaux et sociaux, avec une cruauté enfantine, pendant des pages et des pages et des pages84. Ce faisant, il esquisse une nouvelle psychologie, « une sorte de psychologie dans l’espace » et non plus « plane »85, qui lui permet de voir le passé comme « un réseau de souvenirs86 » et le temps qui passe comme une « beauté nouvelle » s’ajoutant à la beauté déjà reconnue des instants où le passé revit dans le présent comme moments de temps pur.

40Dans une telle conception du temps, le printemps n’a plus sa place spéciale de reverdie. C’est un moment du passé comme un autre, et, comme un autre, il ne revient pas. Le printemps de 1919 n’est pas celui de 1914, ni celui de 1905, ni celui de 1880. La vie humaine individuelle ne coïncide pas avec les cycles saisonniers de la nature. Il n’y a qu’un seul printemps dans notre vie, vite passé et jamais retrouvé. Mais ce n’est pas sur cette constatation triviale que s’achève le roman de Marcel Proust87. Il y a un nouveau coup de théâtre dans la matinée chez les Guermantes, l’apparition d’une jeune fille au milieu des vieillards :

Je vis Gilberte s’avancer. Moi pour qui le mariage de Saint‑Loup, les pensées qui m’occupaient alors et qui étaient les mêmes ce matin, étaient d’hier, je fus étonné de voir à côté d’elle une jeune fille d’environ seize ans, dont la taille élevée mesurait cette distance que je n’avais pas voulu voir. Le temps, incolore et insaisissable, s’était, afin que, pour ainsi dire, je puisse le voir et le toucher, matérialisé en elle, il l’avait pétrie comme un chef‑d’œuvre, tandis que parallèlement sur moi, hélas ! il n’avait fait que son œuvre. […] Je la trouvais bien belle : pleine encore d’espérances, riante, formée des années mêmes que j’avais perdues, elle ressemblait à ma jeunesse88.

41Vieillir… passe encore, mais voir ce pouvoir, cette beauté, cette verdeur à laquelle il a fallu renoncer passer à d’autres, en d’autres, quel coup dur pour le narcisse profond qui se croit le seul détenteur du printemps. Comme son nom l’indique, le narcissisme est un attachement excessif à la jeunesse comme privilège du moi. La poétique médiévale qui a inventé la reverdie a aussi inventé la poétique du mythe de Narcisse89. Le printemps qui revient est le printemps de l’autre, des autres, de ceux qui ne sont pas juchés sur les invisibles échasses des années passées mais se trouvent au pied des invisibles échelles de leurs années futures. Ils ne nous auront jamais connu jeunes et nous ne les connaîtrons pas vieux. Ils nous fatiguent et nous horripilent (quoi que nous les enviions), nous les emmerdons et leur sommes indifférents (quoi qu'ils nous envient), mais dans les brefs moments où nous parvenons à communiquer, se produit le seul miracle en lequel un agnostique peut croire, celui de la germination :

La maladie qui, en me faisant comme un rude directeur de conscience, mourir au monde, m’avait rendu service « car si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a semé, il restera seul, mais s’il meurt, il portera beaucoup de fruit », la maladie qui, après que la paresse m’avait protégé contre la facilité, allait peut-être me garder contre la paresse, la maladie avait usé mes forces […]90.

42Le romancier du xxe siècle, qui a renoncé à la reverdie narcissique pour s’éveiller à l’idée de mourir, retrouve celui du xiie siècle introduisant son conte par une variation sur le thème biblique du grain et des semailles :

Qui petit seime petit quiaut
Et qui auques recoillir viaut
En tel leu sa semence espande
Que fruit a cent doble li rande,
Car en terre qui rien ne vaut
Bone semence seiche et faut.
Crestïens seime et fait semence
D’un romanz que il encommence
Et si lo seime en sin bon leu
Qu’il ne puet estre sanz grant preu
91.

43Il ne s’agit pas ici que le grain meure, mais qu’il trouve le sol qui lui permettra de croître. Proust, lui, s’identifie à la semence plutôt qu’au semeur. Il est le grain de froment qui doit mourir pour porter fruit, mais pas trop tôt, pas trop vite : « Comme la graine, je pourrais mourir quand la plante se serait développée92 ». La parabole agraire de Chrétien devient chez Proust une parabole biologique, mais chez les deux, on ne peut manquer d’entendre l’affirmation d’une paternité symbolique, associée à l’idée de mort physique93. Le semeur mourra aussi bien que la graine semée, pour que germe quelque chose de nouveau, de jeune et de vert, que d’autres pourront lire et relire, avant de mourir.

Conclusion

44Perceval comprend qu’il est mortel et que tout a une fin. C’est peut-être pourquoi il n’aime pas revenir sur ses pas pour considérer le chemin parcouru et les avantages gagnés par une idiotie assumée. Mais penser avec Perceval, ou via Perceval, ne m’oblige pas à « oublier de conclure ». Un essai n’est pas une vie (ni un roman) : on peut le conclure sans crainte. En tirant sur le fil niais du printemps avec ses jolies fleurs, ses petits oiseaux et ses cloches joyeuses, on aura pris quelques poissons à ne pas rejeter sans y jeter un coup d’œil, aussi petits soient‑ils. Le graal était d’ailleurs un plat à poisson, paraît-il, utilisé comme ostensoir dans le conte qui d’un nom et d’un objet commun (un graal) a fait un nom propre et un objet unique (le Graal). Le roi Pêcheur n’avait sans doute rien d’autre sous la main pour servir son père, lequel, très malade et un peu sénile, ne se rendait pas compte que la sainte nourriture qui le maintenait en vie sentait le poisson. Ce que Proust fait du printemps ressemble à ce que Chrétien fait du graal. D’un printemps banal comme nous en avons tous vécus dans nos enfances, il a fait le Printemps de Combray, début de toute aventure, réserve de toute énergie, source de tout souvenir, germe de toute œuvre, inspiration de tout amour. Perceval, qui est très littéral, a conclu du titre du roman que le Graal de Proust, c’est le temps, et pas le roman lui‑même. La saisie première du temps se fait au premier temps de la vie, quand on est assez ouvert et neuf pour tout saisir pêle‑mêle avec une intensité et une exactitude qui ne sera plus jamais égalée, mais sans pouvoir rien y comprendre. Qui peut saisir le temps pur, sinon un être quasi sans passé et sans mémoire ? Mais qui peut comprendre le passage du temps sinon un être qui se souvient, et surtout se souvient qu’il a oublié ? À l’inverse de Wagner, qui imagine un récit dans lequel « le temps devient espace » (l’espace rituel de la liturgie et de l’opéra), Proust imagine une histoire dans laquelle les lieux et les êtres deviennent le temps, ou, du moins, les signes du temps : ce que du temps nous pouvons saisir par l’intuition et l’intelligence, quantitativement et qualitativement. De nouveau, Francis Dubost parlant du Conte du Graal nous parle tout aussi bien d’À la recherche du temps perdu :

En définitive, le fait le plus remarquable est que le Conte du Graal opère de façon si subtile la synthèse du temps. Les personnages sont conduits au point critique entre temps perdu et temps retrouvé, entre temps vivant et temps mort, entre chronologie et achronies, dans un ensemble caractérisé par la pluralité des dimensions temporelles94.

45Dubost lit Chrétien de Troyes avec Proust et Deleuze, réalisant lui aussi une subtile synthèse du temps dans la critique. Mais la synthèse finale est aussi synthèse des genres, par laquelle la critique est poétique, le récit est critique, la poésie est philosophie. C’est dans un travail qui reconnaît ces limites génériques tout en les dépassant que la possibilité d’un dialogue fécond entre littératures antérieures et postérieures peut s’établir dans les deux sens, sans que le sens de l'histoire ni du temps ne se perde. Au contraire.

46Perceval se désole devant cette subtilité à lui inaccessible. Perceval en pleure de rage et d’humiliation. Il est vraiment trop bête et il n’a plus dix‑sept ans. Puis il hausse les épaules en reniflant, et s’en va voir ailleurs.