Atelier



Journée Penser la poésie, organisée à Lyon (ENS-Lettres et Sciences Humaines) le 15 mars 2008 par Michèle Gally dans le cadre du GDR « Théories du poétique. XIVe-XVIe »


Ouverture de la journée: saisir la poésie, par Michèle Gally.



Saisir la poésie


Le sujet est ambitieux, trop peut-être et la journée ne prétend pas apporter de réponses mais ajouter doutes et questionnements sur l'objet qui nous réunit- «la» poésie (?) – et sa saisie, descriptive/ normative, idéologique, sociologique, poétique, enfin!

Qu'entendre en effet par «penser la poésie»? S'agit-il de son objectivation comme expérience d'écriture, expérience de représentation, voire de prise ou de désignation particulières du monde, de formalisation d'une émotion?

Car une telle question rencontre très vite celle de définir la poésie, si tant est que l'on puisse en parler au singulier comme d'une production, acte d'écriture ou de diction universellement reconnaissable.

Autre point d'achoppement: «penser» la poésie serait-il opposé à «faire/ écrire/composer» de la poésie, à la faveur de clivages trop simples? «Penser» sans «faire» serait alors la position, institutionnelle, personnelle, de «professeurs», de critiques ou théoriciens qui arrivent après, pour mettre au jour des normes, des constantes et des exceptions, dessiner une histoire, classer et nommer, définir et exclure, engager aussi à écrire selon des modèles.

Ainsi les «arts» anciens, appelés même au XVe siècle, «arts de seconde rhétorique». S'agirait-il de fabriquer des poètes comme dans nos «ateliers d'écriture» contemporains? Mais alors le maître plus ou moins modestement, secrètement, s'inscrirait bien dans quelque chose du processus créatif, il serait susceptible d'en donner les outils, peut-être en rabattant la «littérature» sur le «rhétorique»: vieille querelle des «classes de rhétorique» ou art de bien dire plus que de bien commenter…

C'est cependant vers le dédoublement en fait presque constant des discours poétiques, de la poésie et sur la poésie, qu'on voudrait aller, des razos occitanes dès le XIIIe aux poètes contemporains volontiers, avec ou sans humour, penseurs en poésie. Ce dédoublement fait aussi pleinement exister le fait poétique, le désigne, le confirme, le transforme: ainsi Dante, dès le XIVe, pour qui la lyrique des troubadours et des trouvères, celle qu'il pratique, n'existera pas en langue vernaculaire, légitimement, véritablement, sans sa rationalisation, c'est-à-dire sans sa razo/ratio, son explication, l'énoncé de ses règles. Seule une lyrique (re)pensée pourra accéder au statut de «poésie» c'est-à-dire rivaliser avec les «poètes» antiques.

Des poètes, donc, réfléchissent à diverses époques, à ce qu'ils font, à la possibilité de leur activité, à ses formes, engagent des polémiques, des défenses: traités, incises, articles de journaux et interviews, retour du verbe poétique sur lui-même à travers métaphores et figures mythiques etc., tant il a été souvent vrai que «faire» de la poésie était la «penser» et vice versa: Geoffroy de Vinsauf, au XIIe siècle et en latin, explique dans sa Poetria nova comment faire des poèmes et ce faisant écrit de la poésie, fait œuvre d'écriture. Il faut lire à ce sujet la belle étude de Jean-Yves Tilliette, Des mots à la parole, Droz, 2000.

Textes poétiques comme textes toujours doubles donc.

Je voulais que nous confrontions sur une périodicité large nos lectures, nos connaissances, nos approches et ce en tous sens. Une anthologie récente parue en GF et intitulée sobrement La Poésie (Hugues Marchal, La Poésie, Paris, Flammarion, coll. "GF Corpus", 2007) a servi en partie de catalyseur à cette journée. Une séquence de la matinée la prendra pour telle. Mais l'enjeu renvoie aussi à ceux du Groupe de Recherche que nous formons entre médiévistes et seiziémistes, à savoir cette réflexivité qui accompagne l'inventivité comme son autre peut-être essentiel et ineffaçable.

Il n'était pas possible de traverser toutes les époques de l'histoire littéraire, en effet. Le choix de trois moments forts correspond à nos spécialités, correspond également au dialogue depuis longtemps engagé par nous entre littératures pré-classiques et littératures du XXe siècle. En voici ici une nouvelle étape. Mais sans présupposé comparatiste cette fois: chacun restera prioritairement dans son champ, les principes et les solutions apportées sur les questions posées se présentant diversement et la plupart du temps s'ignorant mutuellement, ne faisant retour ensemble que sous l'œil surplombant du critique! Il s'agira pour cela de nous proposer mutuellement des voies découvertes, d'échanger des idées surgies récemment ou plus muries, d'énoncer des propositions ou des contre-lectures. En un mot de réfléchir ensemble dans un mouvement dynamique, c'est-à-dire de faire – et c'est notre métier- acte de pensée!


Michèle Gally

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Michèle Gally

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Dernière mise à jour de cette page le 10 Juin 2008 à 20h06.