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« Médiévalisme et théorie : pourquoi maintenant ? », par Vincent Ferré.
Introduction à Vincent Ferré (dir.), Médiévalisme, modernité du Moyen Âge, Itinéraires LTC, 2010, p. 7-25 (extrait situé pp. 7-10)
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Extrait reproduit avec l'aimable autorisation des directeurs de la revue Itinéraires LTC, du CENEL et de l'éditeur (L'Harmattan).

Page de l'atelier associée: Médiévalisme, modernités médiévales.



« Médiévalisme et théorie : pourquoi maintenant ? »


Médiévalisme, modernité du Moyen Âge. Ce titre se veut à la fois explicite et un peu ironique, puisqu'il n'est pas inédit et qu'il contient deux termes pièges ainsi qu'un néologisme. En premier lieu, il constitue une variation sur des formules qui nous sont familières : c'est ainsi qu'était intitulée une série de conférences organisées à Beaubourg en 1979 (« Modernité du Moyen Âge ») ; ce titre rappelle également celui du recueil publié en hommage à Roger Dragonetti en 1996, Le Moyen Âge dans la modernité(1). Avec le sous-titre Le Moyen Âge aujourd'hui, ajouté pour le colloque où a été proposée une première version des articles présentés ici (et largement remaniés pour leur parution), on retrouve les mots clés de tous les séminaires, colloques et ouvrages consacrés à cette question ces dernières années : les colloques « Tolkien aujourd'hui » (2008), « Le merveilleux médiéval aujourd'hui » (2006), le séminaire portant sur « Le Moyen Âge contemporain » (2004-2006), ou encore le nom de l'association « Modernités médiévales », fondée en 2004. On peut, en réalité, remonter aux années 1980, avec Modernité au Moyen Âge (colloque de Stanford, 1988) et le titre d'un numéro de la revue Europe en 1983, Le Moyen-Âge maintenant

Ces formules mêmes constituent, par ailleurs, un attelage de termes pièges : outre celui de modernité, que recouvre (ne serait-ce que temporellement) la notion de Moyen Âge ? Certaines des interventions proposées ici montrent que les réponses à cette question, apparemment évidente, ne le sont pas. On peut toutefois estimer, provisoirement, que le titre de cet ouvrage prend acte de la présence du Moyen Âge, « enracinée dans [notre] sensibilité collective diffuse » (2) (selon les termes de Zumthor) – sans nier pour autant la différence entre cette époque et la nôtre, comme on le verra.

Ce titre contient, enfin, un néologisme ; ou plutôt, le terme, rare, de médiévalisme, n'est pas utilisé en ce sens, lorsqu'on le rencontre en français, pour le moment (principalement) dans les catalogues des bibliothèques. Il a été choisi pour inviter à réfléchir sur l'objet et les méthodes du domaine qui nous occupe, à savoir – pour le dire en une formule rapide, mais commode et provisoire – la réception du Moyen Âge aux siècles ultérieurs (en particulier aux XIXe-XXIe siècles) dans son versant créatif et son versant érudit.

Avant de nous intéresser à ce terme, arrêtons-nous sur la question liminaire. Pourquoi la théorie, maintenant ? La bibliographie portant sur le médiévalisme contient de très nombreux travaux(3), mais les réflexions d'ordre méthodologique, général ou théorique sont rares, et plutôt récentes, dans cette production pléthorique – à dire vrai, le travail commence tout juste, et l'essentiel reste à faire. Le colloque qui s'est déroulé au château de Malbrouck et à Metz, du 19 au 21 novembre 2009 – à l'invitation du conseil général de la Moselle, en collaboration avec le CENEL de l'université Paris 13-Paris Nord – visait bien à contribuer à la constitution d'un cadre théorique, méthodologique, pour la recherche en médiévalisme.

Cette intention explique le croisement disciplinaire qui caractérise ce volume : il s'agissait d'envisager la référence au Moyen Âge dans la littérature, le cinéma, la musique, l'histoire, la politique, l'architecture et la bande dessinée... en adoptant dans chaque intervention une perspective générale, synthétique, plutôt qu'une approche monographique portant sur un auteur ou un exemple (quel que soit leur intérêt intrinsèque), comme cela est trop souvent le cas dans les recueils relevant du médiévalisme. Ce volume interroge donc les « conditions de possibilité » d'un travail dans ce domaine ; pour citer Bachelard : « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. […] Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. (4)»

Un état des lieux des travaux francophones et anglophones consacrés à la réception du Moyen Âge m'amènera à réfléchir aux termes permettant de penser la démarche médiévaliste, et à présenter des principes et perspectives possibles pour notre recherche collective.


En France : une ébauche (récente) de réflexion théorique

Un examen de la bibliographie révèle un dynamisme croissant, aussi bien en France qu'en Angleterre et aux États-Unis, ainsi qu'un déséquilibre très marqué entre critique et théorie.

Contrairement à ce que peut laisser penser une première approche qui verrait dans ce domaine une prééminence anglophone, les travaux consacrés à la réception du Moyen Âge dans les arts, et en particulier en littérature, se sont multipliés en France (comme dans les pays francophones) depuis vingt-cinq ans. Mentionnons ainsi, parmi les ouvrages pionniers, L'image du moyen âge dans la littérature française de la Renaissance au XXe siècle de la revue La Licorne, en 1982, outre le colloque de Stanford (édité en 1990 par Brigitte Cazelles et Charles Méla) et le numéro de la revue Europe, Le Moyen Âge maintenant (1983), déjà évoqués. Les années 1990 voient les événements scientifiques se développer, avec le colloque de l'AMAES (association des médiévistes anglicistes de l'enseignement supérieur) en 1994 – publié par Marie-Françoise Alamichel et Derek Brewer en 1997 –, le colloque de Cerisy en 1995 (édité par Jacques Baudry et Gérard Chandès) ainsi que celui organisé par Michèle Gally en 1996, paru en 2000 (La Trace médiévale et les écrivains d'aujourd'hui).

Mentionner ces noms et ces dates permet de donner un premier aperçu ; mais il serait plus exact de dire que chaque décennie a été marquée par une accélération de l'activité en ce domaine. Au cours des années 2000, des séminaires ont été organisés régulièrement, par Nathalie Koble et Mireille Séguy entre 2004 et 2006 (à l'ENS de la rue d'Ulm (5)), par Michèle Gally en 2005-2006 puis en 2009-2010 (à l'ENS LSH et à l'université de Provence), et par Vincent Ferré et Anne Larue, à Paris 13 en 2007 ; parallèlement, l'association « Modernités médiévales » a coordonné un colloque annuel portant sur la littérature et les arts – Lorient en 2005, Arras en 2006, Aix en 2007, Bordeaux en 2008, Paris 13 en juin 2009 (6), avant Lausanne en octobre 2010 – redoublés depuis 2008 par des manifestations organisées par des membres de l'association, à l'instar des colloques « Tolkien aujourd'hui » à Rambures (juin 2008 (7)), de Metz-Malbrouck (novembre 2009), puis de Groningen en juillet 2010.

Les travaux, monographies ou actes de colloques parus depuis vingt-cinq ans relèvent toutefois, le plus souvent, d'un travail critique par extension et diversification des objets, ou par leur reprise, comme le remarque Gérard Chandès lors du IVe colloque de « Modernités médiévales » (Bordeaux, 2008) : « La majorité des interventions s'est voulue plus descriptive qu'analytique, ce qui est logique pour un champ d'étude encore en voie de délimitation. (8)» N'avons-nous pas atteint un seuil, dans cette accumulation de commentaires critiques ? Un début de répétition n'en constitue-t-il pas l'indice, les sujets commençant à faire retour ?

[...]


Vincent Ferré


(p. 7-10. Suite de l'introduction, p. 10-25 :
Le medievalism anglophone
Nom de domaine, le nom : médiévalisme et medievalism
Bibliographie)

(1) Voir les références bibliographiques complètes, p. 12.
(2) Paul Zumthor, Parler du Moyen Âge, Paris, Minuit, 1980, p. 36. En cela, le colloque de Metz-Malbrouck s'est inscrit dans l'un des axes de recherche du CENEL (laboratoire de l'université Paris 13-Paris Nord) qui envisage les « modernité et ruptures », en particulier la présence de l'Antiquité et du Moyen Âge à l'époque contemporaine.
(3) Voir la bibliographie en ligne de Richard Utz et Aneta Dygon (« Perspicuitas » : <http://www.perspicuitas.uni-essen.de>;) et celle du site de « Modernités Médiévales » : < http://www.modernitesmedievales.org >.
(4) Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique [1938], Paris, Vrin, 1993, p. 14.
(5) Les interventions ont été publiées dans Le Moyen Âge contemporain : perspectives critiques (2007) et Passé présent. Le Moyen Âge dans les fictions contemporaines (2009).
(6) Respectivement : Isabelle Durand-Le Guern (éd.), Lectures du Moyen Age (2006) ; Anne Besson et Myriam White (éd.), Fantasy : le merveilleux médiéval aujourd'hui (2007) ; Elodie Burle et Valérie Naudet (éd.), Fantasmagories du Moyen Âge : entre médiéval et moyen-âgeux (2010) ; Séverine Abiker, Anne Besson, Florence Plet-Nicolas (éd.), Le Moyen Âge en jeu (cop. 2009) ; Anne Besson, Vincent Ferré et Anne Larue, La Fantasy en France aujourd'hui. Écrire, éditer, traduire, illustrer (en ligne depuis juil. 2009 : <http://www.modernitesmedievales.org/colloques/je%20FantFrance.htm>;).
(7) Voir Michaël Devaux, Vincent Ferré, Charles Ridoux (éd.), Tolkien aujourd'hui [actes du colloque de Rambures, juin 2008], Valenciennes, PUV, 2011 (à paraître).
(8) Gérard Chandès, « Conclusion », in S. Abiker, A. Besson, Fl. Plet-Nicolas (éd.), Le Moyen Âge en jeu, op. cit., p. 393-398 (en prépublication sur le site du LAPRIL : <http://lapril.u-bordeaux3.fr/spip.php?article340>;).



Vincent Ferré

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Dernière mise à jour de cette page le 15 Novembre 2010 à 9h21.