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Qu'est-ce qu'un texte dramatique?

par Romain Bionda
Doctorant à l'Université de Lausanne


Le présent texte est issu des journées doctorales organisées à l'Université de Lausanne les 4 et 5 juin 2018 par la Formation doctorale interdisciplinaire en partenariat avec l'équipe Littérature, histoire, esthétique de l'Université Paris 8 et Fabula, sous le titre «Quelle théorie pour quelle thèse?». Les jeunes chercheurs étaient invités à y présenter oralement un concept élaboré ou forgé dans le cours de leur travail, ou une notion dont les contours restaient flous mais dont le besoin se faisait pour eux sentir, ou encore la discussion critique d'une catégorie reçue, puis à produire une brève notice destinée à nourrir l'encyclopédie des notions de l'Atelier de théorie littéraire de Fabula.


Dossiers Penser par notions






Qu'est-ce qu'un texte dramatique?


Nous parlons régulièrement de «textes dramatiques». Mais quels textes veut-on au juste désigner en recourant à ce terme de «dramatique»? S'agit-il des textes de théâtre, ou des textes ressortissant à une certaine manière de structurer l'intrigue, ou encore des textes dialogués? Les trois usages coexistent de nos jours, le plus souvent de manière indifférenciée, dans le monde du théâtre comme dans celui de la littérature, chez les praticiens comme chez les chercheurs. Or il faut le constater: les trois ensembles des textes de l'art dramatique (le théâtre), des genres dramatiques (types de récits et registres de thèmes) et du mode dramatique (le dialogue) ne se superposent qu'en partie. La confusion qui règne à cet égard joue un rôle important dans la manière dont ces textes sont reçus — c'est-à-dire perçus, lus et utilisés. Dès lors, cartographier le territoire des textes «dramatiques» permettrait non seulement d'avoir les idées plus claires, mais encore de réfléchir à la manière dont ces textes sont aujourd'hui susceptibles de fonctionner.


L'article qui suit propose une telle cartographie. L'abondance des notes (elles sont développées dans les cas qui ont paru le mériter, la plupart du temps pour servir ici ou là de rappel facultatif) rend compte de la fortune théorique de ces trois «dramatiques» qu'on gagne — c'est le parti que nous prenons — à séparer. Cette opération nous permettra de réfléchir aux liens qu'ils entretiennent.



Le territoire des textes dramatiques


Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Dictionnaire encyclopédique du théâtre de Michel Corvin (1991) ne réserve pas d'entrée à «texte», ni à «dramatique»[1]. Dans le Dictionnaire du théâtre de Patrice Pavis (1980, 1987, 1996), on trouve une entrée «Dramatique et épique»:

Le dramatique est un principe de la construction du texte dramatique et de la représentation théâtrale, qui rend compte de la tension des scènes et des épisodes de la fable vers un dénouement (catastrophe ou résolution comique) et qui suggère que le spectateur est captivé par l'action. Le théâtre dramatique (que Brecht opposera à la forme épique) est celui de la dramaturgie classique, du réalisme et du naturalisme, de la pièce bien faite […]. […]
On trouve des éléments épiques dans le drame bien avant le théâtre de Brecht. Les mystères du Moyen Âge, les théâtres asiatiques classiques, voire les récits dans le théâtre classique européen sont autant d'éléments épiques insérés dans le tissu dramatique de l'œuvre[2].

Qu'est-ce donc que le dramatique, s'il relève non seulement de dramaturgies particulières (classicisme, réalisme, naturalisme), historiquement situées, mais encore de principes trans- ou anhistoriques ressortissant à la «construction» du drame (tension, spectateur captivé) et à une «forme» s'opposant aux «éléments épiques insérés dans le tissu dramatique»? Faut-il penser que le dramatique est indistinctement un genre (parmi d'autres) et un mode (opposé auxdits «récits»)[3]?


La «dramatisation», quant à elle, est définie comme l'«adaptation d'un texte (épique ou poétique) en un texte dramatique ou un matériau pour la scène[4].» Le dramatique relève-t-il alors du domaine du texte, de la scène, ou des deux? Dans l'entrée «Texte dramatique», on lit enfin:

Il est très problématique de proposer une définition du texte dramatique qui le différencie des autres types de textes, car la tendance actuelle de l'écriture dramatique est de revendiquer n'importe quel texte pour une éventuelle mise en scène. […] Tout texte est théâtralisable, dès lors qu'on l'utilise sur une scène[5].

Le dramatique désignerait-il alors simplement ce qui relève de l'art du théâtre?


Dans un second ouvrage, intitulé Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain (2014), P. Pavis avertit:

Au lieu de se demander ce qu'est un texte dramatique et quels sont les types de textes dramatiques existants (question aussi vaine que désespérée), mieux vaudrait observer ce qu'on fait des textes, comment la mise en scène ou la performance les traitent dans la pratique théâtrale ou performative[6].

Il reste que, dans le cadre d'une thèse sur la lecture des textes dramatiques[7], sur «ce qu'on fait des textes» lorsqu'on les appréhende solitairement, ou sur ce qu'on peut en faire à cette occasion, une clarification doit être tentée. Nous proposerons la partition suivante: un «texte dramatique» est un texte qui relève tantôt de l'art dramatique, tantôt d'un genre dramatique, tantôt encore du mode dramatique — tantôt, c'est-à-dire: qui relève de l'un de ces ensembles, ou de deux d'entre eux, ou encore des trois à la fois. Ceux-ci forment en effet le territoire de ce qu'on appelle bien confusément «les textes dramatiques», dont le schéma suivant donne une manière de cartographie:




Art, genre et mode dramatiques


Dans les premières pages de Logique du genre dramatique (2018), où Jean de Guardia entend réfléchir à la «logique» de «la fiction dramatique», «genre» est tantôt synonyme de «mode», tantôt d'«art»[8]. Cela a sans doute trait à deux spécificités du corpus étudié (plusieurs pièces du théâtre régulier classique), ressortissant d'abord au fait d'être dialogué (ce qui apparente ledit «genre dramatique» au mode dramatique) et ensuite d'être joué (ce qui l'apparente à l'art dramatique): Phèdre de Racine ressortit à un genre dramatique qui relève de l'art et du mode dramatiques.


Cela ne doit pas nous empêcher de voir qu'il existe pourtant des fictions présentées au mode dramatique — qui, dès lors, sont candidates au titre de «fictions dramatiques» — sans être nécessairement liées au théâtre comme art de la scène, y compris au XVIIe siècle[9]. Cela ne doit pas empêcher non plus de voir que ledit «genre» classique ménage une place à l'épique dans les dialogues et en dehors d'eux (p.ex. le récit de Théramène, et la célèbre didascalie «Elle s'assied»), si bien qu'il serait abusif d'assimiler ce «genre» et le mode dramatique. Genette dénonçait un tel raccourci dans son Introduction à l'architexte (1979)[10]… tout en assimilant par ailleurs le mode dramatique et l'art dramatique[11] — point qui, précisément, ne va pas de soi[12].


Si le mode doit être distingué à la fois de l'art et du genre, le «genre» dramatique et l'art dramatique doivent aussi être distingués — même s'il est difficile de réfléchir sur un genre sans réfléchir du même coup sur l'art qui le réalise[13]. Par exemple: on entend souvent parler du «genre théâtral». Mais qu'est-ce que c'est? Avec quels autres genres voisine-t-il? De quel art cet hypothétique genre relève-t-il? Dans La Parole muette (1998), Jacques Rancière écrit que «[l]e théâtre est un genre du spectacle[14]». N'est-ce pas plutôt un art du spectacle? Les termes «genre» et «art» sont souvent utilisés comme synonymes, y compris dans des études sur le théâtre contemporain[15], où la correspondance de l'art, des genres et du mode dramatiques n'a plus cours: cela se justifie d'autant plus mal. Outre le fait qu'on y perd en force de description, une telle indistinction piège de nombreux débats.


Sans prétendre que tous les problèmes afférents à la taxinomie des «dramatiques» peuvent être résolus avec la partition qui suit, il nous semble que nous y verrions plus clair en distinguant plus strictement l'art, le genre et le mode dramatiques.



I. Les textes de l'art dramatique


Parmi les arts de la scène (théâtre, danse, opéra, etc.), l'art dramatique désigne généralement le théâtre, comme dans «Conservatoire national supérieur d'art dramatique». L'art dramatique excède largement la question du texte: il ne se laisse pas réduire à sa part linguistique ou verbale (parlée ou chantée). Malgré la persistance du mot à travers l'histoire, il importe de voir que ce qu'on appelle le théâtre «n'existe pas […]. Nous n'en connaissons que des formes particulières, avec d'infinies variantes[16]» (Jacques Nichet, Le Théâtre n'existe pas, 2011). Cela rend malaisé tout discours général sur cet art qu'on dit millénaire, mais dont les conditions n'ont pas cessé de changer.


Selon l'usage le plus courant, un texte est qualifié de «dramatique» s'il relève de cet «art dramatique», ou plus simplement du théâtre: il est alors un «texte de théâtre» — même s'il peut, par ailleurs, fonctionner autrement que comme théâtre, notamment à la lecture[17]. En raison de la diversité du théâtre, les textes de théâtre sont très différents les uns des autres. Ceux-ci ne sont pas forcément entièrement dialogués et ne prennent pas toujours en charge un récit qui ressortit à une conception «dramatique» de l'intrigue: un texte dramatique au sens artistique n'est pas forcément dramatique aux sens générique et modal, tout simplement parce que le théâtre lui-même n'est pas toujours «dramatique» aux sens générique et modal.


Faut-il, pour éviter les confusions, restreindre la portée du terme dramatique à l'une de ces trois dimensions (art, genre ou mode)? Une longue tradition distingue en tout cas le dramatique du théâtral. Dans L'Art de la mise en scène (1884), Louis Becq de Fouquières écrit par exemple:

il y a là une ligne de partage assez nettement tracée: d'un côté, l'art dramatique, c'est-à-dire tout ce qui est l'œuvre propre du poète; de l'autre, la mise en scène, c'est-à-dire ce qui est l'œuvre commune de tous ceux qui, à un degré quelconque, concourent à la représentation.

Cette ligne ne sépare pas le texte du spectacle. Becq de Fouquières admet en effet que «le poète […] fait de l'art théâtral» quand «il se préoccupe de dispositions scéniques», et que «quand un comédien met en relief certains sentiments auxquels l'auteur n'avait pas tout d'abord accordé une importance suffisante, il fait de l'art dramatique[18]»: de même que l'anticipation de la mise en scène dans le texte concourrait au théâtral, l'interprétation du texte sur scène appartiendrait à l'art dramatique.


Traduite dans des termes plus actuels, qui doivent sans doute quelque chose à un XXe siècle où l'on a pu comprendre la théâtralité comme le résultat une soustraction —«le théâtre moins le texte[19]» (Roland Barthes, «Le théâtre de Baudelaire», 1954) —, la distinction se ferait entre «dramatique» pour parler de l'action représentée (le drame et la fable), et «théâtral» pour parler de l'action scénique (la performance). En dépit de sa simplicité et de ses vertus heuristiques, cette distinction peut faire oublier que la mise en scène participe pleinement à la dramaticité de l'œuvre représentée: le drame n'est pas le même sur la page et sur la scène. On ne doit d'ailleurs pas oublier que le mot «dramaturgie» est couramment utilisé en danse et dans les autres arts scéniques non strictement représentatifs.


En ce qui concerne les textes, il ne fait manifestement pas sens de distinguer entre textes théâtraux et textes dramatiques, en partageant ainsi un art (la mise en scène dans son principe: la performance théâtrale) et un genre (un ensemble de récits: les différents drames) — partage qui fonctionne mal. Soit on distingue les textes sur le plan de l'art, entre textes théâtraux et/ou littéraires, soit on les distingue sur le plan des genres, entre textes tragiques, comiques, baroques, vaudevillesques, absurdes, sciences-fictionnels, documentaires, etc. Ce qu'est un texte «dramatique» dépend alors de l'option choisie: soit l'adjectif marque la relation du texte avec l'art dramatique (qu'il peut dès lors paraître plus commode, dans ces conditions, de nommer art théâtral), soit il marque la relation du texte avec un genre dramatique (type de récit et thèmes[20]) — pour autant qu'il s'agisse d'un genre mettant en œuvre les principes de «construction» du récit et les thèmes habituellement identifiés comme relevant du genre ou plutôt de l'archi-genre «dramatique».



II. Les textes des genres dramatiques


Rappelons l'un des éléments de la définition de P. Pavis que nous citions en ouverture:

Le dramatique est un principe de la construction du texte dramatique et de la représentation théâtrale, qui rend compte de la tension des scènes et des épisodes de la fable vers un dénouement (catastrophe ou résolution comique) et qui suggère que le spectateur est captivé par l'action[21].

Cette «tension», au titre de «principe de construction» du drame, est traditionnellement qualifiée de «dramatique»[22]. Même si on peut réfléchir à sa «logique» (J. de Guardia, 2018), elle est mise en œuvre selon des principes en réalité différents dans les différents genres dramatiques[23]. Nul doute que le théâtre ait hérité du qualificatif d'art dramatique en raison même du fait qu'il a réalisé de tels genres dramatiques. Le théâtre d'avant la «crise du drame», théorisée notamment par Peter Szondi avec Theorie des modernen Dramas (1956, 1963)[24], puis étudiée par Jean-Pierre Sarrazac dès L'Avenir du drame (1981)[25] et Hans-Thies Lehmann dans Postdramatisches Theater (1999)[26], est en effet par excellence l'art de ce qu'on a appelé la «composition dramatique», elle-même déterminée en partie par l'emploi du mode dramatique — si bien que Genette a pu déplorer dans «Discours du récit» (1972): «Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la scène romanesque se conçoit, assez piteusement, comme une pâle copie de la scène dramatique: mimésis à deux degrés, imitation d'imitation[27]».


La scène dramatique dont il est ici question est bien sûr celle de la tragédie classique. On est en droit de se demander si, en termes génériques, les théâtres élisabéthain, baroque et médiéval (par exemple) méritent l'adjectif «dramatique» — adjectif qu'on peut leur concéder plus facilement sur les plans artistique ou modal (cela dépend des œuvres). La même question s'est posée récemment avec une partie du théâtre de la seconde moitié du XXe siècle, souvent comprise comme étant «postdramatique». Parallèlement, on a pu qualifier certains romans de «dramatiques» — usage qui n'est pas problématique du point de vue de leur «construction» générique —, alors que rien n'indique qu'une mise en scène effective desdits romans soit à envisager (ils ne sont pas dramatiques en termes artistiques), ni tous entièrement dialogués (ils ne sont pas dramatiques en termes modaux). L'art dramatique et le mode dramatique n'ont pas le privilège des genres dramatiques.


Dans Spectacles de l'esprit (2000), Jacqueline Viswanathan-Delord a regroupé sous l'appellation de «théâtre mental» les textes non théâtraux qui «adoptent, dans leur totalité, la présentation typographique et les divisions (scènes et actes) d'une pièce de théâtre», tout en s'avérant «spécifiquement destinés à la lecture», et sans relever forcément d'un «théâtre injouable[28]». Plus que de simples dialogues assortis de didascalies, certains d'entre eux manifestent une construction «dramatique» similaire au théâtre qui leur est antérieur ou contemporain. Ils indiquent en quelque sorte qu'ils sont aptes à fonctionner, à la lecture, de la même manière que les textes de théâtre. De fait, ces textes ont souvent engagé, pour les lecteurs, la question de leur statut artistique et, conséquemment (si l'on suppose que la littérature et le théâtre ne se lisent pas de la même manière), une incertitude quant à la manière appropriée de les lire. Le genre des «scènes historiques» est un exemple intéressant, dans la mesure où il se comprend en relation avec le drame historique des années 1820, mais s'en distingue notamment par une certaine émancipation des conditions du théâtre[29]. Dans l'avant-propos au texte Les Barricades (1826), Ludovic Vitet met ainsi en garde: «Ce n'est point une pièce de théâtre que l'on va lire, ce sont des faits historiques présentés sous la forme dramatique, mais sans la prétention d'en composer un drame[30].» Nous ne gloserons pas ce dernier usage du terme «drame», bien que l'absence de «prétention d'en composer» signale, outre une probable prise de distance avec le théâtralisable[31], une «composition» plus libre[32] — à l'instar d'ailleurs des nombreuses «scènes» publiées dans la presse au XIXe siècle, qu'elles soient présentées comme des «fragments» ou non de pièces de théâtre existantes[33]. Il importe plutôt de remarquer que la possibilité de feindre le statut théâtral d'un texte (ou de jouer avec), notamment par l'usage de la «présentation» ressortissant à la «forme dramatique», rend visible le fait que le statut artistique de tels textes est souvent indécidable. Nous y revenons plus loin, dans la partie de cet article dédiée au mode dramatique.


Car à propos des genres au théâtre, il faut encore insister sur le fait que l'intrigue se noue différemment sur la page et sur la scène, et que cela a une incidence importante sur la manière dont ces genres sont perçus. Aujourd'hui, les objets scéniques et écrits sont d'ailleurs souvent considérés séparément par leurs créateurs et producteurs[34]. Certains artistes comme Joris Lacoste pensent que la situation contemporaine n'est pas nouvelle et qu'elle révèle «un problème logique». Dans un entretien qu'il accorde à Adrien Ferragus dans un numéro de Théâtre/Public (2007), il explique:

J. LACOSTE: Les manières d'être du texte spectaculaire et du texte livresque ne se recoupent pas entièrement. Il n'y a aucune équivalence naturelle entre l'une et l'autre. Et c'est pour cette raison qu'on peut dire cette fois (deuxième proposition) que si un texte de théâtre existe en tant que texte, il n'existe pas nécessairement en tant que théâtre.

A. FERRAGUS: Si je récapitule ton syllogisme: soit le texte de théâtre existe en tant que théâtre mais alors il n'existe pas en tant que texte; soit il existe en tant que texte, mais alors il n'existe pas en tant que théâtre.

J. LACOSTE: C'est ça. Et donc le texte de théâtre n'existe pas (rires). Ou alors vraiment comme miracle, quand il se trouve que deux logiques distinctes s'accordent par hasard sur une même forme. Tu vois, s'il n'existe pas, ce n'est pas parce qu'il traverserait un moment de crise, ni qu'il serait particulièrement médiocre ou ringard (sur ce sujet je ne me prononce pas). L'idée que je défends, tu l'auras compris, c'est que cette inexistence, loin d'être un moment conjoncturel de l'histoire littéraire, est une disposition structurelle, intrinsèque, au texte de théâtre: ce n'est pas un jugement, c'est un problème logique[35].

Problème logique ou pas, on gagne à remarquer avec Antoine Doré (dans un article d'un numéro de la revue Acta Litt&Arts, 2017) que «la multiplication d'espaces de diffusion et de légitimation des textes théâtraux, propices à des auteurs cherchant à produire des textes pouvant être reconnus indépendamment d'une création scénique», aboutit aujourd'hui à une situation intéressante, comme il en fait la remarque sur la base d'une enquête sociologique:

L'étude de la coïncidence entre trois types de répertoire — le répertoire de la création scénique dans les théâtres subventionnés, le répertoire de l'édition théâtrale et le répertoire des comités de lecture— montre que chacun de ces trois espaces de socialisation des textes possède une autonomie relative par rapport aux deux autres instances[36].

Toutes ces raisons — le problème logique comme les conjonctures historiques — expliquent sans doute pourquoi certains créateurs contemporains font imprimer des textes dramatiques qui, bien qu'ils soient la plupart du temps édités chez des éditeurs spécialisés[37], assument explicitement une distance avec la version jouée — par exemple Fausto Paravidino avec Gênes 01 (2003)[38] ou Jean-François Peyret et Alain Prochiantz avec Les Variations Darwin (2005)[39] —, retrouvant en quelque sorte l'avertissement de Ruzzante (1533), dont les pièces «ne furent pas récitées telles qu'elles sont aujourd'hui imprimées, car bien des choses sont belles sous la plume, qui ne réussiraient pas sur la scène[40]


Dans un numéro de la revue Médiévales consacré aux «théâtres du Moyen Âge» (2010), Taku Kuroiwa, Xavier Leroux et Darwin Smith expliquent:

En France […], l'histoire du théâtre médiéval, compris au sens large (autrement dit jusqu'à la première moitié du XVIe siècle), naît sur un quiproquo, une méprise dont les effets marquent encore souvent la critique moderne. Un quiproquo consiste à prendre une chose pour une autre ou pour ce qu'elle n'est pas. En l'occurrence, les textes manuscrits ou imprimés des œuvres dramatiques du Moyen Âge ont été confondus avec les textes dits lors d'une performance collective ou individualisée[41].

Bref: si la présentation de l'œuvre est différente sur scène et à l'écrit, il convient de remarquer que sa publication textuelle ou spectaculaire ne ressortit pas, en partie du moins, aux mêmes principes (ce qui ne veut pas dire que le lien est absent[42]). Bien que les thèmes et l'action d'une même pièce soient supposément les «mêmes» dans le spectacle et dans le texte — et que, sous cette perspective, les versions scénique et textuelle de telle œuvre pourraient sembler indistinctes —, l'intrigue se noue en fait (nous l'avons déjà indiqué) différemment sur la scène et sur la page: l'action scénique, absente du texte sauf inférences du lecteur, participe à la dramaticité de l'œuvre représentée. L'identité de telle œuvre ou de telle autre n'est alors pas garantie selon qu'elle se donne à voir, à entendre ou à lire. Or cela informe — c'est important de le reconnaître — notre perception des ensembles génériques.


D'abord, il existe une différence dans l'expression des genres: certaines traditions de jeu et certains aspects scénographiques et spectaculaires ressortissent pleinement à la définition de certains genres spectaculaires — traditions et aspects de facto absents dans le texte (pour les étudier et tenter de les comprendre, on doit recourir à des témoignages et documents divers: comptes rendus, photographies, enregistrements vidéo et/ou sonores, fiches techniques, etc.). Ensuite, les deux ensembles textuels et spectaculaires d'un «même» genre n'incluent pas exactement les mêmes œuvres: tous les spectacle d'un «même» genre ne sont pas mis en texte, ni tous ses textes mis en scène — sans compter que les spectacles ne sont pas tous documentés, et que de nombreux textes sont perdus avec le temps[43]. Enfin, un genre ne se comprend bien qu'à la lumière des genres voisins dont on le distingue. Or il n'est pas facile de reconstituer le «paysage théâtral»[44] d'une époque révolue: notre compréhension des tragédies de Sénèque serait assurément modifiée, par exemple, si la pantomime avait laissé plus de traces[45]. C'est aussi valable pour les périodes plus récentes, XIXe et XXe siècles compris, même si la publicité, les comptes rendus et la profusion plus grande des archives permettent de parler avec plus d'aisance de genres scéniques, comme la revue de fin d'année[46]. Les enregistrements vidéo et les archives sonores ne parviennent qu'à réduire cette difficulté, sans l'effacer. Bref, les deux ensembles spectaculaire et textuel d'un même genre ne sont pas strictement identiques, en termes de forme (ils sont exprimés par des objets différents), d'exemple (ils ne sont pas constitués des mêmes œuvres) et d'étendue (leur localisation sur la «carte» des genres est spécifique).



III. Les textes au mode dramatique


On peut enfin parler du mode dramatique (parfois nommé «mimétique») — opposé au «narratif» par Genette lorsqu'il commente Platon et Aristote, mais que nous préférons opposer, pour des raisons qui ont trait au développement d'une «narratologie transmédiale», à l'«épique». Si l'on suit Platon, il existe à côté du dramatique et de l'épique un troisième mode, «mixte»[47], qui correspond à une alternance entre dramatique et épique. On gagne beaucoup à ne pas confondre les modes et les genres[48], en particulier à ne pas assimiler les modes dramatique, épique et mixte — qui désignent un type de narration[49] — à la triade des (archi-)genres dramatique, épique et lyrique qui s'est imposée par la suite[50] (malgré l'interprétation modale qu'on a souvent pu, précisément, faire de ces genres[51]). Comme le rappelle Jean-Marie Schaeffer dans Qu'est-ce qu'un genre littéraire? (1989), les trois modes sont chez Platon «trois catégories analytiques selon lesquelles il est possible de distribuer les pratiques discursives»: Platon «ne parle pas de trois genres littéraires[52]» qui, eux, sont des catégories historiques. Dès lors:

Comme de coutume, cette interprétation modale [des trois genres que sont l'épopée, le lyrisme et la poésie dramatique; ici, en l'occurrence, par Hegel] rencontre des problèmes au niveau de la poésie lyrique: celle-ci est définie comme expression d'un état d'âme, catégorie psychologique irréductible à une modalité d'énonciation. Tel étant le cas, elle ne saurait former évidemment système avec la poésie épique et la poésie dramatique[53].

En fait, les modes transcendent les genres. Certes, le mode entre dans la caractérisation des différents genres. Mais les genres ne sont pas inclus dans un mode: leur relation ne saurait être «de simple inclusion[54]». Par ailleurs, un texte homogène du point de vue modal peut être hétérogène en termes génériques:

modalement, c'est toujours Rodrigue qui parle, que ce soit pour chanter son amour ou pour provoquer don Gormas; génériquement, ceci est «dramatique» et cela (avec ou sans marques formelles de mètres et/ou de strophes) est «lyrique», et la distinction, une fois de plus, est d'ordre (partiellement) thématique: tout monologue n'est pas reçu comme lyrique (on ne considérera pas comme tel celui d'Auguste au Ve acte de Cinna, bien que son intégration dramatique ne soit pas supérieure à celle des Stances de Rodrigue, l'un comme l'autre conduisant bien à une décision), et inversement un dialogue d'amour («Ô miracle d'amour! / Ô comble de misères…») le sera volontiers[55].

Bref: un passage peut être modalement dramatique (c'est un dialogue) sans être considéré comme pleinement dramatique sur le plan générique. Rappelons par ailleurs qu'il existe de nombreux textes au mode dramatique qui ne relèvent pas de l'art dramatique (le théâtre).


Le mode dramatique se distingue donc en nature des deux dramatiques précédents (art et genres) car il est anhistorique. Il est par conséquent abusif d'identifier le mode dramatique à l'art théâtral, qui s'avère historique, à l'instar de ses genres (aucun art et aucun genre ne peuvent jamais se comprendre de manière anhistorique). En outre, une telle assimilation conduirait à négliger non seulement le fait que le mode dramatique «pur» est plutôt rare au théâtre — on a le plus souvent affaire à un mixte entre dramatique et épique —, mais encore que certains arts comme le cinéma y ont abondamment recours. Parmi les genres «dramatiques», les romans dialogués et les dialogues (notamment philosophiques) utilisent d'ailleurs également le mode dramatique. Or ces textes n'ont pas de lien artistique avec la (mise en) scène.


Certes, le passage au mode dramatique dans un texte épique peut signaler qu'un lien doit être fait avec le théâtre (le caractère intentionnel de ce signalement est à interroger au cas par cas). Outre les textes du «théâtre mental» (J. Viswanathan-Delord) qui adoptent entièrement le mode dramatique et les «scènes» dont il était question plus haut, on pense à certaines productions des avant-gardes ménageant une grande place au mode dramatique, à l'instar de L'Enchanteur pourrissant d'Apollinaire (1909) et Le Monoplan du Pape de F. T. Marinetti (1912). Dans le premier cas, le texte narratif cède la place à des dialogues avec didascalies. Dans le second cas, c'est le «je» lyrique qui opère un dédoublement avec un «moi» dramatique qui engage la dramatisation de ce «roman politique en vers libres». Plus près de nous, la question se pose encore au sujet de Conférence avec projection d'Éric Chevillard (dans L'Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999), explicitement présenté comme une pièce (injouable) dudit Pilaster.


Même si le mode dramatique permet sans doute de suggérer efficacement au lecteur que le texte (ou la partie du texte concernée) peut faire l'objet, dans la lecture, d'une théâtralisation imaginaire[56] (certains lecteurs étant par ailleurs comédiens ou metteurs en scène, il peut exister ensuite des théâtralisations effectives), le mode ne peut pas être (et n'est pas) un critère suffisant de reconnaissance des textes de théâtre. Les raisons sont multiples et complexes (et ce n'est pas lieu de les exposer), qui font qu'on se demande par exemple si tel jeu médiéval ressortit au théâtre[57], ou encore que faire du «théâtre à lire[58]» de Mérimée. En fait, le caractère théâtral d'un texte se postule lors de sa lecture, en fonction de nos connaissances bien sûr, mais aussi de notre impression (informée par notre expérience du théâtre) et de notre désir (et dans ce domaine comme dans certains autres, le désir est au-delà de la raison — mais c'est là une autre affaire).



Qu'est-ce donc qu'un texte dramatique?


Une option, dont le bénéfice en termes de clarté est indiscutable, consisterait à restreindre l'usage du terme «dramatique» aux seuls genres, c'est-à-dire à l'exclure de l'art et du mode: l'art serait soit théâtral (au lieu de «dramatique»), soit littéraire; le mode serait soit mimétique (au lieu de «dramatique»), soit épique. Dès lors, il n'existerait plus que des textes théâtraux ou littéraires, de tel genre dramatique ou non dramatique, qui peuvent se trouver au mode mimétique, épique, ou mixte. Le schéma rendant compte de ce que nous appelions en ouverture de ce parcours le «territoire des textes dramatiques» pourrait alors être amendé ainsi (nous le laissons entre parenthèses):



Il importe toutefois de garder à l'esprit que l'usage courant va contre cette restriction: pour la personne qui fait usage de l'expression, un «texte dramatique» désigne tantôt un texte artistiquement théâtral, tantôt un texte génériquement dramatique, tantôt un texte modalement mimétique. Une autre difficulté réside dans le fait que les textes de théâtre sont susceptibles de fonctionner comme littérature, et que la réciproque (des textes de littérature fonctionnant comme théâtre) est également possible. Comme nous l'expliquons dans un article directement en lien avec celui-ci, le fonctionnement artistique des textes, qu'ils soient ou non «écrits pour être représentés», est notamment redevable de leur fonctionnement sur le plan opéral. Celui-ci peut être conforme à celui qui a été posé comme adéquat par les créateurs et/ou certains récepteurs, mais il peut aussi dévier de ce fonctionnement «conforme» (sans s'avérer pour autant infondé)[59]. C'est pourquoi il est peut-être plus commode d'adopter la partition entre les trois dramatiques telle que nous l'avons présentée dans cet article. Au terme de ce parcours, nous espérons que notre proposition ne s'est pas révélée «aussi vaine que désespérée», comme a pu l'écrire P. Pavis dans l'article que nous citions plus haut, mais bien utile par certains de ses aspects.



Romain Bionda, automne 2018


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Bibliographie

BANOS Pierre, «La mise en livre du texte de théâtre contemporain: une mise en scène des mots», dans Alain Milon et Marc Perelman (dir.), L'Esthétique du livre, Nanterre, PUPN, 2010, p.227-239; également disponible en ligne: http://books.openedition.org/pupo/1894.


BARA Olivier et THÉRENTY Marie-Ève (dir.), Presse et Scène au XIXe siècle, en ligne sur Médias19, 2012: http://www.medias19.org/index.php?id=1283.


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[1] On y trouve toutefois une entrée «Drame», signée par Anne-Françoise Benhamou: «Si l'adjectif “dramatique” existe couramment en français depuis le XVIIe siècle comme synonyme de “théâtral”, “drame” ne fait dans la langue qu'une apparition tardive (1707); la fortune du mot est rapide, mais sa signification restreinte: le XVIIIe siècle appelle drames ou drames bourgeois les pièces du “genre sérieux” qui s'invente à côté de la dyade usée tragédie/comédie. C'est à travers de nombreux avatars (drame romantique, naturaliste, symboliste ou lyrique), qui n'ont en commun que le souci d'affranchir le théâtre du carcan des règles classiques, que le mot retrouve, au XXe siècle, l'acception générique qui est la sienne chez Aristote. D'un point de vue poétique, et non plus historique, sera alors nommée drame toute œuvre écrite pour la scène.» (BENHAMOU 1991: 266.)

[2] PAVIS [1980, 1987] 1996: 102.

[3] Ce que semble corroborer l'entrée «Écriture dramatique» le dictionnaire ultérieurement publié par P. Pavis sous le titre Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain: «Le dramatique indique la forme du texte; cette forme est liée au drame, à l'action saisie dans sa tension, à une action représentée par des actants, généralement des personnages.» (PAVIS 2014: 73).

[4] PAVIS [1980, 1987] 1996: 104. Nous soulignons.

[5] PAVIS [1980, 1987] 1996: 353-354.

[6] PAVIS 2014: 258.

[7] Il s'agit d'une thèse de doctorat en préparation depuis 2015 à l'Université de Lausanne, sous la direction de Danielle Chaperon.

[8] «[…] les genres narratifs comme les genres dramatiques»; «tous les genres fictionnels cherchent l'effet [spectaculaire], mais le théâtre n'a pas le loisir de se contenter d'un succès d'estime, ni le temps d'attendre un succès posthume: il a une salle à remplir tout de suite car il a une troupe à faire vivre tout de suite» (DE GUARDIA 2018: 14 et 22).

[9] Au sujet des Plays de Margaret Cavendish (1668) ou d'autres textes du XVIIe siècle, Véronique Lochert écrit dans L'Écriture du spectacle. Les didascalies dans le théâtre européen aux XVIe et XVIIe siècles (2009): «Loin d'être considéré comme inadapté à la lecture, le genre dramatique est […] choisi par certains auteurs pour donner plus de vivacité et d'efficacité à leur texte. La représentation est remplacée par une mise en page caractéristique, qui distingue le théâtre des autres genres littéraires. Avec la forme dialoguée, la division en actes et la liste des personnages, les didascalies deviennent une marque de théâtralité signalant plus ou moins précisément les virtualités scéniques du texte.» (LOCHERT 2009: 313-314.)

[10] Dans son Introduction à l'architexte (1979), Gérard Genette a mis en garde contre l'«attribution fallacieuse» qui consiste à «projet[er] le privilège de la naturalité qui était légitimement […] celui des trois modes narration pure / narration mixte / imitation dramatique sur la triade des genres, ou d'archigenres, lyrisme / épopée / drame»; «En jouant subrepticement (et inconsciemment) sur les deux tableaux de la définition modale et de la définition générique, elle constitue ces archigenres en types idéaux ou naturels, qu'ils ne sont pas et ne peuvent pas être: il n'y a pas d'archigenres qui échapperaient totalement à l'historicité tout en conservant une définition générique. Il y a des modes, exemple: le récit; il y a des genres, exemple: le roman; la relation des genres aux modes est complexe, et sans doute n'est-elle pas, comme le suggère Aristote, de simple inclusion. Les genres peuvent traverser les modes (Œdipe raconté reste tragique), […] mais nous savons bien qu'un roman n'est pas seulement un récit, et donc qu'il n'est pas une espèce du récit, ni même une espèce de récit.» (GENETTE [1979] 2004: 69-70; l'auteur souligne.)

[11] On sait l'obstination de Genette à refuser au théâtre le droit d'abriter ce qu'il appelle des «récits», et la corrélative assimilation de cet art au mode dramatique. Cette assimilation a contribué à exclure le théâtre du champ de la narratologie classique, alors que certains de ses outils pourtant basés sur une étude du mode «narratif» sont également utiles à l'étude des textes et des spectacles théâtraux, pourtant supposés non «narratifs» car «dramatiques». Sur le «dialogue possible» entre narratologie et théâtre, voir l'article de Benoît Hennaut paru dans les Cahiers de Narratologie (2013). Pour un récapitulatif des positions des principaux narratologues quant au degré de narrativité qu'ils concèdent à la littérature, au cinéma et au «théâtre», ici pris comme relevant exclusivement d'un art de la scène (de Gerald Prince à Marie-Laure Ryan, en passant par Seymour Chatman, André Gaudreault, Gérard Genette, Christian Metz, Ansgar et Vera Nünnung, Manfred Pfister, Irina Rajewsky, Wolf Schmid ou encore Werner Wolf, etc.), nous renvoyons à un article de Matthias Brütsch paru initialement dans Diegesis en 2013. Pour une réflexion sur la «narration» au théâtre et une proposition de transposition des outils narratologiques au texte et au spectacle de théâtre, voir les travaux de Danielle Chaperon, notamment un article intitulé «Le travail de la narration» (2012). Sur la narratologie transmédiale, voir notamment l'article de Raphaël Baroni paru dans le n°182 de Poétique (2017).

[12] En apparence, le spectacle présente la «fiction» d'une manière immédiate, en respectant les contraintes du mode dramatique: au présent, avec une instance narrative effacée. Mais cela se discute. Benoît Hennaut rappelle dans un article que l'on s'est déjà interrogé sur l'existence au théâtre de «jeux de perspective et de point de vue» — certains chercheurs trouvant des «formes de narrations non fiables (“unreliable narration”) jusqu'à Shakespeare» —, mais aussi de distorsions temporelles. Outre la prise en charge régulière du «récit» théâtral par des voix narratives, ces manifestations d'une «fonction narratoriale […] dans l'agencement spectaculaire lui-même» (HENNAUT 2013: §43, 19 et 48) peuvent conduire à relativiser le rôle du mode dramatique dans la «narration» théâtrale. Dans les textes, c'est encore plus clair, sans compter que l'appareil didascalique demande que les modalités de la présence d'une instance narrative soient spécifiquement interrogées.

[13] À une même époque, le genre de la science-fiction, par exemple, n'est pas réalisé ni reçu de la même manière dans les différents arts (en littérature, au cinéma, au théâtre, etc.). Pour Jean-Marie Schaeffer (Qu'est-ce qu'un genre littéraire?), la question des «catégories génériques [littéraires], du moins pour autant qu'elles prétendent constituer des classes textuelles définies en compréhension, sont liées directement au problème de la définition de la littérature.» (SCHAEFFER 1989: 9) Les catégories génériques théâtrales nous semblent également concernées.

[14] RANCIÈRE [1998] 2010: 9. L'auteur réagit à l'affirmation de Genette dans Fiction et Diction, selon qui «Britannicus est une œuvre littéraire, […] parce que c'est une pièce de théâtre» (GENETTE [1991] 2004: 108).

[15] Par exemple dans le dernier livre de Michel Corvin, Le Motif dans le tapis. Ambiguïté et suspension du sens dans le théâtre contemporain (paru de manière posthume): «La dramaturgie des écrivains de théâtre a beaucoup évolué depuis un siècle, et encore plus durant le dernier demi-siècle; les spectateurs, tout autant, ont accepté que le genre théâtre ne soit plus enfermé dans le carcan de règles et d'habitudes mais acquière une liberté — encore surveillée — où l'invention l'emporte sur la tradition. […] En perdant sa spécificité d'art reconnaissable au premier coup d'œil, le théâtre a conquis une autonomie beaucoup plus vivante, dont la complexité fait la difficulté d'approche: les supports canoniques du théâtre — le temps, l'espace, l'individuation des locuteurs, la hiérarchisation des niveaux de langue — sont soumis à un grand bouleversement; on est entré dans une ère où tout est sujet à caution, où tout se relativise.» (CORVIN 2016: 37; nous soulignons.)

[16] NICHET 2011: 24-25.

[17] Un texte théâtral ne fonctionne pas automatiquement comme théâtre. Parce que le fonctionnement des objets n'est qu'en partie déterminé par la manière dont ils ont été créés et dont ils sont présentés à un public, un texte de théâtre peut très bien (de manière conforme ou déviante, là n'est pas la question) fonctionner comme littérature. Voir à ce sujet la note finale de cet article.

[18] BECQ DE FOUQUIÈRES 1884: II.

[19] BARTHES 1954: 46.

[20] Qu'est-ce qu'un genre? C'est «la codification historiquement attestée de propriétés discursives», écrit Tzvetan Todorov dans «L'origine des genres»: «ces propriétés relèvent soit de l'aspect sémantique du texte, soit de son aspect syntaxique (la relation des parties entre elles), soit du pragmatique (relation entre usagers), soit enfin du verbal (terme […] qui pourrait nous servir à englober tout ce qui touche à la matérialité même des signes).» (TODOROV [1978] 1987: 36 et 34)

[21] PAVIS [1980, 1987] 1996: 102.

[22] Dans l'article «Tension» de son Dictionnaire du théâtre, P. Pavis rappelle qu'«[Emil] Staiger ([Grundbegriffe der Poetik,] 1946) fait […] de la tension un principe spécifique de l'art dramatique.» (PAVIS [1980, 1987] 1996: 352) Cette notion a pourtant été réinvestie pour l'analyse des récits au sens large, notamment par R. Baroni (La Tension narrative, 2007), qui l'a rebaptisée «tension narrative», notamment pour marquer sa pertinence pour les autres arts (bande dessinée, cinéma, littérature, télévision, etc.) et discours (p.ex. le récit journalistique).

[23] P. Pavis remarque par exemple que la «dramaturgie épique (brechtienne notamment) réclame une tension sur le déroulement (Gang) et non sur la fin (Ausgang).» (PAVIS [1980, 1987] 1996: 352). Dans l'entrée «Structure dramatique», il rappelle en effet qu'il «n'existe pas de structure dramatique typique et universelle» (342), même si celle de la «dramaturgie classique, aristotélicienne» présente «plusieurs traits pertinents: l'événement se passe au présent devant le spectateur, le “suspense” et l'incertitude de sa conclusion sont théoriquement acquis; le texte est réparti selon les locuteurs, chaque acteur possède un rôle et c'est la résultante des discours et des rôles qui fonde le sens; la préparation de l'action est donc “objective”: le poète ne parle pas en son nom, mais donne la parole à ses personnages. Le drame est toujours une “imitation d'une certaine étendue”, “telle cependant que la mémoire puisse aisément la saisir”. La matière événementielle sera donc concentrée, unifiée, et organisée téléologiquement en fonction d'une crise, d'une évolution, d'un dénouement ou d'une catastrophe.» (341) Tout en reconnaissant l'important rôle tenu par le mode dramatique dans l'établissement de cette «structure» classique, il importe de voir toutefois que celle-ci ne saurait être ramenée à celui-là. Dans l'entrée «Genre», P. Pavis rappelle (en renvoyant à Genette) que «[d]eux méthodes d'approche des genres sont possibles selon que l'on considère le genre comme forme historique ou comme catégorie du discours. La distinction est parfois explicitée par l'opposition genre/mode» (147). Il signale ensuite qu'«[à] l'intérieur du genre dramatique, il est […] difficile de tracer des divisions fondées sur des critères de discours. Le poids de l'histoire et des normes imposées par les poétiques est ici considérable et les espèces se définissent presque toujours […], en fonction de contenus et de techniques de composition […].» (148; il souligne) De fait, si l'on cherche à définir un genre, catégorie «historique», le recours exclusif aux modes (qui ne sont par ailleurs pas exactement des catégories «du discours») s'avère largement insuffisant.

[24] Bornons-nous à rappeler que Szondi pose l'existence d'un drame qu'il nomme «absolu», né selon lui à l'époque de la Renaissance, qui trouverait son principe dans «la reproduction des rapports interhumains» (SZONDI [1956, 1963] 2006: 14). Il pose ensuite que le drame entrerait en «crise» à la fin du XIXe siècle, sous l'espèce d'une «contradiction» entre son «contenu» et sa «forme» — concepts qu'il s'avère difficile à manier, car le premier renvoie à une manière de rapport au monde qui tient du sémantique et du thématique, tandis que le second englobe des traits définitionnels génériques (tension) et modaux (dialogue). Tout en affirmant la nécessité de comprendre les «genres lyrique, épique, dramatique» non plus comme des «catégories systématiques, mais historiques» (9), il fait dépendre sa catégorie historique (le genre du drame) d'une catégorie systématique (le mode dramatique): «C'est de la possibilité du dialogue que dépend la possibilité du drame» (18). Pourtant, la «crise» dépasse de loin l'aspect modal, y compris en ce qui concerne la «forme»: «Si le drame, forme poétique donnée soit dans le présent (1) soit dans les relations interhumaines (2) à une action (3), est entré en crise à la fin du XIXesiècle, la responsabilité en incombe au changement thématique qui remplace les éléments de cette triade conceptuelle par les concepts opposés», c'est-à-dire le «passé», l'«intériorité» et la «situation» (69 et 70). Or le fait même que de tels «contenus» aient pu être pris en charge par le mode dramatique montre que celui-ci n'est pas incompatible avec les «thèmes» modernes, ni avec une «action» moins «dramatique».

[25] La «crise du drame» est décrite par J.-P. Sarrazac comme coïncidant avec une «pulsion rhapsodique» qui, comme il l'explique dans L'Avenir du drame, donne un théâtre «cousu de moments dramatiques et de morceaux narratifs» (SARRAZAC [1981] 1999: 36). Les critères génériques et modaux sont ici mêlés, comme le résume la postface datée de 1998: «Refus du “bel animal” aristotélicien, et choix de l'Irrégularité; kaléidoscope des modes dramatique, épique et lyrique; constant du haut et du bas, du tragique et du comique; assemblage de formes théâtrales et extra-théâtrales, formant la mosaïque d'une écriture résultant d'un montage dynamique; percée d'une voix narratrice et questionnante […], dédoublement […] d'une subjectivité tout à tour dramatique et épique (ou visionnaire).» (197) Passons sur le fait que le lyrique n'est pas un mode mais un (archi-)genre qui, en tant qu'il ne saurait «échapper à l'historicité», n'a pas «le privilège de la naturalité qui [est] légitimement […] celui des trois modes narration pure / narration mixte / imitation dramatique» (GENETTE [1979] 2004: 70 et 69; l'auteur souligne), pour remarquer que le mode dramatique est tellement associé aux genres et à l'art dramatiques que J.-P. Sarrazac peut, dans Poétique du drame moderne, se demander: «Quelles limites à l'hétérogénéité du texte théâtral contemporain? À partir de quelle dose d'éléments allogènes ne peut-on plus parler de forme dramatique ni même de pièce de théâtre? À quel moment bascule-t-on dans ce que Hans-Thies Lehmann appelle le postdramatique et que, pour ma part, je préfère nommer — ne serait-ce que pour écarter toute équivoque du genre “mort du drame” — théâtre “para-” ou “extra-dramatique”? Quel degré d'irrégularité et d'écart à la tradition du théâtre dialogué la forme dramatique moderne et contemporaine peut-elle intégrer sans s'autodissoudre?» (SARRAZAC 2012: 293) Il conclut: «Soumis à la pulsion rhapsodique, le drame n'en finit pas de se perdre; et cependant il subsiste. Reste un noyau, une part infrangible, qui fait que le drame continue d'exister et de justifier ce nom de drame. Quelque chose que je définirais comme la rencontre catastrophique avec l'autre — fût-ce, dans certains cas, l'autre en soi-même.» (395; l'auteur souligne) Bref: si le drame moderne (à supposer qu'on puisse parler du «drame» au singulier) n'est plus (uniquement) dramatique en termes de mode, il l'est resté (en partie) génériquement… En effet, on peut se demander comment la «forme» dramatique ainsi comprise peut «s'émanciper» des catégorisations génériques, malgré ce qu'en dit J.-P. Sarrazac dans L'Avenir du drame: «D'aucuns de mes lecteurs s'étonneront peut-être que j'aie placé un livre traitant du devenir pluriel de notre écriture dramatique sous l'égide du drame […]. Dans la Poétique d'Aristote, le drame n'est qu'une catégorie abstraite subsumant les genres strictement délimités, comédie et tragédie. Bien plus tard, le drame, à son tour, va désigner un genre particulier, un genre dominant: le drame bourgeois […]. Mais si le drame ressuscite aujourd'hui, tel le Phénix, ce n'est pas des cendres du genre défunt, c'est au contraire en s'émancipant définitivement de la notion de genre. Ni transcendant aux genres ni genre lui-même, le drame moderne représente à mon sens une des formes les plus libres et les plus concrètes de l'écriture moderne.» (SARRAZAC [1981] 1999: 18-19)

[26] Pour H.-Th. Lehmann, «l'essence dialectique du genre» du drame se résume ainsi: «dialogue, conflit, dénouement, haut niveau d'abstraction, exposition du sujet dans sa conflictualité» (LEHMANN [1999] 2002: 54). Il constate: «Le théâtre et le drame entretiennent des rapports de parenté si étroits que, tel un couple enlacé, leur identité quasi totale fait que dans la conscience (même chez de nombreux théoriciens du théâtre) le concept de “drame” a subsisté comme idée normative latente du théâtre, en dépit de toutes les transformations radicales de celui-ci.» (45; l'auteur souligne.) Il déplore: «[…] le besoin d'intrigue, de divertissement et de suspense se sert des règles esthétiques du concept de drame traditionnel pour mesure à cette même aune le théâtre qui, manifestement, se dérobe à ces exigences. […] Dans le critère du “suspense” subsiste l'idée classique du drame, plus exactement, un ingrédient spécifique de cette notion: exposition, montée de tension, péripétie, catastrophe. Aussi dépassé que cela paraisse, voilà ce qu'on continue d'attendre de la story divertissante, au cinéma comme au théâtre.» (46) H.-Th.Lehmann pose qu'«[i]l existe un théâtre sans le drame», que celui-ci «soit de structure ouverte ou “close” (Klotz), pyramidale ou circulaire, épique ou lyrique, qu'il soit centré davantage sur le caractère ou plutôt sur l'action.» (40) Sur un plan historique, il propose la partition suivante: «La tragédie antique, les drames raciniens et la dramaturgie visuelle de Robert Wilson sont, bien sûr, des formes du théâtre. Mais on peut dire — si l'on se fonde sur l'acception moderne du drame — que la première est de nature “prédramatique”, que les drames de Racine sont indubitablement du théâtre dramatique, et que les “opéras” de Robert Wilson doivent être qualifiés de postdramatiques. Lorsque manifestement l'illusion dramatique n'est plus simplement rompue ou remplacée par la distance épique; lorsque, manifestement, on n'a besoin ni de l'action dramatique ni des dramatis personae plastiquement conçues; lorsque ni une collision dramatique/dialectique des valeurs ni même des personnages identifiables ne sont plus nécessaires pour produire du théâtre (et le nouveau théâtre démontre tout ceci très largement), alors le concept de drame, même avec mille différenciations, perd sa valeur conceptuelle.» (45). Il va jusqu'à opposer «l'action dramatique» aux «qualités esthétiques du théâtre» (47). S'il ne refuse pas le «montage des éléments lyriques, épiques et dramatiques (“rhapsodique” pourrait-on dire avec Sarrazac)» — à condition semble-t-il de ne pas «appliqu[er] ces notions […] seulement au caractère des structures langagières» —, il insiste plutôt sur «la proximité extrême du “réel”, du quotidien, de l'a-morphique en apparence.» (14) Le postdramatique «commence avec la disparition de ce triangle — drame, action, imitation — dans lequel régulièrement le théâtre devient victime du drame, et le drame succombe au contenu dramatisé — le “réel” imité dans sa retraite perpétuelle — et où le réel finalement capitule devant le concept.» (50) On comprend pourquoi, plus généralement, la disparition du drame serait liée, sur le plan artistique, au fait de ne plus être «subordonné au primat du texte» (27). Dès lors: «Il n'est pas surprenant qu'avec cette forme de théâtre [«qui se présente comme point de rencontre des arts»], les adeptes d'autres disciplines (arts plastiques, danse, musique) soient souvent plus à l'aise que les spectateurs inconditionnels du théâtre narratif littéraire.» (41)

[27] «On ne doit pas méconnaître l'influence exercée pendant des siècles, sur l'évolution des genres narratifs, par ce privilège massivement accordé à la diction dramatique. Il ne se traduit pas seulement par la canonisation de la tragédie comme genre suprême dans toute la tradition classique, mais aussi, plus subtilement et bien au-delà du classicisme, dans cette sorte de tutelle exercée sur le narratif par le modèle dramatique, qui se traduit si bien dans l'emploi du mot “scène” pour désigner la forme fondamentale de la narration romanesque. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la scène romanesque se conçoit, assez piteusement, comme une pâle copie de la scène dramatique: mimésis à deux degrés, imitation d'imitation. Curieusement, l'une des grandes voies d'émancipation du roman moderne aura consisté à pousser à l'extrême, ou plutôt à la limite, cette mimésis du discours, en effaçant les dernières marques de l'instance narrative et en donnant d'emblée la parole au personnage.» (GENETTE [1972] 2007: 176.)

[28] VISWANATHAN-DELORD 2000: 153, 154 et 155.

[29] Voir l'introduction au théâtre historique que Sylvain Ledda signe dans le tome consacré au XIXe siècle de l'anthologie de L'avant-scène théâtre (2008).

[30] VITET 1826: I. Voir sur ce sujet la contribution de Jean-Marie Thomasseau dans Impossibles théâtres XIXe-XXe siècles (2005).

[31] Sur cette dernière notion, voir un précédent article intitulé «Le théâtralisable: une proposition» (2017).

[32] Vitet précise en effet: «si j'eusse voulu faire un drame au contraire, il eût fallu songer avant tout à la marche de l'action; sacrifier pour la rendre plus vive une foule de détails et d'accessoires, piquer la curiosité par des réticences, mettre en relief, aux dépens de la vérité quelques personnages et quelques événements principaux, et ne faire voir les autres qu'en perspective» (VITET 1826: II). Dans un article où ce passage de l'avant-propos des Barricades est cité, Claudine Grossir commente la dimension «dramatique» du «nouveau genre» de la scène historique: «La scène historique […] s'empare de sujets qui sont en eux-mêmes dramatiques (au sens théâtral du terme), centrées sur un événement précis, sans se préoccuper des contraintes de genre du système théâtral. Elle propose une suite de dialogues dont l'objet est d'abord la représentation des faits historiques dans toute leur complexité, avec un grand luxe de détails destinés à redonner vie à la période envisagée […]. Cette dérogation aux exigences du drame est parfaitement perçue par les rédacteurs du Globe [du 27 avril 1826] qui soulignent qu'à défaut d'être un drame dans la forme, les scènes historiques en retiennent l'esprit: “Devra-t-on appeler du nom de drame cette suite de dialogues? Comme dans un drame, il y aura de l'unité, car l'unité est nécessaire et dans l'esprit de l'auteur, et dans les événements qu'il décrit; comme dans un drame, il y aura aussi de l'intérêt.” Le bénéfice de cette écriture au plus près de ses sources, les chroniques du temps, conduit à une narration souple, libre de contraintes dramatiques, tant génériques, que scéniques, gagnant en simplicité et en vérité historique ce qu'elle perd en efficacité dramatique. Les États de Blois [œuvre suivante de Vitet] marquent une évolution dans l'équilibre trouvé entre l'histoire et le drame. Si Les Barricades apparaissaient comme une forme essentiellement conçue selon une démarche d'historien, le second opus de Vitet s'attache davantage à tirer parti de la matière historique pour construire une œuvre dramatique: dans un lieu resserré, le château de Blois, l'action alterne scènes collectives et scènes intimes, et la progression dramatique qui conduit Henri iii à mettre à exécution le projet d'assassinat du duc de Guise est parfaitement concertée, au fil des prétentions de plus en plus élevées du duc. La marche inexorable de celui-ci vers une mort annoncée donne à ces scènes un caractère de tragédie, sans qu'elles souscrivent pour autant aux codes du genre.» (GROSSIR 2012: §22-24)

[33] Voir p.ex. les «curiosités dramatiques» inventoriées par Amélie Calderone dans sa thèse intitulée Entre la scène et le livre. Formes dramatiques publiées dans la presse à l'époque romantique (1829-1851), soutenue le 27 novembre 2015 à l'Université Lumière Lyon II. A. Calderone explique qu'étant donné «une perception […] du théâtre qui diffère radicalement de la nôtre, l'ensemble […] form[é] au sein des journaux a été nommé formes dramatiques. L'expression doit désigner toutes ces créations — pièces, scènes théâtrales à lire, articles théâtralisés et autres dialogues constituant un corpus résolument étendu — susceptibles de nous permettre de “réfléchir nos habitudes” de lecture par leur insertion au cœur des feuilles périodiques» et qui y forment «un continuum». «Hors de toute perspective scénique ou spectaculaire, une partie de la production théâtrale diffusée à l'époque par voie de presse atteste l'autonomie potentielle de tout texte dramatique vis-à-vis de l'incarnation matérielle.» (CALDERONE 2015b: 19, 17 et 162; l'autrice souligne) Nous la remercions d'avoir accepté de transmettre son manuscrit. Sur les relations entre presse et théâtre, voir notamment l'ensemble dirigé par Olivier Bara et Marie-Ève Thérenty, intitulé Presse et Scène au XIXe siècle (2012).

[34] Le texte de L'Épître de saint Paul aux Corinthiens — par exemple — qu'Angelica Liddell fait imprimer dans Le Cycle des résurrections (2014) n'est nullement identique au texte joué dans le spectacle, mais dont on retrouve des bribes dans le «journal» qui suit les trois «pièces» du volume. (L'Épître… a été créé au théâtre Vidy-Lausanne sous le titre Primera carta de San Pablo a los Corintios. Cantata BWV4, Christ lag in Todesbanden. Oh, Charles! [2015]. Selon le site www.theatre-contemporain.net, les deux autres «pièces», Tandy [2014] et You are my destiny [2014], ont été créées l'une à Berlin, l'autre à Zagreb.)

[35] LACOSTE et FERRAGUS 2007; les auteurs soulignent. C'est à peu près ce que remarque Isabelle Vodoz dans un article: «Choisir de parler du “texte de théâtre” équivaut à se situer d'entrée de jeu dans l'inachevé. En effet, parmi les œuvres d'art, le texte de théâtre partage avec la partition musicale cette singularité de ne pas porter en lui-même son propre achèvement. Un poème, un roman, un tableau, une sculpture ont une existence autonome (à moins que l'on ne soutienne qu'il manque quelque chose à un roman non lu ou à un tableau regardé). Le texte de théâtre, lui, n'existe pas, ou plutôt, il n'est qu'un élément de l'ensemble qu'on appelle théâtre, et dont la seule effectuation véritable est la représentation (dans le cas d'une œuvre musicale ce serait son exécution publique).» (VODOZ 1986: 95)

[36] DORÉ 2017: §21 et 23.

[37] Voir notamment l'article de Matthijs Engelberts dans le numéro de la Revue d'histoire du théâtre sur le Texte de théâtre et ses Publics (2010).

[38] La version publiée se présente comme étant provisoire: «Ayant accepté avec la modestie nécessaire l'idée que la version définitive de cette tragédie sera peut-être écrite par les enfants de nos enfants, nous avons choisi de présenter ici non une version présumée définitive, mais une sélection de matériaux sur lesquels nous sommes actuellement en train de travailler, espérant que ces mêmes matériaux pourront un jour être utiles à ces petits-enfants.» (PARAVIDINO [2003] 2004: 59) Un rapide coup d'œil au texte permet de voir que les «matériaux», d'ailleurs structurés au niveau macro par des chapitres qui déroulent un ordre chronologique des événements relatés, prennent en fait la forme de répliques plutôt courtes qui construisent souvent une manière de parcours argumentatif à plusieurs voix tout à fait logique, soutiennent un rythme agréable (par des effets de reprises, notamment) et ménagent une tension efficace. Ici, c'est donc bien moins le drame écrit qu'il faudrait réécrire (il a trouvé dans ce livre une forme) que le drame joué — la version scénique —, éventuellement à la lumière de nos connaissances historiques futures.

[39] Sont publiés d'une part ce que les auteurs nomment les «partitions» de leurs deux spectacles — Des chimères en automne ou l'impromptu de Chaillot (Traité des formes 2) (2003) et Les Variations Darwin (Traité des formes 3) (2004) —, d'autre part ce qu'ils appellent les «matériaux Darwin», «échantillon de […] ce qui a été écrit ou glâné», «à partir desquels les deux pièces ont été écrites, puis jouées» (PEYRET et PROCHIANTZ 2005: 7). Voici ce qu'ils entendent par «partition»: «Ces textes ne sont pas des textes de théâtre. Au sens où ils ne sont pas écrits pour le théâtre mais par le théâtre, à partir de ces matériaux dont une partie a été donnée à lire plus haut. Nous avons délibérément effacé la circonstance théâtrale et décidé de ne pas donner d'informations déterminantes sur la scénographie, les lumières, les costumes, la musique, etc. Nous n'avons pas donné les moyens d'une reconstruction par la mémoire pour ceux de nos lecteurs qui auraient vu le spectacle, ou par l'imagination pour ceux qui découvrent le tout par la lecture. Ces spectacles ont eu lieu; ils appartiennent au passé du théâtre et à la mémoire de quelques-uns. Nous faisons ici le pari que le lecteur n'a pas besoin de se faire une idée de ce que furent ces spectacles. Chacun peut rêver ces textes à sa guise, et même oublier la référence théâtrale. Désormais, le théâtre, c'est le cerveau du lecteur.» (103) Les auteurs s'interrogent: «S[i ces textes] sont consignés dans ce livre, c'est qu'ils sont censés être lisibles, c'est-à-dire digne d'être lus. Sont-ils jouables, c'est-à-dire susceptibles d'être repris par d'autres […]?» Ils renvoient au site de la compagnie censé contenir «l'ensemble des partitions et des matériaux qui ont servi à la confection de ces spectacles» (9). Nous n'avons malheureusement pas réussi à y accéder.

[40] Ruzzante, prologue de La Vaccaria, traduit par LOCHERT 2009: 301.

[41] KUROIWA, LEROUX et SMITH 2010: §1. De fait, «pour des raisons liées à la mémorisation, la matière de plusieurs répliques pouvait être assemblée dans un même segment de textus» dans les manuscrits destinés aux comédiens, là où les «textes de conservation», formalisés «pour des activités non théâtrales», accueillent «des modifications liées au destinataire individuel ou collectif, aux circonstances pratiques ou linguistiques de la nouvelle utilisation envisagée» (§8 et 19).

[42] Il n'est pas simple. Pour Pierre Banos, actuel directeur des éditions Théâtrales et auteur d'une thèse sur l'édition théâtrale récente, la publication imprimée de «l'œuvre» serait la seule manière d'assurer sa «survie». Il s'explique dans un chapitre du collectif L'Esthétique du livre: «Une pièce non publiée n'existe plus pour les lecteurs ou créateurs futurs. Sa publication est son acte de naissance.» Cette déclaration est discutable: «la pièce» n'est-elle pas née une première fois sur scène? L'article offre un point de vue sur les modalités de cette «naissance», qui s'accompagnerait «aujourd'hui [du] désir volontariste d'un retour dans le champ de la littérature» (BANOS 2010: §1 et 4) — il est donc supposé que le théâtre aurait quitté la littérature après en avoir fait partie. Rien n'est moins sûr.

[43] Dans le cas de la tragédie grecque qui est «aussi» un «texte», «d'origine et par nécessité», «à l'époque classique, en tant que manuscrit pour une représentation, présenté aux archontes avant tout concours dramatique, et qui finalement sera, après le concours, déposé aux archives de la cité» — comme l'explique Nicole Loraux dans un article (LORAUX 1989: 159) —, William Marx remarque p.ex. — dans un article qui revient sur son livre Tombeau d'Œdipe. Pour une tragédie sans tragique (2012) — que le corpus à disposition est non seulement maigre, mais encore «biaisé idéologiquement et esthétiquement: il est le produit d'une sélection non seulement partielle, mais partiale, peut-être d'inspiration stoïcienne, qui en privilégiant les dénouements malheureux a notamment préparé toute la conceptualisation moderne autour de l'idée de tragique. Cette idée moderne du tragique est en grande partie un artefact de la transmission des textes.» La considération des huit tragédies «alphabétiques» d'Euripide, dont la sélection est dès lors aléatoire, offre une image entièrement renouvelée de ce qu'a pu être la «tragédie» grecque (MARX 2018: §21).

[44] Quoi que ce terme puisse qualifier. Au sens restreint, il désigne ce qu'on joue au théâtre. Au sens élargi, il dépasse ce cadre pour s'étendre à tout ce qui concerne les conditions du théâtre. Roxane Martin l'utilise dans le titre de son livre sur les discours, au sens large, qui manifestent «l'émergence de la notion de mise en scène» entre 1789 et 1914 (MARTIN 2013).

[45] Dans un article récent, Florence Dupont explique: bien que parfois «majoritaire», la pantomime «utilise des textes» qui pour la plupart «ne sont jamais conservés» (DUPONT 2017: §7). Or, comme le précise Maxime Pierre dans un compterendu de Seneca's Tragedies and the Aesthetics of Pantomime(2014) d'Alessandra Zanobi, «[l]'influence de ce genre [la pantomime] permettrait […] d'expliquer que les tragédies de Sénèque sont moins “dramatiques” que les tragédies attiques.» (PIERRE 2017: §4)

[46] Voir p.ex. un article d'A. Calderone dans la Revue d'histoire du théâtre (2015).

[47] Celui-ci disparaît chez Aristote «non par éviction du mixte: c'est le narratif pur qui disparaît parce que inexistant, et le mixte qui s'intronise narratif, comme seul narratif existant.» (GENETTE [1979] 2004: 28)

[48] «Chez Platon, et encore chez Aristote, […] la division fondamentale avait un statut bien déterminé, puisqu'elle portait explicitement sur le mode d'énonciation des textes. Dans la mesure où ils étaient pris en considération (fort peu chez Platon, davantage chez Aristote), les genres proprement dits venaient se répartir entre les modes en tant qu'ils relevaient de telle ou telle attitude d'énonciation: le dithyrambe, de la narration pure; l'épopée, de la narration mixte; la tragédie et la comédie, de l'imitation dramatique. Mais cette relation d'inclusion n'empêchait pas le critère générique et le critère modal d'être absolument hétérogène, de statut radicalement différent: chaque genre se définissait essentiellement par une spécification de contenu que rien ne prescrivait dans la définition du mode dont il relevait. La division romantique et postromantique, en revanche, envisage le lyrique, l'épique et le dramatique non plus comme de simples modes d'énonciation, mais comme de véritables genres, dont la définition comporte déjà inévitablement un élément thématique, si vague soit-il.» (GENETTE [1979] 2004: 62)

[49] Dans «Discours du récit», Genette explique que le mode qualifie la «régulation de l'information narrative», selon «les deux modalités essentielles» que sont la «distance» et la «perspective». (GENETTE [1972] 2007: 163-218) Dans Introduction à l'architexte, Genette dit que le mode qualifie la «représentation»: «Tout poème est récit (diègèsis) d'événements passés, présents ou à venir; ce récit au sens large peut prendre trois formes: soit purement narrative (haplè diègèsis), soit mimétique (dia mimèséôs), c'est-à-dire […] par voie de dialogues entre les personnages, soit “mixte”, c'est-à-dire en fait alternée, tantôt récit tantôt dialogue». (GENETTE [1979] 2004: 16) Dans Nouveau Discours du récit, Genette explique: «le mode au sens de Discours du récit [est] un des aspects du fonctionnement du mode au sens d'Introduction à l'architexte.» (GENETTE [1983] 2007: 321)

[50] «Archi-, parce que chacun d'eux est censé surplomber et contenir, hiérarchiquement, un certain nombre de genres empiriques, lesquels sont de toute évidence, et quelle que soit leur amplitude, longévité ou capacité de récurrence, des faits de culture et d'histoire […]» (GENETTE [1979] 2004: 64-65)

[51] Genette explique ainsi la «réinterprétation romantique du système des modes en système de genres»: «Le principe de l'opération est simple, et nous le connaissons déjà: il consiste à tirer d'une remarque stylistique assez marginale une tripartition des genres poétiques en dithyrambe, épopée, drame, qui ramène Aristote au point de départ platonicien, puis à interpréter le dithyrambe comme un exemple de genre lyrique, ce qui permet d'attribuer à la Poétique une triade à laquelle ni Platon ni Aristote n'avaient jamais songé.» (GENETTE [1979] 2004: 59 et 37) Aristote ne pose en effet pas trois genres, mais quatre: la tragédie, la comédie, l'épopée et la parodie. Ceux-ci sont discriminés selon deux oppositions analytiques: «l'objet imité», qui peut être «supérieur» (la tragédie et l'épopée) ou «inférieur» (la comédie et la parodie), et le «mode d'imitation», qui peut être «dramatique» (la tragédie et la comédie) ou «narratif» (l'épopée et la parodie).

[52] SCHAEFFER 1989: 12.

[53] SCHAEFFER 1989: 37. Pour J.-M. Schaeffer, le mode est l'un des critères de l'énonciation, aux côtés du «statut de l'énonciateur» («réel, fictif ou feint») et de celui de «l'acte d'énonciation» («sérieuse ou fictionnelle»; «orale ou écrite»). Le «niveau de l'énonciation» est complété par ceux de la «destination», de la «fonction», «sémantique» et «syntaxique» (voir SCHAEFFER 1989: 82-130)

[54] «Car si le mode narratif inclut d'une certaine manière, par exemple le genre roman, il est impossible de subordonner le roman à une spécification particulière du mode narratif: si l'on subdivise le narratif en narration homodiégétique et hétérodiégétique, il est clair que le genre roman ne peut entrer entier dans aucun de ces deux types [i.e. narration homodiégétique ou hétérodiégétique], puisqu'il existe des romans “à la première personne” et des romans “à la troisième personne”. Bref, si le “type” est un sous-mode, le genre n'est pas un sous-type, et la chaîne d'inclusions se brise là.». (GENETTE [1979] 2004: 74). Il continue en note: «Observons au passage que ces spécifications “formelles”, c'est-à-dire (sub)modales, n'ont pas communément le statut de sous-genres […].»

[55] GENETTE [1979] 2004: 39.

[56] Cette manière de lire, qu'on peut appeler lecture scénique, fait l'objet d'une théorisation dans le cadre de notre thèse. Nous en avons donné un court aperçu sous le titre «Lire une scène, lire la scène, lire sur scène», à l'occasion des «Rencontres internationales de Reims» de 2018, consacrées à «La lecture littéraire dans tous ses états», organisées par Christine Chollier, Marie-Madeleine Gladieu, Jean-Michel Pottier et Alain Trouvé.

[57] Voir p.ex. la contribution de Marie Bouhaïk-Gironès à propos du Jeu de Pierre de La Broce (XIIIe s.) dans Drama, Performance and Spectacle in the Medieval City (2010). Pour D. Smith (dans la Gazette du livre médiéval), plus généralement, «ni la mise en forme textuelle “par personnages” ni les “didascalies” ne sont la preuve du caractère “dramatique” d'un manuscrit ou de son texte. Parler globalement de “manuscrits de théâtre” pour le Moyen Age, c'est faire une projection rétrospective de ce que sont les textes de théâtre depuis l'âge classique. Dans la deuxième moitié du XVe siècle, les manuscrits de jeux par personnages relèvent de pratiques collectives et individuelles variées: si la mise en texte de certaines œuvres, dans certains cas, répondait aux exigences matérielles d'un jeu représenté par une communauté, c'était selon des procédés de copies qui n'appartenaient pas en propre au “fait théâtral”; d'autre part, un texte même joué pouvait, dans une diffusion ultérieure, être modifié au gré de pratiques de lectures privées — pieuses, théologiques ou méditatives — qui intégraient l'œuvre à une visée individuelle et changent ainsi, aux yeux de l'historien, le statut du manuscrit.» (SMITH 1998: 9)

[58] L'expression est utilisée par Xavier Bourdenet dans l'introduction du collectif Mérimée et le Théâtre (2015).

[59] Voir «Les textes de théâtre: théâtre, ou littérature? Sur le fonctionnement artistique et opéral des textes», dans Atelier de théorie littéraire, en ligne sur Fabula, 2018: http://www.fabula.org/atelier.php?Theatre_ou_litterature.



Romain Bionda

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