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Les genres de L'Illusion comique: pièces possibles et genres fantômes, par Bénédicte Louvat-Molozay et Marc Escola.

Le présent article est paru en 2001 dans le volume Corneille. Le Cid. L'Illusion comique (études réunies par H. Baby, Sedes, 2001, p.9-29). L'ouvrage n'est plus commercialisé.





Les genres de L'Illusion comique:
Pièces possibles et genres fantômes


À lire l'Examen que Corneille donne de L'Illusion comique en 1660, il semble bien que la pièce soit devenue au dramaturge à peu près ce qu'est Odette aux yeux d'un Swann désabusé: une pièce «qui ne lui plaisait pas, qui n'était pas son genre». S'il est facile de mettre l'accent sur le caractère atypique de cette «galanterie extravagante» dans l'œuvre du dramaturge, il est moins aisé de dire de quel genre relève la pièce.

Que penser d'abord du sous-titre générique de «comédie» qui lui est consenti en 1639, soit quatre ans après sa création? Et peut-on croire à la désinvolture de Corneille, lorsqu'il maintient cette qualification dans l'édition de 1660 où Discours et Examens viennent exposer un véritable système des genres? Certes L'Illusion comique n'est jamais citée dans les Discours; et il est vrai qu'elle répond assez mal, à première vue tout au moins, à la définition cornélienne de la comédie:

Ainsi dans les Comédies de ce premier Volume j'ai presque toujours établi deux Amants en bonne intelligence, je les ai brouillés ensemble par quelque fourbe, et les ai réunis par l'éclaircissement de cette même fourbe qui les séparait.[1]

Mais La Galerie du Palais et La Place Royale, deux comédies des mieux conformes à cette définition, ne sont pas davantage mentionnées dans ce premier Discours partiellement consacré au genre comique: on ne peut donc rien conclure de l'absence de références à L'Illusion, sauf à considérer que ce silence va de pair avec un silence plus remarquable encore— celui observé dans l'ensemble des Discours à l'égard de la tragi-comédie de Clitandre. Telle est l'hypothèse de G. Forestier: «L'Illusion comique n'a […] de comédie que le nom: elle a toutes les caractéristiques de la tragi-comédie baroque, et il suffit de la comparer avec les autres comédies de Corneille pour se douter que le terme de comédie n'a dû être employé qu'au moment de la publication de la pièce, en 1639, afin qu'on ne la mît pas sur le même plan que la tragi-comédie du Cid[2]

Si l'étiquette n'avait d'autre valeur que commerciale, pourquoi la pièce ne pouvait-elle s'afficher comme tragi-comédie, après que le Cid était devenue «tragédie» en 1648 — après tout Clitandre conserve son étiquette «tragi-comique» jusqu'en 1660? Certes le genre tragi-comique, associé à l'esthétique irrégulière, perd très vite les faveurs du public, mais on ne voit pas par ailleurs que Corneille se soit souvent trompé, ou ait cherché longtemps à abuser ses lecteurs, sur le genre de ses pièces… Si l'on doit refuser de lire ce sous-titre au sens le plus général de «pièce de théâtre», on peut par prudence considérer qu'il y a là une désignation par défaut.

Il apparaît ainsi que l'on ne peut pas plus se satisfaire de l'étiquette tragi-comique que de la désignation de «comédie», entendue du moins au sens de «comédie cornélienne». On se demandera donc à quel genre appartient L'Illusion comique et dans quelle mesure elle peut être autre chose qu'une comédie.

On soulignera d'abord l'irréductibilité de la pièce de 1635 au système des genres effectivement théorisé par Corneille un quart de siècle plus tard, mais mis en place dès la fin des années 1640: un bref exposé suffira à le montrer.

Doit-on alors reporter la difficulté sur l'hétérogénéité de la pièce? Si L'Illusion comique ne se laisse pas ranger aisément dans un cadre générique unique, c'est que les trois niveaux distingués dans la fiction (la quête de Pridamant, les amours de Clindor et d'Isabelle, les démêlés des personnages du cinquième acte) possèdent à l'évidence une couleur générique différente: le premier acte offre un décor et un emploi de magicien qui relèvent plutôt de la pastorale; le dernier présente la catastrophe sanglante d'une tragédie. Mais qu'en est-il du niveau intermédiaire? Comment comprendre que, pour l'ensemble formé par les actes II à IV, la plupart des commentateurs hésitent entre comédie et tragi-comédie — l'hésitation étant finalement la même pour la qualification de la pièce tout entière?


Corneille et la théorie des genres dramatiques

La question a fait récemment l'objet de plusieurs travaux importants, et on s'en tiendra ici à quelques rappels synthétiques.[3]

Le système cornélien des genres repose sur l'adoption de deux critères seulement—la nature de l'action ou le sujet et la qualité des personnages —, à l'exclusion de toute considération sur l'issue, heureuse ou malheureuse, de la pièce. Corneille sur ce point se démarque, tout comme l'abbé d'Aubignac, de la conception traditionnelle des genres, issue des grammairiens latins (Donat et Diomède), perpétuée à la Renaissance et jusqu'au début du XVIIe siècle, qui oppose la tragédie et la comédie par leur seul dénouement.[4] Le dramaturge se fait très tôt — avec Cinna(1642) — le promoteur de la tragédie à fin heureuse, sans toutefois aller jusqu'à admettre, faute d'abord d'exemples chez les Anciens, le principe d'une comédie qui finirait mal.[5] En ce qui concerne le personnel dramatique, Corneille distingue, à la suite d'Aristote, deux catégories: les personnages de haut rang et les personnages de condition moyenne. La distinction des deux catégories de sujets, en revanche, est largement inédite, et suppose l'adoption de deux nouveaux critères étroitement liés l'un à l'autre dans l'esprit du dramaturge: la nature du péril (péril public: perte d'un royaume ou de la vie d'un serviteur de l'État; péril privé: perte d'une maîtresse, mais aussi perte de la vie d'un simple particulier) ainsi que la place consentie à l'amour.

Lorsqu'on met sur la Scène un simple intrique d'amour entre des Rois, et qu'ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur État, je ne crois pas que bien que les personnes soient illustres, l'action le soit assez pour s'élever jusques à la Tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d'État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition, ou la vengeance; et veut donner à craindre des malheurs plus grands, que la perte d'une Maîtresse. Il est à propos d'y mêler l'amour, parce qu'il a toujours beaucoup d'agrément, et peut servir de fondement à ces intérêts, et à ces autres passions dont je parle; mais il faut qu'il se contente du second rang dans le Poème, et leur laisse le premier.[6]

La possibilité de faire entrer dans une comédie «les Rois même, […] quand leurs actions ne sont point au-dessus d'elle» définit un genre inconnu jusqu'à Don Sanche (1649)[7]: la comédie héroïque, à laquelle Corneille demeurera fidèle jusqu'à Pulchérie (1672).

La combinaison des deux critères de la dignité des actions et de la dignité des personnages définit logiquement quatre genres:


Péril public
amour 2d rang
Péril privé
amour 1er rang
Personnages de haut rang
Tragédie
Comédie héroïque
Personnages de condition moyenne
?
Comédie


Comme l'a bien vu H. Baby, on ne peut pas dissocier qualité du péril et place consentie à l'amour:

Le critère essentiel de la définition des genres tragiques et comique passe donc par la référence, soit au grand péril, soit à l'intrigue d'amour. Comment concilier ces deux justifications qui ressortissent à des domaines différents? Corneille n'offre qu'une possibilité logique: supposer l'équivalence théorique de ces deux critères. En d'autres termes, supposer que l'absence du grand péril correspond à la primauté donnée à l'intrigue d'amour, et réciproquement, que le grand péril équivaut à la relégation de l'intrigue d'amour au second rang.[8]

On aura bien sûr noté l'absence de la tragi-comédie dans le tableau; c'est que ce système s'établit précisément après l'élimination historique et théorique du genre favori des «irréguliers», et qu'il vise en partie à redistribuer les constituants — ceux tout au moins qui peuvent être sauvegardés dans l'esthétique régulière — au sein d'une catégorie nouvelle, la comédie héroïque, et dans un genre tragique rénové. C'est ainsi que Le Cid peut prendre place dans la catégorie tragique — à condition toutefois de dire que l'amour n'y occupe que le second rang.

[Dans mes tragédies], je n'ai jamais laissé [l'amour] prendre le pas devant, et […] dans Le Cid même, qui est sans contredit la Pièce la plus amoureuse que j'aie faite, le devoir de la naissance et le soin de l'honneur l'emportent sur toutes les tendresses qu'il inspire aux Amants que j'y fais parler.[9]

Le système permet ainsi d'opposer les genres deux à deux en évaluant leur frontière. Tragédie et comédie héroïque font appel au même personnel et la seconde peut même admettre un péril de mort[10]; toute la différence tient dans les enjeux de l'intrigue: salut de l'État dans un cas (et en ce sens, la tragédie pour Corneille ne peut être que politique); intérêts étroitement particuliers de l'autre. Passez sous silence les conséquences politiques de la perte possible de Rodrigue, et vous obtenez avec Le Cid une assez bonne comédie héroïque…

Comédie et comédie héroïque ne se distinguent pas seulement par la qualité de leur personnel dramatique, mais encore par la gravité du péril encouru à titre privé par le premier acteur, péril qui ne peut aller jusqu'au péril de mort que dans la comédie héroïque. La frontière est ici à peu près étanche: nulle comédie ordinaire, fondée sur une intrigue seulement amoureuse, ne pourra être élevée au rang de comédie héroïque.

Tragédie et comédie occupent significativement les deux angles du tableau: la distinction est maximale, qui mobilise les deux critères à la fois, et interdit toute conciliation.

Reste la quatrième case. La tragédie «moyenne» qu'elle définit est évoquée par Corneille dès l'Épître dédicatoire de Don Sanche au titre d'une possibilité toute théorique, seulement illustrée par la tragédie archaïque de Scédase ou l'hospitalité violée de Hardy (1624) — unique exemple repris par le second Discours.

[…] ce n'est pas une nécessité de ne mettre que les infortunes des Rois sur le Théâtre. Celles des autres hommes y trouveraient place, s'il leur en arrivait d'assez illustres, et d'assez extraordinaires pour la mériter, et que l'Histoire prît assez de soin d'eux pour nous les apprendre. Scédase n'était qu'un paysan de Leuctres, et je ne tiendrais pas la sienne indigne d'y paraître, si la pureté de notre Scène pouvait souffrir qu'on y parlât du violement effectif de ses deux filles […].[11]

Inscrit dans un développement majeur sur la catharsis, le passage fait valoir qu'une telle tragédie «moyenne» remplirait mieux que tout autre la condition même du processus cathartique: que le héros soit notre «semblable». Corneille n'en tire guère de conséquences, mais la remarque est tout sauf anodine; outre qu'elle affiche le scepticisme du dramaturge à l'égard de cette fameuse «épuration» des passions, elle révèle l'inclusion délibérée dans le système d'au moins un genre virtuel ou fantôme.


L'Illusion, comédie

Que tirer d'une confrontation de L'Illusion comique à ce schéma tardif? Si l'hétérogénéité du personnel dramatique semble interdire de prime abord l'inscription de la pièce dans telle ou telle case, l'intrigue-cadre ne peut relever que de la seule comédie ordinaire: Pridamant pourrait bien être un père de comédie qui fait obstacle aux projets de son fils, parmi lesquels rien n'interdit vraiment de supposer un dessein matrimonial; et la dernière scène de la pièce est bien près de préluder à une classique scène de réconciliation.

Pour la Comédie, Aristote ne lui impose point d'autre devoir pour conclusion, que de rendre amis ceux qui étaient ennemis. Ce qu'il faut entendre un peu plus généralement que les termes ne semblent porter, et l'étendre à la réconciliation de toute sorte de mauvaise intelligence; comme quand un fils rentre aux bonnes grâces d'un père, qu'on a vu en colère contre lui pour ses débauches, ce qui est une fin assez ordinaire aux anciennes Comédies; ou que deux Amants séparés par quelque fourbe qu'on leur a faite, ou par quelque pouvoir dominant, se réunissent par l'éclaircissement de cette fourbe, ou par le consentement de ceux qui y mettaient obstacle; ce qui arrive presque toujours dans les nôtres, qui n'ont que très rarement une autre fin que des mariages. Nous devons toutefois prendre garde que ce consentement ne vienne pas par un simple changement de volonté, mais par un événement qui en fournisse l'occasion. Autrement il n'y aurait pas grand artifice au dénouement d'une Pièce, si après l'avoir soutenue durant quatre Actes sur l'autorité d'un père qui n'approuve point les inclinations amoureuses de son fils, ou de sa fille, il y consentait tout d'un coup au cinquième par cette seule raison que c'est le cinquième, et que l'auteur n'oserait en faire six.[12]

On peut être frappé par l'adéquation de la formule qui résume pour Corneille le modèle du dénouement de la comédie antique avec le canevas de l'intrigue-cadre(un père cherche à retrouver un fils, «éloigné par des traitements trop rudes», v. 22, pour se réconcilier avec lui).[13] Certes, la scène de réconciliation à proprement parler ne nous est pas donnée, mais, de même que «le Mariage n'est point un achèvement nécessaire pour[…] la Comédie» et qu'«il suffit d'en donner l'idée»[14], de même on peut sans doute considérer l'action comique complète si les conditions de cette réconciliation sont clairement exposées. Si L'Illusion comique ne ressemble guère aux autres comédies de Corneille, c'est donc qu'elle s'en tient à un dénouement à la façon de Plaute et Térence. Ne cherchons pas ailleurs la raison du choix constant de Corneille pour une désignation comique de la pièce.


Les genres de L'Illusion comique

Il n'en demeure pas moins que la pièce compte d'évidents emprunts à d'autres genres, parmi lesquels la tragi-comédie et la tragédie, et d'abord la pastorale, absente du système des genres. Corneille n'a jamais pratiqué en tant que tel le genre pastoral, pourtant très à la mode lors de ses débuts, mais on peut retrouver ses constituants structuraux (notamment le principe de la chaîne des amours contrariées) dans la comédie cornélienne, qu'on a pu qualifier de «pastorale urbaine».[15] En revanche, le dramaturge s'est toujours refusé à recourir au «magasin d'accessoires» de la pastorale, auquel appartient précisément la grotte et le magicien du premier acte de L'Illusion comique.

C'est à partir d'un tel constat qu'on peut être tenté de rapporter chacun des trois niveaux de la fiction dramatique à un genre différent. En témoignent les descriptions données par deux des plus récents éditeurs de la pièce, qui prédiquent successivement l'acte I, l'intrigue amoureuse dans les trois actes centraux, et le dénouement:

Si L'Illusion comique est donnée, lors de sa publication, comme comédie, elle ne répond pas plus aux normes du genre dont elle se réclame qu'elle n'observe les règles dramatiques. Tour à tour et tout à la fois féerie pastorale, comédie à l'italienne, tragi-comédie romanesque et pure tragédie, elle franchit en permanence la frontière qui délimite les genres, opérant de l'un à l'autre un glissement où l'on peut voir non seulement une exploration de toutes les formes théâtrales et de toutes les contaminations possibles d'un genre par l'autre, mais peut-être plus fondamentalement, le fond même de l'univers théâtral de Corneille.[16]

[…] Une pièce qui commence dans une atmosphère de mystère dans un cadre de pastorale (un magicien et sa grotte), se poursuit dans la comédie pure (un couple d'amoureux se moquant d'un fanfaron), débouche sur la tragi-comédie (trahison, duel, mort, prison, évasion), et finit en tragédie (assassinat du héros) tout en se prétendant comédie.[17]

Il est pour le moins troublant de constater ici que si la fiction distingue bien trois niveaux ou trois intrigues, on ne peut éviter de recourir à quatre qualificatifs génériques lorsqu'on détaille l'ensemble. Corneille se garde d'ailleurs bien de se livrer à une description de cet ordre: a-t-on bien noté que, dans les formules tellement saisissantes de l'Épître dédicatoire et de l'Examen, pas plus le premier acte que l'ensemble formé par les actes II à IV ne sont prédiqués en termes de genre?

Voici un étrange monstre que je vous dédie. Le premier Acte n'est qu'un Prologue, les trois suivants font une Comédie imparfaite, le dernier est une Tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une Comédie.

Le premier Acte ne semble qu'un Prologue. Les trois suivants forment une Pièce que je ne sais comment nommer: le succès en est Tragique, Adraste y est tué, et Clindor en péril de mort: mais le style et les Personnages sont entièrement de la Comédie. […] L'action n'y est pas complète puisqu'on ne sait, à la fin du quatrième Acte qui la termine ce que deviennent les principaux Acteurs, et qu'ils se dérobent plutôt au péril, qu'ils n'en triomphent. […] Le Cinquième est une Tragédie assez courte pour n'avoir pas la juste grandeur que demande Aristote […]. Tout cela cousu ensemble fait une Comédie […].[18]

Quatre remarques au moins sur ces deux analyses que vingt ans séparent.

1. En 1660 comme en 1639, Corneille ne s'engage en toute rigueur que sur le statut générique du cinquième acte.

2. Qualifier le premier acte de prologue, c'est faire bon marché du retour d'Alcandre et de Pridamant dans les autres actes, a fortiori dans le dernier, et de l'effet d'encadrement ainsi obtenu; car L'Illusion comique possède indéniablement une structure chorale, comme l'a montré G. Forestier[19], dans la mesure où les protagonistes de la pièce-cadre sont appelés à commenter régulièrement l'action dramatique à compter du deuxième acte. On est dès lors un peu surpris de voir Corneille traiter son premier acte comme si la pièce tout entière relevait d'une structure prologale, où prévaudrait seulement la juxtaposition de deux séquences dramatiques, la première servant à introduire la seconde. Disons-le nettement: Corneille ne s'arrête pas aux mêmes effets que nous; quand nous restons fascinés par la profondeur de la «mise en abyme», le dramaturge s'attache à une syntaxe nue. Verticalité pour nous, horizontalité sans profondeur pour lui.

3. «Comédie imparfaite» en 1639, les trois actes centraux ne peuvent plus former en 1660, à l'aune du système plus haut rappelé, qu'«une pièce que je ne sais comment nommer». La phrase égrène de fait plusieurs incompatibilités: le péril de mort serait admissible dans une tragi-comédie (ou, après 1650, dans une comédie héroïque), mais il supposerait la présence d'au moins deux personnages de haut rang (un pour tuer l'autre, un aristocrate ne pouvant mourir que de la main d'un autre aristocrate); or, dans comique, «les personnages sont entièrement de la Comédie»; en outre, seule une authentique tragédie — et donc pas même une comédie héroïque — pourrait admettre un «succès tragique», soit une issue funeste. Suffit-il de rappeler ici le terme générique qui a disparu du système, et doit-on considérer par défaut que ces trois actes centraux forment une tragi-comédie? Pas davantage: la tragi-comédie des années 1630 ne s'accommode pas mieux que la comédie héroïque promue après 1650 d'un personnel dramatique «entièrement» comique. Si une tragi-comédie exactement contemporaine du Cid et de L'Illusion comique comme Agésilan de Colchos de Rotrou (1637) peut comporter un rôle de fanfaron en la personne de Rosaran, elle ne peut se passer d'un prince — fût-il déguisé — et plus généralement de l'univers d'une cour. Doit-on alors faire appel à la quatrième case, et au genre virtuel de la tragédie «moyenne»? Le personnel, cette fois, pourrait convenir, mais l'amour, loin d'occuper le second rang, prend ici toute la place et, en première analyse, on ne saurait identifier de péril public dans cette histoire privée. Mais ce quatrième genre est bien le seul qui permettrait de rendre compte d'une pièce mettant en scène un personnel de condition moyenne et s'achevant dans le sang (c'est là, nous l'avons dit, sa fonction proprement théorique).

4. À première lecture, on peut hésiter sur l'antécédent du pronom adverbial y («Adraste y est tué»): on peut croire d'abord que c'est la mort d'Adraste qui forme le «succès tragique» de cette «pièce» sans nom, comme si Corneille lui-même confondait la fin du troisième et celle du quatrième acte, une péripétie et l'«issue» elle-même. L'hésitation signale en fait un problèmebien réel: il est tout simplement faux de prétendre que l'ensemble formé par les trois actes centraux offre une issue ou «succès» tragique. C'est bien à la fin du troisième acte que meurt Adraste; quant à l'issue du quatrième, elle offre au contraire un démenti au tragique, en soustrayant le héros au péril de mort[20] — sans dénouer du reste une intrigue qui demeure incomplète. À s'en tenir à la lettre de l'Examen, on peut considérer que Corneille est tout près de concéder ici que ces trois actes ne comptent pas pour une pièce mais pour deux. Dualité ressentie par quiconque tente de qualifier les trois actes centraux, à l'instar des deux éditeurs cités plus haut, mais dualité qu'il faut appréhender dans les termes de cet Examen et du système des genres auquel il s'adosse: non pas une comédie, fût-elle «pure» ou «à l'italienne», suivie d'une tragi-comédie, fût-elle «romanesque», mais deux authentiques monstres: une comédie ordinaire à issue funeste, suivie d'un fragment d'acte tragi-comique qui ne peut pas dire son nom, dans lequel les ressorts fonctionnels de la tragi-comédie se trouvent réduits au rang de simples ornements, faute d'abord, comme on le montrera, du personnel dramatique idoine.

Des deux pièces successives qu'enferment les trois actes centraux de L'Illusion comique, la première relève d'un genre fantôme et reste donc proprement impensable. À moins de se livrer sur elle, qui, de «l'aveu» même de Corneille, va du début de l'acte II jusqu'à la mort d'Adraste, à une opération supplémentaire: diviser pour mieux reconnaître. Monstre pour monstre, pourquoi ne pas reconduire sur ces deux actes dont l'unité est problématique le geste pratiqué par le dramaturge dans son Examen sur l'ensemble de la pièce?


Monstre pour monstre

On observera d'abord que les actes II et III comptent une rupture de la liaison des scènes (l'acteur qui entre en scène ignore absolument celui qui sort) et une liaison imparfaite (un acteur quitte la scène pour éviter celui qui entre).[21] Ce sont autant de lignes de fracture, qui signalent la difficulté du dramaturge à unifier plusieurs actions, ou tout au moins à assurer un développement cohérent et linéaire à l'intrigue.

— Acte II: liaison imparfaite en amont de la scène 3: voyant venir Isabelle accompagnée d'Adraste, Matamore se dérobe et entraîne Clindor dans un «coin» (liaison de fuite, v. 333 sq.); en aval: Adraste sort sans voir Matamore ni Clindor (ironie du v. 410, où Matamore déclare: «Eh bien, dès qu'il m'a vu, comme a-t-il pris la fuite!»).

— Acte III: franche rupture de liaison entre les scènes 6 (monologue de Lise, au cours duquel elle se résout à perdre Clindor auprès d'Adraste) et 7 (monologue de Matamore).[22]

Dans ces deux cas, il apparaît que l'intrigue à laquelle appartient Matamore communique assez mal avec celle dont relève Adraste. Le clivage entre les deux intrigues est en outre sensible dans la distribution du personnel dramatique: seuls Clindor et Isabelle entrent dans la folie du fanfaron; Matamore n'a aucune scène en commun avec Lise, et Adraste ignore un personnage qu'il ne rencontre jamais — même pas dans la scène «finale» qui réunit pourtant tous les acteurs (Matamore fuit par une «porte ouverte» dès qu'il aperçoit la troupe menée par Géronte et Adraste). Quant à Géronte, confronté à Matamore dans une unique scène (III, 3), il n'entre pas une minute dans le jeu du fanfaron, qu'il traite comme tel (v. 719-720: «Je ne suis pas d'humeur à rire tant de fois / Du crotesque récit de vos rares exploits.», et v. 728-730: «J'ai chez moi des valets à mon commandement / Qui, se connaissant mal à faire des bravades,/ Répondraient de la main à vos rodomontades.»).

Résumons cette intrigue autonome qui a toutes les allures d'un canevas de commedia: elle se laisse ramener à trois séquences qui forment l'équivalent structurel de trois actes(Matamore est épris d'Isabelle, auprès de qui son valet Clindor-La Montagne doit le servir; on apprend que celle-ci aime Clindor, qui, loin de servir son maître, sert ses propres amours; Matamore est en butte à l'hostilité du père qui a promis Isabelle à un homme influent, et impute au fanfaron le refus de sa fille; Matamore surprend les deux amants, mais la bravoure de Clindor a raison des menaces du fanfaron, qu'il contraint à lui donner Isabelle). L'autonomie de ce canevas est telle, qu'on pourrait imaginer de représenter cette seule intrigue, en enchaînant les scènes 2 (moins les vers 334 sq.), 4 (moins les vers 410-415) et 5 (en considérant que toutes les mentions du «rival» de Clindor peuvent s'appliquer à Matamore) de l'acte II, puis, in extenso et comme autant de lazzi, les scènes 2, 3 et 4 de l'acte suivant (où il est beaucoup question du gendre choisi par Géronte, ce nouveau personnage n'ayant pas besoin de paraître), enfin et telles quelles les scènes 7 à 10 de ce même acte III. Cette intrigue, dominée par le couple traditionnel formé par le fanfaron et son valet-parasite, trouve avec le pardon accordé par Matamore et le baiser échangé sous ses yeux par les deux amoureux un dénouement canonique:ce n'est pas de cette pièce-là qu'on peut dire qu'elle forme une «comédie imparfaite» ou inachevée.

Si cette première intrigue est celle de Matamore, la seconde, dans laquelle on retrouvera sans peine certains des ressorts fonctionnels des premières comédies cornéliennes, est bien celle de Clindor, qui trouve là un rôle différent. En voici le sujet: Adraste déclare en vain sa flamme à Isabelle, laquelle est amoureuse de Clindor. La servante d'Isabelle, Lise, secrètement éprise de Clindor, qu'elle croit être un simple valet, entreprend de «traverser» les amours de Clindor et d'Isabelle en révélant à Adraste qu'il a un rival indigne de lui et en lui donnant les moyens de les surprendre (c'est la structure «classique» de l'action secondaire ou épisode)[23]. Le «stratagème» de Lise peut ensuite s'autoriser du soutien apporté par Géronte à Adraste hors scène; secondé par une troupe de domestiques, Adraste surprend les deux amants. C'est ici que cette deuxième comédie croise la première: la scène que surprend Adraste est celle qui forme le point d'orgue de la «comédie du ridicule». Le baiser, ainsi, «compte» dans les deux pièces—ce n'est pas le seul ressort mobilisé sur les deux fils dramatiques en même temps, comme on le verra. Mais surtout: ce qui, dans une comédie ordinaire en cinq actes, ne serait qu'une péripétie, classiquement située à la fin de l'acte III, tire brutalement la pièce vers un dénouement sanglant, un dénouement «qui n'est pas son genre», littéralement monstrueux et qui coupe dans son élan une intrigue encore en expansion. Car, avec les scènes 3 de l'acte II (l'amant malheureux face à celle qu'il aime), 7 de l'acte II (collusion d'intérêts entre les deux personnages épisodiques éconduits) et 6 de l'acte III (monologue délibératif de celle qui s'apprête à trahir), on a bien eu les trois grandes scènes qui scandent habituellement les deux premiers actes d'une comédie cornélienne; et c'est dans un troisième acte qu'on voit généralement l'effet, tout provisoire, du stratagème imaginé par un «second acteur» malheureux.

Reconnaître dans cette seconde pièce le schéma des comédies cornéliennes, qui se déroulent entre gens de même condition, au sein d'une jeunesse aisée, suppose d'accorder à certains personnages une manière de promotion sociale. Il se trouve que Corneille y a un peu songé: comme le relève l'Examen, «Lyse en la sixième scène du troisième acte semble s'élever un peu trop au-dessus de sa condition de servante» en s'exprimant comme sa prétendue maîtresse; quant à Clindor, il peut assurer sans ciller à Isabelle que sa naissance n'est peut-être pas indigne de celle du jeune baron Adraste:

Mon sang est le seul bien qui me reste en ces lieux,
Trop heureux de le perdre en servant vos beaux yeux.
Mais si mon astre un jour, changeant son influence,
Me donne un accès libre aux lieux de ma naissance,
Vous verrez que ce choix n'est pas tant inégal,
Et que, tout balancé, je vaux bien un rival.[24]

Dans les seuls actes II et III de L'Illusion comique, deux pièces se déroulent donc en même temps, et si elles ne se mêlent pas avant la fin de l'acte III, c'est d'une part que Corneille a délibérément affecté à la seule seconde comédie une partie du personnel dramatique, au prix, on l'a vu, de ruptures de liaison; c'est aussi qu'il a su mettre en facteur commun plusieurs scènes: outre la scène du baiser déjà mentionnée, les scènes 5 de l'acte II, 1 à 3 de l'acte III et 8 de l'acte III, soient les deux grandes scènes qui mettent face à face les deux amants, et toutes les scènes de Géronte. On fera l'épreuve du fonctionnement sylleptique de ces scènes en relisant, par exemple, les v. 489-490: «Je néglige à vos yeux l'offre d'un diadème,/Je dédaigne un rival, en un mot je vous aime.» (si la première proposition désigne à l'évidence Matamore, la seconde peut viser indifféremment celui-ci ou un deuxième rival).

Mais comment Clindor peut-il jouer dans les deux pièces en même temps? Il faut d'abord que l'ambiguïté jetée sur la condition du personnage ne soit jamais véritablement levée: c'est «l'irritante question de la condition de Clindor»[25] sur laquelle M. Fumaroli s'est longuement interrogé. On doit pouvoir l'imaginer tour à tour comme un valet-parasite et comme un exilé sans le sou, ignorant de sa naissance et qui pourrait bien se révéler de haute condition. Il y a mieux: loin d'avoir distribué ces deux rôles sur les deux intrigues, Corneille a fondé sur cette ambiguïté le déroulement des deux pièces. C'est parce qu'Isabelle croit savoir que Clindor est gentilhomme et riche qu'elle peut tomber amoureuse de celui qui semble n'être qu'un simple valet; et la nature de la correction imaginée par Adraste pour punir son rival (une bastonnade) ne s'explique que parce qu'il considère Clindor comme un simple «maraud» (v. 583) et donc aussi comme un «suborneur» (v. 967). La scène 7 de l'acte II est tout entière consacrée à l'éveil chez Adraste d'une indignation plutôt que d'une authentique jalousie.

Il reste qu'un personnage comme Clindor, doté ainsi de deux rôles, ne peut manquer d'apparaître au spectateur au moins comme ambigu, sinon comme double; le mieux est encore d'habiller cette dualité du voile de l'inconstance, soit du manteau d'Hylas: c'est une des fonctions de la scène 5 de l'acte III sinon pour le moins étonnante, dans laquelle Clindor cherche à séduire Lise.[26] Voir Clindor adopter avec Lise un autre langage et renoncer à toute morale achève de nous convaincre de la plasticité d'un personnage capable d'être à la fois l'égal de Lise et celui d'Isabelle.

Où en sommes-nous à la fin de l'acte III? La comédie de Matamore a trouvé un dénouement satisfaisant, mais pas celle de Clindor dont n'ont été développés que les trois premiers moments qui fonctionnent structurellement comme les trois premiers actes d'une pièce comique; là où le spectateur attend une simple péripétie, il assiste, stupéfait, à un événement irréversible qui ne peut apparaître dès lors que comme un dénouement. Pire encore: le geste sanglant, sans commune mesure avec la bastonnade annoncée, ne peut venir que d'un autre genre. Tout se passe comme si Adraste, en renonçant à la bastonnade pour mettre l'épée à la main (v. 966), était amené à violer la séparation des genres pour sanctionner l'infraction d'un supposé «suborneur» à la hiérarchie sociale.

Car on a peine à croire que cette scène 11 appartienne encore à la comédie, sinon parce qu'on y appelle un médecin au chevet d'un mourant (v. 971): s'est-on jamais demandé par quelle nécessité, disons plutôt par quel hasard, Clindor, simple valet de Matamore, se trouvait ce jour-là en possession d'une épée? Et comment accepter qu'il puisse soudain parler et agir en gentilhomme, sauf à supposer en lui un aristocrate déguisé?

Tout le problème pour Corneille est ensuite de transformer le meurtre d'Adraste qui, s'il ne constitue pas exactement un dénouement, a donné un coup d'arrêt définitif à la comédie, en une simple péripétie, c'est-à-dire de donner à l'action les moyens de se poursuivre — ce qui ne peut se faire qu'en changeant de genre, ou plutôt en entérinant le glissement générique déjà intervenu. Reste à savoir si le dramaturge a pleinement réussi le pari. Peut-on vraiment considérer le quatrième acte comme la continuation du troisième?


Fragments de théâtre

Quelle peut être, tout d'abord, la couleur générique de ce quatrième acte, en regard de ce qui précède? Sans entrer dans le détail, on pourra exclure sans hésitation la tragédie, faute d'un personnel dramatique adéquat; mais également la comédie, écartée avec la mort d'Adraste à laquelle Matamore n'aura pas assisté. Restent théoriquement la tragédie «moyenne», pour laquelle manque —à ce moment de l'action tout au moins— un péril public, et la case plus tard dévolue à la comédie héroïque et partiellement occupée dans les années 1630 par la tragi-comédie, qui distingue mal péril privé et péril public. Compte tenu des pierres d'attente appelées à devenir ici des ressorts fonctionnels —un possible aristocrate déguisé, une incarcération obligée, la vengeance d'une femme jalouse toujours susceptible de remords—, l'action ne peut, en fait, se poursuivre que sous la bannière de la tragi-comédie.

Nul doute que la logique de l'œuvre et l'ambition de Corneille soient bien de hausser maintenant l'intrigue comique au rang de la tragi-comédie. On conçoit que l'effort doive porter d'emblée sur les deux constituants du genre: la dignité des personnages et les enjeux du péril —la tragi-comédie ayant en commun avec la comédie de placer l'amour au premier rang, on peut espérer qu'elle relaiera sans heurts l'action comique. L'effort délibéré de Corneille sur ces deux points à la fois est sensible dès la première scène de ce quatrième acte, avec un long monologue d'Isabelle. Mais le relais d'un genre par l'autre ne s'opère pas là sans dommages: dans le «rival» de Clindor dont la mort irrite les «puissances», on peine un peu à reconnaître Adraste,et dans le «père inhumain» qu'Isabelle apostrophe, on ne retrouve plus le bonhomme Géronte (dont le nom même ne peut plus être rappelé). On reste en outre pour le moins surpris de découvrir que cette querelle privée intéresse l'avenir du pays:

Demain doit triompher la haine de mon père,
La faveur du pays, l'autorité du mort,
Le malheur d'Isabelle et la rigueur du sort.
Hélas! que d'ennemis, et de quelle puissance…[27]

La surprise ne sera pas moins grande à entendre Clindor (IV, 7) faire état des «mandements sinistres» du «sénat» qui a décidé de son sort (il faut ici faire appel au secourable Furetière pour sauver la cohérence au moins sémantique: le sénat peut désigner un simple tribunal, si l'on admet que le terme est un «titre d'honneur que les avocats donnent quelquefois aux compagnies souveraines»). Ou évoquer la vengeance des mânes de son rival, en cultivant l'antithèse: «Il succomba vivant, et mort, il m'assassine;/Son nom fait contre moi ce que n'a pu son bras;» (v. 1262-1263).

Le ton et le registre sont en fait à l'unisson du cadre typiquement tragi-comique de ce monologue: une «prison», amenée au prix d'un éclatement du lieu théâtral, laquelle introduit son geôlier corruptible et une évasion romanesque machinée par la ruse féminine; c'est tout un épisode archétypal des tragi-comédies de l'époque (à l'exemple de Tyr et Sidon, 1628, ou de La Généreuse Allemande, 1630), qui se trouve transplanté presque sans aménagements dans cet acte IV.

D'où vient dès lors que l'on n'ait pas exactement l'impression d'assister au déroulement d'un acte complet qui serait de part en part tragi-comique? L'essentiel du problème tient ici aux faibles ressources du personnel dramatique: on ne saurait dignement rappeler avec Géronte un père de comédie, Adraste n'est plus qu'une ombre, et Clindor n'a plus de rival. Quant à Lise, si ses prévisibles remords offrent l'occasion d'une belle scène, elle ne saurait plus prétendre à l'amour de Clindor, devenu, en quatre jours (v. 1180) et par la seule magie d'un intervalle d'actes, un prince déguisé assez crédible. Le seul dédommagement possible pour cette amante redevenue simple servante consiste à lui offrir le geôlier, ce qui présente en outre l'avantage de mettre en place les conditions d'une évasion réussie… Corneille s'est à l'évidence contenté ici d'adapter le rôle de Mélanire dans la tragi-comédie de Scudéry intitulée Le Prince déguisé (1634), comme l'a signalé R. Garapon: «Mélanire, femme du jardinier du palais, s'est éprise du prince Cléarque [déguisé en jardinier]; rebutée par lui, elle découvre bientôt l'amour qui lie le jeune homme à la princesse Argénie, et elle dénonce Cléarque et Argénie à la reine Rosemonde; après quoi, elle est prise de remords, et elle se désespère d'avoir causé la perte de celui qu'elle aimait.»[28]

Dans cet acte IV de L'Illusion comique, le genre tragi-comique n'est finalement convoqué que sous forme de morceaux choisis, presque de citations, qu'il est possible de percevoir comme parodiques: c'est l'effet qui résulte de la juxtaposition du monologue d'Isabelle (IV, 1) et des répliques de Lise qui ouvrent la scène suivante: «Quoi! chacun dort, et vous êtes ici!/ Je vous jure, Monsieur en est en grand souci.» (v. 1031-1032). L'Illusion est ici «comique» à la façon des romans parodiques inspirés par Don Quichotte, comme Le Berger extravagant de Sorel (1627), dans lesquels les personnages de second rang sont là pour ramener à la réalité les personnages qui se rêvent en héros de roman.

Est-ce en ces termes qu'il faut interpréter le retour, pour le moins inattendu, de Matamore dont on croyait l'histoire achevée? Tout se passe comme s'il était resté derrière le décor (le début de la scène 11 de l'acte III le voyait se faufiler dans la maison de Géronte pour échapper à la troupe armée: il est resté depuis lors caché dans la «chambre aux fagots», ignore apparemment la mort d'Adraste et continue à craindre les valets de Géronte…). Le retour avec lui de la franche comédie (un personnage de commedia dell'arte joue toujours la même pièce) affecte d'un fort coefficient d'artificialité l'ensemble de l'acte. Mais qu'est-ce qui distingue au juste ce fanfaron qui se rêve en héros d'épopée d'une simple bourgeoise qui se voit en princesse de tragi-comédie?


Pièce après pièce

On lèvera maintenant le rideau. Nous voici désormais avec quatre pièces, sans compter la pièce-cadre: la comédie de Matamore (trois actes distribués sur les actes II et III), la comédie de Clindor brutalement interrompue dans une sorte de troisième acte à la scène 11 de l'acte III de L'Illusion comique, les fragments parodiques d'un acte de tragi-comédie jetés dans un quatrième acte qui tente de donner une suite à l'acte III; un cinquième acte enfin qu'on considérera avec Corneille comme un abrégé de tragédie.

Notre lecteur se sera sans doute inquiété de nous voir multiplier ainsi les «pièces»; il aura même peut-être jugé abusif le recours à ce mot de «pièce» dans une fiction théâtrale qui offre avec son acte V un exemple fameux de théâtre dans le théâtre. En toute rigueur, L'Illusion comique est, comme Hamlet, une pièce qui intègre la représentation d'une seule pièce, après trois actes suscités par une évocation magique.[29]

Mais en est-on bien sûr? Qu'est-ce qui distingue, au juste, le statut du cinquième acte de celui des trois actes centraux, sinon la décision d'Alcandre — qui est bien sûr celle de Corneille — de dénoncer après coup le statut de fiction théâtrale du seul dernier acte? En quoi les réactions de Pridamant à l'acte V sont-elles différentes de ses interventions à la fin des actes II, III et IV? Il est à chaque fois un spectateur, confronté non pas tant à différentes pièces qu'à différents genres, puisque pour lui comme pour le spectateur réel, l'histoire qui se déroule est toujours celle de Clindor et d'Isabelle; et l'on pourrait montrer que les émotions qu'il exprime sont commandées par les différents genres mis en œuvre. Quant aux prophéties d'Alcandre, ne sont-elles pas à chaque fois dictées par sa maîtrise des conventions génériques?

Fin de l'acte II: Pridamant dit «craindre [pour son fils] la menace» que fait planer le désir de vengeance d'une femme «méprisée». Est-ce alors sa profonde connaissance du cœur humain ou des ressorts de la comédie cornélienne qui permet à Alcandre de le rassurer: «Lise aime trop Clindor pour causer sa disgrâce.» (v. 622)[30]. En quoi le magicien-dramaturge se contente d'une approximation ou anticipe d'un acte, puisque dans l'acte III Lise se rend bien coupable d'une trahison, avant de se racheter dans l'acte suivant.

Fin de l'acte III: Alcandre doit enseigner à un Pridamant qui croit son fils perdu la différence entre péripétie et catastrophe («Vous le verrez bientôt heureux en ses amours.», v. 980), sans qu'il soit d'ailleurs bien clair si Alcandre pronostique par là les retrouvailles entre Clindor et Isabelle toujours possibles dans une tragi-comédie, ou bien cet ultime moment où le fils prodigue présentera à son père celle qu'il aime.

Fin de l'acte IV: tout se passe comme si Alcandre, pressé par le temps, résumait à grands traits, pour un Pridamant apaisé par l'évasion tragi-comique («À la fin je respire», v. 1331), la suite prévisible de la tragi-comédie pour pouvoir l'entraîner dans un autre théâtre.

Scène 5 de l'acte V: une réplique de Pridamant vient résonner dans la fiction elle-même, mais elle fait directement écho à celle prononcée à la fin de l'acte III—«Hélas! il est perdu!», v. 1700, pour «Hélas! mon fils est mort!», v. 977. Ce père sensible aura donc éprouvé successivement l'«inquiétude» comique et la pathétique de la tragédie…

Où veut-on en venir? S'il n'y a pas de hiatus notable entre ces différentes réactions, c'est peut-être que L'Illusion comique ne met pas en œuvre «la rupture ontologique entre théâtre et réalité», mais plus simplement une succession de différentes pièces relevant de genres différents. On pourrait nous objecter que la révélation finale isole délibérément le seul abrégé de tragédie de ce qui précède; on répondra que le hiatus entre les actes IV et V est de même nature que celui qui sépare les actes III et IV. Disons-le nettement: l'acte V ne continue pas mieux (ni plus mal) l'acte IV que celui-ci ne continue l'acte III. Le décalage entre les deux est rigoureusement du même ordre, à commencer par un décalage chronologique (qu'il soit de quatre jours entre les actes III et IV et de deux ans pour les deux actes suivants ne change rien à l'affaire) et l'introduction de nouveaux personnages structurellement nécessaires (ici un geôlier qui fait pour Lise un mari acceptable; là une princesse qui fait une maîtresse bien tentante pour un favori). Entre le Clindor du troisième acte, fût-il cet amant volage qui combine les rôles du valet-parasite et du gentilhomme qui s'ignore, et le héros de tragi-comédie qui pourrait être un prince déguisé, il y a le même écart qu'entre le prisonnier qu'on fait évader et le favori du prince Florilame[31]: les deux sauts sont à interpréter dans les mêmes termes — ceux d'une hiérarchie sociale qui est d'abord une hiérarchie des genres.

Et qu'est-ce qui empêche, fondamentalement, de placer les révélations d'Alcandre à la fin de l'acte IV, ou d'envelopper les actes IV et V dans la même dénonciation? Ou bien encore de dévoiler à Pridamant à la fin de l'acte III le caractère fictif du duel? Structurellement rien, sinon que l'effet est plus beau d'intervenir in extremis et surtout au sommet de la hiérarchie des genres, c'est-à-dire sur le spectacle de la mort tragique.

Nous mesurons en écrivant ces lignes à quel point cet ensemble de propositions heurte la lecture habituelle de la pièce. On ne manquera pas de nous opposer le fait que la révélation finale est au moins à deux reprises préparée — par le dévoilement, dès la scène 2 du premier acte, des costumes du dernier, par la réplique d'Alcandre à la fin de l'acte IV —, et que les deux moments signalent au moins une préméditation par Corneille de la structure révélée in fine. On avancera quatre arguments en faveur de l'hypothèse inverse —que Corneille n'a décidé que tardivement l'effet de théâtre dans le théâtre.

— Sur les mots d'Alcandre à l'acte IV: certes les vers 1335-1338[32] préparent le coup de théâtre de la fin de l'acte V; mais à y regarder de près, ces quatre vers forment un quatrain autonome et peut-être surnuméraire (en témoigne l'effet de redite entre «haut degré d'honneur», «haute fortune» et «hautes fonctions»), dont on peut penser qu'il a été introduit après coup pour justifier la révélation finale dans une structure peut-être décidée tardivement.

— Quant à la scène 2 de l'acte I: la didascalie («On tire un rideau derrière lequel sont en parade les plus beaux habits des Comédiens») et la réplique de Pridamant qui la suit[33], associent certes explicitement ces costumes à la condition princière, mais la didascalie ne dit pas que les comédiens ne disposent que de ces costumes-là; pour les autres actes, les comédiens n'ont besoin que de costumes un peu moins beaux…. Seul le cinquième acte requiert d'ailleurs des acteurs qu'ils changent de costume; du point de vue de la hiérarchie des genres, l'abrégé de tragédie requiert bien un «appareil» spécifique, quand les tragi-comédie et comédies des actes intermédiaires peuvent vraisemblablement s'accommoder des mêmes costumes[34].

— Si l'on dresse la liste des termes par lesquels les personnages donnés à voir à Pridamant se trouvent désignés, on ne repèrera aucune solution de continuité de l'acte I à l'acte V. Le mot de «fantôme» est utilisé pour désigner à la fois l'évocation magique et la représentation théâtrale (II, 1: «Voyez déjà paraître, / Sous deux fantômes vains , votre fils et son Maître.», v. 217-218 et IV, 10: «Rentrons pour évoquer des fantômes nouveaux», v. 1340: les personnages du cinquième acte seront peut-être «nouveaux», mais ils auront rigoureusement le même statut que ceux des actes intermédiaires). Le lexique théâtral est, par ailleurs, introduit très tôt à la faveur de voyants effets de syllepse (I, 3: «Je vous le veux montrer plein d'éclat et de gloire,/ Et la même action qu'il pratique aujourd'hui.», v. 202-203; II, 1: «Faites lui du silence et l'écoutez parler», v. 220). Enfin Alcandre reconnaît à plusieurs reprises (I, 3; IV, 12) que le «charme» n'en est pas un; lorsque Pridamant interroge, après que le rideau a été tiré, «Quel charme[…]?» (v. 1751), il apparaît clairement que le terme aura sans cesse joué, si l'on ose dire, comme un paravent, et qu'il n'aura cessé de désigner le théâtre. Et si l'on doit se ranger aux conclusions de M. Alcover[35], pour laquelle l'action tout entière se déroule dans la grotte, on voit mal comment ce même cadre pourrait enfermer deux représentations au statut ontologique vraiment différent.

— On donnera pour finir rang d'argument au passage de l'Examen où Corneille détaille l'effet de «théâtre dans le théâtre» pour s'en féliciter, mais aussi pour justifier une structure mal perçue par le public, non pas tant peut-être parce que le dispositif piège à tout coup le spectateur, mais parce que celui-ci, en 1635 sans doute déjà comme aujourd'hui, perçoit confusément que la logique de l'œuvre n'est pas celle de l'enchâssement mais celle de la succession:

Clindor et Isabelle étant devenus Comédiens, sans qu'on le sache, représentent [au cinquième acte] une histoire, qui a du rapport avec la leur, et semble en être la suite. Quelques-uns ont attribué cette conformité à un manque d'invention: mais c'est un trait d'art pour mieux abuser par une fausse mort le père de Clindor qui les regarde, et rendre son retour de la douleur à la joie plus surprenant, et plus agréable[36].

La pièce nous donne à voir différents épisodes d'une même histoire traités selon des catégories génériques successives et la raison du spectateur ne peut pas ne pas résister à ce qui est peut-être finalement moins un coup de génie qu'un coup de force.

On comptera pour rien l'objection qui consisterait à invoquer un «Corneille baroque». Pour nous, la force de l'œuvre ne tient pas dans le vertige baroque des apparences, sur ce jeu entre vérité et illusion qu'on a beaucoup glosé, mais dans la confrontation orchestrée par Corneille, au sein d'une unique pièce et au cœur d'une décennie décisive pour la constitution d'une poétique des genres dramatiques, des différents genres alors existants, tous donnés à éprouver dans leur rapport à la vraisemblance.

Mettre en œuvre quatre pièces, mais également quatre genres dans un même cadre, c'est en effet se donner les moyens de les éprouver l'un par l'autre et deux par deux, en mettant en lumière des degrés distincts de vraisemblance. L'Illusion comique fait la démonstration qu'un genre ne gagne sa vraisemblance que de s'opposer à un autre et d'en dénoncer l'artificialité: ainsi la comédie de Matamore, lequel «n'a d'être que dans l'imagination, [est] inventé exprès pour faire rire, et dont il ne se trouve point d'original parmi les hommes», comme le rappelle l'Examen, permet à la comédie de Clindor de passer pour «naturelle». Et il y a, entre ces deux «intrigues», tout le décalage existant entre une comédie centrée sur un personnage ridicule[37] et la comédie moderne inventée par Corneille avec Mélite (1629):

La nouveauté de ce genre de Comédie, dont il n'y a point d'exemple en aucune Langue, et le style naïf, qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit. On n'avait jamais vu jusque-là que la Comédie fît rire sans Personnages ridicules, tels que les Valets bouffons, les Parasites, les Capitans, les Docteurs, etc. Celle-ci faisait son effet par l'humeur enjouée de gens d'une condition au-dessus de ceux qu'on voit dans les Comédies de Plaute et de Térence, qui n'étaient que des Marchands.[38]

Le fragment tragi-comique, dont Corneille se plaît à exhiber avec l'acte IV la dimension conventionnelle, c'est-à-dire théâtrale, a en réalité la même fonction: celle de «naturaliser» la comédie moderne: lors de l'entrée de Lise à la scène 2 de l'acte IV, la tirade grandiloquente d'Isabelle n'apparaît plus que comme un rêve héroïque qui ne diffère guère que par sa couleur générique des rodomontades de Matamore.

Quant au rapport entre tragédie et tragi-comédie, particulièrement problématique en ces années-là comme en témoigne l'exemple du Cid, Corneille évite de l'aborder frontalement en recourant à l'artifice de la «mise en abyme» dont c'est peut-être bien la première fonction. Dans la mesure où l'acte V ne raconte pas la même histoire que l'acte IV —c'est du moins ce que Corneille veut que nous pensions—, on peut continuer de croire que chaque genre possède ses intrigues, son personnel et donc aussi sa vraisemblance propre… À y regarder de plus près, les choses sont, évidemment, plus compliquées: en faisant reposer l'intrigue de son abrégé de tragédie sur le motif de l'adultère, fût-il princier, Corneille ne s'éloigne guère des modèles de la tragi-comédie ou de la tragédie de Hardy, jugée archaïque au moment où commence à s'établir la tragédie moderne —le dramaturge, on le sait, participe à cet établissement avec Médée, représentée à la saison théâtrale 1634-1635. Les sources utilisées par Corneille en témoignent: R. Garapon a pu montrer que la scène 3 de l'acte V était directement imitée d'Alcméon ou la vengeance féminine, tragédie de Hardy parue dans le dernier volume de son théâtre en 1628 et que la scène suivante avait été inspirée par Cléagénor et Doristée, tragi-comédie de Rotrou imprimée en 1634[39] —c'est dire que l'acte V est bien loin d'annoncer une tragédie cornélienne qui, en 1635, est encore à naître.

Si le contenu du cinquième acte contrevient ainsi à la volonté manifeste de distinguer la tragédie de la tragi-comédie qui la précède, c'est que la distinction, revendiquée théoriquement, n'a pas encore les moyens de se dire historiquement. Il n'en demeure pas moins que les deux genres sont conçus l'un par rapport à l'autre et l'un et l'autre au regard d'une échelle de la vraisemblance qui les oppose: au regard de la tragi-comédie et de la «comédie du ridicule» qui se donnent ouvertement comme théâtre, la tragédie et la comédie moderne, c'est-à-dire cornélienne, s'efforcent de faire oublier la convention en la «naturalisant»[40]. Aussi bien la hiérarchie des genres est-elle une hiérarchie des vraisemblances. Il resterait à s'interroger longuement sur la fonction de Pridamant dans cette démonstration: comment se fait-il par exemple qu'il puisse croire à Matamore? Et comment interpréter le fait qu'il puisse s'éprouver, au cinquième acte comme un père de tragédie[41]? C'est que, peut-être, les degrés de vraisemblance importent moins que l'envie d'y croire. Et pour nous-mêmes spectateurs, le dialogue entre Alcandre et Pridamant forme inévitablement le degré zéro à partir duquel nous appréhendons les autres, alors même qu'il est lui-même des plus conventionnels.

Il ne s'agit donc pas d'opposer le théâtre et la réalité: tout, dans la pièce, est du théâtre, mais pas de la même manière: comédie des genres[42] au sens propre, L'Illusion comique doit se lire pièce après pièce.



Bénédicte Louvat-Molozay
Marc Escola



Pages de l'Atelier associées: Genres, Textes possibles, Théâtre.


[1] Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique, [in:] Trois Discours sur le Poème dramatique, éd. B. Louvat et M. Escola, GF-Flammarion, 1999, p.77. Le premier des trois volumes regroupait les premières pièces de Corneille jusqu'à Médée inclusivement, soit toutes les comédies jusqu'à… L'Illusion comique ainsi que Clitandre.

[2] Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle, Genève, Droz, 1981; 2e édition, coll. «Titre courant», 1996, p.50-51.

[3] G. Forestier, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l'œuvre, Paris, Klincksieck, coll. Esthétique, 1996; H. Baby, La tragi-comédie de Corneille à Quinault, à paraître; voir également notre édition des Trois Discours sur le Poème dramatique (le § 3 du Dossier, p.232 sq., offre une anthologie des principaux textes utiles sur la question des genres).

[4] Voir notamment Laudun d'Aigaliers, L'Art poétique français, [1597], V, 5, «De la différence de la tragédie et de la comédie», éd. sous la direction de J.-Ch. Monferran, Paris, Stfm, 2000, p.206. Ou Mairet, Préface de La Silvanire, [1631], [in:] Théâtre du XVIIe siècle, éd. J. Scherer, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975, t.I, p.482-483 (cité dans notre éd. des Discours, p.237).

[5] Achevant le développement sur la qualité du sujet comique, Corneille écrit: «les événements [les issues] en doivent toujours être heureux, ce qui n'est pas une obligation de la Tragédie, où nous avons le choix de faire un changement de bonheur en malheur ou de malheur en bonheur.» (Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique, éd. cit., p.78).

[6] Ibid., p.72.

[7] L'Épître à M. de Zuylichem publiée en tête de l'œuvre en 1650 donne une première définition de ce nouveau genre (Œuvres complètes, éd. G. Couton, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t.II, 1984, p.550-553; et dans notre édition des Discours, document 20, p.239-240). Ajoutons ici que la confrontation de cette épître avec le texte des Discours autorise une fois de plus à penser que le système des genres se met en place, chez Corneille, dès les années 1648-1650 : c'est bien une même ambition qui dicte l'Épître à M. de Zuylichem et la redésignation du Cid.

[8] Op. cit., p.91.

[9] Ibid., p.72.

[10] Voir sur ce point les développements sur la «mort comique» dans la contribution d'H. Baby au présent ouvrage.

[11] Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire, [in:] Trois Discours, éd. cit., p.97.

[12] Discours de l'utilité et des parties…, éd. cit., p.75.

[13] Première question de Pridamant à Alcandre , qui vient de lui révéler que son fils est en vie(I, 2, v.147): «Serait-il marié?».

[14] Ibid., p.74-75. Le passage vise d'abord le dénouement nuptial dans la tragédie à fin heureuse, et tout particulièrement celui du Cid.

[15] G. Forestier, «La naissance de la comédie cornélienne et le débat théâtral des années 1628-1630», XVIIe siècle, 166, 1990, p.106-109.

[16] J. Serroy, éd. Gallimard, coll. Folio-Classique, 2000, p.187.

[17] G. Forestier, éd. LGE, Le Livre de Poche, 1987 et 1999 pour la préface et les commentaires.

[18] L'Illusion comique, éd. R. Garapon, Stfm, 1957, p.3 et 123-124 (nous modernisons l'orthographe).

[19] Le Théâtre dans le théâtre, éd. cit., p.61-70.

[20] En quoi la pièce ne peut décidément pas relever de la tragédie, dans laquelle le héros succombe au péril ou en réchappe, mais ne s'y dérobe pas. Cf. Discours des trois unités…, éd. cit., p.133.

[21] On rappellera que le principe de la continuité de l'action à l'intérieur d'un acte, qui se confond avec l'interdiction de la scène vide, s'impose dès le milieu des années 1630 dans le théâtre français: vecteur de l'illusion mimétique, cette continuité impose qu'il y ait toujours au moins un personnage en scène pour accueillir celui qui entre; elle entraîne donc logiquement le strict respect de l'unité de lieu. Voir Discours des trois unités, éd. cit., p.135-137 et n., ainsi que Documents 52 et 53, p.273 sq.

[22] Rupture à première lecture masquée par le vers liminaire de ce monologue («Les voilà, sauvons nous! Non, je ne voys personne.»); en réalité, Matamore ne voit pas Lise qui sort, mais les seuls «fantômes» de son imagination.

[23] Voir M. Escola, éd. de La Place Royale, GF-Flammarion, 2001.

[24] III, 8, v.895-900.

[25] «Rhétorique et dramaturgie dans L'Illusion comique», XVIIe Siècle, n°80-81, 1968; repris dans Héros et orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, Droz, 1996, p.272, n.1 et p.282.

[26] G. Forestier a eu l'intuition de la fonction paradoxale de cette scène, qui dote Clindor de la constance de l'inconstance: «Corneille a assuré le lien» entre le type du valet-parasite et celui de «l'amant romanesque et entreprenant», «en donnant à Clindor les traits d'un amant volage: tout en séduisant la maîtresse (type de l'amoureux), il fait la cour à la servante (type du valet).» (éd. cit., p.136).

[27] IV, 1, v.986-989.

[28] Introduction à l'éd. de L'Illusion comique, éd. cit., p.xxx-xxxi.

[29] Dans Le Théâtre dans le théâtre, G. Forestier fait ainsi entrer la pièce dans la catégorie des «comédies initiatiques», où il s'agit de «guérir un homme de ses préjugés ou de ses défauts, l'initier à la sagesse ou à une sagesse supérieure, ou, plus simplement, lui enseigner la vertu, au moyen d'un spectacle surnaturel ou théâtral, que suscite ou présente un personnage doté d'une sagesse supérieure et, le plus souvent, de pouvoirs démiurgiques» (éd. cit., p.79).

[30] Dorante a-t-il lieu de s'étonner qu'Alcandre  ait pu deviner «les traits les plus cachés de sesjeunes amours»? Ceux-ci sont à peu près publics: Dorante a eu les amours qui sont celles des personnages épisodiques dans les comédies de Corneille! Si l'on sait que Corneille a pratiqué dans plusieurs comédies le principe du retour des personnages, on peut reconnaître en Dorante le Doraste de La Place Royale.

[31] On ne peut pas ne pas songer, par deux fois dans L'Illusion comique, à la dualité problématique du comte Almaviva de Beaumarchais: dans le mari volage du Mariage de Figaro, on ne reconnaît guère le maître sympathique du Barbier de Séville.

[32] «[Je ne vous dirai point le cours de leurs voyages…] / Ni par quel art non plus ils se sont élevés; / Il suffit d'avoir vu comme ils se sont sauvés, / Et que, sans vous en faire une histoire importune, / Je vous les vais montrer en leur haute fortune.»

[33] «Jugez de votre fils par un tel équipage. / Et bien, celui d'un Prince a-t-il plus de splendeur?» (v.134-135).

[34]Faut-il penser que la durée des intervalles d'acte étaient insuffisante pour permettre un changement de costume. On s'expliquerait ainsi que les actes II et V soient les seuls à s'ouvrir sur une scène entre Alcandre et Pridamant, allongeant pour les acteurs la durée de l'intervalle. Le fait est particulièrement notable entre le premier acte et le deuxième, qui doit faire revenir l'acteur qui interprétait Dorante dans un autre rôle —probablement un rôle secondaire tel que celui d'Adraste.

[35] Madeleine Alcover, «Les lieux et les temps dans L'Illusion comique», French Studies, 1976, n°30, p.393-404.

[36] Éd. cit., p.124.

[37] Au contraire de ses prédécesseurs qui avaient l'habitude de cantonner le capitan dans un rôle ornemental en regard des amours des premiers acteurs, Corneille place en effet son Matamore au centre de cette première intrigue au point que «ce sont les amours des jeunes premiers qui sont marginales par rapport à la présence de Matamore» (G. Forestier, éd. cit. de L'Illusion comique, p.154). Ce sera, vingt ans après, la formule de la comédie moliéresque.

[38] Examen de Mélite (1660), [in] Œuvres complètes, éd. cit., t.I, p.5-6.

[39] Introduction à l'édition citée, p.XXXVI-XXXIX.

[40] On retrouve ici l'une des intuitions majeures qui commandent le travail de G. Forestier depuis «Illusion comique et illusion mimétique», Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XI, n°21, 1984, p.377-391.

[41] «Adieu, je vais mourir, puisque mon fils est mort» (V, 6, v.1740).

[42] On ne peut pas ne pas songer, en forgeant cette formule, à La Comédie sans comédie de Quinault, qui juxtaposera ouvertement, en 1655, quatre pièces relevant de quatre catégories génériques différentes, dans une comédie de comédiens à succès.



Marc Escola & Bénédicte Louvat-Molozay

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Dernière mise à jour de cette page le 3 Juillet 2013 à 0h46.