Atelier




Un paradigme (misologique) ?

par François demont
Doctorant à l'Université de Lausanne


Le présent texte est issu des journées doctorales organisées à l'Université de Lausanne les 4 et 5 juin 2018 par la Formation doctorale interdisciplinaire en partenariat avec l'équipe Littérature, histoire, esthétique de l'Université Paris 8 et Fabula, sous le titre «Quelle théorie pour quelle thèse?». Les jeunes chercheurs étaient invités à y présenter oralement un concept élaboré ou forgé dans le cours de leur travail, ou une notion dont les contours restaient flous mais dont le besoin se faisait pour eux sentir, ou encore la discussion critique d'une catégorie reçue, puis à produire une brève notice destinée à nourrir l'encyclopédie des notions de l'Atelier de théorie littéraire de Fabula.


Dossiers Penser par notions






Un paradigme (misologique) ?


Les théories des sciences humaines et sociales sont restées ou redevenues assez différentes des théories développées dans les sciences mathématiques ou expérimentales pour que la question épistémologique de l'autonomie de leurs principes et méthodes de description du monde en soit venue à y poser de manière exemplaire le rôle de la pensée des singularités[1].


“Peut-on créer des paradigmes en littérature ?” Par le biais de cette question théorique générale seront avant tout évoquées des interrogations portant sur ce que je nomme le “paradigme misologique”. On peut en effet se poser la question de l'utilité de cette notion dans le domaine des études littéraires. À la suite de l'ouvrage dirigé par Passeron et Revel intitulé Penser par cas (2005), il est clair qu'une proposition théorique valable découle souvent d'une intuition portant d'abord sur un objet particulier ou, en d'autres termes, que développer un concept à partir d'un cas précis implique de raisonner sur ce qu'il comporte de singulier. Penser par cas revient donc à procéder « par l'exploration et l'approfondissement d'une singularité accessible à l'observation » pour « en extraire une argumentation de portée plus générale, dont les conclusions seront réutilisables »[2]. Or avec le paradigme et plus spécifiquement le paradigme misologique, il semble nécessaire de produire une construction théorique idoine et de travailler à sa possible application dans un mouvement de va-et-vient.


La notion de “paradigme” existe déjà dans diverses approches linguistiques de la littérature : en analyse du discours (avec les paradigmes définitionnels et désignationnels), en grammaire (en tant qu'ensemble typique des formes fléchies prises par un morphème lexical combiné avec ses désinences), dans la linguistique de Saussure (en tant qu'« ensemble des unités entretenant entre elles un rapport virtuel de substituabilité »)[3] ou encore en linguistique structurale, avec l'opposition axe syntagmatique/axe paradigmatique. Pourtant, l'usage non technique de ce terme reste dans les études littéraires le plus couramment calqué sur le double sens de son étymon grec, paradeigma, qui signifie – comme chez Platon – à la fois “modèle” et “exemple”[4]. Sans surévaluer la valeur heuristique de l'étymologie, on peut ainsi dire qu'une relative indétermination théorique subsiste dans l'emploi de ce terme résolument polysémique, signifiant à la fois l'ensemble des formes que peut prendre un élément et l'exemple typique où s'observent toutes les variations d'un élément.


Le paradigme misologique : comme un air de famille


Ce qui est ici appelé “paradigme misologique” repose sur un ensemble d'intuitions que l'on pourrait résumer en avançant que depuis la fin du XIXe siècle, un motif et une idée semblent particulièrement présents et importants dans la littérature française : la misologie, c'est-à-dire la méfiance (pouvant aller jusqu'à de la haine) envers le langage. Alors qu'en philosophie, Platon ou Kant l'avaient plutôt utilisée dans le sens de “haine de la raison”, on empruntera plutôt cette appellation à Jean Paulhan, écrivain, critique et directeur de La NRF, qui en usa en ce sens dans Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres (1941) notamment afin de critiquer le surréalisme de Breton. Dire cela, bien sûr, ce n'est toutefois pas dire grand-chose, puisqu'il s'agit sans doute de l'une des caractéristiques les plus communes aux productions littéraires et aux discours sur la littérature du XXe siècle. La misologie constitue donc un phénomène polymorphe qui doit être analysé en contexte.


Cependant, de nombreux discours littéraires partagent des traits misologiques communs spécifiques. L'un des premiers modèles de ce phénomène se retrouve de manière très complète dans l'œuvre d'Henri Bergson, dès son influent Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) où transparait un imaginaire misologique du langage – ainsi que chez divers linguistes et essayistes de la fin du XIXe siècle (Darmesteter, Bréal, Gourmont, etc.). C'est pourtant Paulhan qui, en dotant le phénomène misologique d'un nom et en tentant de l'expliquer, en exprime le mieux la nature. Dans l'entre-deux-guerres et l'après-guerre, plusieurs écrivains et critiques contribuant à La NRF, publiant chez Gallimard, proches de Paulhan et jouissant d'un statut plutôt privilégié dans le champ littéraire, perpétuent et s'inscrivent dans cet imaginaire misologique du langage et de la littérature déjà analysé par Les Fleurs de Tarbes. Il s'agit ainsi d'observer la manière dont cet imaginaire linguistique et stylistique particulier a pu prendre forme et définir, pour un ensemble d'acteurs du champ littéraire de cette époque, un haut degré de littérarité, ainsi que les façons dont cet imaginaire a pu se traduire en littérature tant d'un point de vue stylistique, historique que sociologique. Cette question revient donc, en bref, à se demander pourquoi et comment remettre en doute la transitivité ou la transparence du langage a pu être perçu comme une marque particulièrement distinctive sur un plan littéraire – ce dont témoigne d'ailleurs encore la leçon inaugurale de Roland Barthes au Collège de France en 1977, qui soutenait que ce serait contre une “langue fasciste” que devrait s'ériger la littérature. Passant sur bien des détails, venons-en donc à cette notion de “paradigme” qui se fonde au fond sur ce que d'aucuns pourraient appeler un “air de famille”.


Cette expression d'“air de famille” (Familienähnlichkeit) est mobilisée dans les Recherches philosophiques[5] de Wittgenstein. Elle peut se présenter ainsi : « si A et B ont plusieurs traits en commun et si C et D en ont plusieurs autres qui ne coïncident que partiellement avec ceux du premier groupe, il y a seulement entre A et C un “air de famille”. »[6] Voilà qui définit ce que Wittgenstein indique comme étant « un réseau complexe de ressemblances qui se chevauchent et s'entrecroisent. Des ressemblances à grande et petite échelle. »[7] Or, justement, un paradigme se constitue sur « un monde de semblance »[8] réunissant des éléments discrets (au sens mathématique). Toutefois, comme le remarque le philosophe François Noudelmann, « la ressemblance n'existe pas en elle-même, ou du moins requiert-elle une confirmation, c'est-à-dire la convergence des signes qui entrent en relation dans un ensemble »[9]. Tout l'enjeu du paradigme littéraire est donc là : constituer un ensemble capable de relier du singulier en un modèle collectif qui ne soit ni une école ni même un mouvement. Au sein du paradigme misologique, par exemple, tous les écrits qui le constituent partagent un même type de métadiscours, un certain nombre de traits formels (l'hypotaxe, l'épanorthose, l'antéisagoge ou encore les boucles énonciatives, etc.) constituant une sorte de « patron stylistique »[10], alors que les auteurs ayant part à cet imaginaire misologique de la langue et de la littérature se côtoient dans un couloir à La NRF (que ce soit Bataille, Parrain, Benda, Cioran, Leiris, Blanchot, Éluard, Ponge ou encore Michaux et Sartre), constituant ainsi un réseau de sociabilité canalisant bien des échanges symboliques et matériels. Un paradigme se conçoit donc sur la base d'un tropisme commun. Bien sûr, même si « ceux qui s'assemblent finissent par se ressembler » et que « la répétition de signes ou de marques ne garantit pas la filiation »[11], loin de raviver la délicate question généalogique de l'influence, recourir à la notion de paradigme relève d'un acte critique et d'une décision qui, d'une certaine manière, créent la pertinence d'un corpus à partir d'un air de famille et d'une « ressemblance différentielle »[12]. Au lieu d'une « ontologie des identités », le paradigme offre « une pragmatique des relations », car il n'est nul besoin « d'alléguer une origine identique pour constituer des familles entre des comportements, des œuvres, des idées »[13] et des questions. Comme le souligne Noudelmann, « l'avantage de la notion d'air de famille vient de ce qu'elle évite les pièges de la généralisation abusive », puisqu'elle « n'essentialise pas ce qu'elle montre »[14]. De la sorte, « faire apparaître les ressemblances [au sein d'un corpus et d'un paradigme], c'est aussi montrer les dissemblances »[15]. Cela relève en fait de ce que Meizoz nomme la lecture relationnelle, geste qui consiste à rapporter la production de textes à leur réception, les créateurs à leurs créations et les acteurs de l'univers littéraire à l'ensemble de leurs positions[16]. Quoiqu'anti-misologue, Sartre peut ainsi être étudié dans le cadre du paradigme misologique, car en prenant position contre les Recherches sur la nature et les fonctions du langage (1942) de Brice Parain[17], il discute, et par là-même partage, un certain nombre de traits propres à un même imaginaire du langage et donc au paradigme misologique. Construire un paradigme en littérature revient donc à bâtir « des familles par ressemblance »[18] opposables à d'autres. Si « le semblable repose sur une définition conventionnelle », Noudelmann précise que cela engage « un paradigme [puisque] voir une ressemblance, c'est déjà faire fonctionner le système de choses ressemblantes »[19].


Il semble ainsi qu'en tâchant d'analyser, et par là même de construire, un paradigme en littérature (c'est-à-dire un modèle construit a posteriori par un regard critique, formé d'une communauté d'idées, de valeurs et de pratiques littéraires formant un tout pouvant éventuellement être relié à un réseau ou à une institution et à un imaginaire linguistique commun), il devrait être possible d'analyser un objet nouveau, s'accordant aussi bien à une approche stylistique que sociologique, en traquant notamment dans les textes et les discours d'une époque les grands réseaux métaphoriques[20] constitutifs d'un imaginaire et d'un paradigme[21] (coexistant parmi d'autres) dans toutes ses variantes.


De la sociologie des sciences à la critique littéraire


Mais pourquoi, finalement, choisir de parler de “paradigme” ? En dépit du panorama introductif des usages de ce terme dans les études littéraires, il reste un emploi important encore non évoqué ici, celui qu'en font les sociologues[22]. De manière générale, ce terme désigne les modèles sociologiques à partir desquels peut s'illustrer une série de phénomènes (par exemple : le paradigme de la naissance du capitalisme chez Max Weber). Dans ce cadre, sa valeur est épistémologique[23]. Or, sans vouloir entrer dans un débat sur le statut épistémique de la littérature (en dépit d'À quoi pense la littérature ? de Pierre Macherey) et même si la question de la vérité ne s'y pose pas comme dans les sciences, on peut mettre l'idée de “paradigme littéraire” en relation avec ce que dit Thomas Kuhn du fonctionnement des “paradigmes scientifiques” dans La Structure des révolutions scientifiques (1962), puisque c'est surtout le versant sociologique et historique de son concept qui m'intéresse. Même si Kuhn use du terme de “paradigme”dans pas moins de vingt-et-un sens différents[24], on peut globalement dire qu'un paradigme est pour lui composé de présupposés communs, partagés (consciemment ou non) dans la pratique et permettant aux membres d'une même communauté, à une même époque et, parfois, en un même lieu « de dessiner les contours de leur discipline autour de préceptes communément partagés »[25]. Kuhn soutient « que les scientifiques acquièrent la capacité de percevoir des situations différentes comme similaires entre elles »[26]. Ainsi, « le rôle central du paradigme dans la théorie de Kuhn est de fixer le réseau des relations de similitudes et de différences. Les solutions à un problème paradigmatique servent aussi de modèle pour les traditions de recherche construites sur la base de paradigmes »[27]. Selon Kuhn, il y aurait ainsi des périodes de crise où les problèmes[28] posés par un paradigme et ses présupposés s'accumulent[29], où experts et critiques théorisent ce qui n'était jusque-là que diffus, en réinvestissant notamment l'histoire de leur domaine à partir des présupposés de leur paradigme actuel[30], jusqu'à qu'apparaisse un nouveau paradigme, irréductible à l'ancien. C'est que, comme le souligne Jean-Pierre Bertrand, même si en art « la relation entre théorie et pratique n'a pas les mêmes implications que dans les sciences, appliquées ou non », « les arts sont aussi, dans leur composante moderne, l'objet d'une permanente remise en question et d'une incessante quête du neuf »[31]. Malgré tout, c'est « le même schéma, la même “structure”, qu'en science qui se dessine » en littérature, puisque, là aussi, « les termes de “révolution” et de “crise” servent à décrire les mouvements littéraires dans leur succession »[32]. Or même si pour Kuhn, « le résultat du travail créateur réussi est un progrès »[33] (alors que c'est, dans la littérature moderne, l'originalité en tant que nécessité distinctive[34]), les changements de paradigme reposent sur des facteurs internes et externes – ce qui légitime une analyse sociologique. Le paradigme kuhnien comporte ainsi également une portée historique et vise à lutter contre une conception simpliste du progrès et de l'objectivité scientifique. Mais il permet surtout de relier des idées et des pratiques singulières en passant par le biais d'un modèle implicite et d'un contexte d'apparition communs, ancrant ainsi un pan de l'histoire des idées dans le domaine des pratiques, soumettant par là même à une approche sociologique les croyances, les principes et les standards qui fondent le consensus à la base du paradigme. Si la théorie littéraire relève forcément d'une philosophie pratique, alors le paradigme semble pouvoir constituer un outil de choix, permettant – dans mon cas – d'indiquer et d'analyser comparativement un trait commun à des productions littéraires a priori diverses et variées.


On pourrait ainsi se demander si le phénomène analysé par Jérôme Meizoz sous le nom de “roman parlant” dans L'Âge du roman parlant (1919-1939) peut être considéré en tant que paradigme de l'histoire littéraire, au même titre que la misologie. En effet, le “roman parlant” est une catégorie de classification qui porte sur un certain rapport au langage et une préoccupation formelle commune, sans que cela ne se situe au niveau d'écoles ou de mouvements littéraires : « Le roman parlant ne désigne pas vraiment une pratique commune, ni un sous-genre littéraire repérable, plutôt un horizon commun de questions sur les moyens de débrider la langue du récit »[35]. Il me semble donc qu'on pourrait, à la suite de Meizoz, redéfinir de manière minimale un paradigme littéraire comme un horizon commun de questions sur les moyensde l'écriture – ce qui s'accorde avec ce que dit Jean-Pierre Bertrand de l'invention en littérature lorsqu'il distingue « les inventions paradigmatiques (de formes, hors cadre) des inventions syntagmatiques (de contenus revisités, dans le cadre) ». Selon lui, en effet, « ce qui s'invente en littérature, ce sont avant tout des cadres (ou des paradigmes) qui permettent de faire du neuf »[36]. Pour avoir une vue globale d'un paradigme, il faudrait donc, comme Pierre Bourdieu, puis Meizoz, adopter un œil sociologique et notamment analyser de manière circonstanciée le discours des instances légitimant la valeur formelle de la langue[37]. Revenant sur son analyse dans L'Œil sociologue, Meizoz avoue d'ailleurs s'être attaqué à une « catégorie qui ne faisait pas l'objet d'un chapitre dans les histoires littéraires », ayant dû l'inventer sans vouloir non plus « la faire exister à tout prix »[38]. Pour ce faire, il s'est servi de points communs aux expériences du roman parlant, permettant une analyse formelle et sociologique d'un phénomène de « travail collectif d'innovation formelle »[39]. Or, quand Meizoz dévoile les raisons l'ayant amené à définir son corpus, il révèle avoir « retenu les écrivains saillants, qu'ont déjà valorisés les études littéraires traditionnelles »[40]. Voilà qui amène à une dernière question : comment construire un paradigmelorsqu'on s'efforce de penser par cas ?


Sur ce point général, il faut renvoyer aux pistes présentées par l'article de Pierre Livet « Les diverses formes de raisonnement par cas »[41], car on se contentera en effet d'exposer ici la manière dont le paradigme est abordé dans le cadre de mes recherches. En effet, s'il y a plusieurs formes de raisonnement par cas, celle dont je me suis intuitivement servi consiste à réfléchir d'abord sur un prototype. Ce type de raisonnement implique de partir


d'un cas particulier, mais central, et qui présente certaines similarités avec d'autres cas présentés. En estimant le degré de similarité dans chacune des dimensions de ressemblance, on peut définir dans quelle mesure un exemplaire se rapproche du prototype sur certaines dimensions ou modes de ressemblance et s'en éloigne sur d'autres : l'établissement d'un gradient permet de passer de ce qui est le plus similaire à ce qui l'est le moins. Un prototype est un exemple concret sur lequel on peut découvrir de nouvelles propriétés ; il n'est pas utilisé dans tous ses aspects concrets, mais relativement à « l'ensemble rayonnant de cas » qu'il rassemble par similarité partielle et non transitive[42].


Partir d'un prototype (dans le cas présent : la misologie chez Paulhan, considérée comme épiphénomène prototypique du paradigme misologique) permet ainsi de construire un modèle provisoire à partir de l'objet étudié, de créer un idéal-type (Max Weber), n'en retenant que les caractéristiques les plus saillantes et pertinentes dans le cadre global d'une analyse de réseau s'attachant aux liens qui existent entre les éléments du paradigme. Appelé à être forcément révisé, ce modèle prototypique présente toutefois la possibilité « de découvrir de nouvelles relations, d'établir de nouveaux faits, d'énoncer de nouvelles hypothèses »[43]. Fort de ce modèle, il semble possible de procéder à l'analyse des ressemblances constitutives de l'unité d'un paradigme. Recourir à un prototype paradigmatique, et plus largement à la notion de paradigme, revêt ainsi deux principales fonctions, l'une organisatrice et l'autre heuristique : la fonction organisatrice sert à structurer et à établir des relations entre des concepts et des observations sur un corpus pour constituer une représentation significative et explicative d'un phénomène ou d'une partie de ses aspects ; alors que la fonction heuristique consiste à faire mettre en évidence de nouveaux faits, de nouvelles relations et de nouvelles explications, à énoncer une nouvelle théorie ou à nuancer une théorie préexistante[44]. Il s'agit, somme toute, d'un acte critique s'établissant « entre les deux pôles du constatif (découvrir ou dévoiler, manifester ou dire ce qui est) et du performatif (produire, instituer, transformer) »[45]. Penser le paradigme à partir d'un prototype paraît ainsi permettre de penser le commun et la singularité au sein d'un même corpus, car, et c'est après tout son intérêt, cette notion de paradigme – peut-être remplaçable –, reprise à Kuhn et réinjectée dans le domaine littéraire par un procédé d'analogie, crée à la fois une nouvelle catégorie et un nouvel objet, sur la base d'un air de famille.  



François Demont, automne 2018.



Bibliographie



Bertrand Jean-Pierre, Inventer en littérature : du poème en prose à l'écriture automatique, Paris, Seuil, «Poétique», 2015.


Bruno Alain et Elleboode Christiane [dir.], Dictionnaire d'économie et de sciences sociales, Paris, Ellipses, 2010.


Derrida Jacques, Psyché. Inventions de l'autre, Paris, Galilée, 1987, p.11-61.


Dubois Jean [et al.], Linguistique & sciences du langage, Paris, Larousse, coll. « Grand dictionnaire »2007.


Ferréol Gilles [et al.], Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 1991.


Ginzburg Carlo, « Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice », Le Débat, n°6, juin 1980.


Hoyningen-Huene Paul, Reconstructing Scientific Revolutions. Thomas S. Kuhn's Philosophy of Science, Chicago, University of Chicago Press, 1993.


Kuhn Thomas, La Structure des révolutions scientifiques, [trad.] Laure Meyer, Paris, Flammarion, 1983 [1962/1970].


Lacour Philippe, « Penser par cas, ou comment remettre les sciences sociales à l'endroit », [En ligne], EspacesTemps.net, 31.05.2005, URL : https://www.espacestemps.net/articles/remettre-les-sciences-sociales-a-endroit  


Maingueneau Dominique, Philippe Gilles, « Les conditions d'exercice du discours littéraire » in Roulet Eddy et Burger Marcel [dir.], Les modèles du discours au défi d'un dialogue romanesque, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2002.


Maingueneau Dominique, Les Termes clés de l'analyse du discours, Paris, Seuil, 2009.


Masterman Margaret, « The Nature of a Paradigm » in Lakatos Imre et Musgrave Alan [éds.], Criticism and the Growth of Knowledge, London, Cambridge University Press, 1970, p. 59-89.


Meizoz Jérôme, L'Âge du roman parlant (1919-1939), Genève, Librairie Droz, 2001.


Meizoz Jérôme, L'Œil sociologue et la littérature, Genève, Slatkine, «Érudition», 2004.


Montenot Jean, [et al.], Encyclopédie de la philosophie, Paris, Librairie générale française, 2002.


Noudelmann François, Les Airs de famille. Une philosophie des affinités, Paris, Gallimard, 2012.


Passeron Jean-Claude, Revel Jacques [dir.], Penser par cas, Enquête, Paris, EHESS, 2005.


Vouilloux Bernard, « Lire, voir. La co-implication du verbal et du visuel », [En ligne], Revue Texteimage, Varia 3, Hiver2003, URL : http://www.revue-textimage.com/07_varia_3/vouilloux1.html


Willett Gilles, « Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu'est-ce donc ? », [En ligne], Communication et organisation, n°10, 1996, URL : http://communicationorganisation.revues.org/1873


Wittgenstein Ludwig, Recherches philosophiques (Philosophische Untersuchungen, 1953), [trad.] Françoise Dastur [et al.], Paris, Gallimard, 2004.




[1] Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Penser par cas. Enquête, Paris, éd. EHESS, 2005, p.40.

[2]Ibid., p.9.

[3] Voir respectivement : Dominique Maingueneau, Les Termes clés de l'analyse du discours, Paris, Seuil, 2009, p.93 ; Jean Dubois [et al.], Linguistique & sciences du langage, Paris, Larousse, coll. «Grand dictionnaire», 2007, p.341-342.

[4] Par exemple dans ce titred'appel à contribution : « Small Stories – Un nouveau paradigme pour la recherche sur le récit » (voir https://www.fabula.org/actualites/small-stories-un-nouveau-paradigme-pour-la-recherche-sur-le-recit_85538.php).

[5] Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques (Philosophische Untersuchungen, 1953), trad. Françoise Dastur [et al.], Paris, Gallimard, 2004, I, §66-67, p.64-65. J'en profite pour remercier mon estimé collègue Émilien Sermier de m'avoir rendu attentif à cette notion.

[6] Selon la synthèse présentée par Bernard Vouilloux (« Lire, voir. La co-implication du verbal et du visuel », Revue Texteimage, Varia 3, Hiver2003, en ligne : http://www.revue-textimage.com/07_varia_3/vouilloux1.html, p.2.

[7] L. Wittgenstein, op. cit., p.64.

[8] François Noudelmann, Les Airs de famille. Une philosophie des affinités, Paris, Gallimard, 2012, p.11.

[9]Ibid., p.14.

[10] Voir à ce sujet Dominique Maingueneau & Gilles Philippe, « Les conditions d'exercice du discours littéraire », dans E. Roulet & M. Burger (dir.), Les Modèles du discours au défi d'un « dialogue romanesque », Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2002, p.366-367.

[11] F. Noudelmann, op. cit., p.202 et 45.

[12]Ibid., p.83.

[13]Ibid., p.274 et p.312.

[14]Ibid., p.177.

[15]Ibid., p.178.

[16] Voir Jérôme Meizoz, L'Âge du roman parlant (1919-1939), Genève, Librairie Droz, 2001, p.463.

[17] Dans « Aller et retour » [1944], repris dans Situations I, Gallimard, 1947.

[18] F. Noudelmann, op. cit., p.201.

[19]Ibid., p.311 et 244. F. Noudelmann remarque que cela implique « de la contingence dans les modes d'apparentements » (p.312-314).

[20] L'expression est de J. Meizoz, L'Âge du roman parlant (1919-1939), op. cit., p.465.

[21] Il faut noter que la notion de paradigme ajoute à celle d'imaginaire, en complément à une approche de type “histoire des idées”, une prise en compte des pratiques.  

[22] Voir à ce sujet Gilles Ferréol [et al.], Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 1991, p.185-194.

[23] Carlo Ginzburg l'utilise par exemple ainsi dans « Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice », Le Débat, n°6, juin 1980, p.3-4.

[24] Voir Margaret Masterman, « The Nature of a Paradigm », dans Imre Lakatos & Alan Musgrave (eds), Criticism and the Growth of Knowledge, London, Cambridge University Press, 1970, p. 59-89.

[25] Alain Bruno & Christiane Elleboode [dir.],Dictionnaire d'économie et de sciences sociales, Paris, Ellipses, 2010, p.361.

[26] Jean Montenot, [et al.], Encyclopédie de la philosophie, Paris, LGF, Le Livre de poche, 2002 (1981), p.1204.

[27] Paul Hoyningen-Huene, Reconstructing Scientific Revolutions. Thomas S. Kuhn's Philosophy of Science, Chicago, University of Chicago Press, 1993, p.162 (cité par Gilles Willett, « Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu'est-ce donc ? », Communication et organisation [En ligne], n°10, 1996, URL : http://communicationorganisation.revues.org/1873).

[28] Terme également utilisé par Paul Valéry pour analyser l'histoire littéraire, par exemple dans ses textes « Sur Bossuet » et « Situation de Baudelaire » dans Variété I et II.

[29] Ce pourrait être en littérature : un changement de mode ou d'institution, ou une évolution du domaine des possibles ; Thomas Kuhn précise qu'un poète ou un théologien est plus concerné que le scientifique « par l'approbation des non-spécialistes » (La Structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer, Paris, Flammarion, 1983 [1962/1970], p.224)

[30] Dans le même sens, J. Meizoz écritque « les catégories de la critique littéraire sont souvent des conceptualisations calcifiées de poétiques anciennes qui ont réussi, et, à ce titre, par une illusion rétrospective, elles ne reconnaissent que ce qu'elles connaissent déjà, laissant dans l'ombre des textes créés selon d'autres principes » (L'Œil sociologue et la littérature, Genève, Slatkine, «Érudition», 2004, p.42).

[31] Jean-Pierre Bertrand, Inventer en littérature : du poème en prose à l'écriture automatique, Paris, Seuil, «Poétique», 2015, p.8.

[32]Ibid., p.65.

[33] Th. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, op. cit., p.222.

[34] C'est en tous cas la thèse soutenue par Jean-Pierre Bertrand dans Inventer en littérature, op. cit., p.68-69.

[35] J. Meizoz, L'Œil sociologique et la littérature, op. cit., p.108.

[36] J.-P. Bertrand, Inventer en littérature, op. cit., p.60.

[37] Voir J. Meizoz, L'Âge du roman parlant (1919-1939), op. cit., p.38-39.

[38] J. Meizoz, L'Œil sociologique et la littérature, op. cit., p.86.

[39]Ibid., p.89.

[40]Idem.

[41] Voir J.-Cl. Passeron & J. Revel, Penser par cas, op. cit., p.229-254. Ce qui suit s'en inspire largement.

[42] Philippe Lacour « Penser par cas, ou comment remettre les sciences sociales à l'endroit », EspacesTemps.net, Livres, 31.05.2005, en ligne https://www.espacestemps.net/articles/remettre-les-sciences-sociales-a-endroit.

[43] Gilles Willett, art. cit., p.10.

[44] Voir ibid., p.8 (mon propos sur les deux fonctions du paradigme s'en inspire grandement).

[45] Jacques Derrida, « Psyché. Invention de l'autre », dans Psyché. Inventions de l'autre, Paris, Galilée, 1987, p.23.




Atelier de Fabula

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 2 Décembre 2018 à 9h54.