Atelier






Possibles amours. Lire comme si l'on écrivait

Par Marie Minger (Université de Lausanne)



Dossiers Narrateur, Narratologie, Textes possibles.




Possibles amours
Lire comme si l'on écrivait



«L'exercice de la théorie et de l'analyse littéraire ne doit pas conduire à ériger en norme la tradition existante et à canoniser l'acquis, mais au contraire à éclairer les voies marginales ou risquées du possible, les limites où s'ébauche l'œuvre à venir. L'ambition de la poétique est, au sens le plus fort, de donner à lire — et donc, d'une certaine manière, à écrire.»

«Présentation» (non signée), Poétique, n°1, 1970


Le Roman de Chairéas et Callirhoé[1] raconte une histoire d'amour. Les héros, Chairéas et Callirhoé, tombent amoureux au premier regard, se marient, sont séparés par toute une série de péripéties et finalement se retrouvent.


Ainsi présentée, l'affaire est simple. Mais outre Chairéas, nombreux sont les personnages à tomber sous le charme de l'héroïne au fil du roman. Entre autres: Artaxerxès, le Grand Roi, ainsi que les deux satrapes Pharnace et Mithridate. Ce sont ces possibles amours — à un moment ou un autre de l'intrigue, du moins — qui m'intéresseront. Curieusement, toutes ces histoires entraînent des problèmes énonciatifs. Le parti pris modal affiché en ouverture de roman se craquèle ponctuellement. Dans ces moments, le récit semble proprement se nourrir des brèches ouvertes par ces infractions toute locales.


Le roman de Chariton sera pour nous discontinu et résolument ouvert, hanté çà et là de textes possibles. Deux problèmes énonciatifs seront décrits et interprétés. Spécifiquement, je chercherai à rendre compte de ces accidents textuels de façon efficace et économique. Plus largement, j'explorerai une méthode qui pourrait être une alternative à la narratologie. On le dira d'ores et déjà ici: la lecture proposée, bien souvent, voisinera l'écriture.



Problème 1


Le premier problème se situe peu avant la fin du livre 5[2]. Tous les personnages du roman sont réunis à Babylone en vue d'un procès qui opposera deux d'entre eux: Dionysios, le nouvel époux de l'héroïne, Callirhoé (déjà mariée à Chairéas, mais contrainte par les circonstances à un remariage) et Mithridate. Ce dernier a sauvé Chairéas de la mort et tenté de s'attirer, pour ce geste, la bienveillance de Callirhoé, dont il est secrètement amoureux. Il a poussé Chairéas à écrire une lettre à son épouse et a joint à l'envoi un autre courrier, de sa main. Mais les missives sont interceptées. Et c'est Dionysios qui les lit. Persuadé que Chairéas est mort, il soupçonne un faux rédigé par Mithridate pour amadouer et séduire sa femme. Le stratagème est dénoncé à Artaxerxès, le Grand Roi, qui décide d'arbitrer lui-même l'affaire et convoque tous les protagonistes à Babylone.


Une modalisation épistémique hétérogène


Le problème énonciatif intervient au moment où Chairéas, que tout le monde croit mort, y compris Callirhoé, surgit théâtralement devant la foule qui assiste au procès:

Qui pourrait décrire dignement l'allure que prit alors le tribunal? […] On partageait le bonheur de Chairéas, la joie de Mithridate, l'affliction de Dionysios — pour Callirhoé, on était dans la plus grande perplexité; elle était bien sûr particulièrement troublée et restait immobile et sans voix, ne pouvant qu'ouvrir les yeux pour regarder Chairéas: je pense que même le Roi aurait bien voulu alors être à la place de Chairéas (dokei d'an moi kai basileus tote thelein Chaireas einai). (5.8.2-3, passim)

Le narrateur recourt à une surprenante modalisation épistémique: en grec, la tournure impersonnelle «il me semble» (dokei moi) et la proposition infinitive potentielle modalisée par le an qu'elle régit (rendue en français par un conditionnel). Qui a lu la suite du roman sait qu'effectivement le Grand Roi «voudrait bien» être à la place de Chairéas. Car à l'instar de tous les personnages masculins, Artaxerxès est tombé sous le charme de l'héroïne.


Le lecteur sera clairement fixé sur la question au début du livre 6, lors d'un moment d'introspection du Roi:

«[…] Réponds d'abord à toi-même: qui es-tu pour Callirhoé? amant ou juge? Ne cherche pas à te tromper. Tu ne t'en rends pas compte mais tu l'aimes: tu en seras davantage convaincu quand tu ne la verras pas. […]» (6.1.10)

À dire vrai, ce même lecteur s'en doute depuis un moment, lui qui a eu une première fois accès aux pensées du Roi, à la fin du livre 4 déjà, quand Artaxerxès prend connaissance du conflit qui oppose Dionysios et Mithridate.

[L]e Roi ne prit ce jour-là aucune décision et reporta l'examen: la nuit venue, il se sentit pénétrer par deux sentiments: la haine des mauvaises actions eu égard à la dignité monarchique [i. e. la tentative de séduction de Callirhoé, une femme mariée, par le satrape Mithridate, c'est-à-dire un représentant du Roi], la cautèle à observer au sujet de ce qui allait se passer: Mithridate pouvait trouver là une occasion de le bafouer. Son premier mouvement fut donc de le convoquer en justice; mais un autre sentiment le poussait à faire venir aussi la femme qui était si belle: il n'avait avec lui pour conseillers que la nuit et les ténèbres qui ramenaient toute son attention à ce passage particulier de la lettre […] qui évoquait une certaine Callirhoé, la plus belle femme d'Ionie. (4.6.6.-7)

À l'envisager d'un point de vue strictement logique, la succession de ces trois passages fait difficulté. D'abord, lors de l'épisode du procès, le narrateur devrait être en mesure de savoir ce qui se passe dans la tête du Roi, puisqu'il a déjà eu accès aux pensées de ce personnage avant (en 4.6.6-7) et qu'il y aura de nouveau accès après (en 6.1.10, notamment). Ensuite, on constate que, dès le début, le Roi a bel et bien des vues sur Callirhoé: «mais un autre sentiment (allo de pathos) le poussait à faire venir aussi la femme qui était si belle» (4.6.7). Il est amoureux, comme il se l'avouera à lui-même: «Tu ne t'en rends pas compte mais tu l'aimes (alla eras)» (6.1.10). C'est donc dès 4.6.6-7 qu'un amour possible du Roi pour Callirhoé entre dans l'horizon d'attente du lecteur. Aussi, la réserve explicitement affichée par le narrateur en 5.8.3 a de quoi surprendre.


Il pourrait nous être objecté que le passage dans lequel s'insère cette modalisation épistémique est une description de ce qui s'apparente aux réactions d'un public face à un spectacle au théâtre, comme le montre l'extrait qui précède:

Qui pourrait décrire dignement l'allure que prit alors le tribunal? Quel poète a jamais porté à la scène une histoire aussi extraordinaire? On se serait cru dans une représentation théâtrale où se manifestaient d'innombrables sentiments, tous à la fois: larmes, joie, stupeur, pitié, défiance, souhaits. (5.8.2)

Et en effet, la focalisation de l'entier du passage est externe. Par exemple:

On partageait le bonheur de Chairéas, la joie de Mithridate, l'affliction de Dionysios — pour Callirhoé, on était dans la plus grande perplexité. (5.8.3)

Il y a donc une cohérence modale à ce que les pensées du Roi ne nous soient pas plus accessibles que celles de Callirhoé au cours de cette même scène. Tous les personnages sont décrits à travers les yeux de l'assistance du tribunal, qui conjecture sur leurs sentiments et leur témoigne une vive empathie. Toutefois, la manifestation de la première personne (le pronom personnel moi) pour le seul cas du Roi nous semble ici déterminante: ce n'est pas pour la foule du tribunal, qui n'a d'ailleurs aucune raison de lui porter une attention particulière, que les sentiments du Roi sont illisibles, mais bien pour le narrateur.


La tension énonciative est d'autant plus sensible que Chariton, au seuil de son roman, adopte ouvertement une posture de témoin ultérieur.

Moi Chariton d'Aphrodise, secrétaire du rhéteur Athénagore, je vais raconter une histoire d'amour qui est arrivée à Syracuse (pathos erôtikon en Surakousais genomenon diègèsomai). (1.1.1; nous adaptons légèrement la traduction)

Comme l'atteste l'emploi du participe aoriste accompli genomenon, Chariton, qui se pose dans cette phrase en narrateur extra- et hétérodiégétique[3], s'apprête à raconter (on notera l'indicatif futur diègèsomai) une histoire d'amour qui a déjà eu lieu. En toute logique, en tant que narrateur ultérieur, Chariton devrait donc à chaque instant de son récit en connaître l'issue.


Synthétiquement: le récit adopte successivement une focalisation interne (en 4.6.6-7), externe (en 5.8.3) et interne à nouveau (en 6.1.10). Mais si l'on en reste à la fiction énonciative mise en place dès les premières lignes du roman, il ne devrait pas «sembler» à Chariton que le Roi «voudrait bien» être à la place de Chairéas, puisqu'en fait, en tant que témoin ultérieur et en vertu de la tournure que les événements vont prendre au livre 6, Chariton, le narrateur, sait déjà que c'est le cas. En outre, du point de vue de la cohérence modale globale, étant donné que le narrateur a déjà eu accès aux pensées du Roi plus tôt dans le roman et qu'il y aura à nouveau accès par la suite, cet îlot en focalisation externe et sa modalisation épistémique sont curieux. Cette précaution narrative prise en 5.8.3 constitue une infraction ou — pour être moins normative — une hétérogénéité modale qui troublera peut-être un lecteur attentif.


Trois Rois pour le prix d'un


Nous tenterons d'expliquer la succession de ces trois postures narratives a priori incompatibles. Nous essaierons de nous mettre à la place de l'auteur et pèserons avec lui, au fil du texte, les tenants et aboutissants des choix narratifs effectués quant à la suite du récit.


Nous ne cacherons pas l'arbitraire de la démarche, à laquelle il convient de poser un cadre théorique minimal. Nous ferons une hypothèse: Chariton rédige son roman sans avoir arrêté le détail de la trame centrale de son récit. Les amants se retrouveront, c'est certain (tous les romans grecs finissent ainsi)[4], mais le nombre et la nature des péripéties qui les séparent de cette fin ne sont pas fixés préalablement à l'écriture. C'est à peu près la thèse de S.Nimis dans une série d'articles qu'il consacre au roman grec[5]. Heureux hasard épistémologique, la problématique soulevée par S.Nimis recoupe les préoccupations un peu plus récentes de M.Escola, dans une série d'articles à orientation plus théorique portant sur des fictions d'Ancien Régime à parution périodique[6]. Comme M.Escola, nous nous appuierons sur les travaux de M.Charles et sa théorie des textes possibles[7].


À notre exercice de reconstitution présidera une contrainte poétique: nous supposerons que le souci principal de Chariton est de repousser l'achèvement de son roman. Autrement dit, nous postulerons que ses choix narratifs sont orientés par une volonté (que nous lui prêtons) de faire durer le plus possible son récit.


1/ Un amant possible au cas où (4.6.6-7)


Reprenons la série à son début. En 4.6.6-7, Chariton décide de faire converger à Babylone deux fils narratifs jusqu'alors distincts: Dionysios et Callirhoé quittent Milet (fil 1); Mithridate et Chairéas abandonnent la Carie (fil 2). Le passé narratif (géographique, du moins) sera liquidé et l'histoire prendra une nouvelle orientation[8]. Mais la réunion de Chairéas et Callirhoé en un même lieu menace le roman d'un possible achèvement. Si les époux se retrouvent, on peut penser que le happy end sera vite atteint.


Ainsi, le Roi fait sa première apparition en tant que personnage[9] à un moment du récit où l'intrigue doit entrer dans une phase de relance. La furtive incursion dans la tête du Roi que l'on a vue permet de connaître la double motivation qui le pousse à convoquer Dionysios et Callirhoé à Babylone: d'une part, le devoir du monarque, de l'autre, la curiosité d'un homme pour une femme réputée très belle. Mais ce que ce passage en focalisation interne laisse surtout entrevoir au lecteur, c'est une suite possible: le Roi s'éprendra de Callirhoé. Un futur scénario se profile, sans qu'aucun engagement narratif contraignant ne soit réellement pris. Le romancier se garde une marge de manœuvre narrative, qui n'est pas sans confort. Tant et si bien que l'on peut se demander à quel point la suite du récit est déjà prévue à ce stade.


Mais quoi qu'il en soit de cette suite possible, en 4.6.6-7 très exactement, les prétendants de Callirhoé ne manquent pas: Chairéas, Dionysios et Mitrhidate[10]. À cet instant précis du récit, le Roi n'est pas utile. Le possible est activé, comme au cas où, mais il est plus judicieux de le garder en réserve pour plus tard, en prévision d'un éventuel moment où le matériau narratif viendrait à manquer. En 4.6.6-7, le Roi est donc un amant possible au cas où.


2/ Un amant possible un peu encombrant (5.8.3)


Le deuxième extrait et sa prudente modalisation épistémique interviennent au cours du premier procès (car il y en aura un second) qui se tient à Babylone. La situation n'a guère changé. Les prétendants et maris de Callirhoé sont toujours aussi nombreux qu'à la fin du livre 4: Mithridate, Chairéas et Dionysios. L'intrigue vient d'être relocalisée et réorientée, il n'est donc pas nécessaire pour le romancier, en l'état, d'actualiser des possibles. Chariton a déjà de quoi faire avec ces trois amants potentiels réunis à Babylone et actuellement en procès les uns contre les autres. Aussi la modalisation épistémique dont il use lui donne-t-elle une certaine liberté, lui laisse-t-elle du temps pour aviser. Le Roi tombera-t-il amoureux? La question, que la modalisation élude, est discrètement remise à plus tard.


Au livre 5 — c'est notre hypothèse —, laisser le lecteur accéder aux pensées du Roi (c'est-à-dire adopter une focalisation interne, comme en 4.6.6-7) encombrerait inutilement le romancier, qui aurait à jongler avec quatre amants possibles déclarés simultanément. Pour faire durer le récit, il semble plus stratégique de ne pas abattre toutes ses cartes en même temps, et de garder du matériau narratif pour la suite. À ce stade du récit, le Roi est toujours un amant possible, mais présentement un peu encombrant.


3/ Un amant réel tout court (6.1.10)


Arrive l'extrait du livre 6 et l'aveu du Roi à lui-même (et surtout au lecteur): lui aussi, il aime Callirhoé. Le romancier ré-adopte une focalisation interne. Entre le passage précédent et celui-ci, que s'est-il passé? Mithridate, autre amant possible, a été liquidé et renvoyé chez lui à l'issue du premier procès.

Le Roi […] déclara. «J'acquitte Mithridate: qu'il reçoive des cadeaux royaux et parte demain pour sa satrapie. […]». Tout le monde sortit du tribunal le visage triste; seul Mithridate était fort réjoui. Il reçut les cadeaux, passa la nuit à Babylone et partit dès l'aube pour la Carie […]. (5.8.8-10, passim)

Un second procès a été fixé, dont le Roi explicite les enjeux:

«[Q]uant à Chairéas et à Dionysios, nous les sommons de nous dire leurs droits personnels et précis sur la jeune femme […]. Je vous [i. e. à Chairéas et Dionysios] donne un délai de cinq jours; dans l'intervalle, ma femme Statira s'occupera de Callirhoé: celle-ci va être le sujet d'un jugement à propos de son mari […].» (5.8.8-9)

 La situation narrative a bien changé: une fois les cinq jours du délai écoulés, le Roi devra trancher et Callirhoé repartira avec son époux légitime. Le roman risque de s'achever. Avec ce bref ajournement du procès, Chariton se donne le temps d'activer un possible narratif qu'il avait gardé en réserve: le moment est venu pour le Roi de se déclarer. Le choix narratif est arrêté. La contrainte qui en découle — il va falloir raconter ce nouvel épisode — n'est plus encombrante pour le romancier; au contraire, elle sert son projet. Chariton se sort d'un mauvais pas narratif, qui aurait pu devenir une impasse. Il active un possible qu'il avait laissé latent et qui est à présent à même de relancer l'intrigue. Le Roi devient un amant réel tout court.


Cette proposition de lecture rend compte, à sa façon, de l'oscillation énonciative repérée. En 4.6.6-7, le roman va être délocalisé. Une telle liquidation demandera sans doute un effort de relance narrative. Dans ce moment charnière de l'intrigue, Chariton choisit une focalisation interne, qui fait du Roi un amant possible au cas où aux yeux du lecteur. Puis en 5.8.3, Chariton opte pour une focalisation externe, qui relègue (provisoirement) le Roi au rang d'amant possible un peu encombrant, attendu que trois autres prétendants déclarés (c'est-à-dire des amants réels) se disputent déjà Callirhoé. Enfin dès 6.1.10, Chariton revient à une focalisation interne, après avoir liquidé Mithridate et pris l'engagement narratif de départager Chairéas et Dionysios. Le Roi accède alors au rang d'amant réel tout court. Nouveau vecteur narratif à exploiter, le Roi, amant officiel, permet au récit de se poursuivre. Un nouvel épisode commence, où pourront à leur tour être créés, laissés en attente et/ou activés d'autres possibles narratifs.



Problème 2


Le second problème intervient un peu plus tôt, à la fin du livre 4[11], juste avant que le roman ne soit délocalisé à Babylone, dans ce moment de relance narrative que nous venons d'évoquer.


Coup de foudre à retardement


Dionysios a lu, après qu'elles furent interceptées, les lettres de Chairéas et Mithridate destinées à Callirhoé. Persuadé que le premier époux de celle-ci est mort, il soupçonne une manigance de Mithridate visant à séduire sa femme. Il demande son aide à un dénommé Pharnace, gouverneur de Lydie et d'Ionie, par chance en déplacement dans la région.

[Dionysios] lui [i. e. à Pharnace] donna lecture des messages et lui raconta la machination. Pharnace prit plaisir à entendre ces propos, peut-être à cause de Mithridate (il y avait en effet eu entre eux de nombreuses frictions, du fait du voisinage de leurs charges), mais plutôt à cause de son amour: car lui aussi brûlait pour Callirhoé et c'est à cause d'elle qu'il faisait de si fréquents voyages à Milet, invitant à ses banquets Dionysios et sa femme. Quoi qu'il en soit, il promit d'aider son interlocuteur dans la mesure de ses possibilités […]. (4.6.2-3; nous adaptons légèrement la traduction)

À nouveau, on observe une oscillation entre deux partis pris modaux. Mais elle opère cette fois en l'espace de quelques lignes seulement. D'abord, il est dit que Pharnace écoute «avec plaisir» (asmenôs) la révélation que lui fait Dionysios. C'est donc que le narrateur est omniscient, puisqu'il a accès aux sentiments de ce personnage. Parle aussi dans le sens d'un régime omniscient la connaissance qu'a le narrateur des deux motivations cachées du gouverneur. L'une et l'autre sont introduites par le connecteur logique gar: «il y avait en effet eu entre eux de nombreuses frictions» (egegonei gar autois ouk oliga proskrousmata) et «car lui aussi brûlait pour Callirhoé» (kai gar autos ekaeto tès Kalliroès). Or, un tel connecteur implique chez celui qui l'emploie une maîtrise totale du récit, lui qui peut dire comment s'enchaînent les causes et les effets.

Toutefois, la construction syntaxique qui articule ces deux motivations, introduites par leur connecteur logique respectif, a de quoi surprendre en régime omniscient:

Pharnace prit plaisir à entendre ces propos, peut-être à cause de Mithridate (takha men kai dia Mithridatèn) (il y avait en effet eu entre eux de nombreuses frictions, du fait du voisinage de leurs charges), mais plutôt à cause de son amour (to de pleon dia ton erôta): car lui aussi brûlait pour Callirhoé et c'est à cause d'elle qu'il faisait de si fréquents voyages à Milet. (4.6.2; nous adaptons légèrement la traduction)

Le parallèle syntaxique «peut-être à cause de…» (takha men kai dia…)/«mais plutôt à cause de…» (to de pleon dia…) révèle une curieuse indécision chez un narrateur que l'on pensait omniscient. La première hypothèse avec sa modalisation épistémique «peut-être» (takha), et la seconde, qui vient la compléter, sont étranges: si Chariton peut savoir que Pharnace entend «avec plaisir» l'histoire de Dionysios, comment peut-il ne pas être à même de dire si c'est la rivalité qui oppose Pharnace à Mithridate ou l'amour que Pharnace nourrit pour Callirhoé qui est la véritable cause de ce plaisir? La figure de narrateur que nous pourrions être amenée à reconstruire est problématique.


On peut poursuivre l'enquête, en remontant un peu plus haut dans le récit, au moment où Pharnace et Mithridate font pour la première fois irruption dans le roman[12]. Les deux personnages nous sont présentés au début du livre 4, lors des funérailles organisées par Callirhoé en l'honneur de Chairéas, qu'elle croit mort.

Il y avait aussi deux satrapes, par hasard en visite, Mithridate celui de Carie et Pharnace celui de Lydie. Officiellement, ils étaient là pour honorer Dionysios ( men oun prophasis èn timèsai Dionusion); en réalité, ils voulaient voir Callirhoé ( de alètheia Kalliroèn idein). De fait, la réputation de la jeune femme était immense dans toute l'Asie […]. Personne, absolument personne, ne put seulement supporter la splendeur de sa beauté: on dut détourner les yeux, comme sous le coup d'un rayon de soleil […]. Mithridate, lui, le commandant de Carie, s'écroula la bouche ouverte, comme un homme frappé à l'improviste d'un jet de fronde: ses gardes du corps eurent de la peine à le porter en le soutenant. (4.1.7-9, passim)

Pour qui a lu la suite du récit, deux éléments brillent par leur absence dans ces lignes. D'abord, quand bien même les deux satrapes font leur apparition en couple dans le roman, rien n'est dit d'une éventuelle rivalité qui les opposerait. C'eût pourtant été une occasion idéale. Ensuite, à envisager la cohérence modale de façon très stricte, il est étonnant que rien ne soit dit dans ces lignes de l'amour de Pharnace pour Callirhoé. Cette passion sera révélée par le narrateur en 4.6.2 («car lui aussi brûlait pour Callirhoé»). Mais selon toute vraisemblance, c'est lors de cet épisode qu'elle a dû naître. Or, au début de l'extrait cité, Chariton adopte une posture omnisciente, puisqu'il est en mesure de distinguer entre prétextes officiel, ( men oun prophasis…) et officieux ( de alètheia…). Il devrait donc être en mesure de lire dans l'esprit des deux satrapes. D'ailleurs, il prend le temps de décrire le coup de foudre de Mithridate pour Callirhoé (certes, en focalisation externe). On est dès lors en droit de se demander, puisque le narrateur se présente manifestement comme omniscient en ouverture du passage, et puisqu'il se donne la peine de déclarer Mithridate amoureux, pourquoi Pharnace ne tombe pas lui aussi sous le charme de l'héroïne au premier regard, dans ce moment du récit qui s'y serait plutôt bien prêté? Là encore, le texte fait difficulté.


Un vivier de paralipses


Notre interprétation? En 4.1.7-9, il est trop tôt pour que Pharnace tombe amoureux. En 4.6.2-3, en revanche, un coup de foudre — quitte à l'inventer après coup — a l'avantage de fournir du matériau narratif neuf à un romancier qui est en train de relancer son récit. Ce phénomène textuel est analogue à ce que M.Escola définit comme une paralipse:

La narratologie n'a jusqu'ici regardé la paralipse que comme un phénomène de «rattrapage» de l'information narrative («j'aurais dû dire que…»): dans le cas des fictions périodiques, mieux vaudrait l'envisager comme un curieux procédé d'«invention à rebours» — le romancier inventant, pour répondre aux contraintes locales d'un épisode, un élément narratif qui eût dû figurer dans un épisode antérieur («j'aurais pu y penser plus tôt si j'avais fait un canevas, mais je m'en avise seulement maintenant…»)[13].

Nous adaptons un peu, en l'assouplissant, la proposition. Pour nous, constitue une paralipse tout élément dont l'irruption n'a pas été préparé dans l'amont textuel (qu'il y ait ou non effet de comblement rétrospectif). Ces inventions latérales sont faites sur le moment et servent l'effort de continuation narrative.


On peut relire à présent le passage où Pharnace est frappé d'un coup de foudre à retardement.

Dionysios alla le [i. e. Pharnace] voir, car c'était un ami (èn gar autô philos) [P1], et demanda pour lui seul un entretien particulier. […] Il lui donna lecture des messages et lui raconta la machination. Pharnace prit plaisir à entendre ces propos, peut-être à cause de Mithridate (il y avait en effet eu entre eux de nombreuses frictions, du fait du voisinage de leurs charges [P2]), mais plutôt à cause de son amour: car lui aussi brûlait pour Callirhoé [P3] et c'est à cause d'elle qu'il faisait de si fréquents voyages à Milet [P4], invitant à ses banquets Dionysios et sa femme [P5]. (4.6.1-2; nous adaptons légèrement la traduction)

Comme nous l'indiquons entre crochets, pour nous, cinq paralipses se succèdent dans ces lignes. Elles (re)configurent complètement le personnage de Pharnace, dont on savait seulement jusqu'à présent qu'il était satrape de Lydie[14] et qu'il avait assisté aux funérailles de Chairéas à Milet (4.1.7-8).


La première paralipse fait de Pharnace un «ami» (philos) de Dionysios. Le connecteur logique gar, de façon discrète (le procédé a été décrit plus haut), présente cette relation comme déjà connue du lecteur. Mais en 4.1.7-8, le motif donné à la venue de Pharnace et Mithridate était d'«honorer Dionysios» (prophasis èn timèsai Dionusion). Rien n'indiquait alors une relation privilégiée entre le riche Milésien et le satrape de Lydie, qui aurait dépassé le cadre de ce que requiert la diplomatie.


Les deux paralipses suivantes ont déjà été commentées. En dépit des deux connecteurs gar employés, le lecteur ignore tout d'une rivalité entre les deux satrapes, et plus encore de la flamme que nourrit Pharnace pour l'héroïne. On a montré comment il eût été possible et plus cohérent que ces deux éléments soient mis en place dès 4.1.7.


Les quatrième et cinquième paralipses enfin sont liées à la troisième. Chariton, c'est notre lecture, provoque le coup de foudre de Pharnace pour Callirhoé après coup, dans une paralipse. Il s'empresse ensuite d'étoffer cette passion. Il greffe deux nouvelles paralipses à la précédente: c'est en raison de son amour (après coup) [P3] que Pharnace fait de «fréquents voyages à Milet» (après coup) [P4], durant lesquels il organise des banquets auxquels il convie Dionysios et son épouse (après coup) [P5].


Si bien qu'à la fin du livre 4, le personnage a été complètement (re)configuré au cœur d'un vivier de paralipses. Chariton avait inventé Pharnace au début de ce même livre 4, peut-être un peu à l'aveugle (c'est-à-dire sans savoir exactement ce qu'il en ferait dans la suite du roman) et laissé quasiment vierge dans l'amont textuel. Pharnace faisait alors office de pierre d'attente en vue de la suite, disponible si besoin pour relancer l'intrigue: un pratique et idéal personnage de tous les possibles. Or, à la fin du livre 4, le récit entame une phase de relance. Chariton décide de piocher dans sa réserve et recycle Pharnace: une rivalité l'opposera à Mithridate après coup, il tombera amoureux de Callirhoé après coup. Il y a là deux bons vecteurs romanesques, susceptibles de compliquer l'intrigue pour la faire durer. Mais, on l'a vu, à Babylone, les amants ne manquent pas. Et Pharnace, laissé à Milet, sera bientôt et sans plus de commentaire oublié par le récit[15].


Synthétiquement : Pharnace est inventé en 4.1.7-9 et mis en réserve par le romancier. En 4.6.2-3, il est (re)configuré au moyen de cinq paralipses montées en série. Chariton bricole et ne s'en cache pas; le procédé est bien visible dans la lettre du texte. Ce recours massif et ponctuel à la paralipse dit, à notre sens, la volonté qu'a le romancier de relancer son intrigue: Chariton, à ce moment du récit, se soucie moins de vraisemblance que de fuite en avant narrative. Le problème énonciatif décrit intervient au cœur de notre vivier de paralipses. L'hétérogénéité modale (re)configure Pharnace: il est en conflit avec Mithridate; il aime Callirhoé. Chariton se donne ainsi les moyens — c'est là le point essentiel pour nous — d'écrire au moins deux nouveaux romans: celui d'une rivalité entre Pharnace et Mithridate et/ou celui des amours de Pharnace et Callirhoé. Que ces romans deviennent finalement réels ou restent fantômes importe peu. À ce stade, seul compte le possible.



Conclusion(s)


Dans ces pages, nous avons voulu lire et décrire le texte de Chariton en épousant son déploiement syntagmatique. Des incohérences énonciatives ont été repérées. À grands traits: (1) Le Roi est plus ou moins amoureux de Callirhoé, selon que l'intrigue doit être relancée ou non. Cet amour, d'abord possible, finit par devenir réel; il alimentera le livre 6. (2) Pharnace, à peine créé, est thésaurisé comme matériau narratif de réserve, à employer en cas de besoin. Il est ensuite frappé d'un coup de foudre pour Callirhoé après coup. Cet amour réel s'avèrera finalement inutile, c'est-à-dire fantôme; il sera oublié dans la suite du récit. Il y a là deux modalisations épistémiques hétérogènes, la seconde intervenant au cœur d'un vivier de paralipses.


Instabilité du narrateur


On l'a vu, il est difficile d'intégrer ces deux moments textuels (et les problèmes qu'ils soulèvent) à un système modal global. Nous avons dès lors parlé d'infractions ou d'hétérogénéités modales. G.Genette, dans «Discours du récit», repère chez Proust des cas similaires. Il parle de «polymodalité»:

Pour renouer avec la métaphore musicale […], on dirait volontiers qu'entre un système tonal (ou modal) par rapport auquel toutes les infractions (paralipses et paralepses) se laissent définir comme des altérations, et un système atonal (amodal?) où aucun code ne prévaut plus et où la notion même d'infraction devient caduque, la Recherche illustrerait assez bien un état intermédiaire: état pluriel, comparable au système polytonal (polymodal) […][16].

Ce que mettent en avant les deux problèmes énonciatifs du texte de Chariton, ainsi que ceux identifiés chez Proust par Genette, c'est l'instabilité du narrateur à un niveau textuel global. Les exemples observés montrent la souplesse de la réalité textuelle. Plutôt qu'un narrateur unique et cohérent, à travers lequel serait médiatisé la totalité du récit, de la première à la dernière ligne, on a vu comment plusieurs filtres modaux pouvaient se succéder, au gré de besoins narratifs ponctuels.


Autrement dit, le narrateur est une fonction. Mobile, elle est sujette à ajustements au fil du texte, où le réglage s'effectue à l'échelle locale (la séquence) et non globale (la totalité du récit).


On ajoutera deux autres exemples, glanés ici et là — hasard des lectures. Le Règne de l'esprit malin de C.F.Ramuz est publié six fois du vivant de l'auteur, entre 1914 et 1946. À chaque nouvelle édition, le texte bouge de façon plus ou moins sensible. Il s'agit d'une narration à la troisième personne.

Quand on sut que Branchu [i. e. le nouveau cordonnier du village] travaillait si bien et à si bon compte, Jacques Musy [i. e. l'ancien cordonnier] fut délaissé. […] [P]lus personne n'entrait chez lui. […] Un beau matin, sa boutique resta fermée. Sans doute qu'il était malade, mais personne ne s'inquiéta de lui. Deux ou trois jours passèrent encore. Et ce fut par hasard qu'une voisine le trouva pendu derrière sa porte, le quatrième jour, je crois, et il faut bien dire qu'il sentait déjà, et il avait la figure toute noire. (C.F.Ramuz, Le Règne de l'esprit malin, chap.1, section 4; nos italiques)[17]

En dépit des nombreuses modifications et corrections que Ramuz apporte successivement à son texte, ce «je» — unique dans le roman — subsistera toujours à la fin du premier chapitre. En regard de la logique narrative globale, il est hétérogène.


Dans L'Étranger d'A.Camus, narration exclusivement au passé composé, on trouve six formes de passé simple[18]. Elles aussi sont hétérogènes.


Lire comme si l'on écrivait


D'un point de vue épistémologique, comment traiter ces hétérogénéités modales? On l'a dit, la narratologie repère ces incohérences énonciatives. Mais, elle n'en fait rien. À la rigueur, il arrive parfois que des lectures herméneutiques s'élaborent à partir de tels constats formels[19].


À ces incohérences, nous avons de notre côté proposé une explication poétique. Nous les avons appréhendées en terme de facture du récit, nous livrant à une sorte d'analyse génétique sans brouillon. Nous avons arpenté le récit comme si nous nous baladions dans un laboratoire d'écriture. Nous avons reconstitué des choix narratifs auxquels a pu être confronté le romancier lors de la rédaction. Nous avons expliqué les incohérences repérées en regard d'une suite encore à écrire et dont on a fait l'hypothèse qu'elle n'aurait pas été arrêtée dans ses moindres détails par le romancier préalablement à l'écriture.


S'exprime, en creux, une conviction — que le lecteur partagera ou non — quant à la nature ontologique de l'objet étudié. Pour nous, tout texte, a fortiori un roman, en raison de son déploiement linéaire, échappe au moins un peu à celui qui l'écrit. Sa longueur engendre des accidents, surtout aux sutures intervenant entre les différentes séquences dont il se compose. Le texte est discontinu[20]. La fonction-narrateur en porte les traces, indices discrets mais, pour peu que l'on s'y arrête, bien tangibles.


Autant de vestiges du processus d'écriture, qui montrent un auteur pris dans un système de double contrainte: à un niveau global, faire durer son récit, garantir l'enchaînement des épisodes; à une échelle locale, proposer des séquences qui se tiennent. Or, ces deux impératifs sont parfois difficiles à conjuguer. D'où quelques heurts.


Selon notre proposition de lecture, les hétérogénéités circonscrites ne font pas sens en tant qu'infractions à un système dont la rigueur serait mathématique. Elles ne sont pas sciemment semées par un auteur sophistiqué à l'attention d'un lecteur zélé. Pour nous ce sont autant de détails autonomes, conséquences de la souplesse inhérente à tout système. Ces détails valent pour les saillances qu'ils impriment dans le texte et non en tant qu'infractions à un code strict, dont on peut faire l'économie. Ces détails valent pour les textes possibles en direction desquels ils font signe.


On pourra nous objecter que notre lecture, dont on voudrait qu'elle calque le mouvement d'écriture, reste une relecture, que nous avons décrit et interprété nos deux problèmes en regard d'une suite que nous connaissions, puisque nous avions déjà lu la fin du roman. C'est vrai. Mais les accidents textuels repérés n'en demeurent pas moins. On a donc le choix: n'en rien faire (lecture narratologique), les interpréter en regard d'une norme dont il se pourrait qu'elle soit construite (lecture herméneutique), ou se rêver romancier. Soit, en somme, lire comme si l'on écrivait.



Marie Minger, juin 2015
Université de Lausanne



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[1] Probablement composé au Ier siècle apr.J.-C., il s'agit du premier roman grec que nous puissions lire en entier. L'ouvrage se présente en huit livres. Nous utilisons la traduction de G.Molinié (éd. & trad.), Chariton. Le roman de Chairéas et Callirhoé (deuxième tirage revu et corrigé par A.Billault), Paris, Les Belles Lettres, 2002 (1979); tous les italiques sont nôtres. Pour le grec, nous donnons le texte de B.P.Reardon (éd.), Chariton. De Callirhoe narrationes amatoriae, Münich-Leipzig, K.G. Saur, coll.«Bibliotheca Teubneriana», 2004. Par souci de commodité, pour les passages commentés, nous indiquons les pages correspondantes de P.Grimal (trad.), Romans grecs et latins, Paris, Gallimard, coll.«Bibliothèque de la Pléiade», 1958.

[2] Les trois passages dont il sera question dans cette section correspondent à P.Grimal (trad.), Romans grecs et latins, op. cit., 1958, p.451 (4.6.6-7), 465-466 (5.8.2-3) et 472 (6.1.10).

[3] Sur l'indécidabilité de ces premières lignes — Chariton est-il auteur ou narrateur? S'agit-il d'un texte ou d'un paratexte? —, voir S.Rabau, «La première phrase du premier roman», Poétique, n°82, avril 1990, p.131-144. La difficulté théorique est réelle, mais elle n'affecte pas notre propos, puisque nous faisons le choix (que l'approche théorique autorise, pourvu qu'il soit explicité), d'envisager tout le texte de Chariton, y compris ces premières lignes, comme fictif.

[4] Au total, cinq romans grecs nous sont parvenus en entier. Outre le texte de Chariton: Le roman d'Habrocomès et d'Anthia de Xénophon d'Éphèse, Daphnis et Chloé de Longus, Le roman de Leucippé et Clitophon d'Achille Tatius et Les Éthiopiques d'Héliodore.

[5] Cf.notamment S.Nimis, «The Prosaics of the Ancient Novels», Arethusa, n°27/3, automne 1994, p.387-411 et «The Sense of Open-Endedness in the Ancient Novel», Arethusa, n°32/2, printemps 1999, p.215-238. S.Nimis part des théories de M.Bakhtine.

[6] Cf.notamment M.Escola, «Le clou de Tchekhov. Retour sur le principe de causalité régressive», mis en ligne le 15 avril 2010, URL: http://www.fabula.org/atelier.php?Principe_de_causalite_regressive (page consultée le 12 avril 2015) et «La fiction au long cours. Ces romans qui s'écrivent dans l'ignorance de leur fin», dans A.Gefen, T.Samoyault (éds), La Taille des romans, Paris, Classiques Garnier, coll.«Théorie de la littérature», 2012, p.95-109.

[7] Cf.M.Charles, Introduction à l'étude des textes, Paris, Seuil, coll.«Poétique», 1995. On pourra aussi consulter l'entrée «Textes possibles» dans l'Atelier de Théorie littéraire de Fabula, URL: http://www.fabula.org/atelier.php?Textes_possibles.

[8] Pour S.Nimis, Chariton s'atèle au livre 5 à un «nouveau début», cf.«In mediis rebus: Beginning again in the Middle of the Ancient Novel», dans S.Panayotakis, M.Zimmerman, W.Keulen (éds), The Ancient Novel and Beyond, Leiden-Boston, Brill, coll.«Mnemosyne Supplementum», 2003, p.255-269 (sur Chariton en particulier, cf.p.258-264).

[9] Le Roi a déjà été mentionné plusieurs fois (par exemple, en 1.13.1, 2.6.3, 2.7.1, 3.2.8, etc.), mais c'est la première fois qu'il a un vrai rôle dans l'intrigue.

[10] Ainsi qu'un certain Pharnace, dont il sera bientôt question.

[11] Les deux passages que nous commenterons dans cette section correspondent à P.Grimal (trad.), Romans grecs et latins, op. cit., 1958, p.442 (4.1.7-9) et 450-451 (4.6.2-3).

[12] En réalité, Mithridate est mentionné une première fois en 3.7.3, où l'on apprend que Chairéas travaille sur ses terres comme esclave. Il est étonnant qu'aucun lien ne soit fait avec ce premier rôle narratif en 4.1.7. Il y aurait matière à enquête.

[13] M.Escola, «La fiction au long cours. Ces romans qui s'écrivent dans l'ignorance de leur fin», art. cit., 2012, p.108. Pour la définition de G.Genette, cf.Discours du récit, Paris, éd. du Seuil, coll.«Points Essais», rééd.2007 (1972 et 1983), p.42-44, 201-202 et 342.

[14] En 4.1.7, les manuscrits donnent «satrape de Lydie», comme l'édite et le traduit G.Molinié. B.P.Reardon édite quant à lui une conjecture de Hercher, établie par analogie avec 4.6.1, 4.6.3 et 5.6.8: «satrape de Lydie <et d'Ionie>», cf.B.P.Reardon (éd), Chariton. De Callirhoe narrationes amatoriae, op. cit., 2004, ad loc. D'un point de vue épistémologique, ce geste de correction est intéressant. Il pointe chez le philologue un désir (ou un besoin?) de cohérence textuelle. Le cas est répandu dans le domaine des études littéraires. On le verra, nos conclusions prennent le contre-pied d'une telle conception.

[15] Le personnage est mentionné une dernière fois en 5.3.5-7. Dans ce passage, le lecteur découvre Rodogune, la sœur de Pharnace… elle aussi inventée en paralipse. Pharnace disparaît ensuite complètement du roman. Il y aurait avec cet exemple notamment une stimulante réflexion à mener sur la notion de mémoire textuelle.

[16] G.Genette, Discours du récit, op. cit., 2007 (1972), p.216-217.

[17] C.F.Ramuz, Le Règne de l'esprit malin, Cossonay, Plaisir de Lire, 1996 (1946), p.37-38.

[18] Cf.notamment J.-M. Adam, «Variations énonciatives: Aspects de la genèse du style de l'Étranger», dans Le style dans la langue. Une reconception de la stylistique, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997, p.147-183 (cf.surtout p.175 sq.).

[19] Comme par exemple, pour le roman de Chariton, l'article de K.Doulamis: «All's Well that Ends Well: Storytelling, Predictive Signs, and the Voice of the Author in Chariton's Callirhoe», Mnemosyne, n° 65, 2012, p.18-39. Selon K.Doulamis, avec ces incohérences, Chariton, c'est-à-dire l'auteur, sèmerait dans le dos du narrateur des indices destinés à un lecteur (très) attentif.

[20] Cf.M.Charles, Introduction à l'étude des textes, op. cit., 1995.



Marie Minger

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Dernière mise à jour de cette page le 21 Juin 2015 à 23h03.