Atelier

De Gaulle? Oui et non.

ou L'Instantané d'une classe terminale

Marie-Odile Dufloux-Richard, professeur de

lettres classiques, lycée Hector Berlioz, Vincennes.

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Pour des raisons en partie différentes de celles de mes collègues professeurs qui ont signé la pétition La Littérature en phase terminale de mars 2010, je n'étais pas enthousiaste à l'idée de voir Le Salut de Charles de Gaulle au programme du baccalauréat. Ces raisons je les ai exprimées dans une tribune publiée dans lemonde.fr du 14/09/10. Peut-on ne serait-ce que faire apprécier un texte quand on commence par en contester l'opportunité ? Je ne le crois pas. Alors, règle de déontologie, j'ai joué le jeu, notamment de taire mes réticences à l'endroit des vingt-trois élèves de ma classe terminale.

Pour ce qui est de l'instruction et de l'éducation, la position des adolescents face à une épreuve aussi initiatique que celle du baccalauréat, ne peut pas dépendre des opinions, somme toute circonstancielles, de ceux à qui ils sont confiés. Et ce jeu que j'ai joué, j'ai fait en sorte que mes élèves le jouent également. Un professeur de littérature doit-il faire aimer les œuvres ou les faire connaître ? Il ne peut pas les faire connaître s'il ne les fait pas un tant soit peu aimer tant à dix-huit ans, la connaissance passe par l'émotion. Pas de connaissance sans émotion, enseignaient les rhéteurs grecs et romains. Au début de mon cours, mes craintes venaient de ce que ma classe, contaminée par la querelle, était pour un tiers défavorable à la présence de Charles de Gaulle au programme.

J'ai du coup souhaité, à la fin des vingt-trois heures réservées au texte, vérifier si j'avais suffisamment tordu le bâton dans l'autre sens, c'est-à-dire effectué mon travail de préparation à l'épreuve du baccalauréat, en leur soumettant un questionnaire titré «de gaulle ? oui ou non ? » auquel ils répondraient anonymement. Le résultat des vingt réponses reçues, on les trouvera à la fin de ce texte ainsi que la tribune du Monde à laquelle je fais allusion au début. De Gaulle, on s'en souvient, se plaisait à poser des questions auxquelles les Français devaient répondre par oui ou non. A de Gaulle, mes élèves répondent sans ironie : oui et non. Examinons cette intelligence.

Ce sondage a donné lieu pour le professeur que je suis à deux moments forts : d'une part la lecture de leurs réponses qui m'a étonnée, d'autre part la restitution à mes élèves de leurs réponses qui leur réserva des surprises. J'en livre une première : la livraison écrite à chaque élève du résultat du questionnaire et le débat, alimenté par mes questions d'approfondissement, ont constitué non seulement un nouvel élément du cours, mais une réflexion qui a dépassé l'enjeu propre au baccalauréat. A quelques mois près, tous mes élèves sont majeurs. Et ils furent estomaqués d'être considérés comme des adultes et de disposer comme l'instantané d'une Terminale qui valait bien une photographie de classe. Venons-en aux réponses elles-mêmes.

Deux satisfactions d'abord. Il est satisfaisant pour l'idée qu'un professeur se fait des relations intergénérationnelles de constater que 85% des élèves ont évoqué ce cours avec leur parents. Il est satisfaisant aussi pour ce professeur de constater qu'il n'y a eu ni erreur, ni malentendu sur des notions aussi importantes que «natio­nalisme » et «fascisme». La maxime gaullienne : « Le patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres.» a été entendue et comprise.

Le cours a modifié l'opinion des élèves à 55% dans le sens où ils lui accordent une valeur littéraire (qualité d'écriture) tout en lui conservant son statut de document historique à 70%, document historique auquel ils restent étrangers. Auraient-ils le même sentiment à l'endroit des Mémoire d'outre-tombe ? Ceci tient, à notre avis, au fait que le tome III des Mémoires de Guerre, Le Salut, est bourré d'informations précises et de faits historiques sourcilleux qui peuvent troubler la lecture d'un récit qui eût pu être épique. Faits historiques aussi absents de la mémoire collective des générations nées dans les années 90. Je n'ai cessé d'entendre parents et grands-parents parler de l'Occupation et de la Libération. Tel n'est pas leur cas.

Comment en revanche des élèves peuvent-ils avoir été abreuvés par tant d'informations et déclarer en même temps à 65% que la lecture du Salut ne leur a rien appris de significatif ? Cette lecture, peu romanesque il est vrai, autrement dit sans complaisance héroïque, ne les a pas touchés, ne les a pas émus. La grandeur, d'autant plus qu'elle se pare de distance, ne touche pas et ne peut probablement émouvoir que ceux qui en sont contemporains par le temps ou par l'espace, par la mémoire vive ou par l'action. Ils voient moins en de Gaulle un soldat qui sauve une situation qu'un politique, au bon sens du mot, qui doit lutter avec des hommes d'Etat comme Churchill, Staline, Roosevelt, Truman, etc. Finalement, ces réponses peuvent trouver une explication et m'ont relativement satisfaite. Un élève a déclaré: « Le tome I aurait été un meilleur choix.», je suis du même avis. En revanche, les réponses à une question devraient pousser et les parents et les professeurs à s'interroger.

Premier fait massif, 50% des élèves laissent sans réponse la question : Imaginons que Charles de Gaulle soit un héros positif de l'Histoire de France. Quel(s) autre(s) héros positif(s) identifiez-vous ou bien dans l'Histoire récente ou bien dans l'Histoire plus ancienne ? Et ces 50% se sentent quasiment coupables au moment de la restitution orale des résultats : ils sentent qu'ils devraient en révérer au moins un, mais il n'en trouvent pas.

Deuxième fait massif, aucun ou presque parmi ceux qui répondent ne fournissent de héros positifs français. Ni Jeanne d'Arc, ni Pasteur, ni Marie Curie, ni Saint-Exupéry, ni l'abbé Pierre, ni même Bernard Kouchner, l'inventeur médiatisé de la figure mondialisée du French doctor

Troisième fait massif, les héros les plus cités sont Nelson Mandela, Martin Luther King (trois fois chacun) et Gandhi (deux fois). Aucun Européen, mais deux issus de ce qu'on a appelé le tiers-monde, Afrique et Asie, un autre faisant partie de la communauté noire américaine minoritaire, les trois ayant en commun et d'avoir été opprimés et d'avoir lutté avec succès pour la liberté, l'égalité, la fraternité et les Droits de l'Homme. A ceux qui se demandent : à quoi sert la philosophie dont la Philosophie des Lumières et des Droits de l'Homme sont un glorieux avatar ? Voilà la réponse.

Question massive : peut-on vivre sans héros ? Peut-on construire son identité sans modèle ? Nous laisserions volontiers la réponse aux psychologues, s'ils l'ont. Quant aux génies qui sont notre pain quotidien au lycée, nous nous souvenons que Balzac a dédié Les Illusions perdues à Victor Hugo, qu'un poème d'Hugo commence par «Mon père, ce héros...» que Baudelaire a dédié Les Fleurs du mal à Théophile Gautier, etc. Nous nous souvenons aussi que Gandhi a inspiré et Martin Luther King et Nelson Mandela et que lui-même a été inspiré par Ruskin et Tolstoï. Que l'Europe n'inspire pas - ou plus - devrait être médité.

Questions. Si le cours a modifié l'opinion de mes élèves sur Le Salut de Charles de Gaulle, cette expérience de feed-back entre vingt-trois élèves et leur professeur n'a-t-elle pas aussi modifié l'opinion du dit professeur? Est-il identique d'étudier la période 39/45 en classe d'histoire et d'étudier Les Mémoires en classe de français? Les heurs et malheurs de la France valent-ils vingt-trois heures du temps d'un adolescent? Est-il utile de leur faire savoir par le truchement d'un grand acteur que depuis soixante-six ans la France n'a pas connu la guerre sur son territoire? Est-il salutaire de leur faire savoir que ce même grand acteur qui a combattu deux fois les Allemands puisse dire à ces même Allemands quinze ans après: «Vous êtes un grand peuple.» A cinq mois de la rentrée scolaire 2011/2012, à l'usage de vingt à trente nouveaux élèves, à ces questions j'ai le temps de répondre.

J'ai tu mes réticences à l'endroit du Salut, ce que je ne tairai pas, c'est l'aberration qu'il y a, me semble-t-il, à mettre au programme de l'épreuve de français de 2012, trois écrivains du XX° siècle, le quatrième étant Rabelais. Les idéaux du français comme discipline de Ronsard à Céline, et l'idéal des humanités comme civilisation de Montaigne à Lévi-Strauss, humanités dont «l'humanitaire » est un glorieux avatar français, se recoupent-ils? Je ne le crois pas. En revanche, l'inverse est vrai: l'idéal des humanités recoupe celui de l'épreuve de français.

Quelle était la signification majeure des humanités de l'humanisme? C'était la double culture, dans l'espace et dans le temps, qu'impliquait l'étude du grec et du latin pour un Allemand, un Anglais, un Français qui les emmenait jusqu'à Herculanum et à Athènes durant le fameux Grand Tour qui terminait leur scolarité.

On ne se connaît qu'à proportion qu'on connaît les autres et inversement. On ne connaît sa culture (pour la relativiser) qu'à proportion qu'on en connaît une autre. Au moment où l'étude du grec et du latin diminue, il est plus qu'urgent de répartir sur au moins trois siècles les auteurs du programme: ça servirait de culture au sens anthropologique puisque ce dernier mot, pour Lévi-Strauss, remplace le premier.

Juré, je ne l'ai pas soufflé à cette élève. A la question 10: La lecture du Salut vous a-t-elle appris quelque chose de significatif ?, elle répond : « Pour nous (sic) l'Antiquité nous apprend plus de choses et les textes anciens sont plus passionnants (sic) que le tome III des Mémoires de guerre.» Comment ne pas aimer des élèves capables d'identifier eux-mêmes leur Salut !

Marie-Odile Dufloux-Richard

De Gaulle? Oui Ou NOn?

Voici un sondage (2 pages) auquel je vous remercie de répondre anonymement par écrit, de préférence par ordinateur, avant le 8 mars 2011. Je vous lirai le résultat qualitatif et quantitatif de vos 23 réponses sous les 8 jours suivants. Cet exercice peut vous aider dans la préparation au baccalauréat.

L'inscription du livre de Charles de Gaulle Le Salut au programme de l'examen a suscité l'émoi réprobateur d'un collectif de professeurs sous plusieurs raisons. Je cherche par ce sondage à savoir si le cours a modifié, conforté, ou non votre opinion sur ce livre et son auteur.

Merci.

Marie-Odile Dufloux-Richard,

Professeur de lettres classiques

au lycée Hector Berlioz, Vincennes.


Sur 23 feuilles distribuées, j'ai reçu 20 réponses.

1- Avant le cours, aviez-vous de Charles de Gaulle et de son livre une opinion

plutôt favorable ? 4

plutôt défavorable ? 8

sans opinion ? 8

(entourez votre réponse)

2- Le cours a-t-il modifié votre opinion et dans quels sens ?

non 4

oui 11

sans opinion 6

Commentez votre réponse :

«Pas aimé lire l'œuvre, cours plus agréable mais l'œuvre reste la moins appréciéedu programme».

3- Avez-vous évoqué avec vos parents la présence de cette œuvre au programme du baccalauréat ?

non 3

oui 17

(entourez votre réponse)

4- Après lecture approfondie du texte vous semble-t-il que cette œuvre présente des qualités d'écriture ?

oui 14

non 3

(entourez votre réponse) 2 sont sans réponse

Commentez votre réponse :

«Ecriture classique parfaitement maîtrisée par de G., il apporte une théâtralisation de l'Histoire et la met en scène.» «Il n'innove pas et n'est pas sublime, reste plat à mes yeux, mais son style classique n'est pas mauvais.»«Rien d'exceptionnel». «Lyrisme et qualités épiques.»«Un talent de conteur historique mais pas un talent littéraire.» «.. beaucoup d'emprunts à l'Antiquité qui n'empêchent pas de G. d'avoir un style d'écriture bien à lui.» «Oui pour un homme d'état, mais ne peut selon moi être un grand écrivain.»«Mémoires rédigées dans un très beau français mais les élever au rang d'œuvre littéraire est une erreur.» «…œuvre très travaillée (trop?), sans naturel. Mais qui reste sans doute historique et littéraire.»

5- Diriez-vous qu'en tant qu'homme d'Etat, Charles de Gaulle serait

plutôt fasciste ? 0

plutôt nationaliste ? 3

ni fasciste, ni nationaliste, mais patriote ? 15

autre ? 1

Une question est restée sans réponse.

6- Si vous pouviez aujourd'hui voter pour les élections présidentielles, quel serait votre choix ?

- Aubry, Martine

- Besancenot, Olivier

- Le Pen, Marine

- Royal, Ségolène

- Sarkozy, Nicolas

- Strauss-Kahn, Dominique

- Villepin, Dominique de

- Autre

(entourez votre réponse) Je ne souhaite pas donner le détail qui est hors programme (M.-O. Dufloux).

7- La séance d'une heure assurée par le professeur d'histoire sur le tome III des Mémoires, en ma présence, vous a-elle paru

utile ? 16 (recoupe utile et nécessaire, souvent couplées)

superflue ? 3

nécessaire ?

Un absent ne pouvait répondre.

8- Imaginons que Charles de Gaulle soit un « héros positif » de l'Histoire de France ? Quel(s) autre(s) héros positif(s) identifiez-vous ou bien dans l'Histoire récente ou bien dans l'Histoire plus ancienne ?

10 questionnaires ne donnent aucune réponse… (50% d'entre vous)

Sinon reviennent plusieurs fois Gandhi, Mandela, Martin Luther King. Toutes les réponses comptées.

9- A votre avis, Le Salut est-il plutôt

- de l'Histoire ? 15

- une autobiographie ? 1

- un récit ? 3

- une épopée ? 0

- un auto-éloge ? 2

(entourez une seule réponse)

10- La lecture du Salut vous a-t-elle appris quelque chose de significatif ?

- non 13

- oui 6

- si oui, quoi :«Des renseignements historiques sur la période». «… mieux comprendre le monde à cette époque. Les valeurs de cette époque ne sont plus les mêmes aujourd'hui.»«A quel point le général a dû lutter pour que la France conserve le rang qui lui revient de droit (sic).»

Un questionnaire est sans réponse.

Après avoir remarqué mon étonnement devant le petit nombre de réponses positives, lors du compte-rendu oral, les élèves ont réagi ainsi:

«Le tome III est trop politique.» «Je ne me suis pas sentie concernée». «La contrainte du programme m’a empêché de m'investir personnellement.» «L'Antiquité à travers les textes grecs et latins nous apprend plus de choses, plus passionnantes, que les Mémoires de Ch. de Gaulle.»

11- Vous reste-t-il des questions que vous aimeriez poser à propos de ce livre ? Lesquelles ?

Aucune.



Marie-Odile Dufloux-Richard

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Dernière mise à jour de cette page le 5 Juillet 2011 à 13h34.