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Le silence du texte (II). Voix à la théorie, par Cyril Le Meur.
Ce texte fait suite à l'article intitulé «Le silence du texte – La fondation du langage adressé» paru dans Poétique n°165, février 2011.




LE SILENCE DU TEXTE – II
Voix à la théorie


«Aujourd'hui, s'il y a une ambition à formuler pour la théorie, c'est donc une ambition politique, c'est-à-dire la formulation d'un projet de vie dans la cité – la cité globale – avec la littérature. Tout choix critique implique un engagement existentiel. La théorie est la conscience de cet engagement.»
Antoine Compagnon, 1999.

«Encore une fois, il n'importe: un beau Parler bien récité, même sans aventures dessous, vaut certes un repas de fête solennelle.»
Victor Segalen, Les Immémoriaux.


Introduction.


Nous rendons compte, sous l'intitulé de «silence du texte», d'un phénomène aperçu de loin en loin dans la littérature:


certaines ressources du langage situées ailleurs que dans l'expression exercent une action sur le lecteur individuel ou collectif. Bien qu'inexprimées, ces ressources appartiennent au langage.


Paradoxale, cette proposition ne l'est évidemment que pour le texte; à l'égard de la parole, on connaît depuis les débuts du langage les pouvoirs de l'actio. Tous les cours de communication promeuvent aujourd'hui le non-verbal, le costume, la posture, la gestuelle et le regard. On rejoint là une rhétorique martiale de la persuasion, qu'elle soit judiciaire, politique ou aujourd'hui professionnelle et commerciale. Il s'agit là d'un appareillage purement pratique, qui a autant à voir avec le langage qu'avec le combat à mains nues. L'autre tradition rhétorique, celle d'un ars bene dicendi, nous rapproche de notre propos, à condition d'envisager dans le «bien dire» la possibilité d'agir sur des consciences et de faire événement. Faire événement à travers son verbe est un phénomène d'une complexité remarquable dont on distingue facilement deux sources: l'énonciation et l'énoncé. Il n'y pas lieu de distinguer l'un et l'autre, mais de les confondre, pour comprendre comment une prise de parole peut vous prendre à tout votre être et changer la perspective de votre vie. Enonciation et énoncé sont deux dimensions du poème comme impact; il y manque la troisième, qui transforme une information en événement, et la communication en révélation: le «silence du texte».

Ce que nous appelons «texte» est oral aussi bien qu'écrit: que ce soit récité ou improvisé, ce qui sort de la bouche de l'orateur est toujours un texte. Quant au texte écrit, il est silencieux par nature, et le pacte graphique spécifie tout ce que l'on doit entendre à travers les sensations visuelles qu'il suscite. Le pacte graphique va au-delà du propos, et même au-delà du langage. Nous y reviendrons. Ce que nous appelons «silence» doit être déterminé de manière simple et rigoureuse. Tout le matériel non-verbal ou préverbal (onomatopées, ponctuation, typographie, iconicité) est textuel à tous égard, et doit être analysé dans sa dimension silencieuse au même titre que la chaîne verbale. Autres sont l'implicite, le sous-jacent, le structural, l'archétypal et toutes les figures in absentia, qui sont des ressorts à la fois manifestes et inexprimés: ils forment notoirement le silence du texte; mais il faut en exclure ce qu'on pourrait appeler l'allusif endogène, qui fait fond sur une référence interne à l'œuvre, interne au monde de l'auteur, voire interne au champ intertextuel le plus large qu'on voudra. Ces allusions fonctionnent comme des private jokes et sont de l'ordre de l'enquête, de l'exploration, d'un jeu de piste parfois complexe et très excitant à jouer. Elles valorisent généralement la culture livresque du lecteur, mais aussi bien (dans le cas de références plus mondaines) son insertion dans tel ou tel milieu; à ce titre elles sont éminemment sociales et même communautaires. Elles peuvent engendrer un arrière-texte structuré aux dimensions impressionnantes, et proprement révélatoires, comme dans La Disparition de Georges Perec. Pour autant, à partir du moment où le champ référentiel est explicite (tout particulièrement dans le dialogisme intertextuel) il ne peut être question de silence, puisque se met en place une conversation textuelle entre l'auteur qui fait la proposition, le bruit de fond culturel et le lecteur compétent qui répond à l'auteur en lui supposant de nouvelles intentions de mise à l'épreuve. Dans le meilleur des cas nous avons Proust, bien connu pour tendre la perche aux lecteurs cultivés, mais dans les pires nous avons très souvent (c'est une maladie contemporaine) du bavardage autonymique et de la parade.

Le «silence du texte», n'a aucun caractère d'allusion, car il fait fond, non sur des références identifiables, mais encore sur du silence. S'il recoupe généralement les observations de la tradition rhétorique, il prend sa source dans l'anthropologie historique: la littérature, avec d'autres discours de souveraineté comme le droit, témoigne des antiques puissances du langage. Ses pouvoirs d'évocation viennent de loin, ils agissent dans le texte comme béance, amplification et résonance.

Notre «silence», on le voit, est métaphorique et flou à souhait. On pourrait y reconnaître de l'archétype ou de la structure, mais en ces matières vives il vaut mieux ne pas lancer trop tôt ses universaux comme des filets sur des poissons, car il y a bien des espèces de poissons, et même, un crocodile pourrait déchirer des mailles. Le «silence du texte» n'est pas un concept, c'est une commodité de travail. Dans un précédent article[1] nous avions mis notre «silence» à l'épreuve de quelques énoncés et situations d'énonciation très différents (un roman de 2008, Pascal Quignard, plusieurs juristes, Pierre Guyotat, l'article 1329 du code civil, Torquato Accetto…). Varier et allonger le corpus est essentiel, car trop souvent, dans la théorie, les corpus sont des animaux excessivement dociles et prévisibles. Pour pallier cet inconvénient on se propose de considérer la littérature dans sa véritable extension historique[2], puis dans sa diversité ethnologique et culturelle, enfin dans la profusion de ses formes d'apparition. L'inscription, la parabole, l'aphorisme, la poésie formulaire ou moderne sont plus favorable à des propositions qui privilégient la syncope et la parataxe, c'est bien évident, car, dans la fiction narrative, l'effet du continu et l'excitation de la fable dissimulent ou atténuent le relief.

Nous aboutissions à une visée anthropologique: le silence du texte, c'est la résurgence dans le texte du silence massif de tout ce qui n'a pas parlé dans l'histoire de l'humanité – tout ce qui a parlé ayant été objectivé d'une manière ou d'une autre, n'a pas besoin de faire retour; nous autorisant de Georges Bataille, nous avions choisi d'emblématiser à cet égard le «silence des esclaves», la reproduction concrète de l'humanité pendant des milliers d'années, qui nous constitue plus sûrement que les harangues, les lois, les épigrammes et les récits de guerre. D'où ces maximes:


1) nous sommes le silence de toutes les choses tues;

2) ce silence est l'instance de notre appartenance à l'humanité;

3) la littérature est le mode privilégié de reviviscence de ce silence dans chaque lecteur et dans la société;

4) ce silence est inscrit dans le texte (et dans l'actio, et dans toute gestalt), il est donc accessible à l'analyse.


Parmi les déterminations silencieuses du texte, certaines sont connues, délimitées, ou du moins en travaux :


1) Déterminations primitives: on présuppose que les systèmes de signification antérieurs au langage verbal continuent d'informer la parole et l'écriture, et que: «en traitant de l'écriture il est nécessaire de garder présentes à l'esprit presque toutes manifestations de la vie sociale. Il est évident que l'écriture est un fait de civilisations développées… Mais il serait abusif de conclure de l'absence de l'écriture dans certaines civilisations à un dénuement total de moyens de répondre à certains des besoins que satisfait l'écriture.»[3]

2) Déterminations antérieures: biographie, psyché et idiosyncrasie de l'auteur, arrière-texte, position socio-historique, vision du monde, innutrition, états antérieurs du texte, genres constitués, horizon d'attente, intertextualité…[4]

3) Déterminations contemporaines: toutes les circonstances de l'acte d'écriture. Les contraintes internes d'engendrement du texte. Le «narrataire». La lecture, par l'auteur, de ce qu'il écrit dans le moment de l'écriture (aperçue par Novalis)…

4) Déterminations postérieures: lecture, interprétation, réception, reprise (ou inauguration d'une «série»), influence, fortune, postérité, exploration et déploiement des «possibles» littéraires…

5) Surdéterminations:

- Organisation de la pensée humaine;
- Structures du langage;
- Structures sociales et conventionnelles de la pratique du langage.


Dans l'œuvre elle-même, et non dans ce qui la détermine, il serait intéressant de reconnaître une rhétorique du silence. Les topoï sont des figures silencieuses du sens, ils sont au cœur de tout notre propos et engagent bien davantage que des problèmes rhétoriques ou linguistiques. Le colloque de la Sorbonne sur «l'allusion dans la littérature»[5] a montré comment cette figure s'organise sur un fonds de représentations communes, et confère au texte une épaisseur qui va au-delà de l'intertextualité. Antoine Compagnon note que, même «perdue» (performativement malheureuse), une allusion «reste une bizarrerie et laisse une cicatrice (…) cela a tout l'air d'un signal, sans qu'on sache au juste de quoi[6]» : le quid de ce signal sans référence, voilà précisément notre objet.

Plus proches encore des œuvres, l'éloquence des personnages mutiques, la crypsie des personnages prudents[7], l'euphémisation, la réticence, l'amplification sonore du monde matériel venant dominer les discours humains, voire l'amuïssement total de la diégèse (comme c'est le cas dans Le cottage Landor de Poe)… ont en commun de se poser en concurrence du discours, d'élever une manière de contestation du logos, d'introduire de la dissension dans le monde du verbe. Nous voulons essayer de comprendre ce que nous disent ces figures, ce dont elles témoignent, et de quel plancher elles sont l'archipel. On y accèdera par la face verticale, substantive et paratactique de la littérature (et de tous les langages de souveraineté). Il ne s'agit pas de dire que la littérature soit intégralement «verticale, substantive et paratactique», ce qui n'a pas de sens, mais qu'elle se présente comme littérature dans ces dimensions-là.

L'étape de la lecture est capitale dans la problématique du silence du texte. C'est en effet dans le processus d'assimilation d'un texte par un lecteur, et indirectement par la communauté, que les propriétés «silencieuses» du texte vont germiner pour agencer ou affermir les «institutions mentales» de notre rapport au monde. C'est à notre sens la fonction première et constante de la littérature que de créer des «institutions mentales», modules de réaction aux stimuli du monde à travers lesquels nous accédons à notre personne socialement souveraine. Notre personnalité s'élabore dans ce va-et-vient externe/interne d'une participation attentive (inquiète) aux formules du groupe, d'une appropriation de ces formules, du travail en nous de ces formules, jusqu'à leur remise en jeu dans le groupe, etc. Bien entendu, c'est globalement la vie sociale immanente qui contribue à cet «apprentissage de l'humanité» (Guy Besse):

la littérature ne s'identifie comme fonction qu'au moment où la société s'assigne explicitement cet apprentissage[8].

L'écrivain est mandé à faire une proposition quand une nouvelle «institution mentale» est réclamée (ou un renforcement de, ou un avenant à une institution déjà existante). En faisant cette proposition, il rejoue la scène liminaire de l'acte littéraire millénaire. Rejouer, c'est remettre en jeu: chaque proposition nouvelle peut amender ce que nous appelons «littérature», au point de la faire tendanciellement disparaître de la scène sociale. La puissance élective du monde de l'édition, instituant «littéraire» telle proposition et rejetant telle autre, est une partie importante du problème, tout comme la force normative des institutions de la réception (Education nationale, réseaux de diffusion, vie littéraire…), ou les tentations anomiques de nouvelles pratiques théoriques à la frontière du commentaire et de la création.

Pour ôter de notre «silence» un peu de son caractère métaphorique, nous avions avancé deux néologismes, qui valent ce qu'ils valent, mais qui, sans aucun doute, disent bien ce qu'ils disent: l'indit et l'inécrit: silence de la parole et silence du texte. Le silence de la parole n'est pas l'actio, car il agit aussi bien dans l'actio que dans la parole. Le silence n'est pas silence de l'action, il est le silence dans l'action silencieuse. Même chose pour le texte (silence dans la syntaxe, dans la typographie, dans l'intransitivité, dans le substantif insulaire…) Nous retrouvions-là Pascal Quignard, inlassable découvreur d'une «fascination en amont de tout sens» dans toutes les œuvres de beauté -, fascination pour lui beaucoup plus vaste que l'inconscient. De nombreux exemples seront à explorer pour en jalonner les contours; il faudra dépouiller notamment les textes narratifs de leur fausse apparence de feuilleton, et même, de leur suspecte fluminance[9]. Mais ce que nous voudrions comprendre ici, c'est d'abord la nature linguistique de cet «en amont de tout sens»… car pour être inexprimé, cet amont ne se conçoit qu'en relation avec un aval, celui du langage adressé.


I/ Le pouvoir des mots.


Attachons-nous d'abord à la théorie la plus élémentaire, celle du stimulus/réponse. Le comportementalisme traite la conscience du sujet comme une «boîte noire» et ne veut rien prendre en compte en dehors des stimuli du monde extérieur et des réponses observables dans le comportement des individus. Face à un antihumanisme aussi assumé, nous nous focalisons spontanément sur la boîte noire, et notre curiosité s'attache à l'écart significatif supposé entre le stimulus et la réponse. Dans cette boîte noire, l'on voit se ramifier silencieusement les chaînes symboliques engendrées dans le stimulus et avidement portées vers la réponse; mais si une question de concours de l'académie de Dijon lue dans le journal alors qu'on marche dans la chaleur d'une journée d'Eté pour aller visiter Diderot dans sa prison, allume en Rousseau tout le combustible révolutionnaire accumulé depuis l'enfance… n'est-il pas notoire que, dans le stimulus, la réponse était déjà largement dessinée? Quelque part, dans le monde, dans la société, s'ouvre un espace de possibles; une signification advient et l'occupe. La «boîte noire» semble largement déborder le cerveau du poète. Si la pensée humaine se déduit de la capacité à instituer des symboles, elle a donc obligatoirement son siège à l'extérieur de nos boîtes crâniennes, car les symboles s'instituent entre les hommes[10]. Si l'on conçoit la signification comme «devenir-immotivé du symbole»[11] dans son mouvement de répercussion indéfinie des différences distinctives jusqu'aux frontières du système des signes, on parle sans doute d'une signification littéraire; en effet, la «réussite» globale du langage ordinaire implique que la «signification» ait fini par être «arrêtée» par une convention pragmatique de l'interlocution, ce qui n'est pas absolument requis en littérature[12]. Dans cette perspective, l'acte littéraire (comme médiation entre un espace de possibles et des possibilités de réception) s'envisage dans l'espace total de ses répercussions, et la «boîte noire» que nous voulons explorer a théoriquement les dimensions du monde. Il reste que tout stimulus aboutit dans un cerveau, et que toute réponse en est issue. C'est tout, et ce n'est rien.

La tradition philosophique nous offre mainte description du contenu de la boîte noire. Après les behavioristes, écoutons les penseurs qui, au début du XXe siècle, ont voulu s'assurer que ce qu'on dit est vrai, et que ce qu'on se dit est compris «au-delà de tout doute raisonnable[13]». «La logique prend soin d'elle-même», aimait à dire Wittgenstein, et nous aimons à penser que ces auteurs (Frege, Russel, Carnap…) qui nous sont inaccessibles quand ils manipulent leurs symboles, prennent soin eux-mêmes de leur logique. Nous les rejoindrons là où nos routes se croisent, et n'irons pas mêler la littérature à des travaux qui l'excluent à bon droit. Dans le premier chapitre de Signification et vérité[14], intitulé «Qu'est-ce qu'un mot», Bertrand Russel observe que, dans les temps les plus reculés, le mot était investi de pouvoirs magiques, et c'est à titre de postulat méthodologique qu'il prévient: «Pour arriver à comprendre le langage, il nous faut le dépouiller de ses attributs mystiques et terroristes.» Ces mots durs à l'égard des puissances du langage peuvent s'expliquer par le pacifisme de Russel, par son rationalisme, et par une aspiration à la transparence des relations entre les hommes. Ils ne peuvent guère être dérivés de ses recherches en logique.

Ce que Russel condamne dans le «mot», c'est l'antéprédicatif, non l'atome logique. Les «mots-objets» qu'il définit ne supposent pas, en effet, une relation intersubjective: ils sont rivés à leur référent, muets, murés dans le monde. Dans les Immémoriaux, Victor Segalen montre à quoi ressemblait une civilisation du «mot», monde performatif du tabou et du sortilège. La nature et les corps sont charnels et puissants, il en sort des souffles et des paroles. Le silence intercalé entre souffles et paroles est signalé dans le texte, comme une entrée dans une symphonie. Les Tahitiens donnent les mots en garde à des spécialistes: «C'est mauvais signe – dit l'un d'eux - lorsque les mots se refusent aux hommes que les dieux ont désignés pour être les gardiens des mots!» Voici un exemple de cette défection, saisi dans une fête des récoltes, au moment des «beaux parlers». Térii, devant la foule, récite les généalogies, il s'y prend bien, la foule parle dans sa parole, ondule dans sa modulation, quand soudain:

«Un silence énorme écrasa brusquement le murmure des écouteurs surpris: le récitant avait changé les noms! … Le vide persistait à l'entour. On ne suivait plus, des lèvres, le parleur égaré … De proche en proche le silence gagnait, étouffant les innombrables bruissements dont pétillait l'enceinte. Il semblait qu'un grand filet de palmes se fût abattu sur les clameurs des hommes… Le nom s'obstina dans sa gorge…Alors, dans l'abîme de silence, soudain frémit, roula, creva le torrent tumultueux des injures, des cris, des imprécations outrageantes qu'on hurlait dans tous les langages…»[15]

Le péril est réel. Un vieux récitant tahitien dit à son peuple en voie de colonisation: «Quand les bêtes changent leurs voix, c'est qu'elles vont mourir… Vous avez perdu les mots qui vous armaient et faisaient la force de vos races…»[16]

Les «attributs mystiques et terroristes» qu'on vient de voir à l'œuvre dans Segalen, s'exercent aussi sur les signes écrits. Marcel Cohen note ainsi: «Dans certaines recettes magiques, les mots agissent par le fait que l'encre qui a servi à les écrire est lavée et que l'eau qui en est additionnée sert elle-même à une opération.»[17] Ces évocations semblent bien éloignées d'une «raison communicationnelle» informant un «espace public» à l'occidentale; mais l'Occident a sur ce point la même histoire que le reste de l'humanité, et il serait insensé de penser que nous en sommes quittes: les expériences sont innombrables, chez nous, maintenant, de ces chocs entre des mots tenus pour inertes et des consciences qui les tiennent pour des actes[18]. Plutôt que d'exclure une part de l'expérience humaine d'une rationalité universelle, ne convient-il pas de l'y intégrer – tous les homo sapiens étant rationnels – en élargissant l'espace de l'intelligibilité? La littérature, comme modalité singulière de la représentation et de la connaissance, est concernée au premier chef par cette nécessité. Wittgenstein, qui était en dialogue étroit avec Russel, nous prévient inlassablement contre la séduction des mots: «La philosophie, selon notre utilisation du mot, est un combat contre la fascination que des formes d'expression exercent sur nous» -, et contre une sorte d'illusion métaphysique[19]: «… n'oublions pas qu'un mot n'a pas un sens qui lui soit donné pour ainsi dire par une puissance indépendante de nous… un mot a le sens que quelqu'un lui a donné… le langage ordinaire va très bien.[20]»

S'il allait si bien, le langage ordinaire, Wittgenstein relèverait-il un peu plus loin :

«Notre langage ordinaire, qui de toutes les notations possibles est celle qui imprègne notre vie tout entière, maintient pour ainsi dire fermement notre esprit dans une seule position et dans cette position l'esprit se sent parfois pris par une crampe, et désire alors adopter aussi d'autres positions. Ainsi souhaitons-nous parfois une notation qui mette plus fortement l'accent sur une différence et la rende plus évidente que ne le fait le langage ordinaire, ou bien une notation qui dans un cas particulier utilise des formes d'expression qui se ressemblent plus étroitement que celles de notre langage ordinaire. Notre crampe mentale est dénouée quand on nous montre les notations qui satisfont ces besoins. Ces besoins peuvent être extrêmement divers.»[21]

C'est par le biais d'une «crampe» qu'est introduite la fameuse théorie des «jeux de langage», un symptôme qui ressemble fort à l'uneasiness lockienne: on ne risque aucun malentendu avec le langage ordinaire, on y vit très bien, il pourvoit à tout, sauf à cette compulsion trop humaine que les Grecs appelaient l'hubris, l'Église le diable, Marx la révolution, et Poe le «démon de la perversité». Le langage ordinaire, s'il n'épuise pas l'expérience humaine, ne va donc pas si bien, et c'est en empruntant d'autres «grammaires» des mots que les hommes retrouvent une aisance sémiologique (combien passagère). Il s'agit finalement d'un lieu commun de la philosophie morale, que Wittgenstein transforme en problème de langage ; en cela il part de l'inquiétude de Chrysippe devant l'amphibologie (la philosophie étant asservie au langage, les défauts du langage menacent la philosophie[22]), et finit par postuler l'autonomie des diverses grammaires: la logique prend soin d'elle-même, le langage ordinaire va bien, le solipsiste est très conséquent avec son propre langage, etc. Mais alors, la littérature, quelle sorte de «crampe» soulage-t-elle? Et quelle sorte de soulagement apporte-t-elle à ce manque d'aise[23]? Avant d'aborder ces questions, revenons au mot, qui a donc une «grammaire» (un régime d'usage), et dont les valences dépendent du «jeu de langage» dans lequel il est utilisé.

Selon Russel, c'est d'abord l'usage démonstratif (« il y a x»), puis l'usage impératif («sachez qu'il y a x»), qui introduisent les mots dans le monde proprement humain. Sont déjà supposés l'enchaînement, l'ordre syntagmatique, la syntaxe, la linéarité. Dans le langage de deuxième niveau (construit par les mots logiques) on entre dans le domaine analytique où les énoncés sont vrais ou faux, et où des conditions formelles garantissent la vérité «au-delà de tout doute raisonnable.» La littérature est-elle soumise à ces conditions formelles? Question difficile qu'on doit se garder de trancher trop vite: comme discours de souveraineté la littérature ne peut totalement s'exonérer de règles attachées au fonctionnement de l'esprit humain. On voit jouer, dans Alice au pays des merveilles, les innombrables reflets, scintillements, éblouissements qui résultent du contact entre le langage ordinaire, son inscription dans une certaine iconicité[24], et la logique formelle: s'il y a effet, c'est qu'il y a reconnaissance entre les deux grammaires. A considérer la grammaire de chaque langue comme un encodage des termes de l'expérience des peuples définissant la recevabilité des énoncés, on constate que la littérature s'en émancipe fort bien; grammaticale ou pas, la littérature est bien reçue, sinon comprise. Elle figure donc indubitablement une autre forme d'intelligibilité, à partir du moment, il est vrai, où le champ social l'en a autorisée[25].

Plusieurs auteurs n'ont pas hésité à situer la littérature au-delà de la grammaire. Pour Henri Meschonnic la syntaxe importe peu, le sens même importe peu, puisque ce qui passe dans le poème, ce n'est le signifié en aucun cas, mais le mouvement de la parole, pas le récit, mais le «récitatif»… Comme poéticien il demande au langage de nous faire entendre ce que le règne du sens nous empêche d'entendre. Et comme poète, il «amasse l'absence des mots»:

«… oui
c'est moi
qui manque aux mots
non les mots qui me manquent j'ai
dû dormir quand il ne
fallait pas je n'étais pas
présent quand on leur a fait
dire ce que je ne voulais pas
depuis je travaille pour le silence
j'amasse l'absence des mots
je laisse une place vide dans
tout ce qui est dit c'est la
place du mot à dire pour que
la mer s'arrête
les pierres montent
je suis le vide
de ce mot.»[26]


II/ La matière du langage.


L'au-delà de la grammaire est-il un au-delà de la langue? La linguistique, la philosophie, la théorie littéraire ont donné de nombreuses descriptions de ce qui se passe entre le référent et le signe, et dans le signe entre le signifié et le signifiant. Gérard Genette a brocardé le désir de consubstantialité du mot et de la chose afin de sauvegarder l'idéalité du signifiant linguistique[27]. Jacques Derrida a dénoncé le règne («logocentrique») du signifié et plaidé pour le signifiant, lequel avance sans autre origine que la «différance» modulée à chaque jet[28]. On vient de voir que Meschonnic donne tout, lui aussi, au signifiant, vecteur du corps et de l'histoire, par delà le règne du sens. Ne parlons pas de Lacan ni de Kristeva. Notre sentiment est que ces propositions – que nous ne rapprochons que sur ce point précis – appartiennent à un moment, le moment négatif de la critique du rationalisme «logocentrique» occidental, poussé jusqu'à la contestation du signifié. On pourrait presque parler d'un emballement, d'un micro-tourbillon sociétal. Bien entendu, un discours de scepticisme sur le signifié s'expose à l'épreuve de l'auto-réfutation, étant lui-même aussi un signifié. Ce qui nous apparaît beaucoup plus convaincant aujourd'hui, c'est l'impossibilité pratique et théorique d'un signifiant échappant entièrement à l'opération mentale qui le déclenche, ou au monde matériel où le signe est enraciné par ses deux faces.

L'histoire des «lettres» (littera – litterae – litteratura) est tressée dans l'histoire des images, à travers une iconicité d'ampleur souvent inaperçue. La participation de l'image au texte est aussi ancienne que le langage, elle en est une modalité. Erasme, qui parsème le manuscrit de l'Eloge de la folie de pictogrammes, parfois reliés au paragraphe par une sorte de pétiole, ne fait pas une illustration du texte[29]: ses figures font partie de son dire, elles sont une modalité de son écriture, modalité perdue au stade de l'impression. L'amoureux qui écrit avec son sang, ou qui arrose de larmes son billet, fait un peu la même chose: il y a une seule et même écriture, avec des procédés annexes de redondance ou de ponctuation. En cela les figurines d'Erasme ne doivent pas être confondues avec les dessins marginaux d'Holbein qui figureront dans l'œuvre imprimée, et qui n'ont eux qu'une valeur illustrative. L'iconicité (et toutes les marques indicielles) est surmotivation, désir excessif de dire le réel, soit que le réel à exprimer est lui-même excessif (les larmes sur la lettre), soit qu'un «retour du refoulé» de la motivation réintroduit dans le signe linguistique l'imaginaire matériel[30].

Le postulat de l'arbitraire ou de l'immotivation du signe nous dérange[31], car il suppose, dans l'anthropologie historique, un saut qualitatif difficile à concevoir. L'homme ne vient pas de l'espace, il descend de primates chez qui tout est motivé: il aura fallu que le signe linguistique (arbitraire) parvienne d'une manière ou d'une autre dans le cerveau de l'homo sapiens. Est-il arrivé tout armé, comme Athéna, ou a-t-il construit son arbitrarité? S'il l'a construite, c'est d'une part dans le temps, d'autre part en transformant du donné. On dit le signe arbitraire car conventionnel: essayons d'imaginer comment, dans la préhistoire de la langue, le conventionnel est devenu arbitraire, comment telle émission sonore a valu pour signifiante, en même temps que tel élément de signification a fini par être arrêté sur la surface d'un phonème. La convention est par excellence une rencontre réelle entre des hommes, elle engage des motivations et des intérêts réels, sur des objets réels, on se met d'accord sur quelque chose: comment tout cela devient-il arbitraire? Grâce à l'inimaginable profondeur de l'expérience préhistorique. Croit-on que plusieurs millions d'années n'ont apporté que le feu et la pierre polie? Dans des groupes de chasseurs-cueilleurs, l'invention suprême, l'outil des outils, c'est la coopération. On s'est mis d'accord sur un objectif, on a apporté ses moyens, et on a coopéré. Ce qui a été apporté dans la convention a peu à peu été oublié, et seule la forme conventionnelle (la clôture Sa/Sé) a subsisté[32]. Le langage fonctionnerait arbitrairement, mais serait intégralement motivé. N'est-ce pas ce qui se passe dans le pacte social, qui commence par des patrimoines, des intérêts et des protections, et qui finit par le lien civil abstrait? Saussure, finalement, fait sur la langue ce que Rousseau a fait sur le vivre-ensemble. On a oublié le trésor d'expérience historique qui fut engagé dans la convention linguistique, et cet oubli fonde l'infinie productivité du langage humain, puisque le signe a été détaché du singulier contingent; mais cet oubli – ce silence – est toujours là dans les cerveaux humains, il travaille toutes les significations, il se fait jour dans les discours de souveraineté (droit, religion, littérature…) qui utilisent les puissances du langage. Saussure a dit de manière excellente: «Ce qui domine dans toute altération, c'est la persistance de la matière ancienne.[33]»

Voilà comment l'on peut expliquer que le signe «train» de mon voisin cheminot n'est pas le même que le mien au moment de lire La prose du transsibérien. Il ne le prononcera pas, il ne l'écrira pas comme moi, car son corps obéira alors à des impulsions différentes des miennes: il existe des filières scientifiques, techniques, politiques, poétiques… de cheminement du sens. L'histoire sémantico-phonétique du mot «train» commence dans les cavernes, où l'on peut voir des attelages et des processions d'animaux; elle emprunte la route des caravanes et des équipages de la route de la soie (le «train» des rois mages de la chanson), se poursuit avec Zola, l'Orient-Express, la Déportation, ou la Modification de Butor. N'est-on pas ici dans l'espace propre de la littérature: la dispersion du sens, analogue à celle de la lumière, dans un spectre de résonances subjectives? Ainsi, nous pensons comme John R. Searle que: «L'unité de communication linguistique n'est pas (…) le symbole, le mot ou la phrase (…), mais bien la production ou l'émission du symbole, du mot, ou de la phrase au moment où se réalise l'acte de langage.[34]» Nous pensons que le signifiant linguistique est motivé de manière significative. Nous contestons entièrement l'idée de «linéarité du signifiant linguistique». En référence oppositive à la philosophie du langage ordinaire, nous avons la conviction que la littérature existe, et que son mode d'existence est d'être un langage extraordinaire, où se manifestent les propriétés les plus essentielles du langage comme capacité propre de l'espèce Homo Sapiens. A travers notre expérience littéraire, il nous apparaît que ces propriétés sont silencieuses, ou du moins que le régime de littérarité engendre de plus grands espaces pour le déploiement de ce silence que le langage ordinaire. Nous pensons que cette capacité du régime de littérarité résulte de sa fonction, qui est de créer les institutions mentales où se déploie notre humanité intégrale.

Il est temps de vérifier dans un texte littéraire, plus précisément dans un texte de fiction narrative (un roman) les hypothèses que nous avons voulu approcher d'abord par la théorie.

Dans Tout est illuminé (2002) Jonathan Safran Foer affiche un récit complexe à plusieurs voix et plusieurs époques parallèles. Le personnage principal nous apparaît par le biais d'une élocution bizarre (effet comparable à la voix de Benjy dans Le Bruit et la fureur de Faulkner); il s'y esquisse et s'y estompe à la fois, car au moment où sa voix nous permet de l'approcher, le bizarre de sa parole l'éloigne de nous. Il parle et écrit un peu comme les traducteurs automatiques produisent des notices techniques ou de l'argot mondialisé: «Je kiffe de disséminer tant de numéraire dans des boîtes de nuit célèbres d'Odessa. Les Lamborghini Countach sont excellentes, et de même les capuccinos. Beaucoup de filles veulent être charnelles avec moi dans beaucoup de bonnes configurations…» La modalité de transformation du langage courant en cet abominable charabia s'impose derechef comme un «figural[35]» de notre époque. Dans un chapitre intitulé «Le commencement du monde arrive souvent», nous pénétrons l'historicité du fil contemporain du récit à travers la vie d'un shtetl ukrainien à la fin du XVIIIe siècle. La langue y est plus maîtrisée, mais une tension stylistique demeure. Il est question d'un accident, une charrette au fond de la rivière, un sieur Trachim coincé dessous, les objets du chargement remontant un à un à la surface. Deux fillettes assistent à la scène. Le shtetl alerté se réunit et délibère, sur Trachim, sur ce qu'il faut faire, sur les formes de droit à appliquer à ce qu'il faut faire. Les identités des personnages sont superlatives («Shanda l'affligée», «le Rabbin Bien Considéré», «le hobereau fou Sofiowka N»…) Le texte prodigue des italiques, des majuscules, des parenthèses et des crochets, une partition musicale des entrées de voix… Dans le flux des paroles, les objets continuent à remonter du fond de la rivière, selon leur propre prosodie, substantive et paratactique, jusqu'à la remontée… d'un nouveau-né encore couvert de mucosités: le silence s'impose enfin sur le shtetl; le silence est dans le texte par plusieurs indices, par exemple l'abandon de l'exubérance typographique, un lexique du voile et de l'occultation («Le cheval au fond de la rivière, sous le linceul du ciel nocturne qui avait coulé, ferma ses yeux lourds.»); même une fourmi préhistorique prise dans l'ambre d'une bague, «cacha sa tête entre ses nombreuses pattes, honteuse.» La mort et la naissance, le ciel nocturne, la profondeur du temps: c'est la chambre d'échos où résonnent les basses continues de la narration, déjà elle-même stratifiée. Elles résonnent, ces basses continues, dans nos institutions mentales, concrétions de l'expérience millénaire de la mort, du ciel nocturne, etc. Shanda l'affligée avait deux fois évoqué l'évidence d'une femme dans cette rivière, aux côtés de Trachim; la première fois elle déclenche un torrent d'obscénités, la deuxième fois il ne lui est rien répondu: comme personnage, cette noyée hypothétique n'a rien produit de probant dans la scène au bord de l'eau, et pourtant elle continue, elle insiste dans le texte, son absence prend consistance, et le silence circonstanciel qui en émane va se résorber dans le silence essentiel du nourrisson terminal. La qualité particulière de ce silence n'avait été imaginée par personne avant l'auteur, et c'est en nous, à la manière d'une réminiscence, qu'il le fait advenir. Le jusqu'alors-inexprimé s'exprime ici dans l'inexprimé de l'expression littéraire. L'auteur, en augmentant le bruit des paroles vaines, et en dégageant l'espace dramatique pour la remontée silencieuse des objets, a véritablement mis en scène le spectre des résonances: ce qui part du texte vient nous toucher dans plusieurs dimensions de notre humanité.

Searle dit à propos de la langue: «Cela gêne certaines personnes lorsque j'affirme qu'il existe dans la langue des règles que nous découvrons, bien que, je le maintiens, nous les appliquions toujours.[36]» Qu'il invente le langage ou qu'il le découvre, admettons que le poète exprime quelque chose qui jusque-là était inexprimé. Mais c'est précisément parce qu'il découvre[37] dans le langage la tradition de l'expérience humaine, que le poète produit, non pas des infos pratiques, des actes d'achat, des gestes professionnels ou des excitations passagères, mais des institutions mentales. Si le poète inventait le langage, sur quel fond commun de nos consciences viendraient se répercuter ses significations inédites? Tout énoncé serait comme un objet industriel: radicalement nouveau, il ferait naître une curiosité sur ses fonctionnalités pratiques, non sur le sens radical de son apparition[38]. L'événement littéraire est plus complexe: l'inouï qu'il offre aux hommes est la divulgation de leur unanimité, de leur matérialité, de leur historicité. C'est pourquoi, pour en revenir à Searle, le poète qui découvre ou invente les ressources inouïes du langage n'en applique pas moins les bonnes «règles», puisque ce sont celles de sa propre humanité. Nous sommes tous les siècles, nous sommes tous les hommes, nous sommes avec les choses: c'est une véritable illumination. La puissance évocatoire de Rimbaud vient de là; sa poésie est toujours le déluge qui rafraîchit le monde:

«Aussitôt que l'idée du déluge se fut rassise,
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile d'araignée.
Oh! les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà.

Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, - et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale…»[39]

Nous sommes reliés à tout. Avec le Déluge tout recommence à neuf et à l'identique, on se revoit dans l'origine, dans le mobilier du monde matériel, où les fleurs «regardaient déjà». Enfant, en tournant les bras, on comprend «des coqs des clochers de partout», on les a tous en nous en faisant comme ils font. Bien sûr, c'est identique, alors cela déçoit à la longue, mais on peut tout relancer dans un nouveau poème. Rimbaud est ainsi le plus unanimiste des poètes, mais aussi le plus historien :

«Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit … j'ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance des remparts de Solyme; le culte de Marie, l'attendrissement sur le crucifié s'éveillent en moi parmi mille féeries profanes. – Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d'un mur rongé par le soleil. – Plus tard, reître, j'aurai bivaqué sous les nuits d'Allemagne…»[40]

La poésie de Rimbaud est récit des antécédents collectifs, mais aussi exposition foraine des substances du monde; anamnèse et hyperesthésie. On connaît assez la profusion rimbaldienne des objets naturels et industriels, et leur grammaire si neuve. Ce n'est pas un nouveau monde, c'est notre monde (il y insiste) qui nous apparaît sur le mode du nouveau. Le moderne de Rimbaud est le contraire de notre postmoderne en ce qu'il comprend toutes choses passées et présentes.

On admet peut-être mieux notre choix d'un terme flou comme «silence» (à peine déterminé sous les espèces de l'«indit» et de l'«inécrit») comme support de nos hypothèses. Comment conceptualiser ce qui renie le «concept», lui tourne le dos, et s'en va vers le démultiplié figural de la praxis historique? Pourquoi, dans la phrase (donnée plus haut) de la fourmi qui «cacha sa tête entre ses nombreuses pattes, honteuse», l'adjectif «nombreuses» me cause un surcroît de pression signifiante? Une fourmi n'a pas de «nombreuses» pattes, elle en a six, et dans l'hypothèse où elle se couvrirait la tête, ce serait sans doute avec les deux antérieures seulement. L'adjectif choisi n'est très pertinent ni sur un plan référentiel, ni sur un plan communicationnel; en revanche, il peut faire fond sur l'horreur archétypale des hommes pour les insectes (si bien représentée dans la littérature), dont une modalité majeure d'évocation est précisément le «nombreux». Que le «silence» entourant le «mot comme res[41]» puisse être rattaché ici à la théorie de Carl-Gustav Jung n'est pas essentiel; ailleurs, un verbe performatif, non encore répertorié comme tel, puisera son pouvoir dans une convention juridique antique et oubliée; avec John Robert Ross, une «embedded sentence» dissimulée dans la structure profonde de la sémantique narrative pourra colorer l'action décrite[42]; ailleurs encore, une simple préposition inoculera sa charge silencieuse en vertu d'une histoire syntaxique complexe découverte d'un coup par une disposition ingénieuse[43].

S'il faut en revenir aux maîtres, citons entièrement leurs définitions: Saussure définit la langue au moyen de plusieurs expressions, mais on semble n'en retenir qu'une: «système de signes», d'où l'on a dérivé toutes les «structures». Or, parmi d'autres formulations, Saussure définissait aussi la langue comme «dépôt des images acoustiques»[44]. Cela change un peu la donne. On imaginait une sorte de machine cybernétique, et nous voilà devant l'immémorial trésor de significations accumulées depuis les origines. Contrairement aux binary digits de la machine, les significations du «dépôt» pourront réintégrer des modalités d'organisation plus mouvantes et dialectiques, ainsi que des pouvoirs d'évocation illimités, à partir du moment où l'on aura réintroduit l'infini de la «parole» dans la clôture de la «langue». Nulle nostalgie romantique ici; nous parlons d'un «dépôt» localisable, descriptible, silencieux/résonnant dans la performance, absent/présent dans l'écriture. Il ne paraît pas être d'une nature plus linguistique qu'archétypale, plus mythique que sociale, plus naturelle que culturelle, et comme il ne sera pas de sitôt un objet scientifique, appelons-le donc «silence» en attendant.


Conclusion.


Nous l'avons dit, un texte asyntaxique est aussi bien reçu qu'un autre dans le champ littéraire. C'est un argument supplémentaire pour réserver au «mot comme res» – il est vrai mis en valeur, propulsé, érigé, par une sorte de syntaxe au moins sous-jacente – l'effet littéraire. Dire cela n'est pas nier les ressources tensionnelles du fil narratif, de la temporalité reconstituée, de l'entrecroisement des voix, de la respiration de la phrase… c'est évidemment la qualité de ce dispositif qui donnera son prix à l'événement, révélant d'un coup au lecteur – au plus intime du lecteur - la stratification du sens et le monde d'échos, de rémanences, de lignes de fuites qui le constituent. La notion de «style» se voit ici réintroduite, le style étant précisément identifié au dispositif d'activation des événements lexicaux[45]. C'est l'éternelle dialectique du continu et du discontinu: l'apparence continue des éléments linguistiques enchaînés, et la réalité discontinue de la saisie du sens, à tout niveau qu'on l'entendra. Tous les maîtres d'école savent qu'on lit par intégration progressive de blocs de texte, et non par égrènement visuel d'un chapelet de morphèmes. Le caractère de saisie discontinue s'accroît avec la compétence du lecteur (lecture rapide ou experte), mais aussi avec la nature du texte: elle culmine dans le poème par l'effet d'accrochage du «mot comme res», contribuant ici à un ralentissement de la lecture La résolution dialectique du ponctuel et du continu se fait dans la saisie littéraire sur fond du «dépôt» historique collectif, et non dans un mouvement auto-engendré des oppositions. En d'autres termes, nous parlons d'une dialectique cumulative, concrète, dont les termes (dans leur propre mouvement de négation et de dépassement) ont en mémoire toute l'histoire des mouvements antérieurs depuis l'origine.

Roman Jakobson faisait observer: «La linguistique s'intéresse au langage sous tous ses aspects – au langage en acte, au langage en évolution, au langage à l'état naissant, au langage en dissolution.»[46] La faculté de langage peut se dissoudre, comme tout organe peut se détruire: c'est l'aphasie. On touche là aux zones du cerveau, à la neurologie, à la matière. On est donc bien proche des grands secrets. Les différents types d'aphasies ne touchent pas les mêmes compétences. Dans son célèbre article Jakobson avait dérivé linguistiquement et même rhétoriquement les diagnostics de Broca et de Wernicke (Broca = trouble de la sélection = atteinte du pôle métaphorique = prédominance de la métonymie = prose / Wernicke = trouble de la combinaison = atteinte du pôle métonymique = prédominance de la métaphore = poésie). L'anthropologie clinique (Théorie de la Médiation[47]) a repris tout cela à nouveaux frais pour expliquer la rationalité humaine dans son ensemble. L'homme utilise le langage pour dire son expérience sensorielle du monde. Dans sa pratique du langage il doit utiliser la grammaire, qui l'isole immédiatement du monde parce qu'elle interpose, comme un écran, l'abstraction du signe. Médiée par l'abstraction du signe, l'expression devient systématiquement impropre. Dans une pulsion fusionnelle, l'homme ressaisit rhétoriquement le langage afin de re-susciter à tout prix sa scène perceptive. L'analyse du discours est donc toujours analyse d'une médiation du désir de produire le monde directement, par l'obligation sémiologique d'abstraire[48]. Comme «anthropologie clinique», la Théorie de la Médiation valide ses propositions dans les services de neurologie et de psychiatrie: la perte des compétences linguistiques est un objet plus scientifique que leur activation (compétence) ou leur mise en œuvre (performance), car on ne peut faire passer des IRM que dans un cadre diagnostique. Il serait ainsi difficile de faire bénéficier les études littéraires de la validation clinique, mais il y a là un horizon. La seule critique que nous adressons à cette théorie est de ne pas s'étonner de cette capacité d'abstraction qui spécifie l'esprit humain: par quel processus phylogénétique apparaît-elle dans notre espèce? Nous pensons qu'elle ne saute pas d'un coup dans les cerveaux préhistoriques, mais qu'elle y pénètre et s'y renforce par la répétition de faits concordants, d'expériences réussies, et par la validation progressive de la procédure de convention. L'arbitraire du signe n'est que l'oubli de sa motivation empirique initiale. Des indices de cette motivation réapparaissent dans les langues, dans les discours, et par apanage dans les poèmes. Alors la médiation change de valeur: elle devient réintroduction de toute l'expérience humaine dans l'expression ponctuelle, médiation de la parole par le silence des siècles. Le silence nous décolle du monde immédiatement présent pour introduire toute notre humanité dans sa représentation. On peut envisager de cette manière le mentir-vrai de Louis Aragon. Voici comment il l'expliquait, en donnant le secret de fabrication de la Semaine Sainte:

«Si minutieux qu'ait pu être le travail de l'auteur pour, à chaque étape, restituer l'atmosphère historique des lieux, il ne suffisait pas à y créer la vie, c'est-à-dire le roman. L'histoire linéaire, superficielle, ne suffit pas à donner la profondeur, qu'on appelle le roman. Il fallait ici inventer, créer, c'est-à-dire mentir. L'art du roman, c'est de savoir mentir.

Donner la profondeur. A Paris, au départ, j'avais essayé de le faire par un procédé qui ressemble à une sorte de stéréoscopie mentale au cours de la traversée de la capitale, en jouant avec les images contradictoires de Théodore Géricault, personnage double, à la fois simple mousquetaire du roi et peintre de génie.

Il s'agit ici d'une stéréoscopie particulière, romanesque, où l'on ne cherche pas à donner que la troisième dimension physique, la profondeur spatiale, mais aussi une autre sort de profondeur, mentale celle-là… Il s'agit donc d'une stéréoscopie dans l'espace et le temps, pour laquelle la physique n'a pas de nom à notre disposition.[49]»

Et voici pour la substance du mentir/vrai, le fond de la profondeur:

«IL FAUT PRENDRE GARDE aux rêves des hommes. D'eux naissent inventions et folies, crimes et grandes actions. Je n'ai point en vue ces rêves nocturnes qui surgissent des digestions individuelles, mais ces songeries éveillées qui s'emparent d'une génération, d'un monde. Pendant un siècle il y aura parfois un fonds commun de ces errements de l'esprit, plus longtemps même. Des peuples porteront en eux leurs épopées…[50]»

Aragon parle généralement d'une expérience humaine lisible historiquement; nous l'étendons hypothétiquement aux origines, mais le procédé est bien celui-ci: le «mentir» est accès à l'institution mentale qui nous relie aux rêves (à notre humanité); le «vrai» est la nécessité de réinvestir les «rêves» dans un récit, une exactitude historique, une temporalité saisissable, une vraisemblance, etc.

Nous voudrions finir avec Erich Auerbach, et voir grâce à lui comment se modifie, entre Homère et Virginia Woolf,«la représentation de la réalité dans la littérature occidentale»[51]. Le trajet qu'il analyse apparaît un peu chaotique, il offre des reculs, des récurrences, des sauts; mais globalement, par-delà le formalisme classique, on assiste à l'intégration progressive des forces historiques, sociales, et enfin mentales dans la mimésis. Le dernier chapitre est intéressant car il décrit les procédés modernes de récapitulation de la réalité et de l'histoire dans la conscience des personnages: «L'énorme roman de Joyce, œuvre encyclopédique, miroir de Dublin, de l'Irlande, miroir aussi de l'Europe et de ses millénaires, a pour cadre la journée extérieurement insignifiante d'un maître de collège et d'un courtier en publicité.»[52] On pourrait dire presque la même chose d'un chef-d'œuvre récent, Train de nuit pour Lisbonne, de Pascal Mercier, où le personnage de Gregorius, professeur de latin à Berne, mène une enquête sur Prado, une figure de l'histoire de Lisbonne, et finit par trouver le vertige des siècles dans un problème de philologie. A la bibliothèque de l'Université de Coimbra, au milieu de 300000 volumes, Gregorius prend conscience de son impuissance à retrouver l'hapax d'Homère: «Nous sommes des terrils d'oubli, avait écrit Prado quelque part. Et si maintenant une avalanche de pierrailles tombait sur lui et emportait avec elle les mots précieux? Il se prit la tête entre ses grandes mains et serra, comme s'il pouvait ainsi empêcher la disparition d'autres mots.[53]» N'est-il pas significatif de retrouver, traduite dans un auteur contemporain, de surcroît professeur de philosophie, la même terreur que nous avions observée chez les Tahitiens de Segalen? Mais revenons à Mimésis. C'est une intuition, elle n'est pas développée, mais elle contient en germe une part vivace de la théorie littéraire actuelle:

[A propos d'un récit de Grégoire de Tours, «Sichaire et Chramnesinde»]: «Sans aucun doute le rythme et l'atmosphère de la Bible, surtout des Evangiles, ne cessent-ils d'être présents à l'esprit de Grégoire et ont-ils contribué à former son style. Ce rythme et cette atmosphère libèrent des forces qui existent déjà virtuellement en Grégoire et en son époque. Car la langue parlée vernaculaire fait partout et indubitablement sentir sa présence dans cette œuvre; bien que le temps où on l'écrira soit encore lointain, c'est elle qui résonne en écho dans la conscience de Grégoire.[54]»

La résonance rétrospective de ce qui deviendra le français dans le latin pseudo-littéraire du vieux chroniqueur, cette influence de l'avenir sur le présent, est impossible à penser si l'on ne suppose pas une lecture tardive dans la boucle littéraire. Le spectre des résonances, le silence des siècles, la coprésence du monde dans la relation littéraire acquièrent ici une dimension projective que l'on n'a pas fini d'étudier.


Cyril Le Meur


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[1] «Le silence du texte – La fondation du langage adressé», Poétique, n°165, février 2011.

[2] Aristote: «Nous ne savons rien des prédécesseurs d'Homère; mais certainement il en a eu beaucoup.» L'expression verbale à finalité esthétique remonte à plusieurs dizaines de milliers d'années. Les graphèmes du paléolithique (-50000 ans) s'organisent en pictogrammes, idéogrammes et psychogrammes composant une grammaire émotive et conceptuelle, en quelque sorte une «écriture» entièrement résorbée dans sa fonction poétique. Cette «écriture» ne consent à «communiquer», «référer» et «prédiquer» qu'en organisant (en dualisant) tout l'univers à chaque symbole. Cf. L'Odyssée des premiers hommes en Europe, Emmanuel Anati, Paris, Fayard, 2007. Louis-Jean Calvet, Histoire de l'écriture, Paris, Plon, 1996.

[3] Marcel Cohen, La grande invention de l'écriture et son évolution, Paris, Imprimerie nationale, 1958, p.23.

[4] Les enquêtes sur ces aspects de la création sont indispensables, car le sens littéraire et anthropologique d'une œuvre ne peut être extrait qu'après les avoir éclaircis. Une étude sur un trait de style original perdra beaucoup de son intérêt poétique si un historien démontre qu'il n'était que la reprise parodique d'un auteur antérieur. On a longtemps envisagé les nomima d'Antigone dans un rapport d'opposition au droit positif, sans s'aviser que la pièce de Sophocle est antérieure à la codification athénienne.

[5] L'allusion dans la littérature, Actes du XXIVe congrès de la Società Universitaria per gli Studi di Lingua e Letteratura Francese (SUSLLF), Sorbonne, novembre 1998, textes réunis par Michel Murat. Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2000.

[6] «Allusions perdues dans A la recherche du temps perdu», disponible sur internet, site du Collège de France.

[7] Le mot «crypse» est dans la Dialectique de Ramus. Cf. à cet égard l'habile commentaire de la fable «Le lion, le singe et les deux ânes» par Marc Escola (Morales et politique, Paris, Honoré Champion, 2005, Actes du colloque international organisé par le Groupe d'Etude des Moralistes, p.65-85. La prudence du Singe n'empêche pas qu'on entende dans sa leçon au Lion «la rumeur insistante d'un intertexte…»

[8] En ce sens la littérature – une récitation archaïque par exemple - révèle l'état de société au moment de sa constitution.

[9] l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) a créé avec le CEMAGREF un institut de recherche à ce nom pour «améliorer les techniques d'estimation du mouvement des écoulements fluides». Un bel intitulé pour la narratologie.

[10] Vincent Descombes, La denrée mentale, Les institution du sens, Paris, Editions de Minuit, 1995, 1996.

[11] Jacques Derrida, dans son commentaire de Peirce: De la Grammatologie, Editions de Minuit, Paris, 1967, p.70-74.

[12] D'après Robert Escarpit, certains sémioticiens soviétiques définissaient ainsi la littérature: un discours qui n'a pas épuisé son entropie.

[13] Formule du droit anglais que Russel affectionne.

[14] Paris, Flammarion, 1969, traduit et présenté par Philippe Devaux.

[15] Les Immémoriaux, Robert Laffont, coll. «Bouquins», Paris, 1995, p.136.

[16] Ibidem, p.229-230.

[17] Marcel Cohen opus cit., p.9.

[18] Il est notoire que ces chocs ont souvent un caractère de classe.

[19] «… la caractéristique d'une question métaphysique étant que nous exprimons une obscurité touchant la grammaire des mots sous la forme d'une question scientifique.» Le cahier bleu, dans Le cahier bleu et le cahier brun, «tel» Gallimard, Paris, 1996, p.70, 71.

[20] Ibidem., p.70-71.

[21] Ibid., p.114.

[22] Cf. Chrysippe, Emile Bréhier, Félix Alcan, Paris, 1910, p.24-27 et 68-76. Il semble que Chrysippe n'ait pas affronté la difficulté; il la contourne par un sophisme en prétendant que l'amphibologie est seulement dans le langage, et que la pensée du sage en est préservée.

[23] Ce que nous appelons «littérature», comme tradition, n'a pas grand sens pour Wittgenstein. Il aurait pu à la limite la poser en horizon de ses termes de «flou» ou de «friction» tels qu'ils apparaissent dans les paragraphes suivants:

- «Une photographie floue est-elle seulement l'image d'une personne? Y a-t-il avantage à remplacer une photographie floue par une autre qui soit nette? L'image floue n'est-elle pas souvent ce dont nous avons précisément besoin?» Investigations philosophiques, § 71.

- «… nous nous sommes engagés sur la glace glissante où manque la friction, donc où les conditions sont idéales en un certain sens, mais où en revanche, à cause de cela, nous ne pouvons marcher. Or nous voulons marcher; nous avons besoin de friction. Retournons au sol raboteux!» Id., § 107.

[24] Procédure par laquelle le signifiant n'est plus immotivé. Cf. la thèse de doctorat de Nuria de Asprer, aujourd'hui professeur de traduction à l'Université autonome de Barcelone: Trans-forme-sens: de l'iconicité en traduction, 2002, disponible sur internet.

[25] Tristram Shandy bénéficie d'un excellent accueil dans l'Angleterre de 1760-70, mais Lulli aurait-il pu faire accepter un air atonal, Lebrun un portrait non-figuratif?

[26] Combien de noms, L'improviste, 1999, extrait.

[27] Mimologiques. Voyage en Cratylie, Paris, Editions du Seuil, 1976.

[28] De la grammatologie, op. cit.

[29] Cf. Daniel van Damme, Erasme, sa vie, ses œuvres, M. Weissenbruch S. A., édité par l'administration communale d'Anderlecht, se vend à la maison d'Erasme (sans date), p.65.

[30] La sémiotique postule qu'aucune langue n'est entièrement cohérente sans référence à d'autres systèmes de signes.

[31] L'immotivation dérangeait Saussure lui-même, qui réintroduit la motivation dans le chapitre, «Arbitraire absolu et arbitraire relatif» du Cours de linguistique générale.

[32] En outre, situer paradoxalement, comme le fait Derrida, l'écriture avant la parole nous fait mesurer l'ancienneté du processus de symbolisation d'objets (lexique) et de gestes (syntaxe), y compris sous formes de danses.

[33] A propos de la «mutabilité du signe», CLG, p.109.

[34] Les actes de langage, Paris, Hermann, coll. «Savoir», 1972, p.52.

[35] Dans le sens défini par Laurent Jenny dans La parole singulière, Paris, Belin, 1990.

[36] Les actes de langage, Paris, Hermann, coll. «Savoir», 1972, p.81.

[37] Dans le sens où le discours (métaphysique) des siècles l'a couverte.

[38] La Théorie de la Médiation nous enseignerait à critiquer cette assertion: un objet industriel, sous telle ou telle forme d'apparition, peut faire résonner et donner voix en nous à un silence d'ordre ergo(techno)historique.

[39] «Après le Déluge», Illuminations, in Poésies… édition Louis Forestier, Paris, Poésie/Gallimard, 1965, p.155-156.

[40] Id. Une saison en enfer, p.123sq.

[41] L'expression est de Françoise Berlan («Synonymistes et écrivains au XVIIIe siècle: de la clarté oppositive au lyrisme accumulatif», L'Information grammaticale, n°82, p.51-61). Nous l'avons adoptée comme une sorte d'intitulé de notre propos sur le caractère «substantif et paratactique» de la littérature.

[42] «On declarative sentences», Readings in English Transformational Grammar, (Jacobs-Rosenbaum), Ginn & Company, Waltham, Toronto, London, 1970.

[43] Cf. l'analyse que fait Laurent Jenny d'un «en» dans le premier chapitre de sa Parole singulière.

[44] CLG, p.32 (Introduction, chap.III, 2).

[45] Rappelons qu'à notre sens une préposition – à condition d'être traitée comme res – a tout autant puissance d'événement qu'un substantif, un verbe ou un terme étranger.

[46] Essais de linguistique générale, I. «Les fondations du langage» (Paris, Les Editions de Minuit, 1963/2003, traduit et préfacé par Nicolas Ruwet), chap. II, «Deux aspects du langage et deux types d'aphasies» (1956), p.43.

[47] Cf. Jean Gagnepain, Leçons d'introduction à la théorie de la médiation, Louvain, Peeters, 1994, et en contiguïté, Olivier Sabouraud, Le langage et ses maux, Paris, Odile Jacob, 1995.

[48] La grande force de la Théorie de la Médiation est de déployer l'explication de l'homme. Au lieu de résumer la rationalité humaine dans la linguistique ou la sociologie, elle montre qu'une même dialectique anime la théorie du signe, la théorie de l'outil, la théorie de la personne et la théorie de la norme.

[49] «Secrets de fabrication», J'abats mon jeu, (1959) Paris, Stock, 1997, p.43-44.

[50] «Le tournant des rêves», Ibidem, p.199.

[51] Sous-titre de Mimésis.

[52] A propos d'Ulysse, dans Mimésis, (1946), Paris, Gallimard, 1968, p.542.

[53] Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne, Paris, Maren Sell, 2006, p.433.

[54] Mimésis, p.99.



Cyril Le Meur

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