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Rhétorique de la lecture et compétence formalisatrice, par Christine Noille.

Article issu d'une communication au colloque «Usages et fonctions de la rhétorique» (16-18 mai 2013, Bruxelles).

Dossiers Rhétorique, Textes possibles.




Rhétorique de la lecture et compétence formalisatrice


1. Form Follows What?

On connaît tous la formule «Form follows function» (Louis Sullivan, 1896) que l'on peut considérer comme le mot d'ordre du «fonctionnalisme» en architecture, c'est-à-dire d'une esthétique justifiant des formes et même des formes innovantes, au nom de leur fonctionnalité. On se souvient également qu'elle a été régulièrement remise en cause par une autre formule elle aussi devenue un standard: «Form follows what[1]?» «La forme découle de quoi?»

Autant dire, en intitulant ainsi le début de cette analyse, que je me propose de mener une réflexion en amont (par rapport au programme de ces rencontres[2] dédiées aux usages et fonctions de la rhétorique et placées sous l'égide de Chaïm Perelman), une réflexion sur les rapports entre le discours comme acte (de parole), inséré dans une situation, et le discours comme fait matériel, comme tissu syntagmatique, tissage d'énoncés, mise en forme du discursif. Et je poserai alors quelques questions très simples à la rhétorique telle que nous sommes quelques-uns non seulement à l'analyser mais à la mettre en pratique, en particulier dans l'équipe Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution mais aussi dans un certain nombre de séminaires (relayés par Fabula) qui s'inspirent des travaux de Michel Charles sur la rhétorique de la lecture et la théorie des textes possibles. Ces questions, les voici:

La forme est-elle soluble dans les contextes (motivations ou finalités, valeurs ou affects…)? La forme du discours découle-t-elle de la fonction?

Ou encore, même question mais à un niveau méthodologique, la mise en forme (l'activité de formalisation) – qui est inhérente aux techniques rhétoriques, qu'il s'agisse des arts d'écrire comme des arts de lire, c'est-à-dire, pour ces derniers, des méthodes pédagogiques que les rhétoriciens anciens ou contemporains ont développées dans leurs commentaires pour cartographier le plan et les formes remarquables d'une série de textes exemplaires –, la mise en forme est-elle secondaire, instrumentalisée, prédéterminée – fonctionnalisable – dans l'expérience discursive, ou s'agit-il là d'un geste rhétorique propre?

Et enfin, toujours même question mais à un niveau théorique, l'herméneutique (l'interprétation du discours en termes de fonctionnalité) est-elle le tout de la rhétorique ou en est-elle une continuation (l'analyse et la reprise du discursif par d'autres moyens)?

Mon hypothèse sera que la mise en forme du discursif par la rhétorique relève bel et bien d'une pragmatique archétypalement en amont des transactions de l'efficacité et de l'action, en amont de la prise en compte des «enjeux téléologiques», comme les nomme Francis Goyet[3]: la mise en forme du discursif relève d'une négociation (fondamentale car fondatrice) de la «lisibilité» et de l'intelligibilité des masses du texte, de la perception et de la compréhension de son organisation sémantique, ou comme les rhétoriques anciennes le disent, de l'attention et de la mémoire.

Autrement dit j'essaierai de défendre simplement l'idée qu'il est possible, légitime et pertinent d'envisager la rhétorique – qu'elle soit «ancienne» ou contemporaine – comme un art de l'analyse, comme une technique de formalisation et de modélisation de l'énoncé, assurément adossable à une herméneutique des contextes mais ne s'y résolvant pas. Ou comme l'écrit Michel Charles dans un récent article programmatique:

Que l'on puisse réinvestir d'un sens la forme mise au jour n'est pas douteux. Mais doit-on le faire? La question n'est guère pertinente. On le fera de toute façon et ce sera bien ainsi. Il n'empêche qu'une activité théorique est légitime qui s'intéresse à cette forme pour elle-même, s'attache à en analyser la construction et en reste là. Ce n'est pas le tout des études littéraires, mais c'en est certainement une part indispensable[4].

Mon propos sera donc de tester la résistance de la rhétorique à ne pas se dissoudre dans une herméneutique (dans une interprétation téléologique de la parole comme acte), à s'installer en propre sur le terrain du remarquage et de l'arpentage textuel – et j'utiliserai le mot texte non pas dans le sens d'un énoncé autonomisé, coupé des contextes, mais dans le sens d'un énoncé relié à son contexte de mise en forme, d'un énoncé tissé, bref d'un énoncé lisible car articulé, au sens hjemslévien et genettien où la forme ne s'oppose pas au contenu, mais à la substance, où la forme, précisément, articule le sens:

Si l'opposition pertinente n'est pas entre forme et contenu, mais entre forme et substance, le «formalisme» ne consistera pas à privilégier les formes aux dépens du sens – ce qui ne veut rien dire – mais à considérer le sens lui-même comme une forme imprimée dans la continuité du réel […][5].

Nous mènerons alors une expérience de lecture, à double fond: je nous propose de faire l'analyse rhétorique d'un texte, le discours de Germanicus aux légions séditieuses[6]; et nous utiliserons pour ce faire le relai technique (pédagogique) d'analyses rhétoriques anciennes, de Vossius (1621[7]) et de Pelletier (1641[8]).

J'ajoute deux précisions.

Première précision, méthodologique, il ne s'agira pas ici de faire l'archéologie d'une expérience de lecture érudite et de construire un savoir historique sur cette pratique particulière que serait l'ancienne rhétorique. Il n'est d'ancienne rhétorique que maintenue à distance comme objet d'un savoir; à partir du moment où l'on bascule du côté des savoir-faire, on entre dans l'actualité d'une pratique méthodique.

Et précisément nous allons entrer de plain-pied dans la pédagogie de gestes techniques qui permettent, nous le verrons, des mises en forme concurrentes du texte en question; nous allons expérimenter ces gestes pour à notre tour produire une analyse concurrente et essayer au bout du compte de tirer quelques leçons de ce parcours. C'est donc une honnête proposition, de mener ensemble une expérience de lecture rhétorique sur un discours identifié, une expérience de formalisation rhétorique d'un discours: entendons par là une expérience de modélisation rhétorique, c'est-à-dire de formalisation par la mise en série du discours analysé avec des modèles rhétoriques – qu'il s'agisse de discours types ou d'arguments types, de canevas globaux ou de schémas locaux.

Où l'on verra, seconde précision tout aussi méthodologique, que l'analyse rhétorique d'un texte procède par enquête sur des procédés standard – qu'elle suppose, teste et confirme ou reformule –, elle procède par sérialisation de l'énoncé dans une forme identitaire commune à d'autres exemples, les figures, les arguments-types, les discours-type – et se situe donc irréductiblement du côté de la théorie même si elle est en même temps dans la pratique des textes. Elle s'attache à identifier en eux le transversal ou l'exemplaire, l'architexte, et abandonne par conséquent à la «critique» au sens genettien du terme, tout discours sur ce qui en eux serait du côté du singulier et de l'irréductible.


2. Herméneutique des contextes

Venons-en au discours de Germanicus face aux légions séditieuses. À la façon de Queneau dans Les Fleurs bleues, arrêtons-nous un instant «pour considérer, un tantinet soit peu, la situation historique»: «Elle était plutôt floue[9]». Pour aller très vite, dans un côté du tableau, il y a la rébellion des légions romaines de Germanie en l'an 14 de notre ère; et de l'autre côté, le général en chef, Germanicus, parvient à éteindre la sédition en trois temps.

Tout d'abord, Germanicus tente un premier discours, dont Tacite donne le synopsis au style indirect:

Tout le monde était assemblé pêle-mêle: il leur ordonne de se ranger par manipules, afin de mieux entendre sa réponse; de prendre leurs enseignes, afin qu'il pût au moins distinguer les cohortes. On obéit, mais lentement. Alors, commençant par rendre un pieux hommage à Auguste, il passe aux victoires et aux triomphes de Tibère, et célèbre avant tout ses glorieuses campagnes en Germanie, à la tête de ces mêmes légions. Il leur montre l'accord unanime de l'Italie, la fidélité des Gaules, enfin la paix et l'union régnant dans tout l'empire. Ces paroles furent écoutées en silence ou n'excitèrent que des murmures. Mais lorsque, arrivé à la sédition, il leur demanda ce qu'était devenue la subordination militaire, où était la discipline qui leur faisait honneur autrefois, ce qu'ils avaient fait des centurions, des tribuns; alors […] ils lui reprochent à leur tour les cicatrices de leurs blessures, les traces de coups de verges. Bientôt des milliers de voix accusent […][10].

Nous ne l'étudierons pas en détail mais il convient de mentionner qu'un rhétoricien le fera: en l'occurrence Vossius y voit le paradigme de ce que la rhétorique nomme la conciliatio, ce discours-type de la «réconciliation», discours qui, relevant de la scène politique et du délibératif, propose l'apaisement aux séditieux. De fait, Vossius commence par dresser le canevas-type de la conciliatio avant d'en venir à cet exemple pour lui exemplaire.

Qu'est-ce qu'une conciliatio? Voici sa formalisation rhétorique standardisée:

Pour réconcilier des partis qui s'affrontent, voici comment procéder. Nous montrons que toute offense doit être effacée: d'une part parce que c'est plus utile et plus sûr, et d'autre part, parce que c'est aussi plus honorable. Les passions qui règnent ici sont l'espoir et la crainte.

Mais autant il est facile d'exciter les gens à la sédition, autant il est difficile de les réconcilier. Car la plupart des gens sont trop attachés à leur colère et au souvenir de l'offense reçue. Là où il est le plus facile de ramener l'union, c'est face à une foule excitée. Alors peu importe que le discours soit éloquent, ce qui compte pour l'orateur est la protection d'un double bouclier, à savoir sa popularité et sa supériorité hiérarchique. […] De fait, Jules César calma son armée en appelant ses hommes «Citoyens!» au lieu de «Soldats!»; et par ce seul mot, il leur fit faire volte-face et changer d'humeur (flexit), si bien qu'ils répondirent qu'ils étaient des soldats, et quoiqu'il leur contestât ce nom, ils le suivirent plus loin en Afrique. […]

Cela posé, attention: il est très important que personne ne se risque à faire face immédiatement à une foule aveuglée par la colère, en s'imaginant protégé par son intégrité et son autorité. Car le premier mouvement d'une foule étant tout simplement belliqueux, ce n'est pas un discours qui vous permet de reprendre la main. En revanche, quand l'effervescence sera retombée, ce sera le moment propice pour leur parler. Mais d'abord il faudra établir le diagnostic sur l'origine de ce grand accès de fureur. Car le médecin qui ignore où est la plaie, comment y portera-t-il remède? Le remède lui-même devra garder un certain équilibre: le discours commencera sur un ton amical, calmant; de là, on passera à des paroles de réprimande, plus sévères. Et dans l'application de l'un comme de l'autre remède, on respectera le dosage qu'exige la situation.

Germanicus ne l'a pas ignoré […][11].

Comme nous le voyons, la standardisation du discours-type[12] mobilise à la fois des éléments formels (concernant essentiellement ici les arguments-type et le canevas-type, l'inventio et la dispositio: mais dans d'autres cas, nous le verrons, des éléments pertinents quant au genre de style ou aux figures d'elocutio) et des éléments pragmatiques (sur l'interprétation du contexte d'énonciation). Trois points sont à retenir ici car nous en aurons besoin:

1. le type du discours de réconciliation s'insère dans une pragmatique de la prudence (il s'agit pour l'orateur de gérer le moment opportun où proposer la réconciliation; et il s'agit également de gérer le dosage du remède, avec un portrait du chef d'armée en médecin);

2. la conciliatio repose sur une argumentation contradictoire (alliance de séquences de réprimande et de séquences d'éloge, ou, au niveau des effets, ressorts de la crainte et de l'espoir);

3. enfin, le discours de réconciliation est relié à un canevas-type qui a une pertinence dynamique, je veux dire qu'il est associé à un ordre syntagmatique dont le déroulement a une importance stratégique: d'abord le miel, ensuite l'amertume.

Disons alors, pour revenir au premier discours de Germanicus que Vossius analyse comme une conciliatio, que c'est un échec: peut-être le moment était-il mal choisi, peut-être l'amertume était-elle mal administrée (on peut être sensible à la mollesse des reproches, sous la forme bien peu véhémente du questionnement…). Quoi qu'il en soit, c'est Germanicus qui se retrouve en position d'accusé, enseveli sous les reproches des séditieux. Ou comme l'écrit Vossius après avoir modélisé le texte sur le type de la conciliatio:

Il commença par rendre un pieux hommage à Auguste, puis il passa aux victoires et aux triomphes de Tibère, en exaltant spécialement ses glorieuses campagnes en Germanie à la tête de ces légions-là.

Ensuite il exalta l'unanimité de l'Italie, la fidélité des Gaules, l'absence partout de troubles ou de désaccords.

Et puis, de là, insensiblement, il arriva à ces mots: «Où est la subordination militaire? Où est la discipline qui vous faisait honneur autrefois? Qu'avez-vous fait de vos tribuns, de vos centurions?»

Cependant ce n'est pas avec ce discours qu'il parvint vraiment à les faire changer d'humeur […][13].

Deuxième temps de cette reconquête de l'autorité, un acte politique réussi cette fois-ci, la fuite des épouses:

On vit alors un départ déplorable, l'épouse d'un général fugitive et emportant son enfant dans ses bras, autour d'elle les femmes éplorées de leurs amis, qu'elle entraînait dans sa fuite, et, avec la douleur de ce triste cortège, la douleur non moins grande de ceux qui restaient. Ce tableau, qui annonçait plutôt une ville prise par l'ennemi que le camp et la fortune d'un César, ces pleurs, ces gémissements, attirèrent l'attention des soldats eux-mêmes. […] Alors la honte (pudor) et la pitié (miseratio), le souvenir d'Agrippa son père, d'Auguste son aïeul, de son beau-père Drusus, l'heureuse fécondité d'Agrippine elle-même et sa vertu irréprochable, cet enfant né sous la tente […], tout concourt à les émouvoir. Mais rien n'y contribua comme le dépit de se voir préférer les Trévires (invidia in Treviros[14]).

L'on notera au passage que Tacite lui-même en propose une analyse en termes d'affects et d'efficacité (est mis en avant le ressort du movere); analyse que reprendra littéralement la tradition rhétorique:

Ce que ni son éloquence d'homme ni son autorité n'avaient pu obtenir, se produisit avec le spectacle de son épouse, portant sur son sein leur fils encore tout petit, accompagnée des seules épouses de ses amis, quand en un cortège pitoyable toutes se réfugièrent chez les Trévires: la honte et la pitié (pudor et miseratio) d'une part, et d'autre part la jalousie envers les Trévires (invidia in Treviros), voilà ce qui arracha le revirement des soldats[15].

Troisième temps enfin, on en arrive donc à la situation discursive à l'orée du discours qui va directement nous occuper, le second discours de Germanicus aux légions romaines, mis en valeur dans la prose tacitéenne par le passage au style direct et l'ampleur de son étendue. Avant de l'aborder, une brève récapitulation s'impose: le contexte large est certes celui de la sédition, mais le contexte étroit est désormais celui de la conversion. Avant même la seconde prise de parole de Germanicus, les soldats sont rendus à de meilleurs sentiments. La preuve – textuelle – en est l'éthos des soldats avant et après le second discours, qui ne change pas: figé dans l'attitude du suppliant[16]. D'où une question tout à fait indécise: la situation est-elle bien encore celle de la conciliatio, de la délibération politique en vue d'en appeler à la réconciliation? Ou en sommes-nous à l'étape suivante, et quelle est-elle? Autrement dit, quels sont les buts (les fonctions) de ce second discours?

Et pour s'en faire une première idée, le voici in extenso, avec son co-texte immédiat, mais sans les alinéas et paragraphages introduits par la tradition éditoriale – histoire d'être en prise avec une masse indifférenciée d'énoncé, sans formatage préétabli:

Lui, encore ému de douleur et de colère, s'adressant à la foule qui l'environne: «Ne croyez pas, dit-il, que mon épouse et mon fils me soient plus chers que mon père et la république. Mais mon père a pour sauvegarde sa propre majesté; l'empire a ses autres armées. Ma femme et mes enfants, que j'immolerais volontiers à votre gloire, je les dérobe maintenant à votre fureur, afin que, si le crime ensanglante ces lieux, je sois la seule victime, et que le meurtre de l'arrière-petit-fils d'Auguste et de la belle-fille de Tibère n'en comble pas la mesure. En effet, qu'y a-t-il eu pendant ces derniers jours que n'ait violé votre audace? Quel nom donnerai-je à cette foule qui m'entoure? Vous appellerai-je soldats? Vous avez assiégé comme un ennemi le fils de votre empereur; citoyens? Vous foulez aux pieds l'autorité du sénat: les lois même de la guerre, le caractère sacré d'ambassadeur, le droit des gens, vous avez tout méconnu. Jules César apaisa d'un mot une sédition de son armée, en appelant Quirites des hommes qui trahissaient leurs serments. Auguste, d'un seul de ses regards, fit trembler les légions d'Actium. Si nous n'égalons pas encore ces héros, nous sommes leurs rejetons; et l'on verrait avec surprise et indignation le soldat d'Espagne ou de Syrie nous manquer de respect. Et c'est la première légion, tenant les enseignes de Tibère; c'est vous, soldats de la vingtième, compagnons de ses victoires, riches de ses bienfaits, qui payez votre général d'une telle reconnaissance! Voilà donc ce que j'annoncerai à mon père, qui de toutes les autres provinces ne reçoit que des nouvelles heureuses! Je lui dirai que ses jeunes soldats, que ses vétérans, ne se rassasient ni de congés, ni d'argent; qu'ici seulement les centurions sont tués, les tribuns chassés, les députés prisonniers; qu'ici le sang inonde les camps, rougit les fleuves; qu'ici enfin ma vie est à la merci d'une multitude furieuse. Pourquoi, le premier jour où j'élevai la voix, m'arrachiez-vous le fer que j'allais me plonger dans le cœur, trop aveugles amis? Il me rendait un bien plus généreux office, celui qui m'offrait son glaive: j'aurais péri du moins avant d'avoir vu la honte de mon armée. Vous auriez choisi un autre chef, qui sans doute eût laissé ma mort impunie, mais qui eût vengé le massacre de varus et des trois légions. Car nous préservent les dieux de voir passer aux Belges, malgré l'empressement de leur zèle, l'éclatant honneur d'avoir soutenu la puissance romaine et abaissé l'orgueil de la Germanie! Âme du divin Auguste, reçue au séjour des immortels, image de mon père Drusus, mémoire sacrée d'un grand homme, venez, avec ces mêmes soldats, sur qui la gloire et la vertu reprennent leurs droits, venez effacer une tache humiliante, et tournez à la ruine de l'ennemi ces fureurs domestiques. Et vous, dont je vois les visages, dont je vois les cœurs heureusement changés, si vous rendez au sénat ses députés, à l'empereur votre obéissance, à moi ma femme et mon fils, rompez avec la sédition, séparez de vous les artisans de trouble. Ce sera la marque d'un repentir durable, et le gage de votre fidélité.» Touchés par ce discours, ils lui demandent grâce, et, reconnaissant la vérité de ses reproches, ils le conjurent de punir le crime, de pardonner à l'erreur, et de les mener à l'ennemi […][17].


3. Première mise en forme possible: un discours de conciliatio

Passons immédiatement à l'analyse rhétorique que Pelletier effectue de ce discours, car elle reprend l'outillage rhétorique que nous venons de mettre en place: Pelletier le modélise en effet sur la conciliatio telle que la décrit Vossius. C'est là une hypothèse à la fois formelle et fonctionnelle, qui lui permet de séquencer le texte et de mettre en réseau les séquences, autrement dit d'identifier des formes et de les insérer dans une cohérence, dans un système fonctionnel hiérarchisé.

Concernant l'opération de séquençage tout d'abord, dans la mesure où les commentaires de Pelletier alternent avec les citations littérales du texte tacitéen, nous nous trouvons de fait en prise avec une division du texte, lequel se trouve diffracté en quatre séquences successives dont les trois dernières sont identifiées par leur chapeau introducteur; tandis que le premier chapeau introduit quant à lui l'ensemble du discours mais laisse la première séquence isolée (délimitée) mais non identifiée (non modélisée):

Magnifique discours […] digne assurément d'être admiré comme spécimen éminent du discours de réconciliation:

Ne croyez pas, dit-il, que mon épouse et mon fils me soient plus chers que mon père et la république. Mais mon père a pour sauvegarde sa propre majesté; l'empire a ses autres armées. Ma femme et mes enfants, que j'immolerais volontiers à votre gloire, je les dérobe maintenant à votre fureur, afin que, si le crime ensanglante ces lieux, je sois la seule victime, et que le meurtre de l'arrière-petit-fils d'Auguste et de la belle-fille de Tibère n'en comble pas la mesure. En effet, qu'y a-t-il eu pendant ces derniers jours que n'ait violé votre audace? Quel nom donnerai-je à cette foule qui m'entoure? Vous appellerai-je soldats? Vous avez assiégé comme un ennemi le fils de votre empereur; citoyens? Vous foulez aux pieds l'autorité du sénat: les lois même de la guerre, le caractère sacré d'ambassadeur, le droit des gens, vous avez tout méconnu. Jules César apaisa d'un mot une sédition de son armée, en appelant Quirites des hommes qui trahissaient leurs serments. [Auguste, d'un seul de ses regards, fit trembler les légions d'Actium. Si nous n'égalons pas encore ces héros, nous sommes leurs rejetons; et l'on verrait avec surprise et indignation le soldat d'Espagne ou de Syrie nous manquer de respect].

Il rappelle ensuite les triomphes et les victoires de Tibère, pour leur reprocher leur attitude présente avec un ton d'autant plus sévère et direct, en tirant argument du genre de crime et des circonstances:

Et c'est la première légion, tenant les enseignes de Tibère; c'est vous, soldats de la vingtième, compagnons de ses victoires, riches de ses bienfaits, qui payez votre général d'une telle reconnaissance!

Il ajoute une menace en vue de susciter la crainte et la honte:

Voilà donc ce que j'annoncerai à mon père, qui de toutes les autres provinces ne reçoit que des nouvelles heureuses! Je lui dirai que ses jeunes soldats, que ses vétérans, ne se rassasient ni de congés, ni d'argent; qu'ici seulement les centurions sont tués, les tribuns chassés, les députés prisonniers; qu'ici le sang inonde les camps, rougit les fleuves; qu'ici enfin ma vie est à la merci d'une multitude furieuse. Pourquoi, le premier jour où j'élevai la voix, m'arrachiez-vous le fer que j'allais me plonger dans le cœur, trop aveugles amis? Il me rendait un bien plus généreux office, celui qui m'offrait son glaive: j'aurais péri du moins avant d'avoir vu la honte de mon armée. Vous auriez choisi un autre chef, qui sans doute eût laissé ma mort impunie, mais qui eût vengé le massacre de Varus et des trois légions. Car nous préservent les dieux de voir passer aux Belges, malgré l'empressement de leur zèle, l'éclatant honneur d'avoir soutenu la puissance romaine et abaissé l'orgueil de la Germanie!

Puis il met en avant la vénération d'Auguste et il frappe les esprits des soldats en recourant à un sentiment plus solennel d'espoir et d'amour:

Âme du divin Auguste, reçue au séjour des immortels, image de mon père Drusus, mémoire sacrée d'un grand homme, venez, avec ces mêmes soldats, sur qui la gloire et la vertu reprennent leurs droits, venez effacer une tache humiliante, et tournez à la ruine de l'ennemi ces fureurs domestiques. Et vous, dont je vois les visages, dont je vois les cœurs heureusement changés, si vous rendez au sénat ses députés, à l'empereur votre obéissance, à moi ma femme et mon fils, rompez avec la sédition, séparez de vous les artisans de trouble. Ce sera la marque d'un repentir durable, et le gage de votre fidélité[18].

Tout le début du texte (de fait, presque la première moitié) est donc isolé, mais il n'est pas commenté. À la place d'une description précise de ce passage, nous trouvons donc une proposition générale sur tout le discours: est formulé le genre du discours et par-là même nous est indiqué de rechercher ce qu'on appelle en termes de l'art son propositum, sa proposition «générale», en l'occurrence l'énoncé donnant l'impératif de conciliatio (i.e. arrêter la sédition). Nous le trouvons alors formulé littéralement dans l'ultime séquence, qui devient ainsi la séquence focale: «[…] rompez avec la sédition, séparez de vous les artisans de trouble.»

Les trois autres séquences, modélisées sur des catégories rhétoriques, lui sont par conséquent subordonnées:

1. Pelletier identifie, en seconde place dans l'ordre du discours, une séquence d'amplification du reproche, avec identification d'arguments-type (le genre du crime et les circonstances);

2. puis vient une séquence de menace (rappelons que le comminatoire, la comminatio, relève de deux ordres d'outils, tantôt figure de pensée quand il a une extension locale, tantôt type de discours quand il est co-extensif à tout le discours)

3. enfin, Pelletier dédie la dernière séquence à l'adoucissement et la subdivise en deux (d'abord la vénération, puis le pathos en direction des soldats).

Bilan de cette première analyse rhétorique: le contexte large (la sédition) et le contexte formel (l'identification de séquences contradictoires, tantôt tournées vers le reproche et la menace, et tantôt vers l'espoir et l'alliance) motivent la modélisation sur la conciliatio. Mais le contexte amont étroit (la conversion des soldats) et l'ordre du discours (d'abord l'amertume, puis le miel) sont des points littéralement dysfonctionnels, en rupture avec le schéma du discours de réconciliation tel que nous l'avons vu précédemment; et en outre tout l'incipit, soit plus de la moitié du discours, est certes séparé du reste, séquencé, mais non identifié, non commenté, non modélisé.

Bref, la mise en forme par le modèle à la fois fonctionnel et formel de la conciliatio est loin d'aboutir à une prise en charge globale: nous dirons qu'elle est une hypothèse déduite d'une part du contexte et d'autre part du repérage d'un certain nombre de séquences divergentes. Elle permet de les maintenir ensemble dans un même réseau et elle valide également à l'échelle supérieure un autre réseau de cohérence, entre le discours et la situation. Mais elle laisse de côté la question de l'ordo, de l'enchaînement inversé entre le doux et l'amer, de même qu'elle ne parvient pas à identifier la première séquence délimitée: c'est une séquence dont l'analyse ne nous dit pas à quoi elle sert, une séquence sans fonctionnalité (interne ou externe).

Autrement dit, les points de fragilité de cette analyse sont liés à la résistance des formes – que ce soient celles que l'on distingue mais dont on ne sait que faire, ou celles qui sont dysfonctionnelles au regard du fonctionnement normé retenu. Et ce sont également autant d'incitations à reformuler une autre hypothèse, à repenser un autre formatage et une autre identification générique.

Du point de vue méthodologique, nous dirons que la mise en forme rhétorique de l'énoncé est un opérateur de textualité (de tissage du texte): le rhétoricien produit une forme possible du texte, actualise un texte possible, avec ses creux et ses reliefs, ses marges et sa cohérence. Et les limites ici répertoriées (incipit, ordre des séquences…) invitent alors à poursuivre l'enquête, à imaginer, produire, formaliser un autre texte possible. Nous le ferons avec l'analyse de Vossius.


4. Deuxième mise en forme possible: un discours d'objurgatio

Vossius avait sérialisé sur le modèle de la conciliatio le premier discours de Germanicus, celui que Tacite se contente de résumer au style indirect: en revanche, il met le second discours qui nous occupe à présent en série avec un autre canevas, le discours type de l'objurgatio. C'est là un geste herméneutique décisif, mu par la prise en compte de deux éléments différents de contextualisation: d'abord le contexte étroit (les soldats émus) plutôt que le contexte large, actant en quelque sorte que la scène de parole n'est plus une scène de délibération (d'aide à la décision, si l'on veut!), mais une scène judiciaire, d'accusation et de reproches. Ce qui revient à dire que le chef d'armée n'en est plus à négocier l'apaisement, il en est à rendre la justice contre les fauteurs de troubles d'une part; mais d'autre part ce chef d'armée, c'est Germanicus, que la tradition historique latine a doté d'un éthos de bonté et de dévouement exemplaires. Autrement dit les circonstances de la personne et les circonstances du temps fonctionnant en sens contraire (d'un côté la mansuétude, de l'autre l'heure de faire rendre des comptes), Vossius a alors tiré de son armoire à rhétorique le modèle d'un discours de réprimande compatible avec l'éthos de l'amitié, à savoir le discours d'objurgation.

L'objurgation est en effet l'une des déclinaisons possibles du genre judiciaire, proche de l'invective dans l'argumentation des reproches, mais antithétique dans l'éthos (benevolentia) et dans la proposition discursive (appel à se corriger):

Reste à voir les discours relevant du judiciaire: l'invectiva, l'objurgatio, l'expostulatio [ou récrimination], l'exprobratio [ou cinglant reproche d'ingratitude] et la deprecatio [ou prière]. […] L'objurgation est un discours de reproche, qui reprend une faute, mais qui se propose la correction de l'autre. Elle diffère de l'invectiva, en ce que celle-ci se porte presque toujours sur des ennemis et qu'elle a en vue ce qui nuit; celle-là s'attache à des amis et s'applique à ce qui est utile. Ajoutons que l'objurgation est la plupart du temps d'un supérieur (par ex. d'un empereur) à l'égard d'un soldat, d'un père à l'égard d'un fils[19].

A partir de là, le canevas-type de l'objurgatio est décliné: on commencera d'abord par l'exposé du crime, puis par son amplification; et on négociera une alternative à la fois fonctionnelle et formelle: pour les âmes dures, le discours finira sur une séquence de récrimination solennelle et/ou de menace; pour les âmes tendres, le discours commencera par une séquence dédiée à la manifestation de benevolentia:

. Appliquons-nous à la méthode à suivre ici. D'abord la faute est placée sous les yeux. Où il doit paraître que nous ne l'appelons pas d'un nom plus grave que celui qui convient […]. Si le crime est clairement atroce, il est presque suffisant d'appeler un chat un chat.

. Ce qui est en jeu dans la faute, nous l'exagèrerons en tirant argument des circonstances de la personne, du lieu, du temps, de la manière. De même, en tirant argument de comparaisons.

. Dans le cas d'esprits durs, que l'on ne peut fléchir autrement, s'ensuivra une solennelle expostulatio (discours de récrimination) et même une comminatio (discours comminatoire, de menace). […]

. Mais pour ceux qui sont compréhensifs, nous ne les exaspérerons pas trop: nous tempérerons l'acrimonie de notre discours par un peu de miel. Cela peut se faire si nous commençons par un éloge. Car si nous accordons un éloge mérité, il semblera que nous faisons des reproches non par haine, ou par malevolentia, mais par amour. Voir ce que nous avons dit plus haut au sujet de l'exhortation, chap. xxiii […]

. Ce qui rapporte beaucoup, c'est de faire sentir à ceux que nous reprenons que nous nous affligeons pour eux. Par exemple, si en dernier lieu nous les avertissons au nom de l'ancienne vertu et que nous leur proposons ce que nous espérons d'eux. […]

Reportons-nous à partir de là à l'analyse du discours de Germanicus comme exemple standard d'objurgation, analyse où là aussi s'entremêlent les commentaires et les citations littérales (rappelons que nous mettons entre crochets les énoncés que le commentaire ne cite pas[20]):

[Ne croyez pas, dit-il, que mon épouse et mon fils me soient plus chers que mon père et la république. Mais mon père a pour sauvegarde sa propre majesté; l'empire a ses autres armées. Ma femme et mes enfants, que j'immolerais volontiers à votre gloire, je les dérobe maintenant à votre fureur, afin que, si le crime ensanglante ces lieux, je sois la seule victime, et que le meurtre de l'arrière-petit-fils d'Auguste et de la belle-fille de Tibère n'en comble pas la mesure.]

Comme exemple de ce genre de discours, nous trouvons le discours de Germanicus à ses soldats rebelles. Voici quels sont les arguments concernant le genre de crime:

En effet, qu'y a-t-il eu pendant ces derniers jours que n'ait violé votre audace? Quel nom donnerai-je à cette foule qui m'entoure? Vous appellerai-je soldats? Vous avez assiégé comme un ennemi le fils de votre empereur; citoyens? Vous foulez aux pieds l'autorité du sénat: les lois même de la guerre, le caractère sacré d'ambassadeur, le droit des gens, vous avez tout méconnu, etc. [Jules César apaisa d'un mot une sédition de son armée, en appelant Quirites des hommes qui trahissaient leurs serments. Auguste, d'un seul de ses regards, fit trembler les légions d'Actium. Si nous n'égalons pas encore ces héros, nous sommes leurs rejetons; et l'on verrait avec surprise et indignation le soldat d'Espagne ou de Syrie nous manquer de respect.]

Puis il amplifie par un argument tiré des circonstances:

Et c'est la première légion, tenant les enseignes de Tibère; c'est vous, soldats de la vingtième, compagnons de ses victoires, riches de ses bienfaits, qui payez votre général d'une telle reconnaissance!

S'ensuit une menace:

Voilà donc ce que j'annoncerai à mon père, qui de toutes les autres provinces ne reçoit que des nouvelles heureuses! [Je lui dirai que ses jeunes soldats, que ses vétérans, ne se rassasient ni de congés, ni d'argent; qu'ici seulement les centurions sont tués, les tribuns chassés, les députés prisonniers; qu'ici le sang inonde les camps, rougit les fleuves; qu'ici enfin ma vie est à la merci d'une multitude furieuse. Pourquoi, le premier jour où j'élevai la voix, m'arrachiez-vous le fer que j'allais me plonger dans le cœur, trop aveugles amis? Il me rendait un bien plus généreux office, celui qui m'offrait son glaive: j'aurais péri du moins avant d'avoir vu la honte de mon armée. Vous auriez choisi un autre chef, qui sans doute eût laissé ma mort impunie, mais qui eût vengé le massacre de Varus et des trois légions. Car nous préservent les dieux de voir passer aux Belges, malgré l'empressement de leur zèle, l'éclatant honneur d'avoir soutenu la puissance romaine et abaissé l'orgueil de la Germanie!]

Après quoi il conclut. Voyez à ce propos comment il excite l'espoir et l'amour:

Âme du divin Auguste, reçue au séjour des immortels, image de mon père Drusus, mémoire sacrée d'un grand homme, venez, avec ces mêmes soldats, sur qui la gloire et la vertu reprennent leurs droits, venez effacer une tache humiliante, et tournez à la ruine de l'ennemi ces fureurs domestiques. [Et vous, dont je vois les visages, dont je vois les cœurs heureusement changés, si vous rendez au sénat ses députés, à l'empereur votre obéissance, à moi ma femme et mon fils, rompez avec la sédition, séparez de vous les artisans de trouble. Ce sera la marque d'un repentir durable, et le gage de votre fidélité[21].]

Commençons par cerner en quoi cette analyse se différencie de la précédente. Concernant le repérage de la proposition générale du discours tout d'abord, s'il s'agit d'une objurgatio, le dessein propositionnel (la séquence hiérarchiquement dominante du réseau) sera l'énoncé même de l'objurgation à se racheter, à bien faire, que l'on peut identifier une nouvelle fois dans la séquence ultime, ce sur quoi s'arrête précisément la citation littérale: «venez effacer une tâche humiliante, et tournez à la ruine de l'ennemi ces fureurs domestiques.» Second point, Vossius cite beaucoup moins de texte littéral que Pelletier: généralement il se contente de citer le début de chaque séquence, ponctuant occasionnellement la fin de l'extrait d'un «etc.». Et troisième point, Vossius retravaille l'ouverture: il en intègre une partie dans son commentaire, mais ne cite même pas l'énoncé incipitial du discours. Nous dirons qu'il distingue deux séquences, l'une «en creux», par son omission, l'autre, «en plein», par son identification.

Nous pouvons en venir dès lors aux ressemblances. Il est clair, tout d'abord, que malgré le changement du genre discursif (et malgré la divergence d'interprétation qu'il suppose concernant le contexte pragmatique), Vossius et Pelletier se retrouvent à peu près sur le séquençage, sur la répartition des masses du discours: trois séquences sont comparables (l'amplification du crime, la menace, la séquence finale dédiée à des affects positifs), une séquence supplémentaire est intégrée à l'initiale parce qu'elle est délimitée (par l'embrayeur «en effet») et qu'elle est identifiée du point de vue de sa fonction dans l'argumentation (définition du genre du crime). Bref, la fonctionnalité globale (l'objurgation) est donc compatible à la fois avec un canevas plus intégratif et avec le contexte situationnel étroit: elle l'emporte donc sur le canevas de la conciliatio, à ceci près que Vossius échoue lui aussi à rendre compte du dynamisme discursif – modélisant d'une part le texte sur un format-type qui ne fait rien du tout début (d'où son éviction: il n'est même pas cité) et où la séquence d'adoucissement est censée être initiale et non finale.

Bref, l'objurgation est une interprétation possible du discours, une identification relativement opérationnelle même si elle inclut elle aussi – peut-être forcément – une part de reste, de résidus résistants ou dysfonctionnels. Comme toute mise en forme fixée, elle est autant une décision (d'en rester là) qu'une analyse, mais elle n'interdit pas une autre mise en forme possible, par exemple en recourant à la comminatio.


5. Troisième mise en forme possible: un discours de menace

Pourquoi aller chercher le type du discours comminatoire? Là aussi, la décision est liée à l'herméneutique du contexte, mais en se focalisant sur d'autres éléments que n'exploitent ni Pelletier ni Vossius: l'affect de Germanicus à l'orée du discours d'une part (discours d'un chef… sous l'emprise de la fureur, nous dit Tacite[22]); et surtout la suite et les conséquences de son discours: le co-texte aval désigne ce discours comme un discours de juste reproche (vera exprobrari) et surtout il décrit le carnage qui s'ensuit, celui des chefs de la sédition par les soldats eux-mêmes, un carnage que je dirai expiatoire pour détourner la vraie menace d'une décimation plus grande, sur la légion entière. Or, sur la scène judiciaire, l'alliance du cinglant reproche d'ingratitude et de la menace s'incarne donc habituellement dans le discours-type dit de la comminatio:

. Tout l'artifice de ce discours semble consister en ce que nous inspirions la crainte à celui que nous menaçons: c'est pourquoi la menace sera estimée d'autant meilleure que la crainte sera suscitée plus efficacement. Aussi le début doit-il être très abrupt, comme s'il était produit à l'improviste.

. En outre, il convient que le genre de tout le discours soit concis, véhément (concitatus), menaçant, plein de formules et de maximes impressionnantes, en rien recherché ou puéril. Toute la première Catilinaire peut être l'exemple absolu; elle a en effet un souffle véhément de part en part, et elle est efficace pour générer les sentiments les plus forts.

. Doit être employée une amplification véhémente du crime ou du forfait contre lequel est requise la punition (supplicium): ce qui peut donner lieu à un développement un peu long. […]

. Afin que le mouvement ne retombe pas, languide et froid, il faut recourir à la communicatio [figure de pensée: demander l'avis du destinataire] et avancer avec précaution, comme le fait Cicéron dans le passage loué.

. Il sera de plus utile de décrire la chose assez clairement et dans ses conséquences désavantageuses à venir, de sorte qu'elle ne semble pas être dite, mais placée sous les yeux: qui est facile à suivre en imitant Cicéron, première Verrine […].

. La menace peut être conclue sous la forme d'une optatio [figure de pensée inverse de l'imprecatio: expression d'un désir, sous forme exclamative] et d'une exhortation, de façon que le discours ne semble pas être proféré sous l'emprise de la haine et de la malevolentia […]: et ce, afin de ne pas s'aliéner les auditeurs et de faire en sorte qu'ils ne se détournent pas[23].

Comme on le voit, le discours comminatoire partage avec la conciliation et l'objurgation l'alliance de séquences contrastées (de réprimande versus d'adoucissements) mais il est le seul canevas-type qui nous permette de prendre en compte deux éléments qui nous avaient résisté, le tout début («Aussi le début doit-il être très abrupt, comme s'il était produit à l'improviste») et la position ultime de la séquence d'adoucissement («La menace peut être conclue […] de façon que le discours ne semble pas être proféré sous l'emprise de la haine et de la malevolentia»). Il nous permet en outre quelques réglages fins dans le formatage des séquences intermédiaires, en termes de figures et pas seulement en termes de schémas argumentatifs.

Prendre l'hypothèse d'un dispositif comminatoire permet alors de mettre en place une autre version possible du discours de Germanicus, plus finement formatée et fonctionnalisée: ce sera une ultime hypothèse de formalisation, que je placerai donc sous l'égide de ces outils rhétoriques anciens que sont les types de discours, mais que je mènerai en l'occurrence seule puisqu'aucun rhétoricien n'a pris le second discours de Germanicus comme exemple de comminatio.

Je procèderai cependant comme mes prédécesseurs. J'identifierai tout d'abord comme séquence focale l'énoncé littéral de la menace (que l'on trouve ici en position centrale et non pas ultime): «Voilà donc ce que j'annoncerai à mon père [l'empereur Tibère lui-même, père adoptif de Germanicus]: […] qu'ici enfin ma vie est à la merci d'une multitude furieuse.» Et je modéliserai ensuite les séquences en reprenant les outils descriptifs répertoriés à la fois par le discours type de la comminatio et par ceux de la conciliatio ou de l'objurgatio, puisqu'au demeurant l'identification formelle des séquences est de part et d'autre relativement stable quel que soit le contexte fonctionnel retenu:

Proposition d'analyse: début ex abrupto et véhément comme indiqué dans le canevas du discours comminatoire. Plus précisément, invectiva sous la forme véhémente d'une prolepsis, d'une réponse à une objection implicite:

Ne croyez pas, dit-il, que mon épouse et mon fils me soient plus chers que mon père et la république. Mais mon père a pour sauvegarde sa propre majesté; l'empire a ses autres armées. Ma femme et mes enfants, que j'immolerais volontiers à votre gloire, je les dérobe maintenant à votre fureur, afin que, si le crime ensanglante ces lieux, je sois la seule victime, et que le meurtre de l'arrière-petit-fils d'Auguste et de la belle-fille de Tibère n'en comble pas la mesure.

Arguments concernant le genre de crime (en accord avec Pelletier). Complément d'analyse: séquence d'amplification car les arguments sont tirés d'une enumeratio, d'un détail des griefs, et ce, sous la forme véhémente d'une communicatio (d'une prise à partie du destinataire), comme indiqué dans le canevas de la comminatio:

En effet, qu'y a-t-il eu pendant ces derniers jours que n'ait violé votre audace? Quel nom donnerai-je à cette foule qui m'entoure? Vous appellerai-je soldats? Vous avez assiégé comme un ennemi le fils de votre empereur; citoyens? Vous foulez aux pieds l'autorité du sénat: les lois même de la guerre, le caractère sacré d'ambassadeur, le droit des gens, vous avez tout méconnu.

Amplification du crime, suite: argument tiré d'une comparaison a simili (cf. le canevas de l'objurgatio):

Jules César apaisa d'un mot une sédition de son armée, en appelant Quirites des hommes qui trahissaient leurs serments. Auguste, d'un seul de ses regards, fit trembler les légions d'Actium. Si nous n'égalons pas encore ces héros, nous sommes leurs rejetons; et l'on verrait avec surprise et indignation le soldat d'Espagne ou de Syrie nous manquer de respect.

Amplification du crime, suite: argument tiré des circonstances de la personne (voir Vossius et Pelletier):

Et c'est la première légion, tenant les enseignes de Tibère; c'est vous, soldats de la vingtième, compagnons de ses victoires, riches de ses bienfaits, qui payez votre général d'une telle reconnaissance!

Énoncé de la menace (séquence identifiée comme telle par Vossius):

Voilà donc ce que j'annoncerai à mon père, qui de toutes les autres provinces ne reçoit que des nouvelles heureuses! Je lui dirai que ses jeunes soldats, que ses vétérans, ne se rassasient ni de congés, ni d'argent; qu'ici seulement les centurions sont tués, les tribuns chassés, les députés prisonniers; qu'ici le sang inonde les camps, rougit les fleuves; qu'ici enfin ma vie est à la merci d'une multitude furieuse.

Puis récrimination solennelle (ou expostulatio). Voir son association avec la comminatio dans le canevas de l'objurgation:

Pourquoi, le premier jour où j'élevai la voix, m'arrachiez-vous le fer que j'allais me plonger dans le cœur, trop aveugles amis? Il me rendait un bien plus généreux office, celui qui m'offrait son glaive: j'aurais péri du moins avant d'avoir vu la honte de mon armée. Vous auriez choisi un autre chef, qui sans doute eût laissé ma mort impunie, mais qui eût vengé le massacre de varus et des trois légions. Car nous préservent les dieux de voir passer aux Belges, malgré l'empressement de leur zèle, l'éclatant honneur d'avoir soutenu la puissance romaine et abaissé l'orgueil de la Germanie!

Conclusion: affects (espoir et amour: Pelletier, Vossius). Ou alors, conformément au canevas du discours comminatoire, éthos d'un homme sans malevolentia, manifesté par une optatio (l'invocation à Auguste, identifiée par Pelletier) et par une exhortation aux soldats (identifiée également par Pelletier):

Âme du divin Auguste, reçue au séjour des immortels, image de mon père Drusus, mémoire sacrée d'un grand homme, venez, avec ces mêmes soldats, sur qui la gloire et la vertu reprennent leurs droits, venez effacer une tache humiliante, et tournez à la ruine de l'ennemi ces fureurs domestiques.

Conclusion suite. Exhortation aux soldats.

Et vous, dont je vois les visages, dont je vois les cœurs heureusement changés, si vous rendez au sénat ses députés, à l'empereur votre obéissance, à moi ma femme et mon fils, rompez avec la sédition, séparez de vous les artisans de trouble. Ce sera la marque d'un repentir durable, et le gage de votre fidélité.

Disons que c'est là la modélisation qui est la plus intégrative et dont la granularité est la plus fine: le discours de Germanicus est devenu par la division et l'ordonnancement que j'ai opérés un exemple presque standard d'une menace en forme. Mais cette modélisation oblige en revanche à rompre avec l'image conventionnelle de bonté, avec l'éthos exemplaire d'amitié et de popularité construit autour du personnage de Germanicus. Ce qui n'est pas rien: le discours ainsi formaté s'avère – à l'interprétation – globalement incompatible avec son énonciateur. Il s'agit bien évidemment d'une faiblesse majeure pour ce qui est – à tout prendre – simplement une troisième analyse rhétorique de l'énoncé, une troisième mise en forme possible, une troisième modélisation textuelle.

On pourrait ajouter d'autres formalisations possibles – on en ajoutera sans doute d'autres: il suffit pour cela de raffiner notre compétence modélisatrice (en l'adossant par exemple à une technique méthodique de séquençage, de mise en réseau et de formalisation dynamique du rythme, du déroulé sémantique); d'enrichir également notre encyclopédie des formes-type de séquences et des canevas-type de discours; enfin d'approfondir l'exemplarité du cas (sa standardisation) en exploitant et en interprétant tel ou tel autre circonstant contextuel.

Mais c'est déjà anticiper sur les quelques conclusions méthodologiques que nous nous proposons de tirer de ce parcours.


6. Des formes et des fonctions

Revenons pour finir aux questions initialement posées concernant l'interaction de la formalisation et de l'interprétation, que nous pouvons reformuler en termes d'interaction de la modélisation avec les différentes procédures formalisatrices de séquençage, de mise en réseau des séquences et de prise en compte de leur mouvement discursif dans le ductus, dans la conduite du discours.

Deux séquences, partout délimitées et autonomisées, seront pour nous ici emblématiques: la séquence initiale, lançant un discours sur une piste a priori intenable, celle de l'invective; et la séquence conclusive, embrayée par l'invocation à Auguste et évitant de conclure le discours par une pointe amère. Il s'agit dans les deux cas de deux formes également résistantes et dysfonctionnelles, en rupture avec différents fonctionnements contextuels, que ce soit le contexte du réseau séquentiel (les canevas de la conciliatio et de l'objurgatio qui semblent exclure la possibilité de la dernière séquence), ou le contexte de l'éthos discursif pour la séquence censée être exordiale. Toutes les interprétations vont alors essayer de faire quelque chose avec ces formes résistantes (qui sont aussi des articulations spécifiques du sémantisme), et partant de faire quelque chose avec la thématique qu'elles focalisent: et deux solutions, tout aussi efficaces l'une que l'autre, vont être mobilisées, d'une part, pour la dernière séquence, l'intégration dans une cohérence modélisant la divergence et la pluralité mais inactivant les effets de l'ordonnancement; et d'autre part, pour la séquence initiale, l'exfiltration pure et simple hors du discours – resserrant par conséquent le co-texte conservé dans une cohérence sémantiquement satisfaisante.

Bref, s'il y a un relatif consensus sur la mise en forme, le repérage et l'autonomisation des séquences et une grande stabilité sur leur identification rhétorique, la discussion commence avec les décisions herméneutiques concernant d'une part la focalisation (la hiérarchie des séquences) et d'autre part la modélisation syntagmatique et paradigmatique du discours entier. Et nous venons précisément de faire l'expérience à la fois de l'évidence et de la résistance des formes dans un cadre encyclopédique donné: de leur évidence tout d'abord pour une compétence formalisatrice experte (telle que celle de la technique rhétorique); et de leur résistance ensuite à perdre leur identité propre, leur visibilité (leur perceptibilité), à être normalisées (dissoutes) dans une modélisation fonctionnelle ad hoc. Libre alors à l'herméneute de faire le choix de les conserver, de les gauchir ou de les ignorer: si la rhétorique travaille dans le remarquable et le mémorable, dans l'exemple, la critique est dans la décision et a la responsabilité de son point de perspective.

Ou comme je le rappelais dans un précédent article,

Où s'arrête la description et où commence l'interprétation? Où l'analyse rhétorique cède-t-elle le pas à la reprise herméneutique du sens? Jusqu'où vont les opérations de mise en forme, de composition du texte selon les trois grands gestes que nous avons repérés et expérimentés, par division en séquences, par regroupement en parties, par transition dynamique? Où placer le curseur entre une expérience lectoriale de formalisation et une pratique herméneutique?

Sans doute, pour une part, du côté de l'identification: qu'il s'agisse de l'identité d'un argument (quel ressort mobilise-t-il?), de l'identité d'une partie (y a-t-il ou non une partie dévolue à la promesse de gratitude?), ou plus encore de l'identité de l'ensemble du réseau et du dessein propositionnel. L'outillage rhétorique – qu'il soit lieu, partie, liaison, proposition, canevas-type – est à la fois un puissant opérateur pour marquer dans le fil du texte, dans son déroulé sémantique, des cellules syntagmatiques, des réseaux, des raccordements, bref, pour mettre en forme le texte; et en même temps il constitue un formidable réservoir d'hypothèses modélisatrices, susceptibles d'être mobilisées pour identifier et résumer les formes, pour corréler un énoncé à une thèse, et partant les cellules à des ressources types, les réseaux à des canevas exemplaires, les raccordements à des genres, bref, les formes à des fonctionnements et la mise en forme à la fonction. […]

L'interprétation commence où l'expérimentation formalisatrice cède le pas à la décision, où l'on n'en reste pas à l'étape technique du relevé méthodique et exhaustif de tous les embrayeurs possibles de séquençage, de cohésion, de transition dans la mise en forme du sémantisme; mais où on bascule dans le choix et la prévalence d'un système de modélisation sur un autre[24].

Autrement dit, je plaiderai ici pour la transaction suivante: l'analyse rhétorique (la formalisation d'un texte) n'est pas le tout de l'enquête sur le sens d'un énoncé, elle en est peut-être simplement le point de départ, ouvrant au geste de l'herméneute le choix des possibles et laissant à sa décision l'interprétation fonctionnelle de la parole comme acte. Mais c'est bien à l'identification des formes que la rhétorique en revient toujours et qu'elle nous invite à revenir. Quelle que soit la part de spéculation sur les fonctions du discours, elle instrumentalise de facto son interprétation (ici en l'occurrence ce qu'elle retient des circonstances) au service d'une modélisation paradigmatique et syntagmatique du discours, au service d'une mise en forme sémantiquement pertinente du déroulé énonciatif.

Le savoir-faire rhétorique (disons plus brutalement: la rhétorique) est donc très humblement un savoir sur la description d'un texte, sur la prise en charge de sa cartographie fonctionnelle et syntagmatique, bref un savoir-lire (ouvrant à toutes les récritures, à tous les arts d'écrire, mais les précédant, logiquement et chronologiquement): la rhétorique est très basiquement un art de lire, de mettre en forme les énoncés, de repérer les formes possibles d'un texte, d'en recenser des hypothèses de modélisation.

Mais c'est peut-être à tout prendre quelque chose d'important que de savoir simplement décrire les textes avant que de les gloser, que de savoir les formaliser: en particulier dans ce contexte pragmatique et institutionnel un peu particulier que sont aujourd'hui les études de lettres. Et s'il est assurément stimulant de réfléchir, comme le colloque de Bruxelles nous y invitait, sur les usages de la rhétorique en tant qu'acte de langage dans le vaste champ des pratiques et des compétences, il est tout aussi légitime de prendre en charge une réflexion – cognitive, pragmatique – sur les usages – sur les fonctions – de la compétence formalisatrice propre à la rhétorique de la lecture précisément dans le champ des études de lettres et dans le débat politique sur leur légitimité (sur leur nécessité).

Car si notre discipline s'attelle assez souvent à défendre l'actualité de la littérature – ce qui est souhaitable et nécessaire –, il me paraît plus que jamais qu'elle trouve son identité et sa valeur dans un mythe, au sens le plus noble, à savoir que mieux on lit et plus on lit, qu'il y a un itinéraire et une ascèse dans la compétence lectoriale, que lire est bel et bien une discipline (notre discipline) et qu'à ce titre, décrire un texte (le formaliser c'est-à-dire le pluraliser, l'ouvrir à la possibilité des formes) peut être décisif dans la conquête de la lisibilité.



Christine Noille
Christine Noille est rhétoricienne, professeur à l'université Stendhal Grenoble 3.



Pages de l'Atelier associées: Rhétorique, Textes possibles, Lecture, Interprétation, Commentaire, Texte, Contexte.




[1] Voir J. Michl, «Form Follows What? The modernist notion of function as a carte blanche», dans 1:50 - Magazine of the Faculty of Architecture & Town Planning [Technion, Israel Institute of Technology, Haifa] nr. 10, Winter, 1995: 31-20 [sic].

[2] Cet article est issu d'une communication au colloque «Usages et fonctions de la rhétorique» co-organisé par le GRAL (Groupe de recherche en Rhétorique et en Argumentation Linguistique) et le SRSC (Séminaire de Recherche en Sciences Cognitives) les 16-18 mai 2013 à Bruxelles. Pour une présentation des thématiques d'appel, voir http://rheto13.ulb.ac.be/

[3] Voir Fr. Goyet, «Mythologies de la préméditation et mythologies de l'improvisation: sur quelques commentaires rhétoriques de l'Énéide», à paraître dans Ch. Noille dir., Sur des vers de Virgile. Commenter l'Énéide (XVIe-XVIIe s.), Classiques Garnier, 2014: «C'est cela le point essentiel, si l'on veut définir l'objet de la rhétorique en tant que rhétorique, comme discipline, indépendamment de son ancrage historique dans telle ou telle époque, ou de son rattachement à d'autres disciplines (l'esthétique, la politique, voire l'anthropologie ou la psychologie). L'analyse rhétorique ne fait pas d'hypothèse sur la façon dont l'auteur est parvenu au résultat qu'est le discours. Elle se contente d'étudier et de décrire la forme de ce discours, ce à quoi il ressemble. […] En d'autres termes, nous pouvons esquiver les débats très lourds liés au «classicisme», à l'ordre et à la maîtrise, avec leurs enjeux esthétiques, politiques ou théologiques, tous soulevant au fond la grande question de la téléologie. Ces débats ne sont pas rhétoriques.»

[4] Michel Charles, «Trois hypothèses pour l'analyse avec un exemple», Poétique, 164, nov. 2010, p.417.

[5] G. Genette, «Raisons de la critique pure», communication à la décade de Cerisy-la-Salle sur «Les Chemins actuels de la critique», sept. 1966, repris dans Figures II, Seuil, 1969, coll. «Points», 1979, p.19.

[6] Tacite, Annales, Livre I, ch. xxxi-xlix, Révolte des légions de Germanie, trad. J.L. Burnouf, Paris, 1859.

[7] G. J. Vossius, Rhetorices contractae, sive Partitionum Oratoriarum libri quinque (1e éd. Leyde, 1621), Saumur, 1677.

[8] G. Pelletier, Reginae Palatium Eloquentiae (1e éd. Paris, 1641), Cologne, 1709.

[9] Souvenir de Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, Gallimard, 1965, incipit: «Le vingt-cinq septembre douze cent soixante-quatre, au petit jour, le duc d'Auge se pointa sur le sommet du donjon de son château pour y considérer, un tantinet soit peu, la situation historique. Elle était plutôt floue. Des restes du passé traînaient encore çà et là, en vrac. Sur les bords du ru voisin, campaient deux Huns; non loin d'eux un Gaulois, Éduen peut-être, trempait audacieusement ses pieds dans l'eau courante et fraîche. Sur l'horizon se dessinaient les silhouettes molles de Romains fatigués […]. Quelques Normands buvaient du calva.»

[10] Tacite, op. cit., I, 34 sq.

[11] Vossius, Rhetorices contractae, op. cit., II, 22, p.188-192, trad. L. Vianès pour l'E.A. RARE-Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution.

[12] Sur la notion de discours-type, deux articles: F. Goyet, «Vers une typologie des discours. 1. Les discours de sédition et d'union. Introduction», dans Exercices de rhétorique 1|2013, mise en ligne 3e trim. 2013; et Ch. Noille, «Le discours d'un Prince (Énéide, I, 597-610). Archéologie de la disposition», dans Exercices de rhétorique 2|2013, mise en ligne 4e trim. 2013; version de travail, URL: http://w3.u-grenoble3.fr/rare/spip/spip.php?article333

[13] Ibid.

[14] Tacite, op. cit., I, 40 sq.

[15] Vossius, Rhetorices contractae, II, 22, op. cit. Repris textuellement dans Pelletier, Reginae Palatium (1641), «Artificium Conciliationis» [«L'art du discours de réconciliation»], p.874-876.

[16] Comparer Tacite, op. cit., I, 41: «Ils se jettent au-devant d'Agrippine, la supplient de revenir, de rester; et, tandis qu'une partie essaye d'arrêter ses pas, le plus grand nombre retourne vers Germanicus. Lui, encore ému de douleur et de colère, s'adressant à la foule qui l'environne […].» Et Tacite, ibid., I, 44: «Touchés par ce discours, ils lui demandent grâce (supplices), et, reconnaissant la vérité de ses reproches, ils le conjurent de punir le crime, de pardonner à l'erreur, et de les mener à l'ennemi […].»

[17] Tacite, ibid., I, 42-43 in extenso, sans le paragraphage moderne.

[18] G. Pelletier, Reginae Palatium Eloquentiae, op. cit., p.874-876, trad. F. Goyet pour l'E.A RARE-Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution. Nous mettons en italiques le commentaire proprement dit; en caractères romains, les citations; entre crochets, les énoncés de Tacite que ne cite pas Pelletier.

[19] Vossius, Rhetorices contractae, op. cit., II, XVI, p.211-215, trad. Ch. Noille pour l'E.A. RARE-Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution.

[20] Pour les conventions typographiques que nous reprenons ici, voir la note 18.

[21] Ibid.

[22] Voir Tacite, op. cit.: «Lui, encore ému de douleur et de colère, s'adressant à la foule qui l'environne […].»

[23] G. Pelletier, Reginae Palatium, «Comminationis artificium» [«L'art du discours de menace»], p.944-945, trad. Ch. Noille pour l'E.A. RARE- Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution.

[24] Christine Noille, «Le discours d'un Prince (Énéide, I, 597-610). Archéologie de la disposition», op. cit.; version de travail, URL: http://w3.u-grenoble3.fr/rare/spip/spip.php?article333 .



Christine Noille

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Dernière mise à jour de cette page le 7 Septembre 2013 à 11h11.