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Où est le problème ou quelques hypothèses pour rendre compte d'une possible tension entre théorie littéraire et littérature antique.

1) Explication conjecturelle Les études classiques toujours plus traditionalistes auraient toujours un temps de retard dans la réception de la théorie contemporaine. A cette explication sensée, s'opposerait au moins le constat qu'à la fin du 18ème et au 19ème siècle c'est précisément sous l'influence d'Antiquisant nommés Winckelmann, Schlegel ou Schleiermacher, que la théorie littéraire a connu avec le romantisme allemand un des tournants les plus importants de son histoire.

2) Représentations culturelles L'antagonisme viendrait en partie des représentations culturelles fort différentes attachées aux deux champs. Comme l'a montré J. Schlanger (« L'érudition et ses ennemis » Poétique, 99, 1994, pp. 227-289), il s'est peu à peu attaché au philologue l'image d'un érudit soucieux d'exactitude et de détail plus que de conceptualisation à quoi s'oppose l'image du théoricien qui sacrifie le fait au plaisir de la conceptualisation. Cette opposition qui se forge d'après Schlanger au 19ème siècle pourrait encore rendre compte des réticences des antiquisants devant une théorie jugée trop abstraite.

3) Sens littéral et sens doctrinal On sait que la philologie, dans le contexte de la Réforme, est née d'une dichotomie entre la quête du sens littéral et la vérité doctrinale. Le philologue doit chercher à déterminer la lettre du texte à l'aide d'une méthode adéquate mais ne doit en aucun cas faire correspondre cette lettre à une vérité préétablie. C'est encore cet appel à la lettre opposé aux « préconceptions » qui se retrouve, de nos jours, dans l'Ecole de J. Bollack. Dès lors, la théorie peut être perçue comme une forme de vérité préétablie que l'on cherche à imposer au texte antique.

4) Littérature ou Antiquité? Depuis la fondation de l'Altertumwissenschaft par Wolf à la fin du 18ème siècle, le texte antique est compris, de manière plus ou moins conceptuelle, comme la partie d'un tout, l'Antiquité. L'étudier revient à retrouver le monde ou l'esprit Antique à partir de ce fragment d'un monde que constitue le texte. Or au moment où elle se constitue la théorie littéraire vise au contraire à arracher le texte à son contexte pour penser sa littérarité. Dès lors théorie littéraire et Sciences de l'Antiquité ne sont pas des éclairages différents sur le même objet. Elles n'ont pas exactement le même objet : le texte d'Homère est dans un cas le reste d'un monde, dans l'autre un objet esthétique. Plus généralement, l'opposition entre une approche historique ou anthropologique du texte antique et une approche théorique post structuraliste est beaucoup plus radicale que celle que l'on peut observer dans d'autres champs. • Si l'on peut admettre que Mallarmé par exemple est à la fois un texte littéraire et le produit d'un contexte, si nous n'avons pas forcément à choisir entre ces deux options, l'alternative est beaucoup plus tendue dans le cas du corpus antique. • Dans cette optique on dira Que la « théorisation » sur/à partir du texte antique suppose Soit une redéfinition du corpus derrière laquelle se profile l'idée qu'il n'y a pas un mais deux textes antiques (par exemple l'Odyssée est autant le résultat et le témoignage d'une pratique orale de la poésie que l'élément d'une bibliothèque où le texte homérique voisine avec Dante et Joyce) Soit à l'affirmation que toute approche littéraire du texte antique ne peut faire l'économie d'une approche anthropologique, voire que l'approche littéraire du texte antique est un contre sens et un anachronisme, a fortiori la théorisation littéraire.

Ce n'est donc pas toute théorie littéraire qui poserait pb aux antiquisants mais la théorie littéraire née dans les années 1950 ou 1960 parce qu'elle veut d'abord penser la littérarité de son objet. En revanche, le récent développement des culturals et des genders studies ne pose pas problèmes aux études antiques mais sont plutôt l'objet d'une rencontre euphorique.

Par contre-coup toute tentative de penser la littérarité du texte antique ne sera fondée que si le théoricien admet et assume d'annexer le texte antique non plus à l'ensemble « Antiquité » mais à l'ensemble « littérature ».

Ce problème se pose évidemment de manière plus ou moins dramatique pour tout corpus mais il est grossi dans le cas du texte antique parce que le texte antique se définit d'abord par son appartenance à un passé révolu et également parce que l'histoire des sciences de l'Antiquité n'est pas exactement celle de la critique littéraire.

5) Historicité et Universalité de la théorie littéraire Mais c'est aussi la théorie littéraire qui peut être remise en cause dans sa prétention à l'universalité et à l'achronie de son propos. Dans ce cas, on fera l'hypothèse que la théorie littéraire contemporaine tire la plupart de ses exemples et, plus grave, de ses problématiques d'un corpus récent et essentiellement post-romantique et d'un corpus essentiellement occidental, que sa prétention à vouloir rendre compte de tout texte est par là même infondée. Cette affirmation, qui pose en fait le pb du rapport de la théorie à l'exemple, est évidemment très problématique - Il est inexact que les théoriciens de la littérature ne tirent pas leurs exemples de l'Antiquité (cf Genette, Bakhtin, Todorov et avant eux les romantiques de Iéna). - Peut-on juger de l'universalité d'un propos théorique à l'aune de ses exemples et dans ce cas seule un théoricien qui ferait l'épreuve de son propos sur l'ensemble de la littérature mondiale aura-t-il droit de cité ? Ne confond-on pas théorie et … histoire ?

6) Théoriser l'Antiquité ? A moins que la première tâche de la théorie littéraire soit de théoriser l'antiquité du texte antique ? C'est ainsi que depuis Schleiermacher et sa relecture par Gadamer, la question de l'interprétation du texte antique est paradigmatique pour la théorie de l'interprétation. Cette optique aurait le mérite de ne pas limiter l'approche du texte antique à la seule anthropologie tout en ne posant pas comme un donnée indiscutable la littérarité du texte antique. Elle nous permettrait de penser et de théoriser les manières dont le texte antique peut-être lu comme un objet littéraire même s'il n'a pas été forcément conçu de la sorte. Il est peut-être urgent de théoriser l'anachronisme…



Sophie Rabau

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Dernière mise à jour de cette page le 31 Janvier 2005 à 15h31.