Colloques en ligne

Anne-Christine Royère

Charles Pennequin, écrire au corps.
« La main du punk » : gestes d’écriture, du livre à la performance

Pour une petite « somathèque » pennequinienne

1 Chez Charles Pennequin, la vie s’appréhende, c’est-à-dire qu’elle est tout à la fois saisie au corps et envisagée avec une certaine appréhension, une sorte d’inquiétude face à l’imminence d’une chose indéfinissable. Qu’il s’agisse de cerner un Dedans qui « a toujours un père au fond de la gorge1 », d’expérimenter les modalités parfois douloureuses d’être au monde, par exemple rencontrer un poteau, dans Mordre2, ou encore de « comprendre la vie » en dénotant sa trivialité (« J’aime ma bite / C’est central3 »), en connotant les attitudes humaines (« l’humain habite rarement sa colique4 ») ou les objets du quotidien (« la télé est une sorte d’organe rond et creux qui souffre tout seul5 »), le corps constitue tout autant un objet du discours qu’une modalité du dire.

Je suis une nullité. Je ne comprends rien au corps. Je ne sais pas ce que c’est que le corps. Et pourtant j’ai un corps. Mais je ne sais pas jusqu’où il va ce corps, à quel endroit ça s’arrête. À quel moment il faudrait sortir de lui, sortir des conventions de corps, de notre corps, et pas seulement du mien. On a bien une idée des organes, on a bien des idées de comment dessiner l’organe, de comment penser les concepts, de comment décrire la vie, de comment enfoncer la morale dans la tête des gens6.

2En tant qu’objet de discours, le corps anatomique est le lieu d’énoncés purement constatifs sur lesquels butent le savoir. Or si « nous ne sommes pas de ce corps-là »7, force est pourtant de constater qu’il est non seulement le médium premier de la mise en relation avec l’autre, un espace perceptif dont on ignore « à quel endroit ça s’arrête », mais aussi le lieu de « conventions » sociales qui sont autant d’injonctions concernant la manière de cette mise en relation (« des conventions de corps, de notre corps, et pas seulement du mien », écrit Pennequin). Et ces conventions prolifèrent par syllepse dans le corps : du corps à l’idée et au dessin des organes, de leurs représentations à la pensée des « concepts » pour « décrire la vie », ce sont bien le corps et les « organes » qui finissent sclérosés pour finalement faire retour « dans la tête des gens » sous forme de « morale ». Pour briser ce cercle vicieux, il faut « sortir », « partir de ce corps au quotidien », c’est-à-dire tout autant le quitter qu’en faire le point de départ de ce mouvement, pour « en finir avec les présupposés de corps »8.

3 Le rapport de la création au corps, ainsi défini, fait moins de celui-ci un « corps vivant comme un objet anatomique » qu’« une archive politique vivante » et une véritable « somathèque9 », selon les formules de Paul B. Preciado lorsqu’il considère que :

De la même manière que Freud évoquait un appareil psychique plus large que la conscience, il est aujourd’hui nécessaire d’articuler une nouvelle notion de l’appareil somatique pour prendre en compte les modalités historiques et externalisées du corps, celles qui existent médiatisées par les technologies numériques ou pharmacologiques, biochimiques ou prothétiques10.

4S’il est nécessaire d’envisager ce que ces notions impliquent concernant l’écriture des textes elle-même, nous souhaitons ici plus spécifiquement nous arrêter sur quelques-uns des gestes que supposent, en termes de création poétique, l’exploration de ces « modalités historiques et externalisées du corps », c’est-à-dire envisager le corps comme « biomédium11 » technologiquement augmenté. Dans cette perspective, nous nous intéresserons spécifiquement à la relation corps/langage dans les gestes d’écriture de Charles Pennequin et appliquerons à la notion de geste les définitions qu’en propose Yves Citton. Pour lui, en effet, « l’imaginaire et la réalité des gestes se situent en un point nodal entre immédiateté (du corps, du toucher, de la spontanéité) et médiation (des indices et signaux perçus par autrui). En ce sens nos gestes sont toujours au seuil de l’espace médiatique, puisqu’ils appartiennent à notre corps propre […] et au cœur de cet espace12 », puisqu’ils circulent à travers les œuvres. Le geste oscille ainsi perpétuellement « entre le statut de signe (médiation intentionnelle) et de symptôme (indice matériel)13 ».

5 Chez Charles Pennequin, les gestes d’écriture sont d’abord affaire de lecture et, plus précisément, de « mauvais lecteur14 » :

Nous vivons avec des lectures arrangées. des lectures apprêtées. conduites par des textes appauvris de sens. le sens que veut donner la vie instruite. Depuis le plus jeune âge nous sommes instruits pour ne pas vivre avec les textes. en faisant de nous de bons lecteurs du sens. le sens commun. la lecture commune15.

6Pour se défaire de la « vie instruite » et des « lectures apprêtées », stricto sensu « arrangées par artifice », il faut substituer au sens la matérialité même de l’écrit :

Je n’ai jamais lu vraiment les livres, je les ai plutôt vus. ça m’a jamais intéressé le sens que prenait le livre. c’est plutôt sa physicalité, sa manière de faire peser les phrases. de faire monter le texte. comment le texte monte en moi. comment il se développe dans la vue. c’est plus ça qui m’a toujours attiré. car j’ai toujours été attiré par les livres. c’est d’ailleurs seul le livre qui m’attire. et dedans sa présence dans les pages. comment l’écrit se dresse dedans16.

7La lecture, revivifiée par les sens, se fait translation gestuelle : « c’est pour ça qu’avant de lire il faudrait apprendre à voir un texte. à sentir sa pesanteur. Et le toucher. toucher le texte avec la main même. la main qui suit l’écrit qui passe en soi »17. Il s’agit de « vivre avec les textes », et de remotiver par là même l’étymologie du verbe « comprendre » (« prendre, saisir avec soi »). Faire jouer les gestes contre les corpus, c’est finalement « déconcepter » les pratiques d’écriture pour les réinscrire dans des pratiques ordinaires ayant trait au « brouillon », terme essentiel dans la poétique de Charles Pennequin, en ce qu’il exprime le refus de figer pensée et texte dans une forme. Celles-ci s’expriment par un goût pour le « do it yourself » et la « bidouille18 » livresque, sensibles dans l’exhibition des gestes éditoriaux, par une prédilection pour les écritures manuelles performées, et enfin pour les écrits-dessinés, dans lesquels s’exprime au plus près la translation — Yves Citton parle de « transduction19 » — gestuelle de soi vers autrui.

« Bidouiller » le livre : « livre pauvre » ou livre punk ?

8 Les processus éditoriaux visant à la reconnaissance du même via le principe de collection ou de charte graphique, il n’est pas évident de poursuivre le geste de production jusque dans la reproduction du texte et du geste20. Néanmoins, pour Comprendre la vie (2010) et Pamphlet contre la mort (2012), Charles Pennequin a pu choisir une police linéale, police qui privilégie la fonctionnalité et la lisibilité, mais transpose également dans l’univers typographique le geste d’écriture que Pennequin pratique manuellement. La rondeur de la panse des « a » en rappelle en effet la forme, de même que les choix d’un interlettrage et d’un interlignage amples et le déploiement de syntagmes ou de phrases en grands caractères qui sont des minuscules augmentées et non des capitales. Ici l’expressivité et l’emphase, celles d’un titre ou d’un slogan, restent à hauteur d’homme et invitent à une lecture buissonnière, par dessus les pavés de texte plus petits. Le choix des polices et de leur mise en page contribue ainsi à incarner des types de discours, des énonciations plurielles. Dans Comprendre la vie, par exemple, la dimension réflexive de la postface se marque dans une police à empattements, traditionnelle dans le livre et liée à une valeur d’élégance. Le passage des Exozomes consacré aux « zumins21 » adopte une taille de police relativement grande et, en forçant la graisse, accentue les effets d’oralité du texte.

9 Mais c’est dans la petite, voire la micro-édition que Charles Pennequin peut pleinement associer geste de production et reproduction du geste d’écriture, pratique qui relève dès lors clairement du « do it yourself ». C’est le cas notamment dans Ce fut un plaisir, « achevé d’imprimer aux derniers moments d’un hiver pourri en 2016 » par Cantos Propaganda Productions avec un « dépôt légal plutôt frais », un « ISBN et patati et patata » et « un tirage strictement limité et numéroté à 100 exemplaires dont quelques-uns sont signés par l’auteur avec l’aimable autorisation de l’auteur. Hallelujah ! ». On l’aura compris, l’achevé d’imprimer achève aussi ironiquement le modèle éditorial du livre de bibliophilie. Il en va de même pour la forme de ce livre : un carnet à spirales de 40 pages faisant 21 cm sur 14,8. Ce qui se donne immédiatement à voir, c’est un geste de détournement, celui du carnet de factures de la marque Exacompta, dont on reconnaît aisément la couverture. Cette reconnaissance est évidemment intentionnelle : le logo demeure et seules les pièces de titre et de mention d’éditeur ont été remplacées, la seconde par un collage grossier qui ne masque pas intégralement le nom de la marque, la première par un titre dactylographié. Quant à la 4e de couverture, elle est constituée d’une reproduction en couleur de la page publicitaire de la gamme Manifolds d’Exacompta, qui a été utilisée pour taper un texte à la machine, superposant ainsi les écritures commerciale et littéraire.

10 Originellement, ce type de carnet manifold22 comprend 50 feuillets numérotés et autocopiants : le feuillet original à petits carreaux est destiné à être détaché, le second reste dans le carnet. Ici ne demeurent que 40 pages de feuillets originaux, qui ont été détachées pour être insérées dans la machine à écrire avant d’être clichées dans l’ordre et reliées par des spirales. Tout pointe donc vers la désignation ostensible des gestes qui ont présidé au détournement des fonctions utilitaires premières du carnet de factures, autrement dit vers sa facture. Ce geste de réappropriation d’un support standard va de pair avec l’écriture mécanique, dont la régularité et les accidents signalent une écriture normalisée et ordinaire. Mais le support est autrement sémiotisé. La lecture du texte révèle qu’il est aussi question de faire ses comptes (« la vie ne coûte pas cher / combien coûte une vie ? / combien le prix du vivant ») ou mieux, de les régler. Le texte relate en effet les dissensions entre « il », « l’autre » et un « je » qui apparaît dans la seconde partie de l’opuscule, après une page de dessin qui pourrait représenter deux profils aux traits hérissés. Cette seconde partie semble rejouer la première, sous un angle différent, celui d’une saisie de soi non par les comptes/contes/fictions, mais par la logorrhée. C’est ainsi la question du rapport à soi (« comment je me suis vu comment j’ai vu le voir comment je me suis deviné »23) qui est abordée non seulement dans les textes, mais dans la forme du carnet dont la fonction de duplication, d’autocopie joue à plein.

11 L’esthétique « do it yourself » relève aussi très frontalement de la publication de brouillons. C’est le cas notamment de Tennis de table publié par Plaine Page en 2016, maison d’édition consacrée aux écritures contemporaines plastiques et performatives. Le livre se présente comme le clichage d’un cahier de brouillon, lequel apparaît d’ailleurs sous forme d’original photographié dans son environnement natif à la fin de l’ouvrage. Quelques signes (usage du blanc correcteur, collage du chiffre 100 à la place du 48 indiquant le nombre de pages du cahier d’écolier) indiquent cependant que ce que nous avons en main n’est pas la simple reproduction d’un brouillon. Ce qui est en effet cliché, ce ne sont pas uniquement des pages qui proviennent de divers cahiers et même de divers supports d’écriture, ce sont aussi des dessins, des feuilles volantes, des bouts de papiers, des photographies, des tickets de train, etc. Il ne faudrait donc pas se méprendre sur le sens de cette exhibition. Il ne s’agit ni d’offrir un document à la critique génétique, ni de fétichiser une origine, car le brouillon ne se présente pas seul : c’est en effet un recueil — une collection — qui fait l’objet d’opérations de prélèvement, de montage, de transcription, voire de réécriture, confrontant dans ce cas écriture manuscrite et écriture numérique. Parfois le support d’accueil de l’écrit est exhibé, parfois, lorsque le cadrage est resserré, il disparaît, estompant les effets de mise en abyme d’un support écrit dans un autre. En revanche, le cadrage large du clichage permet d’indexer les divers gestes de manipulation des supports manuscrits suggérant par là même une agentivité qui ne relève pas à proprement parler d’une écriture, mais indéniablement d’un agencement des images de l’écrit.

12 Ainsi le refus de reproduire un texte sous une forme achevée, le fait de présenter les traces d’une expérience vécue, d’en exhiber l’accidentel et la fragilité et de matérialiser ainsi dans l’espace graphique l’épaisseur du temps de l’expérience, enfin la revendication manifeste de ne pas couper l’objet textuel du geste qui l’a produit relèvent bien d’une esthétique du brouillon extrêmement travaillée. Cette agentivité à l’œuvre vient également et surtout nous dire que l’enjeu est celui de trouver des gestes de médiation de soi à soi qui permettent de se voir vivant et de répondre ainsi à la question posée dans Comprendre la vie :

Nous savons qu’on ne peut pas vivre tout en étant vivant. Comment vivre tout en étant vivant ? Il faut récrire la bande, réinventer la bande, la soutenir, la dupliquer, la repeupler, repeupler la bande c’est dire : Nous écoutons notre propre absence et nous revenons au lieu de l’écrit24.

13Autrement dit, la médiation technique permet de conscientiser le sujet.

14 On pourrait être tenté de rapprocher ces gestes éditoriaux de ceux du « livre pauvre » qui, selon leur instigateur, Daniel Leuwers, « parie[nt] sur la pauvreté à l’heure même où les sociétés libérales en expansion ne valorisent que le profit et la richesse25 ». Et ce d’autant plus que Charles Pennequin a répondu à plusieurs reprises à l’appel du critique littéraire. Pourtant, selon nous, il n’en est rien. Pennequin détourne en effet quasi-systématiquement la commande consistant dans la production d’un texte manuscrit accompagné de l’intervention originale d’un peintre, son écriture procédant par collage de lettres et mots découpés dans la presse, par l’usage de tampons ou de lettres pochoirs, ou encore par le recours à une écriture mécanique ou numérique. Lors de sa collaboration avec le plasticien Thierry Rat, par exemple, pour Être bien souvent le public, un des volets de ce livre constitué d’une feuille pliée en quatre, est rempli bord à bord d’une écriture manuscrite cursive difficilement lisible sur laquelle se trouve collé un morceau de tissu noué et comme taché d’un sang qui macule par ailleurs une bonne partie du texte et déborde sur un volet adjacent26. Si le « livre pauvre » est un livre de peu de moyens, il aspire néanmoins à la beauté, « du fait de la communion entre deux arts, l’écriture et la peinture » de laquelle il tire une « richesse inusitée27 » qui semble aux antipodes des épanchements corporels ici mis en scène.

15 On pourrait oser dire que la pratique éditoriale de Charles Pennequin est pire que pauvre. Elle est, par ses modalités, punk. Et comme toute esthétique punk, elle a des effets dans la vie et non nécessairement dans les bibliothèques ou les musées, où s’exposent les livres pauvres de Daniel Leuwers. Ceci expliquerait l’attachement du poète aux gestes partagés28, aux supports éphémères et à une certaine économie du don. Ainsi le « livre pauvre » se pratique-t-il à la maison et en famille, comme le signale un post Facebook en date du 24 avril 2021. Et, si l’on en croit un projet de 1992, le poète n’envisageait pas le livre comme un support pérenne, mais sous forme de « roman sur feuilles Post-it », comme en témoigne une lettre de la Société 3M postée un temps sur le site du poète. Cette matérialité particulière appelle en effet un certain nombre de gestes : gestes de démantèlement d’un bloc de papier dont les feuilles autoadhésives peuvent être affichées n’importe où, relativisant ainsi la « richesse » d’un certain livre pauvre pour regarder du côté de l’affichage dans des lieux ordinaires ; gestes de recomposition, dans la mesure où les feuilles sont amovibles à volonté, enfin gestes de don, les feuilles Post-it étant conçues pour la transmission de notes et de messages, orientant ainsi l’écrit vers l’échange et le partage d’informations.

« Faire des écritures » : « écrits bruts », performance et calligraphie

16 « Faire des écritures29 », pour Charles Pennequin, semble plus proche des pratiques d’auteurs d’« écrits bruts », telles que les as définies Michel Thévoz, que des us et coutumes éditoriaux du livre pauvre. Selon ce dernier en effet, la marginalité sociale et la fragilité psychologique de ces derniers les placent à distance de « l’institution artistique ou culturelle » comme des « circuits de promotion et de diffusion des œuvres », les conduisant à réinventer « à leur propre usage » les pratiques d’écriture. Ensuite, ces auteurs d’écrits bruts « ne se détachent jamais tout à fait d’une impulsion graphique »30, ce qui rend difficile la transcription typographique de leurs œuvres, dont seul le fac-similé rend compte. Il n’est évidemment pas question d’affirmer la stricte équivalence entre ces auteurs d’écrits bruts et les pratiques de Charles Pennequin, mais de suggérer que les modalités selon lesquelles il envisage l’écriture et sa publication ressortissent d’une esthétique proche de l’art brut. Il ne faut pas s’y tromper : « être et demeurer brouillon31 » est bien un projet d’écriture, une poétique.

17 Ainsi, depuis 1999, Charles Pennequin développe une écriture en scène sur des lés de papier qu’il étale au sol. Il écrit agenouillé, à même le sol, tenant le feutre en main et oralisant le texte qu’il écrit, sa tête se tenant au plus près de la main scriptrice. Cette posture agenouillée, ce rapprochement visage/main et cette conjonction de l’oralisation et de la scription, dans une sorte d’« écriture de la diction32 », pourraient être compris comme une écriture non pas des mots, mais de la manière de dire. Ils rappellent de toute évidence à la fois les temps de l’apprentissage scolaire de l’écriture et certaines postures d’enfants, lorsqu’ils écrivent ou dessinent sans avoir pour obligation de s’installer à un bureau. Cette façon d’être brouillon, tant dans sa dimension de qualification psychologique (être confus, désordonné) que dans sa matérialité la plus stricte d’ébauche griffonnée dont les traits grossiers expriment l’impossibilité à se saisir33, se donne à lire, par exemple, dans Poèmes collés dans la tête34, dont le titre joue, par syllepse, sur le sens propre, exhibé en performance, et le sens figuré d’une idée qui se ressasse.

18 Charles Pennequin privilégie une autre posture d’écriture lorsque, agenouillé et penché en avant, il n’écrit plus avec la main, mais avec des feutres marqueurs Posca scotchés sur le crâne. On pourrait évidemment y voir une plaisante illustration littérale de l’expression « se creuser la tête », mais l’humour n’est qu’un biais. Lors d’une performance à l’École Média Art (EMA Fructidor) à Châlon-sur-Saône en décembre 201335, gestes de scription et d’oralisation s’associent de diverses manières. Parfois la voix devance l’inscription du texte et se trouve alors amenée à se répéter, comme dans une dictée ; parfois elle étire un phonème, accompagnant le geste de scription dans son retour à la ligne ; parfois enfin elle se désolidarise du geste d’écriture faisant porter son expressivité non plus sur les mots à écrire, mais sur le contenu sémantique. Ce qui se donne à voir, c’est le processus d’élaboration du sens à même le corps, son accouchement laborieux. Et dans ce mouvement proprement éreintant, c’est-à-dire qui rompt les reins tant le corps est sollicité, oralisation et gestes sont mis en compétition. La dictée orale, mélange de souffle et de lettre, ne soutient pas l’écrit, comme c’est le cas dans les situations d’apprentissage, alors même que la difficulté et la lenteur du geste de scription, dues aux modalités d’écriture « avec la tête », « retardent le processus verbal de la pensée36 », accentuant le délitement de la parole qui s’en trouve ralentie, entravée. Il ne s’agit pas ici d’exprimer ingénument une maladresse native : le jeu entre oralisation et scription, pour être drôle, n’en témoigne pas moins du « trou » qui habite toute parole et, de fait, son impossibilité à poser les fondements d’une quelconque subversion. Si le processus fait sens, c’est pour affirmer que la destitution des valeurs de l’art, qui se joue hic et nunc dans cette performance, n’empêche pas le fait que « nous sommes dans l’art » : la posture d’opposition échoue à fonder une quelconque autorité37.

19 À priori, ces gestes d’écriture paraissent éloignés de la recherche d’une quelconque maîtrise calligraphique. Pourtant, en matière d’écritures manuelles, la question, inévitablement, se pose. Charles Pennequin en témoigne :

Après, en performance aussi je fais des lettres devant les gens, j’écris des textes avec la tête. C’est lors d’une rencontre à Taïwan qu’on a rapproché ma pratique de celle la calligraphie alors que j’utilisais un Posca et que je cherchais à faire autre chose de mes bandes de sons habituelles : ça m’a incité à ne pas abandonner la pratique38.

20De fait, on pourrait relever certaines constantes dans les écritures manuelles que Charles Pennequin exécute. Elles poussent à s’interroger sur leur dimension calligraphique et les poétiques diverses qu’elles déploient. Nous en relèverons trois. La première exhibe sa normalité. Dans « l’art de la rue39 », par exemple, l’écriture manuscrite au feutre occupe bord à bord l’espace de la page, faisant fi de la norme en matière de coupure de mots. Elle se déploie par ailleurs de manière régulière. Les lettres, tracées soigneusement, sont alignées, et l’interligne est égal. Celles qui sont tracées en un trait sont la plupart du temps liées entre elles et adoptent majoritairement une forme cursive. Néanmoins, elles s’autorisent parfois, pour une même lettre, la forme typographique : c’est le cas du « s » dans la dernière ligne de la première page et du « h », dans la cinquième ligne de la deuxième page. Ce mélange de scriptes et de cursives est d’ailleurs une constante dans l’écriture de Pennequin, on la retrouve par exemple dans « C’est pas une vie d’exister40 ». On peut voir dans cette écriture ronde, appliquée à dessiner lettres et mots, une intention calligraphique, celle d’une recherche d’hyper-lisibilité qui n’est pas sans rappeler les écritures de Ben Vautier. Ben et Pennequin ont en partage une graphie enfantine, comme en cours d’apprentissage, qui tend à interroger avec une fausse naïveté le monde de l’art ou plus généralement la vie. Cependant, il existe des différences notables entre leurs travaux. Ben croit au slogan, à la vérité des axiomes et des aphorismes, ainsi qu’à la valeur des questions ouvertes par le doute. Ses actions avec Fluxus ont épuisé « toutes les possibilités/limites du “tout est art” » avant de s’attacher à le dépasser « par une attitude Non-art, Anti-art41. » Pennequin, lui, arrive au moment de la négation de la négation, pourrait-on dire. Il opère alors un décentrement, regrettant d’ailleurs que Fluxus ait eu « besoin de chercher une justification philosophique derrière leur action42. » Contrairement à Ben, dont les écritures regardent du côté du tableau, Pennequin travaille sur des supports ordinaires, voire pauvres. Ensuite, même s’il ne dédaigne pas la forme optimiste du slogan, celui-ci relève parfois moins de l’affirmation, du questionnement que du paradoxe, voire de l’antilogie, lorsqu’il déploie le texte sur plusieurs feuilles. C’est ce que suggèrent le travail intense sur le signifiant, la défaillance partielle de la syntaxe et la progressivité du propos par accroissement visuel des mots dans les pages agencées pour la revue Grumeaux, qui valorisent puis congédient l’art de la rue (« l’art de la rue rumine l’air est à lire libre », « l’art nous rit il est à la rue l’art nous rit dessus », « merde a l’art merde à la rue et merde à tout l’air »).

21 À côté de cette écriture scolaire hyper-lisible, Pennequin développe des écritures qui exhibent le processus d’écriture, soit pour montrer la corrélation entre la progression matérielle de l’écriture et le déroulement de la pensée, soit pour transcrire l’énergie d’un geste. Dans le premier cas, l’écriture, complètement cursive, « repense intégralement la pensée43 » en lui donnant forme. Non seulement lettres et mots sont liés, mais aussi la dernière lettre d’une ligne à la première lettre de la ligne suivante. Ce mouvement, qui se rapproche du boustrophédon, même si seul le trait, et non l’écriture, progresse dans le sens droite-gauche, vise moins la lisibilité que la signification de la « colle » des mots, la « patmo », comme l’aurait dit Christophe Tarkos. La quasi-totalité des reproductions des Poèmes collés dans la tête adopte cette calligraphie, affirmant par exemple « Je dis de ma bouche que tout est collé dans ma tête ». Ces clichés sont des traces de performances, mais Pennequin a également pratiqué ce type d’écriture dans des vidéos-performances improvisées. « Truc dans le train44 » (2015) mêle ainsi oralisation et scription, processus récurrent chez Pennequin, pour exprimer une forme de paradoxe (« je veux savoir ce qui se passe un peu partout où ça passe en moi même je veux même partout où ça me passera d’y être »). Dans le second cas, c’est l’énergie du geste scripturaire qui prime. Dans la vidéoperformance « “je rejoue”, ou comment je torbine dans un tornamot »45, oralisation, scription et rotation de la feuille s’associent. Alors que la parole procède par associations d’idées et de sonorités (« je tourne 1 mot », « je tournis », « je turbine un mot », etc.), les lettres scriptes, plus rapides d’exécution, se chevauchent jusqu’à l’illisibilité de la jouissance (« Je o Je o Je ou i »), puis s’expriment la rage d’écrire, lorsque le feutre est tenu à pleine main, poing fermé, à la verticale de la feuille, comme pour le planter dans la page, puis à nouveau la jouissance de la manipulation et de la destruction scripto-orale des mots. Comme le dit Pennequin : « Je jouis, je joue, j’y rejoue ».

22 Enfin, une dernière orientation calligraphique explore une forme d’écriture anguleuse, non linéaire dont les lignes peuvent éventuellement s’inscrire en spirale lorsque le support est manipulé. Elle pratique le mélange des lettres minuscules et majuscules, manuscrites et scriptes toutes connectées les unes aux autres. Pennequin les trace tantôt sur fond noir, tantôt sur fond blanc (« La bouche pense avec l’air »), créant ainsi des effets de positif / négatif. Cette recherche calligraphique nous reconduit vers l’art brut, et plus précisément vers « l’écrituriste46 » Francis Palanc dont les « scriptions anguleuses organisées en mouvements descendants obliquement de gauche à droite » ont, selon lui, pour vocation de doter le mot « d’une forme physiquement vivante47 ». C’est pourquoi il accorde une place primordiale au geste comme l’affirme son traité, L’autogéométrie : « Tous gestes, suivant leurs attitudes, leurs poussées, leur régularité, leur précision, influent mental et physique en accord48 ». Un texte de Palanc comme : « Tu ne trace [sic] rien ce / que tu vie [sic] seulement te / trace dans la mesure où ce que tu / vie [sic] est inconnu de tous, même de toi » aurait sans doute pu être aussi signé par Pennequin. Ainsi, les écritures manuelles, souvent produites dans des contextes de performances ou d’actions, engagent le poète dans des gestes de mise en relation avec soi-même en liant corps, écriture et parole, mais également dans des gestes que l’on pourrait qualifier de relationnels, lorsqu’ils engagent la présence de l’autre.

« Écrire dans le dessin » : du geste pour soi au geste pour les autres

23 Des écrits bruts, on retrouve également chez Pennequin le tropisme de l’écrit-dessiné. En 2015, dans un entretien avec Henri Guette, il pointe ainsi cette impulsion graphique : « dans le dessin je trouve le même élan, la même énergie que dans l’écriture », ajoutant : « pour moi le mouvement du dessin accompagne celui de l’écriture49. » La ville est un trou n’affirme pas autre chose : « Je ne sais pas d’où ça me vient, il me vient que je dessine, mais je dessine pas. Je veux pas dessiner, je veux écrire dans le dessin50. » Cette écriture dans le dessin, on la rencontre précisément dans deux pratiques de Charles Pennequin : les binettes et les contours de mains et de profils.

24 Pour en éclairer le sens, il n’est pas inutile de relire la postface de Comprendre la vie, dans laquelle le poète s’interroge : « Que veut dire ce projet d’écriture que nous nous sommes donné dans la vie ? » Pour répondre à cette question, il oppose à l’allégorie de la « grotte platonicienne » celle de la caverne préhistorique. La première est l’antre des philosophes et autres analystes qui « ont remplacé la vie par le concept » et dont le projet est de « soigner [l’homme] de son écriture » et de sa « parole vivante […] impossible à digérer ». La seconde renvoie d’une part à des pratiques attestées, celles des dessins pariétaux consistant à « tracer les formes et […] toucher ces formes que nous avons associées à celles de la pierre » et d’autre part à une « expérience intérieure », permise uniquement grâce à ces médiations techniques, « l’intérieur n’étant pas que le fond de la grotte mais le projet de l’homme qui était alors de se parler ». Si ce projet a été perdu, il est possible de le relancer, à condition de « rentrer dans l’expérience », « de se coltiner tous les signes pour en faire un bazar à l’intérieur de sa grotte personnelle ». À certains égards, ce « projet qui est de l’écriture pour soi et aussi pour l’autre, si l’autre veut bien »51 renoue avec des gestes et figurations qui peuvent rappeler l’art pariétal.

25 Commencées en 2011, les « binettes », comme le suggère le sens de ce terme familier, sont des formes de profils humains aux traits plus ou moins déformés. Pour les représenter, Charles Pennequin utilise divers outils et techniques (stylo à bille ou à encre blanche, feutre Posca, encre de chine, dessin, peinture, collage) sur papier ou sur toile. Comme les mains positives ou négatives dans l’art pariétal, les « binettes » peuvent être des formes pleines ou de contours. Elles ne sont cependant pas des empreintes : elles se situent entre empreinte et image, pouvant être considérées comme des « empreintes imitées », ou comme des « motifs »52, en raison de leur caractère sériel : une « binette » n’est jamais seule sur son support. D’abord, lorsqu’elles adoptent une forme pleine dans le livre, comme dans Au ras des pâquerettes53, leurs aplats noirs s’insèrent au cœur des pavés de texte sans masquer les mots. Leur aspect massif, qui tient du maculage, vient entraver et ralentir la lecture de la seule phrase dont ils sont constitués. La valeur des motifs est moins figurative qu’expressive : en s’imprimant dans le texte, ils contribuent à en exprimer visuellement le sens, les phrases ayant trait à des empêchements divers (« La pensée est réduite à sa plus simple expression », par exemple). En tant que formes pleines hors du livre, les binettes sont généralement utilisées comme cache venant recouvrir le texte. Non seulement elles désignent alors le texte comme support, le reléguant par là même au second plan, mais aussi elles interagissent avec lui. Dans « tous les matins », elles laissent entrevoir en transparence le texte imprimé, leur itération rejouant celle du texte sur le mode figuratif. Ensuite, lorsqu’elles sont des formes de contours, les binettes, comme les mains négatives dans l’art pariétal, donnent à voir une forme vide : réserve blanche sur fond noir ; contours aux traits noirs épais sur fond blanc ou imprimé ; pochoir placé sur le texte. Ces formes de contours peuvent rester vides ; du texte peut également les remplir ou en suivre les contours. Ce qui frappe alors, c’est la relation organique entre la forme et ce qui se dit, la conjonction de l’écrit-dessiné, d’autant plus que l’écriture est manuscrite. Les binettes ne perturbent plus ici la compréhension du texte, elles permettent l’émergence d’un rapport à soi et aux autres. Les binettes pensent : « Je sais plus parler », « la cervelle est périmée », « c’est-à-dire, je me vide la cervelle de toutes ces paroles », etc.

26 Si les binettes ne sont que des « empreintes imitées », utilisées comme motif de maculature ou comme figurations propices à la relation spéculaire, il est une autre pratique de Pennequin qui relève plus directement de l’empreinte pariétale. Il s’agit des tracés par contours de mains et de profils, commencés en 2013. Comme les binettes de contours, mains et profils peuvent rester vides ou recevoir des écritures. Leur signification globale est cependant différente, car avant d’être des objets graphiques et visuels, ils témoignent de l’antériorité du geste qui a présidé à leur réalisation. En ce sens, mains et profils combinent inscription et écriture, c’est-à-dire saisie immédiate sous forme d’« enregistrement matériel direct », de « prélèvement de la réalité54 », et saisie médiate, manuscrite et/ou mécanique. Dans ce processus en deux temps, ils procèdent à l’inverse des binettes positives qui viennent maculer un texte préalablement imprimé, et se rapprochent des modalités de création des binettes négatives. Par ailleurs, en tant que trace d’une présence humaine, mains et profils relèvent des icônes, mais en faisant du geste une figure55 évidée, ils renvoient à l’absence de la chose, dont ils ne sont que les indices56. En ce sens, ils signalent un rapport à soi ou au sujet perçu sous l’angle du manque. En psychanalyse, on parlerait de la négativité qui fonde la symbolisation du sujet. Chez Pennequin, la métaphore est celle du trou, qui se remplit, à l’instar des binettes, de langage. Ainsi les mains et profils tracés par Charles Pennequin relèvent-ils de cette « image dialectique » qui caractérise l’empreinte selon Georges Didi-Huberman : à la fois « contact de l’origine » et « perte de l’origine », l’empreinte « nous dit aussi bien le contact de la perte que la perte du contact. » Il ajoute : « Que l’empreinte soit en ce sens le contact d’une absence expliquerait la puissance de son rapport au temps, qui est la puissance fantomatique des “revenances”, des survivances : choses parties au loin mais qui demeurent, devant nous, proche de nous, à nous faire signe de leur absence »57. C’est, semble-t-il, le sens de plusieurs œuvres de Pennequin. Une d’entre elles appose sur un texte tapé à l’ordinateur, en noir sur fond blanc, une main dont le contour est tracé à l’aide de plusieurs lignes au stylo à bille bleu. À L’intérieur de cette main, le texte se poursuit, mais en blanc sur fond noir. Les outils technologiques rejouent ici les techniques de l’empreinte pariétale tout en élaborant une réflexion sur la trace et la perte : « mes doigts sont le bout où les morts s’entassent pour penser », « les doigts sont des trous qui remplissent avec du vide », « la bouche a une pensée en forme de trou. Les morts sortent en dedans ». Dans l’entrelacement des profils se dit davantage le contact que la perte, le papier devenant le support sur lequel se mêlent in absentia les amants. La zone qu’ont en facteur commun les deux profils tracés à l’encre rouge est le lieu où se commente le geste de tracer et où s’opère la transformation d’une saisie immédiate par la médiation technique de l’écriture mécanique : « Je suis le trait entre toi et toi », « en ne faisant apparemment que te dessiner, il me dessine aussi car il est ma façon toute amoureuse de te regarder ». Ces deux exemples semblent illustrer parfaitement l’idée de Didi-Huberman selon laquelle

faire une empreinte, c’est toujours produire un tissu de relations matérielles qui donnent lieu à un objet concret (par exemple une image estampée), mais qui engagent aussi tout un ensemble de relations abstraites, mythes, fantasmes, connaissances, etc. c’est en quoi l’empreinte est à la fois processus et paradigme : elle réunit en elle les deux sens du mot expérience, le sens physique d’un protocole expérimental et le sens gnoséologique d’une appréhension du monde58.

27C’est dans cette perspective d’expérimentation ouverte que l’empreinte et les gestes d’écriture sont pratiqués dans les workshops, lorsque Pennequin incite les participants à écrire avec diverses parties de leur corps (tête, genou, coude…) ou lorsqu’il trace ou incite à tracer leurs profils diversement agencés sur une même feuille ou lé de papier. Ici, les gestes prennent une ampleur collective et deviennent les vecteurs d’« une dimension immédiate de la médiation59 ». Comme le souligne Giorgio Agamben, « le geste est en ce sens communication d’une communicabilité. À proprement parler, il n’a rien à dire, parce que ce qu’il montre, c’est l’être dans-le-langage de l’homme comme pure médialité. » Il ajoute que si « le geste est par essence toujours geste de ne pas s’y retrouver dans le langage60 », il peut néanmoins ouvrir à une éthique ou à un devenir collectif. Le geste pour soi devient un geste pour les autres, autrement dit un « hypergeste », terme qu’emploie Yves Citton pour désigner un geste « qui dépasse la factualité de son accomplissement particulier pour rayonner au-delà de son domaine propre, et inaugurer de nouvelles lignées de gestes grâce à son irradiation transductive61. »

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28 Finalement, Charles Pennequin est comme le punk, il « se fai[t] avec ce qu’il a sous la main », en l’occurrence plutôt « papier » que « couteau »62. Il suffit de le voir sur scène ou dans la rue avec ses liasses de papiers apparemment désordonnées pour s’en convaincre. Chez lui, le texte est toujours appréhendé concrètement dans sa matérialité de surface à inscrire ou de support à manipuler. Ses gestes d’écriture, en confrontant gestes manuels, mécaniques et technologiques viennent confirmer le fait que la « somathèque » de Pennequin se situe non seulement à l’articulation du signe et du symptôme, de l’immédiateté et de la médiation, pour reprendre les thèses d’Yves Citton, mais aussi qu’il faut entendre pleinement cette médiation comme une externalisation et une extension technologique du corps. Pour le dire avec Pennequin le « destin machinique » de l’homme « est le destin de la complexité de chacun63 ». Ainsi, s’il peut exister dans son œuvre une certaine équivalence entre une oralité écrite, des pratiques éditoriales, une performance en scène et une improvisation filmée, c’est qu’elles mobilisent toutes des gestes dont « l’intérêt principal » est « de nous inviter à repenser la façon dont nous concevons notre agentivité elle-même »64. « Le poème, affirme Les voix du venir, est un chant qui sort comme une balle depuis la bouche et les mains. C’est des histoires d’extensions. La main la bouche et puis les organes. Le corps. C’est de la gesticulation65. »