Atelier

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.

En guise d'introduction ce séminaire, nous aimerions repartir de ces quatre vers fort connus de Rimbaud où il est manifestement question du temps et peut-être d'une tentative d'échapper au temps : Il s'agit du quatrain qui ouvre et qui clôt un poème intitulé l'Eternité que l'on trouve d'abord dans le recueil intitulé vers nouveaux avec la date Mai 1872, ce poème est ensuite repris sous une forme différente dans Une Saison en Enfer, dans la section II de Délires (section II qui s'intitule alchimie du verbe Sur ce texte (qui appellerait évidemment qu'on lui consacre toute une séance de ce séminaire), nous avons eu Henri Garic et moi une rapide discussion qui me semble faire écho aux questions et aux intuitions qui nous ont amené à proposer ce séminaire

L'analyse que je proposais de ces quatre vers était la suivante :
Rimbaud ici propose une image du temps qui présente deux caractéristiques :
1. Elle convoque à travers l'idée d'éternité, une idée du temps qui se comprend en première analyse comme une négation du temps linéaire, fugitif et destructeur.
2. Cette négation du temps linéaire entraîne la mise en œuvre d'une image « c'est la mer allée avec le soleil » qui a pour caractéristique de ne pas convoquer des notions ou des images liées au temps : pour définir l'éternité, le temps n'est plus une catégorie pertinente, il faut mieux convoquer les éléments d'un paysage et les associer en une image fixe. L'éternité n'est plus un autre temps, un non temps, mais plus radicalement autre chose que le temps : la mer et le soleil.

Or à cette lecture, Henri Garric a opposé avec raison que ce que je décrivais comme une sortie du temps supposait encore le temps
1. Une succession temporelle d'abord du passé au présent, un processus car l'éternité est retrouvée et avait donc été perdu ; un mouvement ensuite qui ne peut que s'inscrire dans le temps : ce n'est pas « la mer avec le soleil », c'est la mer allée avec le soleil. 2. Ensuite, dire l'éternité ce n'est pas nier le temps c'est le redéfinir sous une autre détermination, c'est substituer à l'idée de temps fugitif, la permanence qui dans ce poème semble être associée à une permanence de l'instant. Mais il s'agit encore de temps.

Si cette discussion me semble emblématique du travail que nous entreprenons ici, c'est pour trois raisons

1. Emblématique d'abord d'une ambition plus ou moins démesurée, voire d'un « délire » pour reprendre les termes de Rimbaud :
Car entre l'intuition fulgurante d'une abolition littéraire du temps, intuition dont témoigne Rimbaud et dont tout un chacun peut faire l'expérience et la maîtrise du corpus non seulement littéraire mais aussi philosophique que suppose la compréhension de cette intuition, il y a un abîme. Nous n'avons pas la prétention d'avoir comblé cet abîme qui mène de l'intuition à la conceptualisation Nous n'inaugurons pas ce séminaire comme l'exposé de résultats mais comme la tentative d'élaborer progressivement une intuition quitte d'ailleurs à en constater l'impertinence Ce que nous inaugurons donc ici c'est un programme de recherche et de lectures qui prendra évidemment du temps et notre position est tout sauf une position d'autorité. Peut-être serait-elle plus proche à vrai dire de celle de Rimbaud écrivant l'Eternité s'il faut en croire le commentaire qu'il fait à ce poème dans Une Saison en enfer : « de joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible ».

Cela posée, quelle est donc la question, peut-être bien bouffonne, que nous avons été d'accord pour tirer de notre discussion sur Rimbaud et sur quelques autres
?

2. La question que nous avons tirée de cette expression poétique du temps (et de quelques autres représentations littéraires du temps que nous avions en mémoire) est la suivante : la littérature a les moyens, par le travail de la métaphore comme par le travail de la fiction, de proposer une image du temps qui ne correspond pas à notre intuition du temps comme écoulement linéaire et irréversible. Dès lors, est-il encore pertinent de penser les textes littéraires, du moins certains textes littéraire, dans le cadre d'une conception du temps qu'ils remettent précisément en question : d'où la question centrale de ce séminaire :
Si la littérature figure ou tente de figurer un autre temps voire un non-temps, est-il pertinent de la lire ou de la penser selon des modes qui redéfinissent ou rendent caduques les catégories temporelles ?

3. A cette question, comme on l'a compris, nous n'envisageons pas de répondre exactement la même manière : sortir du temps peut en effet signifier le définir autrement ou l'annuler

• La position d'Henri est qu'il s'agit évidemment de redéfinir le temps à partir de la représentation qu'en offrent les textes littéraires. La définition du temps comme un flux continu, unique, linéaire et irréversible n'est pas adéquate pour penser le temps des œuvres littéraires. • Ma position est à a fois beaucoup plus utopique et beaucoup plus naïve Il s'agit non pas tant de redéfinir le temps que de s'en passer, de fonder une pensée de la littérature qui fasse l'économie du temps et de chercher dans les textes littéraires les traces de ces modèles achroniques Il est fort probable qu'il s'agisse en effet d'une naïve utopie car ce que j'appelle le hors-temps pourrait bien n'être qu'une redéfinition du temps Mais j'essaierai toutefois tout à l'heure de dire pourquoi il me semble important de maintenir pour l'instant cette horizon utopique et naïf quitte à y renoncer par la suite.

Nous allons donc pour commencer exposer les deux branches de nos interrogations : Henri Garric proposera d'abord de "révolutionner l'histoire littéraire" : <b> http://www.fabula.org/atelier.php?R%26eacute%3Bvolutionner_l%27histoire_litt%26eacute%3Braire_par_Henri_Garric
Sophie Rabau fera ensuite « quelques propositions pour l'achronie »http://www.fabula.org/atelier.php?Propositions_pour_l%27achronie_par_S%2E_Rabau


Sophie Rabau

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Dernière mise à jour de cette page le 17 Mai 2006 à 20h08.