Colloques en ligne

María Julia Zaparart

Prix littéraires et valeur : la polémique autour du Goncourt 2010

1Michel Houellebecq semble avoir très bien compris les tensions existantes entre littérature et marché, entre valeur économique et valeur littéraire : son œuvre les exhibe constamment. Son roman La Carte et le Territoire (2010) s’interroge sur le mode de construction de la valeur artistique, sur la marchandisation de l’œuvre d’art. En même temps, la figure auctoriale de Michel Houellebecq incarne aussi ces tensions. Jouant stratégiquement avec l’identification entre l’auteur et ses narrateurs et provoquant des controverses dans presque toutes ses interventions médiatiques, Houellebecq a contribué à faire glisser le débat autour de son œuvre vers sa figure d’écrivain polémique, mettant ainsi en évidence que les critères de valorisation des différentes instances de consécration du champ littéraire ne sont jamais purement esthétiques.

2En 2010, La Carte et le Territoire remporte le prix Goncourt. Ce choix de la part du jury de l’un des prix littéraires les plus prestigieux en France, a suscité une série de débats et polémiques autour des critères de valorisation de la littérature et de l’influence croissante du marché dans les mécanismes de consécration qui, traditionnellement, ont été considérés comme étant propres au champ littéraire. La polémique autour du Goncourt 2010 naît ainsi d’un déplacement : l’opération critique ne vise plus le fait littéraire mais la figure d’écrivain polémique que Houellebecq s’est construite. Les attaques qui cherchent à remettre en cause la légitimité du Goncourt en tant qu’instance de consécration, n’offrent pas des arguments basés sur des critères littéraires ou répètent jusqu’à l’ennui la formule « Houellebecq n’a pas de style ».

3Dans cet article, il s’agira de réfléchir, depuis une perspective sociologique de la littérature (Bourdieu, 1998 ; Casanova, 2002 ; Meizoz, 2004), sur la polémique autour du prix Goncourt 2010 attribué par le jury au roman La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq, pour envisager les prix littéraires en tant qu’instances de consécration et légitimation qui se trouvent constamment en tension entre deux logiques apparemment contradictoires : celle de la valeur économique et celle de la valeur littéraire.

1. Le prix Goncourt : instance de consécration littéraire ou instrument purement économique ?

4Le Goncourt1, considéré depuis plus d’un siècle comme l’un des prix les plus importants du marché éditorial français, s’est trouvé, au cours des dernières années, lié à une série de polémiques qui remettent en question son efficacité en tant qu’instance de consécration symbolique pour les écrivains. Le prix, à l’origine instauré comme un mode de reconnaissance institutionnelle de la valeur littéraire d’une œuvre en prose, répondait à une logique purement esthétique orientée vers l’autonomie du champ littéraire. C’est la raison pour laquelle le Goncourt ne remet qu’une récompense économique symbolique qui adopte la forme d’un chèque pour un montant de dix euros. Or, il est devenu le prix littéraire le plus convoité par les éditeurs, car il fait augmenter considérablement les chiffres de vente du livre gagnant.

5Dans ce contexte, les soupçons concernant la connivence entre les membres du jury et les maisons d’édition foisonnent : déjà en 1989, dans son livre Paris, France, Louis‑Bernard Robitaille inventait le terme Galligrasseuil pour faire référence à l’avance que Gallimard, Grasset et Le Seuil ont sur d’autres maisons d’édition dans le palmarès du Goncourt. Il affirmait que « [l’]attribution des prix relève d’une gigantesque magouille sous contrôle du monstre Galligrasseuil (Gallimard, Grasset, Le Seuil), et n'a donc aucune valeur littéraire2 ». Le mot sera ensuite repris pour dénoncer l’hégémonie de ces maisons d’édition sur les principaux prix littéraires. Cependant, Jean‑Yves Mollier, dans un entretien accordé à L’Express, signale que le terme doit être nuancé dans le contexte de la globalisation éditoriale :

Par la force des choses, les grandes maisons d'édition, intégrées à des groupes monopolistiques, profitent de ce système. Le groupe Hachette possède dans ses écuries Grasset, Stock, Fayard, éditions tout à fait aptes à rafler les lauriers de la renommée. Cela dit, si l'on regarde de plus près, on est obligé de nuancer. Stock n'a eu le Goncourt qu'une seule fois. Grasset, seize. Avec les trois de chez Fayard, le Groupe Hachette est à 20%. Gallimard, lui, est très loin devant avec trente‑trois prix Goncourt en cent ans, mais représente 45% des prix. C'est donc une entreprise moyenne qui a récolté le plus de lauriers, et d'autres en ont également bénéficié : Albin Michel, neuf fois ; Le Seuil, cinq fois ; Mercure, Plon, Julliard : quatre fois ; Fayard, Flammarion et Minuit : trois fois ; sans oublier quatorze petites maisons. C'est donc un paysage plus contrasté qui s'offre pour ce bilan3.

6Malgré ces nuances, des accusations récurrentes de corruption au sein du jury ont provoqué, en 2008, la modification des statuts du prix. Désormais, aucun membre du jury ne peut réaliser des tâches rémunérées dans des maisons d’édition françaises. Cependant, la manière dont le Goncourt construit la valeur littéraire et confère du capital symbolique aux auteurs qui le reçoivent est encore mise en question. D’après Sylvie Ducas, cela se doit à la position fondamentalement ambivalente du système des prix dans le champ littéraire français :

à la fois institution nationale perpétuant dans le cadre feutré de grands restaurants parisiens des traditions multiséculaires de consécration et de sociabilités littéraires, et dispositif médiatico‑publicitaire placé au cœur des stratégies éditoriales et d’une industrie du livre où « les compétitions d’éditeurs » ont remplacé depuis longtemps « l’ère des grandes batailles littéraires4 ».

7L’influence croissante des facteurs économiques dans les prix littéraires a transformé radicalement le rôle et le statut symbolique du Goncourt en tant qu’instance de légitimation littéraire. Si les prix littéraires répondent à deux logiques contradictoires, celle de la consécration littéraire et celle du marché, cela ne veut pas dire que le livre lauréat soit nécessairement de mauvaise qualité.

8Sylvie Ducas5 affirme que le Goncourt attribué à Houellebecq témoigne de la « paresse » d’un jury qui a décidé de récompenser un livre qui était déjà un succès de ventes. Cette affirmation dépouille le prix de toute sa valeur symbolique : selon elle, le jury n’a pas cherché à récompenser La Carte et le Territoire pour sa valeur littéraire, indépendamment de la logique du marché. Certes, Houellebecq n’avait pas besoin du Goncourt pour augmenter ses chiffres de vente, mais il convoitait le capital symbolique que cette instance de consécration continue à conférer, en dépit des polémiques et des soupçons de corruption qui l’entourent.

2. Houellebecq et le Goncourt

9Houellebecq a une longue histoire avec le prix qui lui a été refusé depuis 1998. Son premier roman, Extension du domaine de la lutte, publié par Maurice Nadeau en 1994, n’a reçu que quelques éloges de la part de la critique spécialisée. Cependant, en 1998 Houellebecq obtiendra le soutien de Flammarion pour la publication des Particules élémentaires. Son directeur, Raphaël Sorin, était prêt à mettre en jeu toutes ses ressources pour la promotion de l’œuvre de Houellebecq. Les efforts de Sorin seront récompensés, avec l’inclusion du roman dans la première sélection pour le prix Goncourt. Mais l’affaire de l’éviction de Houellebecq du comité de rédaction de la revue Perpendiculaire6, le procès pour diffamation qui opposa Houellebecq aux propriétaires du camping « L’espace du possible »7, les déclarations polémiques de l’auteur, son profil « misogyne » et la thématique sexuelle du livre l’ont fait sortir de la liste. Il n’y aura que deux membres du jury qui soutiendront Houellebecq : Françoise Chanderangor et François Nourissier. Paule Constant, auteur Gallimard, remportera le prix pour son roman Confidence pour confidence.

10En 2001, à l’occasion de la publication de son troisième roman, Plateforme, chez Flammarion, Houellebecq réussit à intégrer la première sélection du Goncourt. Mais quelques jours après, le magazine Lire publie le célèbre entretien où il déclare : « la religion la plus con, c’est quand même l’islam » et son procès pour « injures envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée » et « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence » suivra. Cette polémique sera à l’origine de l’éviction de Plateforme dans la deuxième sélection.

11En 2005, Houellebecq décide de changer d’éditeur et publie La Possibilité d’une île chez Fayard, dirigée par Claude Durand. Ce transfert dispendieux de Flammarion vers Fayard a éveillé la polémique autour d’un manquement au contrat signé par Houellebecq avec Flammarion8. Malgré une mauvaise stratégie publicitaire lancée par Fayard ‑ la presse spécialisée n’en recevra que quelques extraits et le texte complet ne pourra être lu que par trois membres du jury ‑ La Possibilité d’une île apparaîtra dans la première sélection du prix Goncourt et restera dans la course jusqu’au dernier moment. Houellebecq n’accordera presque pas d’interviews pour éviter les potentielles polémiques. Dans ce contexte, tout semble conduire Houellebecq vers le Goncourt, mais Grasset annonce étonnamment la sortie de Trois jours chez ma mère de François Weyergans ‑ un roman qu’ils annonçaient depuis plus de cinq ans mais que l’auteur ne pouvait pas terminer. Le roman de Weyergans, qui n’apparaissait pas dans les premières listes, entrera dans la dernière sélection pour le prix et finira par le remporter. Le Goncourt 2005 se verra donc affecté par les échos d’une ancienne polémique opposant deux éditeurs : Claude Durand et Jean‑Claude Fasquelle. Le premier, qui était toujours resté chez Fayard à l’écart du système des prix littéraires, aimerait couronner sa carrière avec un Goncourt ; mais Fasquelle, un des fondateurs des éditions Grasset et ancien ennemi de Durand9, décide de reprendre l’activité ‑ il était à la retraite depuis l’an 2000 ‑ pour lui « piquer » le Goncourt. Fasquelle aurait joué de ses influences pour faire de Weyergans un candidat possible au Goncourt. Houellebecq n’aura que quatre voix et l’écrivain belge remportera le prix.

12En novembre 2010, Houellebecq finira par gagner le Goncourt par six voix contre deux face à Virginie Despentes. Les deux membres du jury qui se sont historiquement opposés aux candidatures de Houellebecq, Françoise Mallet‑Joris ‑ qui avait menacé de démissionner si Houellebecq gagnait le prix ‑ et Tahar Ben Jelloun10, n’ont pas voté en sa faveur, mais ils ne se sont point opposés à son triomphe. La délibération a été la plus courte dans l’histoire du prix Goncourt : 1 minute et 29 secondes pour sacrer Houellebecq.

13La polémique suscitée par le Goncourt 2010 tourne autour des critères de valorisation et de légitimation du jury. La presse spécialisée commence à parler d’un Houellebecq « assagi », d’un roman « taillé pour le Goncourt ». Dans un entretien avec Augustin Trapenard pour France 24, Houellebecq affirme :

Je ne crois pas que ça soit…, que ça ait un sens, en fait, un livre « taillé pour le Goncourt », enfin je n’y crois pas trop. C’est quand même avant tout le travail de l’éditeur. Donc si on veut le Goncourt, on va chez un éditeur qui a souvent le Goncourt, on ne va pas chez Flammarion, en fait. Si on va chez Flammarion on élimine ses chances. C’est surtout ça la démarche rationnelle et logique. Le contenu du livre, je pense que le prix Goncourt est capable de […] décerner son prix à un livre au contenu très violent et dérangeant. Je pense qu’ils seraient capables de faire ça, je les estime suffisamment pour penser ça. Donc, ce qui produit une impression plus calme, je ne sais pas… je pense que manifestement, les sommes atteintes dans le marché de l’art choquent moins la société française que ne la choque le tourisme sexuel, donc c’est la thématique qui est moins violente, ce n’est pas mon écriture qui a tellement changé11.

14Comme nous pouvons l’observer à partir de ce parcours retraçant l’histoire de Houellebecq avec le Goncourt, les critères qui l’ont systématiquement fait sortir des listes du Goncourt jusqu'à l’année 2010 sont éloignés du débat concernant sa qualité littéraire. Comme l’affirment Raphaël Baroni et Samuel Estier (2016) :

le degré de lisibilité du texte apparaît indissociable d’une stratégie narrative et contextuelle, qui débouche, dans certains cas, sur une mise en accusation morale de l’écrivain, le roman étant considéré comme un discours plus ou moins sérieux, mais également personnel, assumé, ancré dans une identité, les frontières entre l’auteur, le narrateur et les personnages ayant tendance à devenir poreuses, voire à s’effacer12.

15D’après Louise Moor13, ce brouillement des frontières est dû à une « confusion entre les ethè intra et extra‑discursif ‑ confusion induite plus ou moins explicitement par l’auteur ». En plus, il faut signaler que la confusion entre l’énonciateur du roman et l’écrivain relève aussi de la complexité énonciative de l’œuvre houellebecquienne. Il y aurait ainsi dans la polémique liée à l’œuvre de Houellebecq « une structure complexe reposant sur deux axes étroitement entremêlés : un axe littéraire et un axe idéologique ». Si le débat sur l’œuvre de Houellebecq et le prix Goncourt depuis Les Particules élémentaires jusqu’à La Possibilité d’une île semble être plutôt axé sur l’idéologique, « en lui attribuant le prix pour La Carte et le Territoire, le jury Goncourt déplace le débat vers un jugement exclusivement littéraire […] il s’agit de reconnaître un auteur, non un individu14. »

3. Les critères de valorisation de l’art interpellés dans la narration

16Le choix du jury Goncourt 2010 s’avère d’autant plus intéressant que La Carte et le Territoire nous interpelle sur le mode de construction de la valeur artistique, dans une optique qui semble vouloir rejeter les critères économiques de valorisation de l’art. Dans ce roman, Houellebecq évoque l’histoire de l’industrialisation et de la technique pour interroger la place de l’artiste dans le monde contemporain à travers la carrière de Jed Martin, qui commence avec une série de photographies représentant des outils de travail. Ensuite, il devient célèbre grâce à des photos de cartes Michelin fortement agrandies. L’exposition, qui a pour titre « La carte est plus intéressante que le territoire » est le corrélat visuel du roman, qui se construit à partir d’une exacerbation de la représentation, renforcée par une abondance de reflets, un jeu de miroirs à travers lesquels Houellebecq semble vouloir montrer que la représentation ‑ visuelle ou écrite ‑ est plus importante que son objet. D’ailleurs, c’est cette même exposition qui permet d’introduire le personnage de Michel Houellebecq. Jed Martin demande à Houellebecq d’écrire un texte pour le catalogue de l’exposition et il sera « rémunéré » avec un portrait.

17Jed se tourne par la suite vers la peinture, avec une série de soixante‑quatre tableaux, la « série des métiers », divisés en deux groupes : la « série des métiers simples », « offrant […] pour l’étude des conditions productives de la société de son temps, un spectre d’analyse particulièrement étendu et riche » et la « série des compositions d’entreprise », « visant […] à donner une image, relationnelle et dialectique, du fonctionnement de l’économie dans son ensemble15 ». Les titres de quelques tableaux exhibent le but de chaque série : L'architecte Jean‑Pierre Martin quittant la direction de son entreprise, Bill Gates et Steve Jobs s’entretenant du futur de l’informatique. La conversation de Palo Alto ou Claude Vorilhon16, gérant de bar‑tabac. Mais Damien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l’art reste le seul échec de Jed Martin, qui ne réussira pas à représenter le métier d’artiste. Jed déchire violemment le tableau de ces deux « artistes » qui représentent le triomphe de l’argent sur des considérations purement esthétiques. Vers la fin du roman, Jed reprend sa réflexion sur la marchandisation de l’art quand il se rend en Suisse pour visiter Dignitas, l’entreprise à laquelle son père a fait appel pour se faire euthanasier. À son arrivée, il découvre que l’établissement se trouve à côté du Babylon FKK Relax‑Oase, un cabaret. Il compare les deux établissements et il réfléchit :

Le Babylon FKK Relax‑Oase était loin de connaître une agitation aussi considérable. La valeur marchande de la souffrance et de la mort était devenue supérieure à celle du plaisir et du sexe, se dit Jed, et c’est probablement pour cette raison que Damien Hirst avait, quelques années plus tôt, ravi à Jeff Koons sa place de numéro 1 mondial sur le marché de l’art. Il est vrai qu’il avait raté le tableau qui devait retracer cet événement, qu’il n’avait même pas réussi à le terminer, mais ce tableau restait imaginable, quelqu’un d’autre aurait pu le réaliser ‑ il aurait sans doute fallu, pour cela, un meilleur peintre17.

18Houellebecq montre que, dans le marché de l’art, l’objet n’a plus de valeur intrinsèque : c’est la concurrence entre les acheteurs qui détermine sa valeur. Jed rejette cette idée lorsqu’il détruit le tableau où Damien Hirst et Jeff Koons se partagent le marché de l’art. La même volonté de « détruire » la valeur marchande d’un tableau peut être appréciée dans le passage où Houellebecq et Jed Martin se mettent d’accord sur la rémunération du texte que l’auteur écrit pour l’exposition de Jed : Houellebecq n’accepte pas les dix mille euros que Franz, le galeriste de Jed, avait prévus comme rémunération et il préfère recevoir en échange le tableau Michel Houellebecq, écrivain, son portrait peint par Jed Martin.

19Finalement, c’est ce procès de marchandisation de l’art qui provoquera le meurtre de Michel Houellebecq. D’ailleurs, Jasselin, le commissaire chargé de l’enquête, se montre déçu lorsqu’il découvre, à l’aide de Jed Martin, que Houellebecq a été assassiné pour de l’argent. Jed remarque l’absence de son tableau chez Houellebecq. Quand Jasselin lui demande si ce tableau « valait de l’argent », Jed répond : « En ce moment, ma cote augmente un peu, pas très vite. À mon avis, neuf cent mille euros18. ». Jasselin considère que l’affaire est résolue, car le tableau réapparaîtra sur le marché et il sera facile de remonter jusqu’au vendeur. Pourtant, il n’est pas satisfait par cette solution facile, dans sa réaction on lit le désenchantement provoqué par un monde où l’argent contrôle tout, même l’art :

Au départ cette affaire se présentait sous un jour particulièrement atroce, mais original. On pouvait s’imaginer avoir affaire à un crime passionnel, à une crise de folie religieuse, différentes choses. Il était assez déprimant de retomber en fin de compte sur la motivation criminelle la plus répandue, la plus universelle : l’argent19.

20Huit ans après, quand la police enquête sur une affaire de trafic d’insectes, elle fouille la maison du chirurgien Adolphe Petissaud et elle y trouve deux Bacon, deux vonHagens et le dernier tableau de Jed Martin : Houellebecq, écrivain, dont la cote avait atteint les douze millions d’euros.


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Conclusion

21La polémique suscitée par le Goncourt 2010 naît d’un déplacement où l’opération critique n’est plus centrée sur le fait littéraire mais sur la figure d’écrivain polémique que les médias ‑ en collaboration avec l’auteur ‑ ont construit de Michel Houellebecq. C’est la raison pour laquelle les attaques qui visent à remettre en question la légitimité du prix Goncourt en tant qu’instance de consécration ne s’appuient pas sur des critères littéraires mais sur des arguments liés à la figure auctoriale de Michel Houellebecq, éléments qui ne mettent donc pas en jeu la qualité de son œuvre littéraire.

22D’ailleurs, dans La Carte et le Territoire, Houellebecq réfléchit sur les critères qui jouent dans la construction de la valeur artistique, montrant ainsi les tensions existantes entre le pôle autonome et le pôle hétéronome dans la valorisation de l’art. Dans le champ littéraire, nous pouvons penser que ces deux pôles ne sont pas nécessairement opposés mais complémentaires : les polémiques autour de la figure de Michel Houellebecq ont, en effet, contribué à augmenter de manière exponentielle les chiffres de vente de ses romans, mais cela ne devrait pas nous empêcher d’apprécier sa qualité littéraire.