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Note sur la notion de «culture rhétorique» chez Michel Charles, par Sophie Rabau


«On considère donc qu'un culture rhétorique est une culture où la lecture est tournée vers une écriture»

En donnant cette définition de la culture rhétorique, à la p. 185 de l'Arbre et la source (Seuil, 1985), Michel Charles dégage les présupposés qui animent encore aujourd'hui notre rapport au texte littéraire, ou plutôt nos rapports au texte littéraire.

D'un côté, «une culture du commentaire» dont le but est de servir le texte c'est-à-dire d'assurer ou de continuer d'assurer sa lisibilité, une culture où la lecture est donc tournée, en d'autres termes, vers la lecture.

De l'autre, «une culture rhétorique», dont le but est d'écrire d'autres textes, ou le texte lu n'est donc pas une fin en soi, mais un moyen.

Toutefois, on peut s'interroger sur l'opportunité de nommer «culture rhétorique» cette deuxième relation au texte.

En effet, si la rhétorique, comme discipline, est bien tournée vers la production de discours, la lecture n'est pas le seul moyen qu'elle se donne pour assurer et enseigner la production de ces discours: la logique (usage de l'enthymème), les techniques d'argumentation, voire la psychologie (construction de l'ethos et du pathos) sont d'autres armes qu'elle utilise sans en passer forcément par la lecture. Le domaine de la rhétorique excède donc la relation que définit Michel Charles.

En outre, il existe bien des pratiques de lecture tournées vers l'écriture qui ne ressortissent pas à la rhétorique, ni même à la lecture rhétorique: la romanisation des textes latins telle qu'elle se pratique au Moyen âge, est bien une pratique de lecture qui est tournée vers la production d'un autre texte qui commente par le fait même de la réécriture, mais elle n'entre pas dans le domaine de la rhétorique. Au 21ème siècle, est-il possible, sans forcer à l'excès le sens des termes, de parler à propos des travaux de Pierre Bayard, Marc Escola ou Michel Charles lui-même d'une «culture rhétorique»? Ces trois auteurs lisent pour dégager la possibilité de textes inédits, quand ils n'en esquissent pas la trame (Bayard) et se livrent donc à une lecture créative et productrice, mais leur lien à la rhétorique et même à la culture rhétorique est finalement assez lâche.

L'expression «culture rhétorique» si elle présente l'avantage de proposer une archéologie de la lecture créative, du côté des pratiques de l'Antiquité ou de l'âge classique, fait donc aussi courir le risque à un lecteur inattentif (ou à un étudiant distrait – la question est d'abord pédagogique) de superposer la rhétorique, comprise comme discipline stricte, et la lecture productrice qui s'ancre certes dans une culture rhétorique mais ne peut y être ramenée.

C'est pourquoi nous aimerions proposer la notion de «relation productrice» au texte littéraire, ou encore de «lecture créative» pour désigner toute pratique qui fait du texte lu le moyen de la production d'un autre texte.


Pages associées: Rhétorique, Lecture, P. Bayard sur Fabula, Texte, Textes possibles.



Sophie Rabau

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Dernière mise à jour de cette page le 13 Mai 2012 à 17h41.