Fabula-LhT
ISSN 2100-0689

Archives de la disparition
Fabula-LhT n° 13
La Bibliothèque des textes fantômes
Sandy Pecastaing

Les Contes du Club de l’In-Folio

1Le principe des Tales of the Folio Club est simple : il s’agit d’un recueil de nouvelles, de contes, à tendance parodique, satirique, dont chaque auteur est membre du Club de l’In-Folio, et dont l’organisation est la suivante : « j’imagine – écrit Poe – un groupe de dix-sept personnes qui se sont donné le nom du Club de l’In-Folio. Elles se réunissent une fois par semaine pour un dîner nocturne où chaque membre lit à haute voix un conte de sa composition. Au terme de la soirée, on vote sur les mérites de chaque conte : le gagnant présidera la séance suivante, le perdant devra offrir le repas et les vins de cette même session1. »

2The Tales of the Folio Club est un livre fantôme : un projet d’écriture et d’édition de Poe formé en 1831, abandonné en 1836. C’est également un livre de fantômes : une œuvre hantée par des réminiscences littéraires. Le livre est d’abord intitulé Eleven Tales of the Arabesque dans une lettre aux propriétaires du New England Magazine, Joseph T. et Edwin Buckingham, datée du 4 mai 1833 :

I send you an original tale in hope of your accepting it for the N. E. Magazine. It is one of a number of similar pieces which I have contemplated publishing under the title of “Eleven Tales of the Arabesque”. They are supposed to be read at table by the eleven members of a literary club, and are followed by the remarks of the company upon each. These remarks are intended as a burlesque upon criticism. In the whole, originality more than any thing else has been attempted. I have said this much with a view of offering you the entire M.S. If you like the specimen which I have sent I will forward the rest at your suggestion – but if you decide upon publishing all the tales, it would not be proper to print the one I now send until it can be printed in its place with the others. It is however optional with you either to accept them all, or publish “Epimanes” and reject the rest – if indeed you do not reject them altogether2.

3À travers la genèse du Club de l’In-Folio – genèse pure, suspendue au temps de la genèse –, nous assistons à la naissance de l’œuvre future, déjà – dès les premières années – vertigineuse. Poe « [a] toujours gardé à l’esprit – selon ses propres termes – l’unité qui fait le livre3 », en répondant aux exigences d’architecture du texte, parmi lesquelles « la perfection de l’intrigue qu’il définit ainsi : quelque chose où l’on ne peut rien déplacer ni supprimer sans détruire l’ensemble – quelque chose où l’on est incapable de déterminer en aucun point si un élément de détail est déterminant ou déterminé par rapport à tout autre élément de détail4. »


***

4Très concrètement, historiquement, la genèse du recueil est difficile à établir. Combien de contes étaient écrits ou en préparation lorsque Poe adressa « Epimanes » au New England Magazine ; et lesquels ? Nous ne le savons pas avec certitude. Parallèlement à la publication des histoires soumises au concours du Philadelphia Saturday Courier, égrenée tout au long de l’année 1832, Poe envoie plusieurs manuscrits au Baltimore Saturday Visiter5. Pendant trois ans – trois ans d’échecs résumés en quelques lignes par Claude Richard –, Poe tente de faire éditer le livre :

[…] en octobre 1833, la publication du volume est annoncée dans le Baltimore Saturday Visiter ; en novembre 1834, le manuscrit est entre les mains des grands éditeurs de Philadelphie, Carey and Lea (Letters, t. I, p. 54) ; White le propriétaire du Southern Literary Messenger, envisage de les publier en septembre 1835 (Letters, t. I, p. 74) ; enfin après tous ces échecs, Poe offre son manuscrit à l’éditeur Harrison Hall, le 2 septembre 1836 : « À différentes époques, un certain nombre de contes – dix-sept en tout [en réalité, quatorze seulement avaient été publiés à cette date]6 – tous de ma main, ont paru dans le Messenger. Leur ton est celui de la bizarrerie et ils présentent dans l’ensemble, quelque fantaisie : à l’origine, ils furent écrits pour illustrer un ouvrage d’importance « Sur les facultés imaginatives ». (Letters, t. I, p. 103-104)7.

5Au fil du temps, Poe augmente le corpus du recueil (onze nouvelles en 1833, seize en 1835, dix-sept en 1836). Il modifie en 1833 le nom de l’ouvrage proposé plus tôt à Thomas T. et Edwin Buckingham en adressant six contes au Baltimore Saturday Visiter,sous le titre général :The Tales of The Folio Club. Le projet de livre « Sur les facultés imaginatives » est – « presque certainement », écrit Alexander Hammond – une « création du moment ». Laquelle place les contes dans « une perspective particulièrement féconde » – note le critique –, en invitant le lecteur à découvrir dans l’œuvre en attente de publication « une anatomie satirique de la fiction contemporaine8 ». Toujours dans la lettre à Harrison Hall, Poe fixe l’étendue des comptes rendus inédits à un quart de l’ouvrage, et établit le volume à trois cents pages environ. Là encore, il s’agit vraisemblablement d’une improvisation, suggère Thomas O. Mabbott9. Le plan de la « réédition nouvelle » renvoie au prologue du recueil, dont la date de composition – estime Claude Richard – est antérieure à la lettre adressée au New England Magazine : « [le manuscrit] est en effet lié aux cinq contes publiés en 1832 dans The Philadelphia Saturday Courier, auxquels ils devaient servir de préface10. » À l’intention d’Harrison Hall, Poe ajoute :

The author of the tale adjudged to be the worst demurs from the general judgment, seizes the seventeen M.S.S. upon the table, and, rushing from the house, determines to appeal, by printing the whole, from the decision of the Club, to that of the public11.

6Retenons bien le procédé auquel Poe a recours, le rôle attribué au narrateur du prologue ; car la mise en librairie des contes du Club annonce The Narrative of Arthur Gordon Pym. À peine revenu aux États-Unis, Pym entreprend la rédaction de ses aventures maritimes avec la collaboration d’un écrivain, dont « plusieurs gentlemen de Richmond (Virginie)12 » lui ont soufflé le nom : « Mr. Poe ». Dès 1832, donc, en produisant un effet de réel historique, Poe brouille les limites entre la réalité et la fiction, exploite les zones de l’intertextualité en faisant du livre un lieu de références multiples, innombrables, parmi lesquelles le livre lui-même, devenu là, entre les mains du lecteur, le point d’ancrage et de fuite du réel. Le narrateur du prologue – comme Arthur Gordon Pym en 1838 – invente un lecteur habitant le monde fictif des membres du Folio Club, dont voici les portraits :

There was, first of all, Mr. Snap, the President, who is a very lank man with a hawk nose, and was formerly in the service of the Down-East Review.

Then there was Mr. Convolvulus Gondola, a young gentleman who had travelled a good deal.

Then there was De Rerum Natura, Esqr., who wore a very singular pair of green spectacles.

Then there was a very little man in a black coat with very black eyes.

Then there was Mr. Solomon Seadrift who had every appearance of a fish.

Then there was Mr. Horribile Dictu, with white eyelashes, who had graduated at Gottingen.

Then there was Mr. Blackwood Blackwood who had written certain articles for foreign Magazines.

Then there was the host, Mr. Rouge-et-Noir, who admired Lady Morgan.

Then there was a stout gentleman who admired Sir Walter Scott.

Then there was Chronologos Chronology who admired Horace Smith, and had a very big nose which had been in Asia Minor13.

7À une exception : De Rerum Natura, le Diable, tous représentent l’équivalent parodique d’un ou plusieurs écrivains.

8Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833 Tales of the Folio Club, Preliminary Notes » (1972), Alexander Hammond identifie les auteurs dont les membres de l’association sont chacun la caricature :

1. Mr. Snap [John Neal], “Raising the Wind”

2. Mr. Convolvulus Gondola [Thomas Moore], “The Visionary”

3. De Rerum Natura [Le Diable], « Bon-Bon »

4. « A very little man in a black coat with very black eyes » [Edgar Poe], « Siope »

5. Mr. Solomon Seadrift [Adam Seaborn / John Cleves Symmes (?)], « MS. Found in a Bottle »

6. Mr. Horribile Dictu [les auteurs de la littérature gothique germanique], « Metzengerstein ».

7. Mr. Blackwood Blackwood [William Maginn], « A Decided Loss (1832) » / « Loss of Breath » (1835) / (1845)

8. Mr. Rouge-et-Noir [Nathaniel Parker Willis], « The Duc de l’Omelette »

9. « A stout gentleman who admired Sir Walter Scott » [Washington Irving], « King Pest the First ».

10. Chronologos Chronology [Mordecai M. Noah], « Epimanes »

11. « The newest Folio Club member who narrates the prologue » [Benjamin Disraeli], « Lionizing »14.

9Poe figure parmi les membres du club. Le Club de l’In-Folio fait donc signe encore une fois vers The Narrative of Arthur Gordon Pym. Là aussi, nous rencontrons un « être de papier » représentant trait pour trait l’écrivain américain : « Mr. Poe ». Même – encore et toujours – à l’état d’ébauche, le livre fantôme de Poe contient un ordre de lecture applicable à l’œuvre à venir : aux contes, poèmes, essais, articles, qui forment l’intégralité de la production littéraire du Bostonien15. Il donne forme au « paradigme “auteur-texte-critique” » – souligne Alexander Hammond –, « central »16 dans les grandes fictions de l’écrivain. The Narrative of Arthur Gordon Pym est donc un exemple parmi d’autres des textes de Poe dont les contes du Club de l’In-Folio annonce l’écriture. De même, nombreuses sont les références et allusions littéraires égrenées tout au long des contes.

10Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833 Tales of the Folio Club, Preliminary Notes » (1972), « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales » (1975) et « Edgar Allan Poe’s Tales of the Folio Club : The Evolution of a Lost Book » (1977), Alexander Hammond met en lumière la complexité narrative du projet du « jeune gentleman de Richmond », dont il fixe le temps de la genèse à 1831. Il montre le phénomène de confluence des sources, la superposition des modèles du Club – dont beaucoup sont encore des objets d’hypothèse – parmi lesquels Le Banquet de Platon, le Décaméron de Boccace, Tales of a Traveller de Washington Irving (Contes d’un voyageur), On Murder Considered as One of the Fine Arts de Thomas De Quincey (De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts) ; et ajoute aux références littéraires l’exemple des clubs américains en exploitant l’une des découvertes de John C. French :

John C. French [« Poe’s Literary Baltimore », Maryland Historical Magazine, 32 (1937), 101-112] notes the striking similarities between this club [the Folio Club] and the Delphian Club, a Baltimore literary group founded in 1816 and probably still meeting at the home of William Gwynn during Poe’s years in that city. An examination of the Delphian Club minutes in the Maryland Historical Society convinces me that Poe had access to them, probably through his acquaintance with Gwynn, a Baltimore editor and lawyer who knew Poe’s father, employed one of his cousins, and aided the young author during his efforts to publish “Al Aaraaf” [see Floyd Stovall, Edgar Poe the Poet (Charlottesville : Univ. Press of Virginia, 1969), pp. 3334]. The Delphians were, I think, an immediate but ultimately minor target for Poe’s satire in this collection17.

11L’édition critique des contes de Poe établie par Thomas O. Mabbott renvoie également à l’article de John C. French :

The imaginary club was modeled, as Dr. John C. French pointed out (Maryland Historical Magazine, June 1937), on two actual organizations of which Poe must have known. There had been a literary group in Annapolis in the eighteenth century called The Tuesday Club – and Poe’s club met on Tuesday. There was from 1816 to 1825 (and perhaps later) a Delphian Club, to which John Neal and Poe’s acquaintance William Gwynn belonged. Its members adopted odd pseudonyms; Neal used his when he published his poem The Battle of Niagara in 1818 as by Jehu O’Cataract18.

12La présence de John Neal parmi les membres du Delphian Club est un élément supplémentaire en faveur des conclusions de John C. French, Mr. Snap étant la caricature de l’écrivain (conformément à la démonstration de Claude Richard, à laquelle Alexander Hammond souscrit sans réserve). Mentionnons également Die Serapionsbrüder (Les Frères de Saint-Sérapion) (1819-1821), à l’origine – écrit Palmer Cobb – de « l’idée du Folio Club ».19 Affirmation encore prématurée. Voire tout à fait erronée20. Mais la référence fait au moins acte de comparaison. Elle place Hoffmann et Poe sur la scène intertextuelle, où l’œuvre de l’écrivain germanique nourrit à distance la confusion entre la réalité et la fiction des contes du Club de l’In-Folio.

13Intitulé du nom du cercle formé par Hoffmann et plusieurs de ses amis en 181821, Die Serapionsbrüder adapte en mode de narration les rencontres du groupe. À la manière des premiers frères Sérapion, les seconds – note Champfleury – sont

une association de poètes, de musiciens et de peintres qui passent leurs soirées à des causeries artistiques […]. Les conversations, entre lesquelles sont intercalés les contes, a dit un des derniers traducteurs, ne sont point dépourvues de traits spirituels et d’aperçus ingénieux ; mais on y trouve d’insipides longueurs, capables de rebuter même les flegmatiques compatriotes de l’auteur, et, à plus forte raison, un lecteur français. C’est ce qui les a fait avec raison supprimer par les traducteurs de toutes les nations.

Les traducteurs de toutes les nations rendraient plus de services en dormant tout le jour qu’en traduisant de la sorte22.

14L’organisation du recueil (alternance de contes et de commentaires critiques), déterminée chez Hoffmann et Poe par une même situation narrative (la réunion d’un groupe d’amis au cours de laquelle chacun raconte une histoire, qui fait ensuite l’objet d’un débat) n’est donc pas le seul point commun aux deux livres. L’un et l’autre représentent au xixe siècle un défi au monde de l’édition. En mars 1836, les éditeurs Harper & Brothers refusent de publier le manuscrit de Poe, non conforme au standard des livres à succès.

15Le choix des « traducteurs de toutes les nations » consistant à élaguer le recueil d’Hoffmann des « conversations » autour des contes, les conseils de Paulding à l’intention de Poe, appelant à séduire un large lectorat en évitant toute forme d’élitisme, l’objection à la publication des frères Harper guidée par l’impératif de vendre à un large public, non à quelques Américains à peine, disent les difficultés d’existence d’une œuvre littéraire exigeante dans l’espace public. En composant les contes du Club de l’In-Folio, Poe étend l’exercice littéraire au-delà des limites de la caricature. Il saisit la possibilité de produire à l’endroit de la fiction une critique du langage, de la littérature, de la poésie. Il pose la question de l’être. S’il y a du langage, il y a de l’être, l’être du langage d’abord, un ou plusieurs êtres de langage.

16Le langage comme chose et être, nous le trouvons presque partout chez Poe : dans le mot, image ou son vide, qui se remplit de sens, progressivement, à force de rêverie prolongée : c’est le cri du corbeau – les cinq lettres rouges dans le billet d’Auguste à Arthur Gordon Pym, blood, à l’origine de terreurs dans l’esprit du héros et qui, pourtant, fonctionne à la manière d’une tautologie : Auguste a écrit la lettre avec son sang, voilà tout le sens du mot, le mot se désigne lui-même, il dit la matière de la lettre, l’encre du corps – le nom de Morella, murmuré par « les vents du firmament » et « le clapotement de la mer »23, mêlé à la musique du monde, « the music of things »24, trois syllabes devenues le refrain de la nature, soufflé encore et encore aux oreilles du narrateur après la mort de l’héroïne – le mot mort, sans l’idée, litanie d’Egaeus longtemps, longtemps répétée dans la bibliothèque – le paragraphe en x où la consonne en forme de croix est substituée à la voyelle o, courbe fermée sur elle-même. Pourquoi tant de x d’ailleurs ? La réponse est simple. En réaction à un billet de Mr. Touch-and-go Bullet-head, John Smith, éditeur depuis longtemps de la gazette locale, lance un défi entre les lignes : publier un article sans o25 – proposition dont l’intéressé comprend très vite qu’il ne peut pas l’accepter sans déshonneur :

He, Bullet-head, would make no alteration in his style, to suit the caprices of any Mr. Smith in Christendom. Perish so vile a thought ! The O forever ! He would persist in the O. He would be as O-wy as O-wy could be26.

17Voilà la raison pour laquelle il compose un paragraphe en o, malheureusement converti en paragraphe en x par Bob, l’apprenti du magazine, obligé d’employer un substitut à la lettre manquante, mystérieusement disparue des cases de l’imprimerie :

Sx hx, Jxhn! hxw nxw? Txld yxu sx, yxu knxw. Dxn’t crxw, anxther time, befxre yxu’re xut xf the wxxds! Dxes yxur mxther knxw yxu’re xut? Xh, nx, nx! sx gx hxme at xnce, nxw, Jxhn, tx yxur xdixus xld wxxds xf Cxncxrd! Gx hxme tx yxur wxxds, xld xwl, – gx! Yxu wxnt? Xh, pxh, pxh, Jxhn, dxn’t dx sx! Yxu’ve gxt tx gx, yxu knxw! sx gx at xnce and dxn’t gx slxw; fxr nxbxdy xwns yxu here, yxu knxw. Xh, Jxhn, Jxhn, if yxu dxn’t gx yxu’re nx hxmx – nx! Yxu’re xnly a fxwl, an xwl; a cxw, a sxw; a dxll, a Pxll; a pxxr xld gxxd-fxr-nxthing-tx-nxbxdy lxg, dxg, hxg, xr frxg, cxme xut xf a Cxncxrd bxg. Cxxl, nxw – cxxl! Dx be cxxl, yxu fxxl! Nxne xf yxur crxwing, xld cxck! Dxn’t frxwn sx – dxn’t! Dxn’t hxllx, nxr hxwl, nxr grxwl, nxr bxw-wxw-wxw! Gxxd Lxrd, Jxhn, hxw yxu dx lxxk! Txld yxu sx, yxu knxw, but stxp rxlling yxur gxxse xf an xld pxll abxut sx, and gx and drxwn yxur sxrrxws in a bxwl27!

18Tel quel, le paragraphe est un exemple d’écriture figée en écriture, opposée au passage du texte encré à l’oralité. De quoi la lettre x est ici le symbole, nous le savons ; n’importe quel lecteur – hormis le mathématicien de la ville – est capable de résoudre l’énigme en une seconde, dès les premiers mots. Mais de quoi la voyelle o est-elle l’image ? Cela, nous l’ignorons. Face à quelle image sommes-nous ? Une forme pleine et liée ou vide ? Dans « X-ing a Paragrab », « l’accumulation de jeux de mots – écrit Claude Richard –, de sous-entendus, le mélange d’argot et de style héroï-comique traduisent l’envie de détruire le langage, de le torturer, le déformer, comme pour le punir, lorsqu’il échappe à la sublimation poétique, de ses mensonges, de ses prétentions et de l’accuser, en le clouant au pilori, d’être creux comme un O »28. Ne sachant pas si la lettre o représente une forme pleine ou vide, nous sommes dès lors dans l’impossibilité de dire si la substitution opérée par Bob a lieu entre des contraires seulement et/ou des mêmes, autrement dit : si – au milieu des dichotomies voyelle / consonne, courbe / ligne, etc.– il n’existe pas également un rapport d’identité entre les deux lettres. Voici au moins une évidence : l’une et l’autre trouent le texte, l’une : visuellement (o), l’autre : sémantiquement (x).

19Ainsi, le projet de volume des Tales of the Folio Club annonce plusieurs des grandes obsessions de Poe : le souci d’organiser les contes en recueil d’une manière intelligente et cohérente, de créer « l’unité du livre » en exploitant au fil des textes différents tons et genres, autrement dit : la volonté de produire une homogénéité hétérogène, de composer une œuvre kaléidoscopique ; il souligne également en caractères gras la mise en pointillés des limites entre la réalité et la fiction grâce à un jeu d’allusions et de références subtiles ; la plasticité de la langue, matière spirituelle, vivante, corps d’encre noire. Dès 1832, Poe est un génie – un génie en devenir, un génie tout de même – dont le fantôme de l’œuvre future, interrompue à la mort de l’auteur, plane au-dessus des contes du Club de l’In-Folio.