Colloques en ligne

Sarah Delale

La place à prendre : Christine de Pizan ou l’auteur comme fonction-lecteur

Seulete suy et seulete vueil estre,
Seulete m’a mon doulz ami laissiée,
Seulete suy, sanz compaignon ne maistre,
Seulete suy, dolente et courrouciée,
Seulete suy en languour mesaisiée,
Seulete suy plus que nulle esgarée,
Seulete suy sanz ami demourée.
Seulete suy a huis ou a fenestre,
Seulete suy en un anglet muciée,
Seulete suy pour moy de plours repaistre,
Seulete suy, dolente ou apaisiée,
Seulete suy, riens n’est qui tant me siée,
Seulete suy en ma chambre enserrée,
Seulete suy sanz ami demourée
[...]
Princes, or est ma doulour commenciée :
Seulete suy de tout dueil menaciée,
Seulete suy plus tainte que morée,
Seulete suy sanz ami demourée1.

1« Seulete » : l’adjectif, chez Christine de Pizan, fait devise. Considéré depuis longtemps comme un symbole de l’auteur, il apparaîtrait au carrefour entre identité littéraire construite et expérience vécue2. Rassemblant dans son diminutif les marques du féminin et de la petitesse, seulete caractérise, avec d’autres locutions, une persona d’auteur à la fragilité constitutive : la « femmelette3 », la « meschinette4 », la « femme tendre, fraile et pou souffrant, qui de peu se deult5 » ; la « femme non moult saichant6 » au « foible corps femenin7 ». Après son édition par Maurice Roy, la onzième des Cent Balades est devenue pour les anthologies scolaires un modèle de parole lyrique féminine, traversée par la sensibilité.

2Enserrer Christine de Pizan dans cette seule chambre d’écho, c’est envisager l’auctorialité féminine sous l’espèce de l’exacerbation, hors de toute neutralité possible et de tout juste milieu. C’est la penser en linguiste comme un genre marqué, intensif et privatif8. Manière de rejoindre les ouvrages décriés dans La Cité des dames, traitant « tout le sexe femmenin si comme se ce fust monstre en nature9 » : le féminin est un monstre en tant qu’il montre et qu’il frappe. Christine de Pizan elle-même évoque la réception de ses textes sous la forme d’une exception remarquée. Elle raconte que ses premiers lecteurs étaient curieux de la lire « plus, comme je tiens, pour la chose non usagee que femme escripse, comme pieça n’avenist, que pour la digneté que y ssoit10 », et évoque des rumeurs mettant en doute sa capacité à composer : « car les aucuns dient que clercs ou religieux les te forgent et que de sentement de femme venir ne puissent11 ». Les rumeurs ont perduré tout au long du xve siècle : on en trouve des témoignages en France, dans les Flandres et en Angleterre12. Historiquement, l’écriture féminine est fondée sur le lien problématique entre identité et aptitude.

3Cette écriture pose problème en tant que parole. Elle suscite une distinction entre deux modes d’existence énonciative, voire d’existence tout court. En 1779, l’abbé Coupé publie dans le périodique de la Bibliothèque universelle des romans des « Anecdotes sur Christine de Pisan, Ses Romans & ses principaux Ouvrages ». Juste avant d’éditer un Jeu à vendre qui contient l’adjectif seulette, « Je vous vends la tourterelle / Seulette & toute a part elle, / Comme voudrois être à part vous13 », Coupé précise à ses lecteurs à propos des Jeux : « Il faut observer que les Chevaliers seuls parloient. Les Dames baissoient modestement les yeux sur leur ouvrage & ne se permettoient que le sourire ». Les femmes, coupées de la sphère masculine, ne parlent pas ; elles ne peuvent pas même être locutrices de pièces rassemblées par une femme. Et c’est aussi comme coupure que Christine avait imaginé sa réponse au discours misogyne : La Cité des dames est un « edifice en maniere de closture » destiné à protéger les dames restées jusqu’alors « descloses comme champ sanz haye14 ».

4Dans un monde biparti et clôturé, la femme auteur se démarque parce qu’elle se remarque ; elle est toujours soumise à une forme d’hypertrophie biographique. Il serait impossible, en se déclarant femme, d’être auteur dans l’oubli de son corps et dans l’universalisation de sa voix. Face à cette identité marquée, le public semble en effet laissé à un choix binaire : être étonné ou rebuté, insister sur cette identité ou l’effacer.

5Les lecteurs de Christine ne s’en sont pourtant pas tenus à cette alternative. Parmi les témoignages de la réception de Christine de Pizan sur Internet, on trouve une chanson de Michel Lascault, présentée explicitement comme réécriture de la onzième des Cent Balades :

Je suis seul et je veux rester seul
Je suis seul ma petite amie ma largué
Je suis seul sans amour sans beauté
Je suis seul et je pleure j’ai perdu mon amour
Je suis seul abattu et languide
Je suis seul égaré dans la douleur
Je suis seul je me retrouve tout seul
Je suis seul et je souffre et je suis
Seul
Je suis seul à ma porte à ma fenêtre
Je suis seul sur un coin de la banquette
Je suis seul et j’avale mes larmes
Je suis seul et je pleure et je suis apaisé
Je suis seul il n’y a rien de mieux
Je suis seul chassé de mes rêves bleus
Je suis seul j’ai perdu mon amour
Je suis seul et je cours et je suis
Seul
[...]
Ma princesse la douleur est trop forte
Je suis seul et mon âme est presque morte
Je suis seul plus noir qu’au fond d’un four
Je suis seul et je crie j’ai perdu ton amour15

6La présentation de Michel Lascault, mettant en regard les deux textes, déclare que « [l]a solitude soudaine, outre la douleur intime, implique une transformation du lien social, parfois amère, comme l’a vécue Christine de Pizan, à la mort de son mari, quand elle a dû faire face à l’indifférence extérieure et à une redéfinition de ses responsabilités16 ». Le poème est universalisable au point de justifier sa réactualisation masculine. L’effacement du féminin n’est pas réaction négative à un marquage dépréciatif, il est réappropriation soumise au hasard de l’identité du chanteur. L’inversion des genres est ludique, elle se présente comme un exercice de style. L’« ami » du second vers de la ballade devient « petite amie » au même emplacement de la chanson, et l’envoi de Christine est conservé sous forme d’adresse métaphorique à l’aimée : « Princes » se transforme en « Ma princesse » et le monologue lyrique en situation d’interlocution (« j’ai perdu ton amour »).

7Une des ballades anglaises de Charles d’Orléans, « Alone am y and wille to be alone17 », ressemble aussi à une adaptation de la ballade de Christine. Le poème présente une anaphore en alone, et répartit les genres entre locuteur et aimée à la rime du quatrième vers : « <Alone>, to wayle the deth of my maystres18 ». Si l’on en croit ces deux adaptations, la rupture qu’instaure la parole féminine peut constituer l’intérêt premier du poème, mais elle n’est pas suffisante pour empêcher les lecteurs masculins de se reconnaître dans le je lyrique.

8Le sentiment qui vient à la lecture du corpus christinien est bien celui d’une irrémédiable identification du lecteur à l’auteur. Cette identification ne se fait pas en dépit de Christine : le personnage auctorial est conçu pour pousser le lecteur à l’empathie. L’émotion suscitée déplace le lecteur, le transporte d’un endroit à un autre : elle le met à la place de Christine. En découle un apparent paradoxe. Plus Christine s’incarne dans les faits d’une vie personnelle, plus elle devient universelle, et plus on s’identifie à elle. Le paradoxe se résout dès lors qu’on considère l’auteur non comme une incarnation du pôle créateur de l’œuvre mais comme une place à prendre. L’auteur, chez Christine de Pizan, est un point de vue sur le texte, position qui est déjà celle d’un lecteur, d’un interprète. En se comportant en récepteur face à son propre livre, Christine considère ses lecteurs comme ses semblables et leur cède une place constitutivement identique à la leur. Le renoncement à toute autorité créatrice sur l’œuvre permet de mettre à égalité les deux pôles de la relation littéraire et de rendre ressemblantes les activités de la composition et de la lecture. Si l’on étend la terminologie de Foucault, la fonction auctoriale est construite comme une fonction-lecteur : elle s’investit par empathie et pousse à raisonner émotionnellement face au texte19.

9La réception postérieure du corpus témoigne des effets étonnants de cette politique auctoriale. Car vouloir pousser à l’interprétation depuis sa propre place, c’est pour un auteur valider toute lecture tant qu’elle est sincère, même si le sens prôné va a contrario de l’intention première. Ce sont ces deux perspectives, de conception puis de réception, qu’on étudiera en miroir.

« O chere amie, tais toy20 ! » : elles, Christine de Pizan

10La représentation iconographique de Christine est relativement uniforme dans les manuscrits originaux enluminés, surtout à partir du moment où l’auteur emploie les services du Maître de la Cité des dames21. En revanche, son identité discursive est très contrastée d’un texte à l’autre. L’image sert la cohésion du corpus quand le discours s’adapte au genre, au public et à la matière. Dans ses œuvres narratives en vers, Christine est très souvent personnage : c’est à sa féminité et à sa signature, généralement sous forme d’engin, que le lecteur la reconnaît22. Dans les traités en prose rédigés à partir de 1404, le nom de Christine apparaît toujours aux premiers ou aux derniers chapitres mais son incarnation est changeante. Dans Le Livre du corps de Policie, Christine assume à la première personne du singulier un discours textuel qui met en scène sa propre composition. Le corps de l’auteur est attaché à la seule sphère narratoriale23 : « Mais pour ce que autre fois touchant ceste matiere en ay parlé, par especial ou livre de la descripcion de la Preudommie de l’ome, je m’en passe briefment a present quant en ce pas pour courir aux exemples24. »

11Le renvoi intertextuel et l’annonce d’un abrègement construisent une persona d’auteur parfaitement autorisée, maîtrisant seule son texte et le pliant à son intention.

12Ailleurs, Christine favorise le relais auctorial et entre dans le récit. Dans Le Livre de la cité des dames elle formule, bien qu’avec répugnance ou accablement, les opinions des misogynes, tandis que l’allégorie prend en charge l’argumentation adverse. Le modèle est celui du dialogue entre maître (l’allégorie) et disciple (Christine).

« Mais, Dame, ancore me souvient que le philosophe Theofrastus, dont j’ay parlé ci dessus, dit que les femmes heent leurs maris quant ilz sont vieulx [...] ».
Responce : « O chere amie, tais toy ! Je t’ay tantost trouvé exemples contraires a leurs dis par quoy le rendrons non voirdisant25 ».

13Le personnage se tient à la fois du côté de l’erreur (« tais toy ! ») et du côté de la défense (« le rendrons non voirdisant »). Le pôle auctorial est réparti entre tu, identifié à Christine, et je, non identique à la persona d’auteur, qui cherchent à se rejoindre dans un nous accordé et unanime. Prenant la place du public, Christine dessine, à travers sa propre conviction grandissante, une attitude interprétative idéale. Ses paroles redoublent, à l’avance, celles que devrait théoriquement prononcer tout lecteur : « Je ne vous scay plus que repliquer, chere Dame. Toutes mes questions sont solues et m’est bien avis que assez avez prouvé estre faulx les mesdis que tant d’ommes dient sur femmes26 ».

14Le personnage d’auteur occupe presque toujours vis-à-vis du texte une position de récepteur.

15Dans la pratique de la compilation, cette position peut s’expliquer par le fait que l’auteur est plutôt rassembleur de textes, lecteur des propos qu’il sélectionne : « Pour ce que c’est belle matiere et asez convenable a savoir, et que chascun n’a mie le livre de Valere pour y conqueillir a plaisance toutes matieres dont il parle, encore me plaist a dire a propos d’estude [...] ce que Valere recite et aprent27. »

16Mais la mise en scène de la compilation est si poussée chez Christine qu’elle devient l’indice d’une autre thématisation. Dans Le Livre des fais d’armes et de chevalerie, c’est le personnage d’Honoré Bovet qui transmet oralement la matière empruntée à son livre.

Fille et chiere amie, de ceste matiere entre les autres, pour cause que les nobles qui sont non clercs qui ce present livre pourront ouir saichent mieulx ce que il en est bon a faire, me plaist a t’en respondre, par quoy yceulx qui armes chevalereuses ayment s’entendent en ceste matiere et que toy meesmes aprés moy l’escripras et qu’en puisses au vray parler28.

17Ici, auteur (« toy meesmes qui aprés moy l’escripras ») et lecteurs (« yceulx qui armes chevalereuses ayment » et « qui ce present livre pourront ouir ») sont placés par Honoré Bovet dans un même rôle d’auditeurs.

18Christine dépend également de la sphère des récepteurs dans les ouvrages qui ne sont pas des compilations. Les trois allégories de La Cité des dames, Raison, Droiture et Justice, prennent seules en charge l’énonciation du Livre des trois vertus. Christine apparaît au premier et au dernier chapitre en tant que transcriptrice :

A tant se teurent les .iii. dames, qui a coup se esvanoïrent, et je, Cristine, demouray, auques lassee pour la longue escripture, mais tres resjoye regardans la tres belle oeuvre de leurs dignes leçons ; lesquelles, de moy recapitulees, veues et reveues, m’apparoient de mieulx en mieulx estre tres prouffitables [...] aux dames, et a toute l’université des femmes presens et a venir, la ou se pourroit ceste dicte oeuvre estendre et estre veue29.

19L’auteur se représente en première lectrice du texte : les leçons sont « veues et revues », comme si cette lecture renouvelée et attentive était recommandée implicitement, en miroir, à « l’université des femmes » par qui l’œuvre « se pourroit [...] estre veue ».

20Le phénomène n’est pas même l’apanage de la prose. Dans Le Livre de la Mutacion de Fortune, lorsqu’elle raconte les plaintes des Troyens à la mort d’Hector, Christine repasse de la sphère du récit à celle de la narration, où elle déchiffre les histoires peintes sur les murs du château de Fortune.

Leur tourment et leur adouler
Et regrais, que trouvay escrips,
Me firent plourer, et leur cris,
Par pitié30.

21Lorsque Christine apparaît comme réceptrice, elle fait toujours part de ses impressions de lecture : joie, douleur et pitié sont ses réactions les plus courantes. L’émotion de Christine sature ses textes et contamine le lecteur comme premier fil de réception textuelle : en tant que réaction éthique, l’empathie éprouvée pour l’auteur vaut interprétation. Jean Chaperon, qui dérime Le Chemin de long estude au xive siècle, ramène symptomatiquement l’émotion et l’intention à un même mouvement :  « Pour donner pleine intelligence de ce present oeuvre [...] (benin lecteur) il te faut premierement entendre, l’intention de Dame Cristine de Pise, qui avec une certaine emotion le composa en Rhitme romanne31. »

22L’auteur est le lieu d’un transfert d’émotion, des personnages à Christine auteur, de Christine à Chaperon remanieur, de Chaperon à son « benin lecteur ».

23En glissant souvent d’une position autorisée et créatrice vers les statuts plus hybrides d’interlocuteur ou de premier lecteur, Christine de Pizan modèle une place auctoriale de réception : dès l’écriture, elle pense céder la place à son lecteur. Cette invitation se renforce de la dimension universelle donnée au personnage de Christine. La troisième partie du Livre de l’advision Cristine, dans laquelle l’auteur raconte son parcours personnel, constitue le cœur d’une écriture dite autobiographique. Pourtant, ce récit est prétexte à une consolation de Philosophie destinée autant aux lecteurs qu’à la première auditrice. Citant Boèce, Philosophie finit par prendre à parti un interlocuteur universel : « Helas ! homme, et se tu regardes ton cours, tu ne trouveras pas plus foible chose32 ». De sorte qu’éprouvant de la pitié pour Christine, le lecteur finit par avoir pitié de lui-même. La glose ajoutée à un des manuscrits originaux encourage à universaliser la fonction-auteur : « Par ce que Cristine dit ou .IIIe. chappitre que son esperit estoit par les mains de l’ombre gecté en la gueule de l’image [...] se puet clerement entendre la naissance et premiere nourriture et de elle et semblablement de toute creature humaine33. »

24Christine, tout à la fois celle qui « dit » et celle qui vit la narration, représente dans sa particularité le destin singulier de tout être humain. L’auteur est une coquille, non pas vide, mais plurivoque, un lieu où s’installer, d’où observer une œuvre en train de naître. Comme l’écrit Didier Lechat, l’écriture chez Christine de Pizan reflète une profonde subjectivité littéraire, « au sens où l’entend Michel Zink, “ce qui marque le texte comme le point de vue d’une conscience34” ». Cette subjectivité occupe moins la sphère narrative qu’elle n’est mise en scène dans la sphère du récit. Poussant le lecteur à s’incarner en elle, Christine programme une interprétation par contamination de ses propres affects.

« Elles sont vous mesmes et vous mesmes elles35 » : nous, Christine de Pizan

Réincarner l’auteur : portraits et descriptions de Christine

25Sollicitant les affects, l’imaginaire d’auteur gagne sur les lecteurs un pouvoir de fascination : pouvoir d’une singularité à l’image de tous. Christine de Pizan figure de fait parmi les rares écrivains médiévaux qui n’ont jamais cessé d’être lus ou cités. Chaque époque a remodelé cette Christine selon ses propres canons, comme pour en conserver la portée universelle. L’iconographie s’est chargée de la réactualiser perpétuellement. Laura Dufresne note par exemple que dans un manuscrit de La Cité des dames, Munich, Bayerische Staatbibliotek, Cod. Gall. 8, l’auteur est habillé à la manière des veuves de la bourgeoisie flamande dans les années 145036. Certains manuscrits postérieurs de La Cité des dames et du Livre des trois vertus représentent Christine creusant la terre du « champ des escriptures37 »avec une pelle (adaptation de sa « pioche d’inquisicion38 ») ou « accoudee » dans son étude « sus le pommel de [s]a chayere39 », s’inspirant de courtes descriptions textuelles propres à frapper l’imagination du lecteur40. Les imprimeurs français ont accentué le trait didactique : l’exemplaire du Tresor de la cité des dames offert par Vérard à Anne de Bretagne représente Christine vêtue de noir, jouant peut-être d’une parenté visuelle avec le manteau des religieuses41. Réimprimant l’ouvrage, Michel Lenoir fait réaliser un plat où Christine apparaît aux côtés d’un squelette armé d’une faux. On a conservé plusieurs dessins préparatoires de cette gravure, réalisés dans les derniers feuillets restés vierges d’une copie des Fais d’armes et de chevalerie, preuve de la conception d’une image auctoriale spécifique42.

26La fascination exercée par Christine se découvre encore dans la notice que Boivin le Cadet consacre à l’auteur dans le deuxième volume des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres43. Cette notice, dont découle quasiment toute la réception de Christine de Pizan au xviiie siècle, fournit un résumé de la troisième partie du Livre de l’advision Cristine44: ce sont les faits d’une vie singulière qui intéressent l’académicien. Ce mouvement de particularisation s’achève dans la description physique de Christine, d’après un manuscrit que Boivin croit contemporain de l’auteur (exécuté en réalité à Bruges après 1460, et lié à la remise en image de Christine en milieu bourguignon45).

Elle a le Visage rond, les traits réguliers, le teint délicat & assez d’embonpoint. Ses yeux sont fermés, & elle paroît sommeiller. Sa Coëffure est une espéce de cul de chapeau, bleu ou violet, en pain de sucre, ombragé d’une gaze très-déliée, qui étant relevée tout autour, laisse voir à nud le visage, & ne cache pas même les oreilles. Une Chemise éxtrêmement fine, dont on n’aperçoit que le haut, & qui est un peu entrouverte, couvre suffisamment les épaules & la gorge. Une Robe bleue brodée d’or par le bas, & doublée de feuille morte, s’ouvre sur le sein, comme aujourd’hui les manteaux de Femme ; & laisse entrevoir un petit corset de couleur de pourpre brodé d’un passement d’or46.

27La description transcrit surtout une émotion, entre étonnement face à l’étrange (« une espéce de cul de chapeau, [...] qui [...] ne cache pas même les oreilles ») et transfert vers la familiarité du monde contemporain (« assez d’embonpoint » ; « comme aujourd’hui les manteaux de Femme »). Ce portrait fournit au lecteur l’espace d’une méditation fascinée : William Burges l’a traduit en anglais et recopié dans un manuscrit des Trois Vertus en sa possession47 et l’abbé Coupé en a proposé une réécriture dans La Bibliothèque universelle des romans. Ce dernier présente une version romancée de la vie de Christine à partir de la notice de Boivin et de manuscrits qu’il a lui-même consultés48. Reprenant la description de Boivin, il l’abrège et la retravaille :

Elle a le visage rond, les traits réguliers, la taille très-fine, sans maigreur. Ses yeux sont fermés ; elle paroit sommeiller. Sa coîffure est une sorte de chapeau lilas, ombragé d’une gaze très-déliée : sa chemise, d’une finesse extrême, un peu entr’ouverte, ne cache qu’une partie des épaules & de la gorge. Sa robe est bleue, & brodée d’or par le bas, laissant entrevoir sous le sein un petit corset violet orné de réseaux d’or49.

28La réécriture trahit l’évolution des modes : Christine, qui avait « assez d’embonpoint » chez Boivin50, a désormais la taille « très-fine, sans maigreur ». La description du chapeau, « une espéce de cul de chapeau, bleu ou violet, en pain de sucre, ombragé d’une gaze très-déliée51 », est abrégée et stylisée, « lilas » remplaçant « violet » sans doute parce qu’il convoque un imaginaire floral. Surtout, la chemise de Christine, qui chez Boivin « couvr[ait] suffisamment les épaules & la gorge52 », désormais « ne cache qu’une partie des épaules & de la gorge ». Boivin avait neutralisé le potentiel érotique de la robe « s’ouvr[ant] sur le sein53 »en établissant un parallèle avec les manteaux de femme contemporains. Coupé, en raccourcissant la phrase, remplace symptomatiquement la préposition sur par son antonyme : « laissant entrevoir sous le sein un petit corset ». Il n’en fallait pas plus pour qu’Horace Walpole, lisant le volume de la Bibliothèque des romans, demande à Madame du Deffand une reproduction de la miniature originale54. La puissance fascinatoire de Christine est passée des manuscrits supervisés par l’auteur aux miniatures brugeoises de la fin du xve siècle, d’une notice d’académicien à sa réécriture par un précepteur des Lumières, jusqu’à Walpole, auteur du Château d’Otrante, et Burges, architecte néo-gothique.

Parler par l’auteur

29Cette filiation de portraits est l’indice d’une extrême plasticité de la figure d’auteur chez Christine de Pizan, autant dans son image que dans sa voix. Christine occupant vis-à-vis de ses textes une position de recul d’où elle les commente, il est aisé de refaire parler l’auteur en lui prêtant une autre voix. Lorsqu’elle publie les œuvres de Christine à la fin du xviiie siècle, Louise de Keralio fournit une édition partielle, utilisant le discours rapporté pour résumer le texte original. On observe parfois un glissement de la sphère de l’auteur à celle de l’éditeur.

Christine, admiratrice comme beaucoup d’autres, d’actes orgueilleux, [...] nous cite encore le cynique Diogène [...]. Elle ajoute l’exemple plus noble et plus grand de Fabius [...]. Du Guesclin employoit à la rançon de tous les François, l’or de ses rançons, et les bienfaits des rois et les biens de ses pères. Bayard partageoit les dépouilles des ennemis avec tous les pauvres gentilshommes de ses armées. Catinat ne possédoit rien qui ne fût à l’humanité souffrante. [...] Dans les guerres de religion, on a vu des catholiques, dignes enfans d’un dieu de paix, secourir des protestans désolés [...]. Une fille généreuse a prodigué, sous nos yeux, ses soins, et consacré sa vie laborieuse à soutenir sa maîtresse tombée dans l’infortune [...], et une société bienfaisante vient de lui accorder la récompense de sa vertu. (1)
(1) La demoiselle Hurrel, qui a reçu le prix de la vertu des mains de la Société du Salon, à la Saint-Louis de cette année 178655.

30De Christine à Du Guesclin (1320 ?­1380), de Du Guesclin à Bayard (entre 1473 et 1476-1524), de Bayard à Catinat (1637-1712) et aux guerres de religion, on arrive, « sous nos yeux », à la Société du Salon de « cette année 1786 ». Les exemples édifiants d’un raisonnement théorique adaptent le propos au nouveau lecteur : c’est à ce lecteur que songeait déjà Christine lorsqu’elle diffusait Les Trois Vertus pour « toute l’université des femmes presens et a venir, la ou se pourroit ceste dicte oeuvre estendre et estre veue56 ».

31L’intention de Keralio prolonge celle de l’auteur édité pour conserver au texte son pouvoir d’actualité. Pourtant les lecteurs ont pu faire reparler Christine à rebours de son intention, en particulier lorsqu’ils s’inspiraient de ses œuvres courtoises. Les protestations de l’auteur pour distinguer sa voix de celle de ses personnages, dans les Cent Balades, veulent empêcher une dérive interprétative qu’avait vécue Christine, si l’on en croit son Advision57. Boivin lui-même évoque la tentation d’une telle lecture :

Ce fût aparemment à l’occasion de ces dis amoureux, que la médisance publia par tout, que cette Veuve étoit véritablement amoureuse. Il est vrai que dans ces petites Pieces, que Christine avoue, il y en a de fort tendres ; & que si elle n’avoit eu soin d’avertir ses Lecteurs, que les sentiments qu’elle y exprime ne sont pas les siens, mais ceux d’autrui, il n’y auroit personne qui n’y fût trompé. Les mauvais discours, que l’on fit d’elle à ce sujet, lui donnèrent du chagrin, comme elle le témoigne dans le troisième Livre de sa Vision. Ne fu il pas dit de moy par toute la ville, que je amoie par amours, dit-elle. [...] Dieu & icelluy & moy savons bien qu’il n’en est riens58.

32Le système hypothétique (« si elle n’avoit [...] n’y fût trompé ») est une manière d’exorciser, au conditionnel et au subjonctif, l’interprétation dont Christine dit avoir souffert. Cette phrase malheureuse, légèrement déformée, sert chez Coupé à introduire les amours imaginaires de Christine et du duc de Salisbury.

Dans toutes ces petites Pièces si tendres, Christine avoit toujours la précaution d’avertir les Lecteurs qu’il n’étoit point question d’elle. On la crut quelque tems ; mais le moyen de peindre si vivement l’amour, si on ne le sentoit point ! On ouvrit les yeux : on lui donna un Amant. Voyez la méchanceté, dit-elle ; ne publie-t-on pas de moi par la Ville que j’aime d’amour ? Dieu & moi savons bien ce qui en est.
La sage, la triste Christine aimoit pourtant déjà d’amour. Pourquoi cacher une flamme si pure ? Elle n’avoit pas à rougir de son choix : elle aimoit un Héros59.

33Le récit s’auto-justifie par contradiction, dans la rupture du nouveau paragraphe. « Pourquoi cacher une flamme si pure ? » : la question, adressée comme à Christine, crée une connivence forcée entre celle-ci et Coupé. L’histoire d’amour trouvera sa matière dans le tissage de citations non référencées.

Son trop discret Amant n’eut la force de s’expliquer que lorsqu’il eut mis l’Océan entre Christine et lui. Il écrivit enfin douloureuse complainte, composée de cœur ardent. Tantôt, il se peignoit sous les traits d’un Berger, désespéré d’être amoureux, & n’osant l’avouer à son inhumaine. Tantôt, il s’accomparoit à Léandre. Ces allégories étoient envoyées à Christine, qui les expliquoit soudain. Elle répondit par une Ballade à la comparaison de Léandre.

» Quand Léander passoit la mer salée,
» Non pas en nef, mais en batel à gage,
» Qui souffroit plus au périlleux passage ?
» C’étoit Héro, la belle désolée.
Léander avoit prudhommie & valeur ; la pauvrette n’avoit que de la crainte : valeur tient compagnie ; crainte est moins que rien, elle ôte cœur & force.
Loin de Salisbery, Christine passoit le tems à lire ou à la fenêtre, ou bien cachée en un anglet (1) ; le cœur gros, elle repaissoit son ame d’humides pleurs, & son unique confort étoit de faire Rondelet (2). Amour, au-delà du rivage lointain, retenoit son bien ; pour ainsi, disoit-elle,
» Seulette suis & seulette veux être.
Pendant cette absence cruelle, Salisbery invoquoit la mort. O mort ! ô mort ! viens à moi, tu me seras la Souveraine des Dames. Christine le reconfortoit, en lui mandant :
» Souffrez-vous par aventure,
» Dites-moi, mon doux Ami,
» Les maux cuisans que j’endure ? »
Depuis cette époque, elle parut rarement en public.
(1) En un petit coin, angulus.
(2) Petit Rondeau60.

34Coupé entrelace des emprunts déformés à diverses œuvres. Il rassemble des termes dispersés dans des locutions se voulant idiosyncratiques. « Douloureuse complainte, composée de cœur ardent »est extrait du Livre du duc des vrais amans. Le groupe nominal reprend un syntagme de la première lettre insérée dans le dit, puis la formule finale de la même lettre : « vueillez en pitié ouïr la doloureuse complainte », « Escript de cuer ardent et desireux61 ». « O mort ! ô mort ! viens à moi, tu me seras la Souveraine des Dames » rassemble l’incipit de la dix-neuvième insertion lyrique du Duc, « Ha ! Mort, Mort, Mort, viens a moy, je t’appelle62 », et l’en-tête de la septième lettre, « A la souveraine des dames63 ». Certains termes sont si généraux, comme s’accomparer, que l’italique est sans doute moins l’indice d’une citation précise que le marqueur d’un halo médiévalisant.

35Coupé alterne les citations infidèles et la paraphrase en italique. La « Ballade à la comparaison de Léandre » est la troisième des Cent Balades :

Quant Lehander passoit la mer salée,
Non pas en nef, ne en batel a nage,
Mais tout a nou, par nuit, en recellée,
Entreprenoit le perilleux passage
Pour la belle Hero au cler visage,
Qui demouroit ou chastel d'Abidonne,
De l’autre part, assez près du rivage ;
Voyez comment amours amans ordonne !
[...]
Mirez vous cy, sanz que je plus sermone,
Tous amoureux pris d'amoureuse rage.
Voyez comment amours amans ordonne64 !

36Partant du véritable incipit, Coupé conserve (malgré deux fautes de lecture sur ne et nage) les deux premiers vers et réécrit les trois suivants dans la perspective du vers 19 de Christine : « Dont la belle fu si fort adoulée65 ».

37Suit une paraphrase en italique : ce résumé n’entretient qu’un rapport diffus avec la ballade originale, dont la visée dysphorique et didactique apparaissait clairement au refrain original. Coupé, appliquant les vers à sa biographie fictionnelle, réinvente un contenu adéquat à rebours de l’intention d’auteur. Le résumé est rédigé dans une langue pseudo-ancienne : le substantif prudhommie et l’absence d’article devant les noms constituent comme des embrayeurs de désuétude. Le désignateur pauvrette, remplaçant le nom d’Héro, permet de créer une jonction symbolique entre l’héroïne antique et Christine, renforcée par le diminutif ­ette. Coupé semble être sensible à sa valeur, puisque le seul autre vers qu’il reprend de Christine dans ce passage est l’incipit de la onzième des Cent Balades, « Seulete suy et seulete vueil estre66 ».

38Cette seconde citation s’opère dans un sens inverse à la précédente. Le texte est d’abord paraphrasé et repris au compte du réel : « Christine passoit le tems à lire ou à la fenêtre, ou bien cachée en un anglet [...] ; le coeur gros, elle repaissoit son ame d’humides pleurs ». La note de vocabulaire sur anglet montre bien que la phrase emprunte directement sa matière aux vers 8 à 10 de la ballade XI : « Seulete suy a huis ou a fenestre, / Seulete suy en un anglet muciée, / Seulete suy pour moy de plours repaistre67 ». C’est cependant la citation explicite qui permet d’identifier la source, a posteriori. Entretemps, Coupé a aussi réemployé un rondeau de Christine énoncé par une voix masculine. « [S]on unique confort étoit de faire Rondelet », assorti d’une seconde note de vocabulaire, s’inspire de « Tout en pensant a la beauté ma dame / [...] Ce rondellet ay fait presentement68 ». Le paragraphe se cimente encore de la mention du « rivage lointain » : le substantif apparaît à la rime du septième vers, dans la ballade sur Léandre.

39Le reste des effets citationnels de Coupé semble a priori fictif. Étoffement narratif ou plaisir du pastiche, les trois derniers vers cités ne sont pas de Christine de Pizan : « Souffrez-vous par aventure, / Dites-moi, mon doux Ami, / Les maux cuisans que j’endure ? ». L’expression « par aventure » est courante en moyen français et dans le corpus christinien, de même que l’apostrophe « doux Ami ». « Les maux cuisans » pourraient constituer un emprunt déformé de Coupé à la locution « mots cuisans », que l’on rencontre trois fois chez Christine69. L’abbé se souvient peut-être aussi de deux ballades où le syntagme « la doulour que j’endure » apparaît à la rime70.

40Le passage gagne son unité dans des coutures thématiques subliminales. Christine et Salisbury se trouvaient respectivement en France et en Angleterre : se conformant aux exigences de cette seule donnée réelle, Coupé relit les Cent Balades et le Duc des vrais amans pour authentifier son récit grâce à des documents conformes. L’image de la mer séparatrice dans la ballade III est appliquée comme dans une lecture à clés aux personnages historiques : l’abbé prend soin d’indiquer que Salisbury a « mis l’Océan entre Christine et lui ». La poésie fournit à la fiction sa véracité et ses détails : anglets, larmes et rondelets.

41Coupé n’est pas un lecteur naïf, ni maladroit : il fait simplement fi de toute distinction entre parole de personnage et parole d’auteur, répartissant le discours poétique selon les besoins de sa propre fiction. Il redistribue à Salisbury et Christine les échanges entre la dame et l’amant du Duc des vrais amans, en dépit du prologue où Christine distinguait clairement son identité de celle des personnages. Il essaie, dans une large mesure, d’attribuer à Christine des pièces au féminin, à Salisbury des pièces au masculin. De la citation à la paraphrase, mâtinant sa propre écriture d’un style troubadour, Coupé joue des codes de l’édition partielle pour brouiller totalement les frontières entre parole reprise et parole attribuée. Peu semble importer ce qui revient à Christine, et on aurait tort de penser ce geste de réécriture sur le seul mode de l’infidélité. Il y a résolument quelque chose, dans le corpus christinien, qui autorise Coupé à en tirer cette rhapsodie sentimentale ; quelque chose qui tient à la figure de Christine, telle que Christine elle-même l’a construite. Cette permission donnée au lecteur d’envahir la place de l’auteur, en sollicitant sa pitié et sa fascination, ouvre à ce qui nous semble de prime abord des dérives, mais qui est une orientation naturelle de la communication que Christine voulait établir avec les lecteurs qu’elle ne connaîtrait jamais.

« Sur un coin de la banquette71 » : la place à prendre

42Bâtisseuse de la cité des dames, Christine de Pizan est elle-même entrée au répertoire des vies de femmes illustres. Le Plutarque des jeunes demoiselles, publié en 1806, lui consacre une section s’achevant sur une leçon et son corrigé en demandes et réponses :

« D. Christine fut-elle heureuse pendant le cours de sa vie ?
R. Non. Ayant perdu son père et son époux, Étienne du Castel, elle resta veuve avec trois enfans en bas âge, et se trouva, malgré la protection de plusieurs princes puissans, réduite à la plus grande détresse.
D. En quelle année mourut-elle ?
R. L’époque et les circonstances de sa mort sont inconnues72. »

43Fonder la question-piège de l’interrogation sur le mystère entourant la fin d’une vie a une pertinence symbolique ; c’est signaler la construction d’un mythe. Christine est exemplaire dans l’émotion que suscite son destin singulier et qui la rend au cas général. Son universalité tient en fait à une négation : non, assertion d’une existence qui ne fut pas heureuse. Cette universalité explique peut-être, à ses extrêmes, l’effacement du nom d’auteur dans certaines copies et éditions des textes de Christine. Même quand il proviendrait d’une gêne des lecteurs face à la figure de la femme écrivain, l’effacement pousse par-delà son point de bascule la logique auctoriale de Christine de Pizan. Le féminin chez elle n’apparaît pas comme fermeture de l’identité auctoriale, il est la clé d’une place d’auteur, offerte à tous les lecteurs de la « Cristïenté73 ». Chacun investira cette place avec ses propres paradigmes, chacun y reproduira le mouvement pendulaire d’une fascination allant de la généralité à la singularité, du tout à l’unique, comme ce bloggeur recopiant le septième des Virelays et des Rondeaux pour confier en commentaire :

Chez Pisan le romantisme est déjà là. Chopin est déjà là. Dame Christine est une géante oubliée.C’est aussi une époque où l’art littéraire commence, sans doute plus franchement (mais je ne suis pas spécialiste d’histoire littéraire) à être introspectif. Moins considéré comme un exercice de style destiné à divertir l’aristocratie. C’est de soi qu’on parle, et affleure cette idée qu’en parlant de soi on parle à tous, parce que chacun a sa subjectivité et sa part d’humanité, on dira plus tard de raison. L’humanisme de la Renaissance est tout près. Il arrive. Dame Christine en est une avant garde74.

44Dame Christine, humanisme, Renaissance, Chopin, avant-garde : curieux jeu de miroir où, déclarant intuitivement que Christine parle de nous, le lecteur en réalité parle de lui-même à travers Christine75. Figurant toute « transformation du lien social, parfois amère76 », l’auteur féminin devient, dans la traversée d’un paradoxe, un genre neutre. Lorsqu’elle se pense femme pour pouvoir s’oublier à elle-même, Christine de Pizan est plus que jamais un homme comme les autres.