Colloques en ligne

Christine Le Quellec Cottier - Anthony Mangeon

L’Œuvre de Yambo Ouologuem, un carrefour d’écritures. 1968-2018

Présentation

1Paru il y a cinquante ans, Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem a marqué un tournant pour la littérature africaine francophone, dans ses relations avec la littérature européenne et sa situation dans l’espace littéraire français. Ce roman transgressif et polémique interrogeait en effet les représentations de l’Afrique précoloniale et coloniale ainsi que les discours qui en constituaient la mémoire. Il portait aussi un regard singulier sur l’Histoire africaine en mettant en scène une dynastie imaginaire, les Saïfs, au cours de leurs huit siècles de pouvoir théocratique absolu, jusqu’au seuil des indépendances. Nourri de mémoires collectives et de nombreuses références historiques et littéraires, tant africaines qu’européennes, Le Devoir de violence s’est présenté au public comme un texte mosaïque dont la singularité résidait, entre autres, dans son usage iconoclaste des extraits cités, imités, parodiés ou détournés dans l’écriture.

2En France, après avoir obtenu le prix Renaudot, le roman connut de fait une réception contrastée : accusé de plagiat, retiré de la vente par son éditeur Le Seuil, il ne fut réédité qu’en 2003 par le Serpent à Plumes, pour se trouver rapidement à nouveau indisponible. À l’occasion du cinquantième anniversaire de sa parution initiale, Le Seuil l’a enfin réédité au printemps 2018, alors que Yambo Ouologuem s’était éteint le 14 octobre 2017 à Sévaré, au Mali. Quoique célébré par certains critiques et par de nombreux écrivains comme un jalon majeur, Le Devoir de violence demeure encore largement méconnu du grand public, et rarement étudié à l’université. Il nous paraît dès lors nécessaire, un demi-siècle après sa première publication, de revisiter ce « classique africain » qui tiendrait tout à la fois de l’hapax et de la « patate chaude », pour lui donner une résonance contemporaine en restituant précisément ses filiations, ses postérités, loin de la réception stigmatisante dont a pâti son auteur. Après avoir publié sous pseudonyme un récit de « confessions-poker », Les Mille et une bibles du sexe, en 1969, ainsi qu’une outrageuse Lettre à la France nègre la même année, Yambo Ouologuem fut en effet vilipendé par une large part du monde littéraire avec qui il rompit définitivement en se retirant au Mali. Si l’accueil fait au Devoir de violence est sans doute lié à un contexte d’époque, il renvoie aussi à ce qui, sous d’autres formes, conditionne toujours la réception éditoriale d’un « écrivain africain » en Occident, comme le laissait déjà entendre la Lettre à la France nègre.

3Les cinquante ans du Devoir de violence ont ainsi été l’occasion de consacrer – à l’université de Lausanne, en partenariat avec l’université de Strasbourg – deux journées d’étude aux diverses œuvres publiées par l’écrivain malien (18 et 19 mai 2018). Le dossier présenté est le résultat des propositions et réflexions qui ont animé cette première rencontre internationale consacrée exclusivement à l’œuvre de Ouologuem, en présence de M. A. O. Thiam, Ministre Conseiller du Mali auprès des Nations-Unies à Genève, et de Mme A. Ouologuem, fille de l’écrivain. 

4Durant cette rencontre fructueuse, les textes ont été mis en perspective et relus au prisme de productions critiques contemporaines, touchant autant au statut de l’auteur – banni du monde éditorial par l’accusation de plagiat – qu’à la réception de ses textes dans divers espaces littéraires. Associées à un univers de transgression et de dévoilement, de mise à nu et de dénonciation, les fictions ouologuiennes sont ici abordées en trois sections qui caractérisent des approches critiques significatives : la première questionne le parcours éditorial du roman fondateur Le Devoir de violence, grâce aux archives du Seuil récemment ouvertes, en proposant des pistes interprétatives divergentes de ce moment impliquant le processus de création et sa réception, ainsi que le « devenir » de l’œuvre (Burnautzki, Mouralis, Orban, Bertrand). La seconde section replace l’œuvre au cœur de plusieurs contextes de référence. Il s’agit en premier lieu du monde musulman dont les expressions culturelles et politiques affectent autant l’univers fictionnel séculaire de la fiction que notre début de XXIe siècle (Wise) ; il s’agit ensuite du champ littéraire français qui peine à intégrer cet ovni littéraire dont l’abord est analysé avec les propositions fondatrices de Guy Debord (Mangeon, Fonkoua), puis en prenant en compte les failles de la mémoire coloniale dont la fiction a su faire son miel (Sarr). La troisième section conjugue alors approches esthétiques et poétiques à propos du Devoir de violence et des Mille et une bibles du sexe. Les analyses convoquent en effet le primitivisme, l’érotisme, la pornographie et l’art brut pour déjouer les lieux communs. Ces éclairages nouveaux sur les mondes possibles de la fiction ouologuienne invitent finalement à une plongée au cœur d’une langue et d’une écriture au flux captivant (Le Quellec Cottier, Denogent, Chavoz, Gahungu).

5Le « carrefour d’écritures » que Bernard Mouralis dépeignait déjà en 1984 pour évoquer Le Devoir de violence aura ainsi permis de questionner l’œuvre de Yambo Ouologuem dans son ensemble, en actualisant la réception de ses formes et de ses enjeux, aux échos multiples et novateurs pour les lecteurs d’aujourd’hui.  

6Les articles du dossier se réfèrent aux éditions suivantes des textes de Yambo Ouologuem :

7Le Devoir de violence, Paris, Seuil, 2018 [1968].

8–  Les Mille et une bibles du sexe, La Roque d’Anthéron, Vents d’ailleurs (Préface de Jean-Pierre Orban et Sami Tchak), 2015 [sous le pseudonyme de Utto Rudolf, 1969].

9Lettre à la France nègre, Paris, Le Serpent à plumes, 2003 [1969].

10– [sous le pseudonyme de Nelly Brigitta] Les Moissons de l’amour, Paris, Editions du Dauphin, 1970.

11– [sous le pseudonyme de Nelly Brigitta] Le Secret des orchidées, Paris, Editions du Dauphin, 1968.

12– « Paysage humain », Revue Présence africaine, nouvelle série n° 48, 1963, p. 167-168.

13– « Quand parlent les dents nègres », Revue Présence africaine. Nouvelle somme de poésie du monde noir, nouvelle série n° 57, 1966, p. 91-92. 

14–  « Passage humain », Revue Présence africaine. Nouvelle somme de poésie du monde noir, nouvelle série n° 57, 1966, p. 89-90.

15–  « Le souffle du guerrier », Revue Présence africaine. Nouvelle somme de poésie du monde noir, nouvelle série n° 57, 1966, p. 93.

16– « Requiem pour une Négresse », Revue Présence africaine. Nouvelle somme de poésie du monde noir, nouvelle série n° 57, 1966, p. 93-94.

17– « A mon mari », Revue Présence africaine. Nouvelle somme de poésie du monde noir, nouvelle série n° 57, 1966, p. 95.

18– « Le cœur fou », « A mon mari », « Communication », « Ménage », Poésie 1, Nouvelle Poésie Négro-africaine : La Parole Noire, présentée par Marc Rombaut, n° 43-44-45, Janvier-Juin 1976, p. 203-210.

19– « Enfant », « J’ai oublié l’orthographe », « Le cœur fou », Rombaut, Marc, La Poésie négro-africaine d’expression française, Anthologie, Paris, Seghers, 1976, p. 108-111.

20– « La trêve de Dieu », L’Afrique Littéraire, n° 56, 2e trimestre 1980, p. 2-6.

21– (en collaboration avec Paul Pehiep), Terres de soleil, CE 1, Livre unique de français pour les écoles africaines et malgaches, Paris, Ligel, 1969.

22– (en collaboration avec Paul Pehiep), Terres de soleil CP 2, Paris, Ligel, 1970.

23– (en collaboration avec Robert Pageard et Marie-Thérèse Demidoff), Introduction aux lettres africaines, Paris, Éditions de l’École, 1973.