Colloques en ligne

Anikó Ádám

Lectures syncrétiques et/ou synthétiques : approches  de la littérature française

1L’article tente d’abord d’établir une comparaison entre le régime éducatif hongrois et français pour mettre en lumière les points communs mais surtout les différences qui mènent pourtant à un résultat identique : « baisse générale des effectifs d’étudiants en lettres, etc… ». Nous cherchons ensuite à interroger « la crise des Lettres » dans un contexte critique. Finalement, la communication tâche d’esquisser un aperçu historique des stratégies d’écriture et de lecture du début du 19e siècle, moment privilégié de l’évolution du roman, en mettant l’accent sur le dilemme du roman et de l’histoire. Ces quelques analyses permettront de voir que ces stratégies différentes sont fort déterminées par des visions particulières sur le temps historique et individuel. En conclusion, l’étude s’efforce de mettre l’accent sur le statut paradoxal de la littérature : l’enseignement des lettres, c’est-à-dire la conceptualisation trop technique et abstraite des phénomènes littéraires, serait alors incompatible avec l’essence de la littérature perçue comme connaissance des expériences concrètes humaines où le texte littéraire n’est plus un prétexte mais un milieu possible de ces expériences.

2En réfléchissant sur les nouvelles méthodologies d’enseigner la littérature à l’université, les professeurs devraient aujourd’hui faire face aux perceptions inédites du temps de l’individu où les traditions littéraires peinent à trouver leur nouvelle place.

3En Hongrie, l’enseignement se base sur des traditions prussiennes où la discipline se joint à un aspect fort diachronique : un semestre, un siècle. A cela s’ajoute toute la panoplie de l’idéologie communiste qui a divisé en deux le temps et l’espace et qui a transformé les philosophes et les écrivains en « alliés ou ennemis » dans une vision didactique, évolutive et téléologique.

4A l’université, par contre, dans les années 80, on a déjà proposé une éducation structuraliste, postmoderniste, déconstructionniste et les étudiants se sont vite approprié la narratologie, ce qui était à l’époque communiste exceptionnel. C’est avec ce bagage méthodologique que les jeunes de l’époque, les professeurs de littérature actuels, ont entamé leur carrière. Aujourd’hui, je constate que, d’une part, on a obtenu une éducation bien fondée dans le temps historique et socio-culturel, et que, d’autre part, depuis les méthodes accusées de formalisme sec, on est plus discipliné lors de l’analyse des textes. Les professeurs de littérature hongrois peuvent se trouver alors dans un état d’esprit professionnel un peu schizophrène entre historicité idéologique et formalisme jargonné.

5Dans ma brève introduction, je viens d’observer que les causes différentes mènent peut-être aux mêmes résultats. Apparemment, c’est juste, pourtant en Hongrie, et en général dans les pays d’Europe de l’Est, si on peut en croire aux témoignages  entendus lors des rencontres internationales des spécialistes de l’enseignement, on constate une baisse considérable des effectifs d’étudiants en lettres depuis l’introduction du système dit de Bologne. Ce système a certes des avantages mais il a des inconvénients aussi : auparavant, les études en lettres ont duré en Hongrie pendant 5 ans, période suffisamment longue pour assurer aux mêmes étudiants des connaissances historiques et méthodologiques dans une perspective solide. Depuis, le marché des métiers littéraires et linguistiques ont beaucoup changé et se sont extrêmement spécialisés. C’est peut-être un hasard, mais en même temps, les réformes de Bologne coupent les études après la troisième année. Au niveau Master ce n’est pas forcément les mêmes étudiants qui arrivent dans l’enseignement des lettres avec des connaissances linguistiques et littéraires très inégales. Impossible à imposer des classifications ou systématisations des faits et des acquis ; on est donc contraint de faire appel à des méthodologies basées sur les séquences1. Lors de la lecture et de l’analyse des séquences on ne considère que le texte, et on applique les catégories structuralistes, narratologiques qui ne sont plus en vogue dans le discours critique, mais qui aident à faire comprendre les parties du discours, le rôle du narrateur, les points de vue, les aspects spatio-temporels du texte sans même faire lire toute l’œuvre.

6En France, cette méthode d’enseignement est imposée déjà au lycée (peut-être plus tôt), tandis qu’en Hongrie, l’apprentissage des lettres par séquences fait partie d’une sorte d’initiation à la littérature dans la première année du lycée, après, les élèves suivent l’évolution de la littérature à partir de l’Antiquité jusqu’à nos jours prenant en alternance la littérature hongroise et universelle.

7A l’université, au département de français, où les étudiants hongrois suivent les cours en français,  faute de temps, on reprend les séquences des textes littéraires français traitées avec des catégories trop abstraites, cette fois en français, comme si on  commençait à construire la maison par le toit. Cette démarche d’appliquer les méthodes et les catégories des théories littéraires sans connaître le fond  dynamique de ces théories, me fait penser aux carrés de Malevitch qui paraissent faciles à réaliser, mais qui sont les résultats d‘une quête de l'absolue et qui font  référence à une vision globale du monde, et à la pure jouissance de l'immatériel. Sans cet approfondissement, ces carrés restent peu intéressants et n’auront pas de sens aux yeux du spectateur. Ce que l’enseignement des lettres devraient redonner aux étudiants, ce n’est pas le sens, puisque le sens est toujours là, ni même un nouveau sens, il serait nécessaire de trouver une nouvelle manière de donner sens à l’enseignement de la littérature.

8Suite à ce bref état des lieux, je ne peux que poursuivre le questionnement de l’appel du colloque, d’abord sur la notion de la crise.

9Il ne faut pas confondre la crise de la littérature avec la crise de l’enseignement de la littérature, même si il nous paraît pratique de partir de cette idée de la disparition de la littérature2 ; et la crise, s’il y en a, engendre naturellement une perte de valeur mais surtout d’autorité dans le contexte scolaire. La crise signifie-t-elle vraiment la dévalorisation de la littérature ? Les nouvelles méthodes de communication et les nouvelles technologies rendent les valeurs momentanées.  La littérature à la portée de chacun, la communication, le partage, voire la création rapides d’une œuvre, bref, la démocratisation des arts et des lettres commencée par les avant-gardes au début du 20e siècle, donnent naissance à une simplification bienvenue des démarches intellectuelles, y compris la critique. On a une tendance de mélanger les modes changeantes et les valeurs (absolues et relatives à la fois) : des écrivains commencent déjà à naître des cursus universitaires de création. On n’enseigne pas que la littérature mais l’écriture aussi.  Si, aux yeux des parents et des étudiants, par rapport aux autres facultés, les lettres paraissent moins populaires que les autres formations plus rentables sur le marché du travail, d’une manière paradoxale, les formations d’écriture créative ont un énorme succès. Dans ma faculté, c’est une des formations les plus branchées. Pratiquer la littérature au vif, donne peut-être une expérience de succès aux jeunes transformant les lettres scolaires en une industrie dynamique.

10 D’après professeur Karatani, dans le dossier sur la crise de la littérature publié sur Fabula, « le roman qui est à l’origine de la littérature moderne est une forme historique qui a fait son temps. Les identités nationales se sont bien enracinées dans tous les coins du globe. Pour ce faire, la littérature avait été indispensable », aujourd’hui par contre il n’est plus nécessaire de se forger une identité imaginaire. « Nous sommes de plus en plus amenés à penser la nation en simples termes de profits économiques réels. »

11La gloire du roman est en rapport étroit avec la technologie de l’imprimerie. On peut ainsi dire que le roman moderne est né lorsqu’on a aboli les illustrations et la voix : le roman moderne se lit silencieusement et sa lecture rend naturellement les gens introvertis. « Cette évolution des choses ‒ ajoute le critique japonais ‒ ressemble à celui de la peinture face à la naissance de la photographie. » Cette constatation, ainsi que la simple mention de la crise, et de l’essor suppose une perception  téléologique. L’image d’une évolution continue est trompeuse. Il s’agit plutôt d’un enrichissement quand les arts et les genres, sans succession linéaire, apparaissent grâce à un développement technique et matériel, ils impactent les uns les autres, ils se déposent comme des strates, ils ne s’éliminent pas3. Parler de la crise, du déclin de la littérature évoque des réminiscences romantiques sur l’histoire circulaire. La littérature, et la création littéraire n’est pas en crise, c’est plutôt nos illusions sur la littérature qui sont bouleversées.

12Les cathédrales gothiques ne sont pas tuées non plus par l’imprimerie. Victor Hugo dénonce par ces mots que l’ancienne fonction authentique et démocratique de la cathédrale, mirage de l’écrivain romantique, change. C’est la fonction qui change, la cathédrale ne meurt pas. Cette peur de la mort des cathédrales mène ses défenseurs d’accélérer le mouvement de rénovation et ils ont finit pas muséifier les églises et les monuments gothiques, ainsi que les autres vestiges du passé.

13Je me demande si les professeurs de la littérature ne devraient pas en comprendre la leçon et définir leur mission comme une sorte d’opposition et de résistance à mettre au musée la littérature sous prétexte de la protéger, de l’arracher de son contexte naturel, c’est à dire de la vie.

14Il y avait toujours des déclinologues dans notre culture occidentale. De nos jours, ce qui est reproché à la littérature, en premier lieu au roman, et à ajouter au roman français, c’est que « le roman français a renoncé à dire le monde. Il est victime de la triple tentation du formalisme excessif, du nihilisme gratuit, du solipsisme total. » - comme explique Olivier Bessard-Banquy4. Il paraît curieux que les critiques qui abordent la question de la fin, du déclin et de la crise de la littérature y compris du roman, placent toujours ailleurs dans le temps le début de cette fin : 19e siècle, début 20e, les années 80 et le topos du déclin, jamais disparu de la critique, revient actuellement aussi. Antoine Compagnon5, accuse la démocratie, qui suppose l’éducation de tous mais « aboutit dans les faits à une déculturation générale » et  « la culture de masse tue toute possible littérature, forme d’art et de pensée supérieure […] qui par nature oblige à sortir de soi pour se hisser vers des sommets d’émotion ou de réflexion. »

15En suivant les critiques français, ils ne dénoncent pas un déclin de la littérature en générale mais celui de la littérature française, surtout du roman. On ne parle guère de la poésie et d’autres genres par exemple.  Pour les chiffres statistiques des éducations nationales et de l’édition des livres, on peut constater des parallèles mais, comme toujours, le centre (dans notre cas la France) ne suit pas de près la périphérie, c’est-à-dire les littératures dites petites pour lesquelles l’expression reste une question d’identité et d’existence.

16La littérature et, d’après une réflexion prospective et logique, voire quelque peu utopique, le déclin de la littérature (au sens classique du terme), ainsi que le déclin de son enseignement commencerait à la faire sortir de la démocratisation, si le petit nombre indique l’activité d’une élite ou bien l’enseignement élitiste face à une production de masse des livres. Il est bien possible que cette littérature, sa création, sa réception et son éducation redeviennent un privilège d’une élite intellectuelle qui désire vivre et agir quelques mètres au dessus de la réalité pratique. La question pertinente de notre point de vue est à savoir si les professeurs de la littérature font partie de cette intelligentsia. Peut-on parler du dilemme de la démocratisation de l’éducation face à l’enseignement de la littérature, activité et discipline d’une certaine élite intellectuelle ?

17Actuellement, on parle de nouveau de la littérature appliquée et la théorie devient fort interdisciplinaire, ce qui contredit les tendances accélérées dans les formations spécialisées ne permettant pas de sortir des cadres étroits de telle ou telle discipline.

18On ne voit pas encore bien s’il s’agit d’une crise ou si c’est quelque chose d’autre : la spécialisation du savoir et des formations. Cette perspective déstabilisante et pluridisciplinaire de la recherche, ainsi que ce caractère spécialisé de la formation demandent des cadres méthodologiques précis.

19Dans ces dernières années, j’observe dans mon travail d’enseignant un phénomène assez étonnant. Il y a de plus en plus d’étudiants, des jeunes gens cultivés et sérieux, qui cherchent des thématiques documentaires  pour leurs travaux de diplôme en littérature française malgré l’effort des professeurs qui essaient de leur suggérer une démarche plus formelle et esthétique. Il y a donc des étudiants  qui cherchent dans les textes littéraires une sorte de vérité historique et morale. En confrontant les faits romanesques et formels  à des faits supposés historiques, ils finissent par attribuer une essence à la littérature. Les écrivains et les personnages apparaissent dans un temps réel, dans un présent virtuel.

20Je ne peux pas ici approfondir la discussion entamée déjà au 18e siècle sur la valeur de vérité de l’histoire (vraie) et du roman (fictif). Le dilemme est pourtant là, semblable au phénomène photographique. Un texte historique donne l’illusion d’une vérité documentaire semblable à la photo qui donne l’illusion de « ça a été » de Roland Barthes.  

21Au cours de l’histoire, on observe plusieurs stratégies subtiles de création et de réception, surtout dans les époques où la littérature a des objectives et des perspectives  extérieures à elle-même, notamment au 19e siècle.

22De brèves réflexions sur le genre romanesques nous aident peut-être à éclairer le paradoxe entre les catégories canoniques prescriptives et descriptives du discours critique et scolaire, et entre le récit d’un destinée intime quelconque.

23Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, on constate déjà une sorte de crise du roman6, après le foisonnement de la création romanesque issue du choc Révolutionnaire qui provoque un ralenti dans le processus commencé par les Lumières. Le caractère outrancier du romanesque ne satisfait plus le public le plus cultivé. D'où maintes réflexions7 sur le dilemme de la vérité historique et du mensonge fictif. Les romans : Atala (1801), René (1802), Obermann (1804), Corinne (1807), Adolphe (publié en 1816 mais écrit beaucoup plus tôt) démontrent bien la tendance qui s'y fait jour, c'est-à-dire l'abandon du romanesque, la réduction de l'élément dramatique du récit au profit de l'analyse du sentiment. La forte apparition de l'aspect autobiographique ne génère pas un nouveau genre romanesque, c'est plutôt une fonction nouvelle assignée à l'écriture romanesque.

24Le roman n'a pas de canons. Il évolue sans cesse et il est inachevé. C'est le genre littéraire qui ressemble le plus à la vie-même, qui nous semble sans règles, chaotique et dangereux comme l’explique Marthe Robert :

« Mais l'irrégularité du roman, le désordre qui lui est naturel, son immoralité aussi bien au regard de la tradition qu'au point de vue du monde social réel, le laissent plus exposé que les genres classiques à cette tutelle morale sans quoi l'imaginaire paraît toujours trop libre, trop hors la loi pour n'être pas dangereux8. »

25Le roman est étranger aux normes des autres genres mais il se nourrit d'eux librement. Il contient en lui-même le principe de toutes les transformations possibles. Le roman est non seulement plébéien, mais démocratique par essence – ajoute encore Marthe Robert.

26Puisque toute poétique est par essence limitative et normative, le roman n'a pas de place dans un tel système. Le roman apparaît quand des conditions favorables à son apparition, à son développement et à sa prise de conscience comme genre sont réunies. Le genre romanesque n'est pas simplement la représentation ou l'équivalence du monde mais il en est l'inscription immédiate et immanente au monde et supérieur au monde parce que le roman en révèle la structure cachée.

27A la naissance d'une nouvelle époque, c'est le marquis de Sade qui esquisse, parmi les premiers, une théorie sur le roman : « On appelle roman, l'ouvrage fabuleux composé d'après les plus singulières aventures de la vie des hommes9. »

28En 1795, Mme de Staël rétablit le problème de l'histoire et du roman des Lumières sur le plan philosophique :

« Les exemples qu'elle [l'histoire] offre conviennent toujours aux nations, parce qu'ils sont invariables, considérés sous des rapports généraux : mais les exceptions n'y sont motivées. Ces exceptions peuvent séduire chaque homme en particulier [...]. Les romans au contraire, peuvent peindre les caractères et les sentiments avec tant de détails10. »

29Tandis que Madame de Staël tâche surtout de codifier le genre romanesque par rapport aux autres genres littéraires de la hiérarchie esthétique et elle établit l'opposition entre l'histoire vraie et fictive du point de vue de l'enseignement à tirer par le lecteur, Chateaubriand cherche ailleurs l'essentiel du romantisme naissant : dans le drame humain. Il ne cherche pas cette essence dans l'enseignement mais dans les moyens créateurs de l'auteur. Madame de Staël ne pose pas la question sur la différence et l'efficacité respectives du roman et de l'histoire, elle s'intéresse plutôt aux effets exercés sur les lecteurs par les genres philosophiques, ainsi par la morale, par l'histoire, et par les genres romanesques. Elle conclut que l'histoire touche au général et a moins d'effets sur le lecteur tandis que le roman parle du particulier et a une influence sensible sur le lecteur. Le roman est plus apte à une comparaison entre les expériences acquises et les expériences fictives.

« De toutes les fictions les romans étant la plus facile, il n'est point de carrière dans laquelle les écrivains des nations modernes se soient essayés. Le roman fait la transition entre la vie réelle et la vie imaginaire. L'histoire de chacun est semblable à ceux qu'on imprime et les souvenirs personnels tiennent souvent à cet égard lieu d'invention. [...] il est également vrai qu'un roman ne serait ni un bon ouvrage, ni une fiction heureuse, s'il n'inspirait pas une curiosité vive11. »

30L’historienne de renom, Mona Ozouf dans son livre intitulé : Les aveux du roman, interroge les romans du 19e siècle sur les valeurs d’une France aristocratique et démocratique en conflit tout au longue du siècle, même au delà. Une rupture est survenue avec la Révolution qui fait vivre aux hommes  l'Histoire comme une source de leurs souffrances de dimension universelle et personnelle à la fois :

« Reste enfin le raccord épineux des calendriers, celui des événements et celui du temps intérieur des êtres. […] L’histoire qui se lit dans les romans, … les autorise à interpréter … les événements à travers malentendus, illusions, croyances embrassées, reniées, abandonnées. La fiction et la vérité se nuisent alors l’une à l’autre12. »

31Comme on vient de voir, les deux dimensions, personnelles et universelles,  sont toujours perceptibles dans les propos politiques et critiques à propos de l’enseignement également.

32Si l’on veut comprendre et faire comprendre ces tensions présentes essentiellement dans le texte littéraire, il nous paraît donc indispensable d’appliquer une approche polyvalente et dynamique qui aident à voir que la soit disant crise du roman au début du 19e siècle, le changement du statut du, ou plutôt des narrateurs ˗ puisque le narrateur universel n’existe pas ˗, est le résultat d’un changement des points de vue et des visions spatio-temporelles de l’époque. Des analyses contextuelles, intertextuelles, textuelles voire paratextuelles font comprendre les décalages entre conceptions et pratiques, les tensions génériques entre traditions et avant-gardisme. Pour cela il faut choisir et contraster avec finesse les textes pour voir le pourquoi des types de narration, en fin de compte le pourquoi de la littérature.

33C’est ce que nous devrions enseigner aux étudiants en cours de littérature, autrement dit, il faudrait leur proposer des outils intellectuels et langagiers, propres à leur culture de communication que nous pouvons apprendre à eux, pour qu’ils puissent réfléchir et rendre compte sur leurs expériences vécues dont fait partie la littérature, et pour qu’ils soient capables de s’élaborer des stratégies d’adaptation. A la manière de la musique qui rend sensibles les jeunes à toute harmonie, la littérature peut devenir la discipline des disciplines, une base bien fondée pour toute approche interdisciplinaire.

34Roland Barthes explique mieux dans La grande famille des hommes tout en parlant de la photographie : « La naissance, la mort ? Oui, ce sont des faits de nature, des faits universels. Mais si on leur ôte l’histoire, il n’y a plus rien à en dire, le commentaire en devient purement tautologique. […] Pour que ces faits naturels accèdent à une logique véritable, il faut les insérer dans un ordre du savoir, c’est-à-dire postuler qu’on peut les transformer, soumettre précisément leur naturalité à notre critique d’hommes13. »

35En guise de conclusion je repose la question du début : quelle sont les bonnes méthodes aujourd’hui pour pouvoir enseigner la littérature comme connaissance de l’expérience humaine et exploration de sa complexité, pour que le texte littéraire cesse d’être un prétexte ? Je dis bien les méthodes, au pluriel, puisque je suis convaincue que l’exclusivité de tel ou tel appareil terminologique imposé n’est pas suffisant. Il faut faire dialoguer les textes, les méthodes et surtout nous devons dialoguer avec les jeunes : « Car – dit Hannah Arendt ‒ le monde n’est pas humain pour avoir été fait par les hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu l’objet de dialogue14. » !