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C'est dans la Poétique de Dostoïevski, que le mot polyphonie est utilisé le plus largement et est défini le plus clairement : « Dostoïevski est le créateur du roman polyphonique. Il a élaboré un genre romanesque fondamentalement nouveau. (…) On voit apparaître, dans ses œuvres des héros dont la voix est, dans sa structure, identique à celle que nous trouvons normalement chez les auteurs. Le mot (= le discours) du héros sur lui-même et sur le monde est aussi valable et entièrement signifiant que l'est généralement le mot (= le discours) de l'auteur ; il n'est pas aliéné par l'image objectivée du héros, comme formant l'une de ses caractéristiques, mais ne sert pas non plus de porte-voix à la philosophie de l'auteur. Il possède une indépendance exceptionnelle dans la structure de l'œuvre, résonne en quelque sorte à côté du mot (= discours) de l'auteur, se combinant avec lui, ainsi qu'avec les voix tout aussi indépendantes et signifiantes des autres personnages, sur un mode tout à fait original » (Poétique de Dostoïevski, p. 33) On voit que l'essentiel est l'émancipation des personnages par rapport à l'auteur-narrateur. Le personnage n'est plus la pure projection de la conscience de l'auteur-narrateur. Il acquiert autant d'autorité que celui-ci. Le roman ainsi conçu met en scène une multiplicité de consciences indépendantes, d'idéologies diverses et de langages différents , et même opposés (Bakhtine revient à plusieurs reprises sur le caractère « contrapuntique » du roman polyphonique ; c'est sans doute un des aspects de la définition du mot en théorie musicale qui l'a poussé à l'emprunter pour la théorie littéraire). C'est pourquoi le roman polyphonique s'oppose totalement, selon Bakhtine, à l'épopée, qui est fondamentalement monologique, dans la mesure où tous les personnages, le narrateur et donc aussi le lecteur-narrataire partagent la même vision du monde, sans que soit laissée la moindre place pour une possibilité d'une autre conception.. C'est le caractère irréductible de la multiplicité des visions du monde et l'invincible foisonnement dialogique de chaque personnage qui, finalement, définissent la polyphonie ; bien qu'il repose sur une intentionnalité de l'auteur, le roman polyphonique ne saurait être un roman à (une seule) thèse.

Claire Stolz

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Dernière mise à jour de cette page le 5 Juillet 2002 à 23h15.