Atelier



Regards croisés sur le domaine « littérature et psychologie », par Judith Lacoue-Labarthe.



Regards croisés sur le domaine «littérature et psychologie».

Les domaines d'application de la littérature comparée s'avèrent en constante évolution, en France, comme à l'étranger. La littérature générale et comparée peut avoir vocation à comparer deux domaines, par exemple «littérature et peinture», «littérature et musique». A force de travailler sur ses marges (paralittérature, autres arts), il y a également de nouveaux domaines d'application qui émergent. Ainsi en 2009, une question d'agrégation ainsi formulée, «la permanence de la poésie épique au XXe siècle», faisait appel sans le dire tant à des connaissances littéraires que d'histoire, de sciences politiques, et sur ses marges, d'ethnologie[1]. Depuis une dizaine année, on admet des recherches dans des domaines nouveaux, acceptés et bien accueillis par le monde scientifique, comme «littérature et ethnologie»[2], «littérature et anthropologie»[3], «littérature et philosophie»[4], ou «littérature et psychanalyse»[5]. On renverra également au numéro spécial de la revue de Fabula LHT consacré au «partage des disciplines»[6] - et à la discussion autour de l'aphorisme de Stanley Fish «Being Interdisciplinary Is So Very Hard To Do»… On le voit, la littérature, et en particulier la littérature comparée est en constante évolution, travaillant sur ses marges à établir des liens privilégiés avec des disciplines sœurs, tout particulièrement dans le domaine privilégié des sciences humaines. Aussi nous nous proposons d'examiner ici un champ connexe, qui semble découler assez naturellement des champs précédemment cités, celui des liens entre littérature et psychologie clinique.

Quelques définitions peuvent nous être utiles pour cerner notre domaine. Par psychologie clinique nous entendons l'ensemble des théories qui permettent de rendre compte de la vie psychique et de ses troubles (disorders, faux-ami en anglais, qui ne comporte aucun jugement de valeur), autrement dit de ses psychopathologies. En ce sens, l'étude de la psychopathologie relève de la psychiatrie et de la psychologie clinique. Ces dernières insistent sur le relevé des symptômes, leur regroupement (sémiologie), et leur soin, notamment par la parole (psychothérapie). Par psychothérapies nous entendons les moyens thérapeutiques mis en œuvre par la parole pour aider une personne à surmonter ses troubles – soit à accepter de vivre avec eux, soit à initier du changement, voire à en guérir quand cela est possible. Si la psychanalyse a bénéficié d'une position prépondérante pendant une grande partie du XXe siècle en France, le champ des psychothérapies s'est considérablement élargi ces vingt dernières années. En France, les littéraires sont souvent familiers des théories freudiennes telles qu'elles ont été relayées depuis les années 1960 environ par un structuralisme appliqué à la psychopathologie, courant issu de Jean Bergeret, qui distingue les structures de personnalité (névrose, psychose et état-limite), et également par Jacques Lacan, qui accorde un primat tout particulier à l'étude du langage (l'inconscient serait régi par les mêmes règles que le langage). Pourtant d'autres types d'approches, dont beaucoup ancrent leurs racines et leurs fondamentaux dans la psychanalyse (en particulier pour tout ce qui concerne l'analyse de la dynamique à l'œuvre dans la vie psychique, et notamment des mécanismes de défense prévalants chez une personne), ont depuis vu le jour, notamment aux Etats-Unis dans les années 1960, et en France depuis les années 1980-90, et sont venues diversifier les interprétations, permettant de juxtaposer ces grilles, notamment dans les approches dites intégratives ou éclectiques[7]. Or ces théories sont à notre avis particulièrement marquées par des domaines à la croisée de la psychologie et de la littérature.

A l'étranger, où les limites académiques ne sont pas placées au même endroit qu'en France, on recense le cas de chercheurs qui à la fois travaillent dans le champ de la philosophie ou des sciences du langage et dans le domaine «psy-». Concrètement, cela signifie qu'ils publient dans un champ qui compare, et également qu'ils ont (ou ont eu) une pratique de clinicien, avec des patients. Prenons l'exemple de Mikkel Borch-Jacobsen, Danois ayant fait ses études de philosophie en France: après un Doctorat en philosophie à l'Université de Strasbourg et après avoir enseigné au département de psychanalyse de l'Université de Vincennes, marqué par Lacan, il a pris part aux «Freud Wars» (selon l'expression anglo-américaine) en passant au crible de la critique la psychanalyse, puis est devenu professeur de littérature comparée à l'Université de Washington à Seattle. En France, citons Julia Kristeva, à la fois psychanalyste et professeur de linguistique et sémiologie à l'Université de Paris VII. Nous voudrions démontrer que de tels rapprochements de domaines, dans lesquels les regards croisés sont intéressants, sont également possibles entre littérature comparée, psychologie clinique et psychothérapies. Or quels sont les points théoriques qui pourraient légitimer un tel rapprochement et des comparaisons?

Depuis ses origines, la psychanalyse a vocation à s'appliquer, telle une grille d'interprétation, à des textes littéraires ou à des œuvres d'art: ainsi Freud écrit-il en 1907 Le Délire et les rêves de La Gradiva de Jensen, ou encore Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci en 1910. Certes, un texte n'est pas un être vivant, il est une création, grâce aux moyens de l'art; la logique d'une œuvre d'art n'est pas celle du vivant. Cela étant, la psychanalyse a d'abord pour vocation à fournir des instruments théoriques au patient (au lecteur, au spectateur) pour qu'il comprenne la cause, l'origine passée de ses troubles (dans l'enfance), dans une démarche herméneutique – l'idée étant que l'inconscient se manifeste dans toutes les œuvres humaines selon les mêmes lois -, ce qui fait que le transfert à une œuvre d'art semble autorisé.

En dehors de l'herméneutique psychanalytique, peut-on emprunter à la psychologie clinique (qui a donc une acception plus large) d'autres angles d'approche pour les textes littéraires ? Sans chercher à être exhaustif, nous indiquerons simplement deux grandes entrées possibles. En premier lieu, certains textes littéraires sont écrits avec une vision si précise des troubles qui peuvent être ceux de l'être humain qu'on peut lire les «signes» du texte d'au moins deux façons: soit comme des «signes» littéraires, qu'on interprète grâce à des éléments empruntés aux théories de la littérature; soit comme des «symptômes», qui, regroupés, forment un syndrome et permettent l'identification très précise d'un trouble. Or en littérature comme en psychologie clinique, la discipline qui permet ces deux approches porte un même nom: la «sémiologie»[8]. Deux lectures sémiologiques, dans les deux sens du terme, peuvent donc se juxtaposer et s'enrichir mutuellement dans le cas de certains textes évoquant avec une acuité particulière les troubles psychiques – nous en donnerons des exemples dans le cadre d'un corpus particulier dont il faudra définir les limites.

Ensuite, inversement, divers types de psychothérapies empruntent certains de leurs moyens privilégiés à la littérature. Nous irons principalement chercher nos exemples dans la psychothérapie d'inspiration psychanalytique, et dans le vaste champ des thérapies dites brèves (approche ericksonienne, approche solutionniste, systémique ou stratégique, approche narrative…)[9]. Nous aborderons ainsi la question des marques du discours dans certains psychopathologies, l'importance extrême de la mise en narration en psychiatrie et en psychothérapie, l'usage de certains genres littéraires (comme le conte) et de certains procédés (comme les métaphores thérapeutiques) pour soigner. Tout dépend du cadre (interprétation littéraire ou cadre thérapeutique) qui est mis en place. En tout cas, une discipline transversale à l'origine linguistique[10] et littéraire[11], puis utilisée en psychologie clinique[12], nous est particulièrement utile pour comprendre ce qui se déroule: il s'agit de l'approche transdisciplinaire due à la pragmatique.


I. Sémiologie des «expériences aux limites»

L'analyse sémiologique issue de la psychologie clinique peut constituer une grille de lecture qui vient se juxtaposer aux autres dans un certain nombre de cas, souvent dans un corpus poétique, notamment les «expériences aux limites». Cette expression est empruntée au critique russe Nikolaï Nedobrovo, qui l'applique, dans un article prémonitoire de 1914, à la poésie d'Anna Akhmatova[13]. Selon lui, cette dernière expérimente dans sa poésie une sorte d'«expérience existentielle des limites». Il l'explique ainsi : «D'autres vont par le monde, exultent, tombent, se heurtent aux autres, mais tout cela se passe ici, au centre du cercle terrestre; alors qu'Anna Akhmatova, elle, fait partie de ceux qui sont arrivés à la limite de ce cercle»; il s'agit encore chez elle de «se heurter aux limites du monde». Essayons d'envisager comment cette expression, expliquée ici de façon métaphorique, peut nous servir d'entrée pour un certain nombre de cas littéraires.


1. Requiem d'Anna Akhmatova

Prenons justement le cas de Requiem d'Anna Akhmatova, pourtant écrit plus d'une vingtaine d'années après l'analyse prémonitoire de Nedobrovo. Cette œuvre particulièrement dense et complexe peut être lue comme la tragédie d'une mère, mais aussi comme emblème d'une tragédie collective, celle de toutes les femmes de Russie, voire encore comme une image de la souffrance de la Vierge Marie (la Théotokos, chez les Russes) lors de la Passion du Christ, image visible dans les icônes de la Crucifixion. Or au-delà de ces quatre strates de lecture, on peut aussi recenser des traits d'une expérience aux limites bien reconnaissable en psychologie clinique. Cette expérience touche sans trop le dire à l'expérience du délire (en tant que perte de contact avec la réalité). La perception du poète peut ainsi basculer dans des descriptions sensibles et cognitives spécifiques: ainsi la nature lui parle et tend vers elle, en distiques énigmatiques, comme si le poète était au centre de l'univers (poème 2):

Le Don coule paisiblement;
La lune jaune entre dans la maison.
Elle entre le bonnet sur l'oreille;
La lune jaune voit une ombre.
Cette femme est malade;
Cette femme est seule.[14]

Le poème 3 donne à lire: «Non, ce n'est pas moi. C'est quelqu'un d'autre qui souffre. / Moi, je ne pourrais pas sentir autant», et montre le poète se voyant de l'extérieur, comme si elle était une autre personne (dépersonnalisation). Plus la souffrance de la séparation d'avec son fils et l'angoisse due à l'attente du procès et du verdict augmentent (on est dans la période des grands procès de Moscou, en 1938), plus l'expérience devient tendue, avec un désir de suicide, au poème 8, dont le titre est «Je parle à la mort»:

Tu finiras bien par venir. Pourquoi pas maintenant?
Je t'attends. Je n'en peux plus.
J'ai éteint la lumière, j'ai ouvert la porte
>Pour toi. Tu es simple et merveilleuse.[15]

Puis la tentation du suicide laisse place au délire. Dans le poème 9, on peut lire deux quatrains sans équivoque:

La folie a couvert de son aile
Déjà la moitié de mon âme.
Elle m'a fait boire son vin de feu,
Elle m'entraîne vers la vallée noire.
J'ai compris que je devais
Accepter qu'elle ait gagné.
C'est que j'écoutais mon délire
Qui me semble celui d'une autre.[16]

Dans Requiem, le cours de la vie est entrecoupé de ces expériences fluctuantes de dépersonnalisation, voire de délire, qui peuvent progresser et régresser, sans doute en fonction des moments de tension. Cela peut refléter soit la mélancolie du poète (forme grave de dépression avec possibilités de moments délirants – traits psychotiques), soit être la marque d'expériences de traumatisme répétés (état de stress post-traumatique, introduit par une effraction dans la vie psychique de la personne, qui craint la mort pour elle-même ou pour ses proches – qui peut entraîner une dissociation), soit encore ce que le psychiatre phénoménologue Henri Grivois appelle «expérience de centralité»[17]. Cette expérience de centralité semble particulièrement visible dans le poème 2, on peut également lire sous cet angle la fin du poème 5: «Elle me regarde droit dans les yeux, / Elle me promet pour bientôt la mort, / Cette étoile énorme»[18]. L'expérience de centralité est, selon H. Grivois, un trait distinctif présent dans les bouffées délirantes aiguës: tous les stimuli sensoriels perçus par la personne lui donnent la sensation (hallucination) que l'univers entier s'occupe d'elle, qu'elle est au centre de toutes choses, que tout converge vers elle, choses inanimées comme êtres humains. Dans les bouffées délirantes aiguës, ces expériences ne sont pas encore fixées ou enkystées mais mouvantes, elles peuvent régresser dans certains cas et disparaître complètement. Lydia Tchoukovskaïa, une proche d'Anna Akhmatova, fait d'ailleurs mention pour cette période d'écriture (1938-1940) d'un état inquiétant du poète, qui ne dormait quasiment plus (insomnie), ne mangeait plus (trouble du comportement alimentaire), restait couchée toute la journée (clinophilie), se vivait excessivement malade (somatisations voire hypocondrie) et persécutée (expérience de centralité? délire de persécution? or elle était vraiment persécutée par le pouvoir stalinien), se vivait dans un état de tension, de chagrin et d'angoisse extrêmes[19].

Cela étant, malgré cette expérience existentielle aux limites, le travail formel et la sublimation poétique ont peut-être joué un rôle contenant pour le poète. A la différence d'Hölderlin, de Nerval, de Dino Campana, d'Antonin Artaud et de bien d'autres, Anna Akhmatova a pu donner sens à son expérience (peut-être grâce à sa capacité à pardonner, dans la lignée de la religion orthodoxe), reprendre pied dans la réalité et revenir de cette exploration des limites, dont on ne trouve guère de traces dans son œuvre ultérieure. Peut-être la littérature a-t-elle eu une valeur thérapeutique chez elle, en particulier dans son œuvre ultérieur, notamment dans Poème sans héros. En effet, sous forme de collage de citations cachées, elle y fait entendre la voix de tous les êtres qui lui étaient chers et qui sont morts, décimés par la guerre civile et le stalinisme. Le fait d'avoir pris soin de ses défunts, d'avoir redonné une consistance à leur voix, à leur souvenir, d'avoir chanté leur souvenir, a peut-être comblé le vide provoqué par la solitude qui était la sienne, rétabli des liens en lieu et place de ruptures impensables, irreprésentables et sources de troubles pathologiques[20]. Ce travail, pour partie travail de sublimation, pour partie travail de deuil, en comblant le vide, en reliant ce qui était délié, a peut-être rendu la présence du délire non indispensable, et permis de faire disparaître ce symptôme de sa poésie ultérieure.


2. La folie d'Orlando

Si Anna Akhmatova fait l'expérience des limites, d'autres poètes peuvent en donner un aperçu plus à distance, mais toutefois également porteurs d'une intense finesse d'observation. C'est le cas de Ludovico Ariosto, dans son grand roman chevaleresque (romanzo cavalleresco), ou poème héroïque Orlando furiosofurioso au sens latin du terme, c'est-à-dire non pas furieux, mais fou. L'Arioste écrit en pleine Renaissance italienne à la cour des ducs d'Este à Ferrare, Renaissance qui prend l'homme et son étude pour son sujet central (c'est le sens du terme «humanisme»); ses images sont toujours d'une précision réaliste remarquable, qu'il s'agisse des travaux des champs, des descriptions d'animaux, de la pêche, de la chasse, des ravages des tourments amoureux… ou d'un épisode délirant aigu. Or tout son poème s'articule justement autour de l'épisode du chant 23 (l'œuvre compte 46 chants dans sa version définitive), qui peut se lire de bien des façons. Cet épisode signifie un renversement des valeurs: renversement des valeurs courtoises, de la fin'amor où d'habitude, l'amant mérite d'obtenir une récompense de sa dame (or Angelica s'enfuit avec Medoro, un soldat sarrasin, et fait défaut à Orlando, ce qui est un bouleversement, une transgression des valeurs habituelles); renversement des valeurs féodales et héroïques, puisqu'Orlando manque à son suzerain, Charlemagne; renversement des topoi littéraires, puisque d'habitude, le locus terribilis est décrit comme un lieu naturel dévasté, lieu au sens géographique du terme, et qu'ici il gît au cœur même de l'homme[21]. La folie d'Orlando marque un décalage, un renversement des valeurs, une faille dans l'optimisme et l'idéal de la souveraineté humaine.

Or la précision avec laquelle est décrit cet épisode, se déployant sur toute une temporalité, est extrême et inédite. Orlando devient obscur à lui-même, métaphoriquement comme psychiquement: de nuit, il s'enfonce dans un bois sombre. Il s'isole alors: il quitte le monde des hommes (retrait), se replie sur lui-même, ne s'occupe plus de lui-même (incurie). Il voit son corps exprimer des émotions, mais il s'en étonne et leur attribue des explications bizarres: «Ce ne sont plus des larmes qui coulent en si grande abondance de mes yeux […] maintenant c'est ma vie elle-même consumée par l'ardeur qui me brûle, qui cherche à m'échapper et à sortir par mes yeux. C'est l'abondante source par laquelle doivent s'écouler ensemble ma vie et ma douleur»[22]; ou alors il ne les ressent pas, il est coupé de ses émotions: «Ces soupirs, témoignages de mon tourment, ne sont pas des soupirs. Ils ont un caractère bien différent». Alors intervient une dissociation, encore plus marquée: «Non non, je ne suis plus celui que je parais être encore» («no son, non sono io quel che paio in viso»)[23], il y a ainsi séparation entre l'apparence extérieure et le ressenti interne, la conscience de soi; «Je ne suis plus que l'esprit d'Orlando détaché de son corps» («Io son lo spirto suo da lui diviso»). Le corps et l'esprit sont séparés, dissociés.

Orlando se voit lui-même comme de l'extérieur, et parle de lui à la troisième personne: «celui qui fut Orlando est mort» («quel ch'era Orlando è morto»[24], avec perte du sentiment de continuité de l'identité). Il donne une comparaison à son errance, «comme dans un enfer»; cependant les adaptateurs qui porteront le texte à l'opéra démétaphoriseront cette image et enverront le personnage errer vraiment en enfer, trouvant l'hallucination plus plausible que la métaphore[25]. Il erre alors sans cesse (errance pathologique), peut avoir des moments de violence, puis reste étendu sans bouger durant trois jours (clinophilie en quelque sorte), cesse alors de dormir (insomnie), est épuisé (asthénie), ne se nourrit plus (trouble du comportement alimentaire). Le quatrième jour, il quitte son état de prostration et devient violent (sthénique), avec une force sauvage de destruction qui prend des proportions épiques: «Alors commença la grande folie, si horrible qu'on n'en verra jamais de pareille» («E cominciò la gran follia, sì orrenda, / che de la più no sarà mai ch'intenda»[26]). Il erre alors nu (passage de la culture à l'état de nature) et détruit tout sur son passage.

Or l'Arioste indique lui-même une prise en charge thérapeutique, qui puisse rendre compte du fait qu'Orlando finit par revenir à la raison après cet épisode délirant, épisode qui ne laisse pas de séquelles par la suite: Astolphe, un ami d'Orlando, part sur la lune où toutes les choses perdues sur la terre viennent s'égarer, retrouve la raison de Orlando, la met dans une petite fiole et la lui rapporte, ce qui guérit son ami, et permet que le monde retrouve son sens. Ce rituel, avec externalisation du symptôme, permet de rétablir un équilibre après la décompensation provoquée par une rupture des liens amoureux et des liens sociaux. On a donc pu reconnaître tous les symptômes d'une bouffée délirante aiguë, observée avec une acuité inédite[27]. Au demeurant, Astolphe découvre sur la lune une «montage debon sens» (senno), ce qui indique bien que ce qui règne sur la terre, ce qui y reste, n'est autre que la folie (pazzia) – la folie se révélant vraie sagesse, et la prétendue sagesse folie, topos qui remonte au moins à la Bible. On peut également établir un parallèle avec le texte contemporain d'Erasme, L'Eloge de la folie, qui est un éloge paradoxal. Ainsi l'évocation de la décompensation et de la bouffée délirante aiguë d'Orlando, rendue avec un sens de l'observation très précis et pour la première fois «moderne», permet d'instiller une interrogation, un questionnement identitaire dans l'humanisme optimiste qui était prépondérant jusqu'alors, rendant possible un questionnement sur l'identité, mais tout autant sur les valeurs de la société et de la littérature. Il a valeur expérimentale, puisqu'il permet de renverser les valeurs, et en même temps il indique et souligne la fragilité humaine face aux souffrances de l'existence, sa vulnérabilité, avec un regard plein d'empathie.


3. Quel corpus?

Les deux exemples d'analyse évoqués ici, appliqués à Anna Akhmatova et à l'Arioste, visent à ajouter une grille de lecture précise, issue de la psychologie clinique, à toutes les autres qui existent déjà, de façon à compléter une compréhension et une herméneutique des signes, qu'il s'agisse de signes littéraires ou de signes cliniques, dans une approche sémiologique transversale. Il va de soi que certains textes se prêtent mieux que d'autres à cette approche: comment définir ce corpus?

On pourrait ainsi relire les grands textes où la psychose est au premier plan, depuis le Lenz de Büchner, jusqu'aux œuvres d'Henry Bauchau que sont L'Enfant bleu, récit d'une cure psychanalytique pour un adolescent psychotique, ou encore Déluge, récit de la fin de vie d'un peintre atteint de traits psychotiques et de pyromanie, qui, soutenu par de multiples étayages (amoureux, amicaux, soignants), achève une fresque représentant cet épisode biblique comme métaphore du monde qui l'entoure. On ne saurait oublier les textes qui évoquent de façon oblique la psychiatrie contemporaine: par exemple Le Maître et Marguerite de Boulgakov, où ce sont les fous qui ont raison (ils ont vraiment vu le diable et ses acolytes, ce qui les a rendus fous, le contexte est celui de Moscou, années 1930…) - manière pour Boulgakov à la fois de contourner la censure et de transmettre une vérité profonde sur les hommes et le monde. On se réfèrera à cet égard à la description, de façon inattendue, pleine d'humanité, d'empathie et d'humour de la clinique psychiatrique de la banlieue de Moscou où sont envoyées les victimes du diable, aux propos desquels personne ne croit alors qu'ils disent vrai…

On pourrait encore penser à d'autres types de cas. On pourrait encore penser à des profils particuliers d'êtres marqués par une différence psychique. Par exemple, Henry James, dans L'Elève, évoque la vie courte et incandescente d'un enfant précoce, ou doté de surdon au sens technique du terme[28]. L'enfant est doué sur le plan intellectuel (avec une intelligence organisée différemment de celle de la très grande majorité des enfants, qualitativement différente), prodigieusement lucide et perspicace vis-à-vis des êtres qui l'entourent, mais doté de défenses psychiques insuffisantes pour se défendre face à la réalité blessante qu'il affronte – ce qui recoupe des analyses contemporaines, mais a été écrit avec une centaine d'années d'avance (1891).

On pourrait encore utiliser les outils de la sémiologie pour travailler sur des textes issus de la littérature orale, où le lien à la voix, et à la communauté est prépondérant. Par exemple, on pourrait travailler sur l'effet de contenance produit par la récitation de textes issus de tradition orale sur un auditoire, et voir à quel point des notions qui analysent d'habitude les fonctions d'une mère à l'égard de son bébé peuvent s'appliquer à un auditoire qui écoute un texte: on y retrouve du holding, du handling et de l'object-presenting, notions empruntées au pédiatre psychanalyste Donald W. Winnicott, ce qui montre à quelles structures archaïques et fondatrices fait appel la transmission d'un poème de tradition orale[29].

Nous avons vu jusqu'à présent des paradigmes pour lesquels une grille d'interprétation empruntée à la sémiologie clinique peut s'appliquer de façon pertinente à des textes littéraires. Inversement, voyons maintenant comment la prise en charge de troubles psychiques se nourrit sur des concepts communs à la littérature et aux psychothérapies. Nous nous appuierons à nouveau sur une discipline transversale, la pragmatique, et sur l'importance cruciale de la mise en narration dans la plupart des psychothérapies.


II. Pragmatique du discours et mise en narration

1. Pragmatique en analyse littéraire et pragmatique en psychothérapie, ou de l'importance du contexte

Qu'est-ce qui fait qu'une même phrase, écrite dans un livre en littérature, utilisée dans une conversation courante, ou dans une psychothérapie, prend un sens différent, et entraîne des effets spécifiques? Il est une discipline, à la croisée des sciences du langage, de la philosophie, de la psychologie, qui permet de travailler spécifiquement sur cette question. Il s'agit de la pragmatique, qui est une science du langage, en acte. Elle découle en partie de la réflexion sur les actes de langage (speech acts) chez Austin[30]; on pourrait même remonter jusqu'à Wittgenstein[31]. Dans les sciences du langage appliquée à la littérature, elle fait merveille pour rendre compte des procédés déictiques dans un texte (procédés par lesquels un texte fait voir le monde, le met sous les yeux, comme dans la figure de l'hypotypose), pour analyser les expressions performatives dans le langage (les verbes qui sont une action en eux-mêmes, par exemple quand un juge dit: «la séance est ouverte», voir aussi, dans la Genèse, l'expression «Que la lumière soit»), ou encore pour évoquer les non-dits du langage, que les interlocuteurs perçoivent cependant (présupposés, implicites, sous-entendus – procédés sur lesquels s'appuie notamment le procédé complexe de l'ironie)[32]. La pragmatique clinique, quant à elle, consiste à comprendre les processus et mécanismes psychologique par lesquels un type de situation d'échanges verbaux et non verbaux est susceptible de modifier l'état du patient demandeur de soin. L'approche pragmatique des psychothérapies pose ainsi la question du sens en relation avec les contextes de communication, prenant en compte les interactions et les modifications qu'elles entraînent[33].

La pragmatique du dispositif psychothérapeutique a donc pour vocation à théoriser ce qui transforme, concrètement, des conversations en psychothérapie. Il s'avère que la conversation n'est qu'un élément parmi d'autres d'un dispositif thérapeutique. Le dispositif thérapeutique repose sur un certain nombre d'invariants, tous indispensables (et cela dans quelque type d'approche que ce soit, psychanalytique, systémique, phénoménologique ou autre): un dispositif relationnel quasi théâtral, des actes professionnels d'interprétation, des changements dans les métacognitions des patients (ce qui fait qu'on croit ce qu'on croit, les substrats théoriques implicites qui fondent nos croyances), et des théories rattachées à un groupe social (souvent v ia un réseau professionnel)[34].

Les processus activés par l'intervention thérapeutique consistent essentiellement en une transformation du regard porté sur soi; l'évocation de soi repose sur un déplacement des frontières entre les sphères privées et publiques; dans le discours co-construit par les deux intervenants, le patient et le thérapeute, s'opère une requalification et un enrichissement du registre verbal de la représentation de soi. Le psychothérapeute aide par exemple le patient à requalifier, par des relances et des reformulations, des émotions, de négatives en positives, ou des attitudes, de passives en actives, grâce à des métamorphoses, des analogies. Ainsi, la psychothérapie, comme activité d'échange et de communication particulière, vise à rétablir des liens de pensée permettant au sujet de réorganiser son esprit. Cela entraîne une élaboration de pensées nouvelles sur le monde, de nouvelles boucles d'actions et de rétroactions, d'où des croyances plus adaptées. Du coup, petit à petit, le patient acquiert une méthode interprétative, et cela à travers une construction, ou une restauration d'une identité narrative, comme l'a montré notamment Patrick Thomassin[35]. La personne, à défaut d'avoir pu maîtriser son existence, maîtrise le récit qu'elle en fait. Toute psychothérapie repose donc sur une déconstruction, suivie dans un second temps d'une reconstruction d'une représentation de soi.


2. Pragmatique et formes de discours psychopathologiques

Sur un autre angle d'analyse de l'a pragmatique, il s'avère que dans un contexte de psychopathologie, le discours du patient porte souvent des marques de la maladie (et cela est encore plus visible lors de la passation de tests projectifs, comme le T.A.T. ou le protocole de Rorschach, où ces phénomènes peuvent apparaître concentrés et grossis comme sous une loupe). Ainsi, la psychopathologie est pour beaucoup visible dans le discours même, elle y laisse sa trace. Par exemple, Alain Blanchet a pu démontrer qu'il y avait une fréquence particulière de l'indice langagier de la négation dans le cas de la dépression. Cela fait sens: une personne dépressive est une personne qui se vit dans la négativité de la pensée. Dans le discours d'un patient en phase maniaque, on trouve des marques du haut degré. Le discours d'une personne schizophrène est peut-être ce qui a été le mieux étudié. Les membres du «Groupe de Lausanne»[36], qui analysent le discours d'un point de vue clinique, reprennent des instruments empruntés à la stylistique, voire à l'ancienne rhétorique pour en rendre compte: chez le patient schizophrène[37], on trouve ainsi des néologismes, un destinataire qui n'existe pas ou est tenu à distance, toutes sortes de figures de rupture de construction comme des anacoluthes, des asyndètes, l'aposiopèse (figure du silence), l'amalgame syntaxique, des figures de répétition comme les homéotéleutes, ou l'anaphore... Le propos est souvent circulaire: la chaîne parlée est soit lâche, distendue, brisée, soit contractée et nouée. On peut trouver la présence simultanée pour un même contenu d'une affirmation et d'une négation. Il y a confusion sur les qualités des objets.

Si on élargit l'angle de vue, on trouve même des caractéristiques de communication communes à des familles où se trouve une personne atteinte de psychopathologie, selon une perspective systémique – ces traits relevant de la communication ont été mis en évidence par Gregory Bateson et l'Ecole de Palo Alto, qui analyse la présence récurrente d'injonctions paradoxales et de doubles liens (double bind) dans les familles où se trouvent des schizophrènes.


3. Soin et mise en narration

Une fois le cadre thérapeutique posé, et le discours du patient atteint de psychopathologie caractérisé en situation de communication - ce qui relève du domaine de la pragmatique -, la mise en narration au cours de la prise en charge revêt une importance extrême. Ainsi dans les institutions de soin, on ne peut qu'être frappé du fait que tous les intervenants laissent des écrits: psychiatres, psychologues, pychomotriciens, orthophonistes, infirmiers, aides-soignants, éducateurs, assistantes sociales etc. transcrivent des récits d'entretiens, ou de conversations échangées informellement avec la personne en soin. Les réunions de synthèse reposent sur la transmission orale de ces entretiens et le partage de ces récits; et c'est encore de ces récits que naît une image, selon plusieurs angles de vue très différents, qui rend possible le diagnostic et une prise en charge adaptée. L'approche de la psychothérapie institutionnelle, quand elle aborde le champ des patients psychotiques, s'intéresse particulièrement aux regards non concordants entre eux des soignants sur le même patient, et voit là un transfert diffracté («constellation transférentielle»), traduisant un clivage voire une dissociation du patient, qui se reflète, comme en une image-miroir, dans l'institution.

La mise en narration est d'autant plus importante que le patient est jeune. Un jeune enfant peut avoir plus ou moins accès au langage, il peut n'y avoir que très peu de langage voire pas du tout dans les cas de psychoses de l'enfant, d'autismes, de handicap mental; et cela est d'autant plus vrai du bébé, infans, «qui ne parle pas encore» étymologiquement. Dans ce cas-là, si l'on se réfère par exemple à l'approche d'Esther Bick, ce sont les soignants qui ont vocation à mettre en mots (pour la première fois, à la place de l'enfant) et à narrer ce qu'ils perçoivent et observent dans leur contre-transfert, ce qu'ils «rêvent» autour du bébé (comme dans la capacité de rêverie maternelle primaire) tout en étant tout particulièrement sensibles à un autre langage, celui des signes du corps du bébé[38]. Ce travail d'élaboration et de nomination, pour leur patient et pour eux-mêmes, est repris dans un deuxième temps en supervision analytique. Cette remarque peut être étendue aux jeunes enfants, ou aux enfants sans langage comme certains enfants autistes, avec lesquels on peut faire le même type de travail. Comme l'écrit Nicole Garret-Gloanec, la mise en narration provient d'une attitude qui doit tenir un juste équilibre entre le fait d'«[investir] le savoir», de se référer aux théories adéquates, et en même temps de se laisser pénétrer «par le son, le rythme et la prosodie qui se déploient dans une rêverie partagée»[39].


4. Le conte thérapeutique selon l'approche psychanalytique

Parmi tous les types de récits qui existent, un type de narration jouit d'un statut privilégié dans plusieurs approches psychothérapeutiques: il s'agit du conte. Dans une approche d'inspiration psychanalytique, le conte peut servir à nommer des épreuves, des difficultés qui ont à voir avec les angoisses archaïques des enfants: angoisse de séparation, angoisse de dévoration, etc. L'analyse du pouvoir thérapeutique des contes a d'abord été théorisée par le psychanalyste Bruno Bettelheim, et est restée à l'état d'hypothèse dans ses travaux[40]; puis elle a été beaucoup appliquée depuis, en institution notamment ; on peut se référer notamment aux applications cliniques de Pierre Lafforgue[41].

Le fait de réciter un conte à un groupe d'enfants, dans un atelier où a été mis en place un cadre thérapeutique, de le transmettre à haute voix en incarnant les personnages et en «faisant les voix», en jouant le conte sous leurs yeux, peut leur permettre de symboliser ces épreuves et de les surmonter. On peut d'ailleurs redire le conte à plusieurs âges différents, il est tout à fait possible que l'enfant y entende à chaque fois quelque chose de différent et y trouve des solutions, grâce à une symbolisation par la parole, sur des problèmes spécifiques. L'adulte ne peut jamais anticiper ce que l'enfant y trouvera. On peut, après l'écoute du conte, suggérer à l'enfant de dessiner ou de représenter, d'une façon ou d'une autre, quelque chose qui soit imprégné par ce qu'il a entendu. Le passage par le symbolique a vocation à permettre une avancée thérapeutique.


5. La métaphore thérapeutique selon l'approche des thérapies brèves

Dans une autre approche, celle des thérapies brèves, une place prépondérante est réservée aux métaphores thérapeutiques[42]. Les métaphores thérapeutiques doivent être entendues au sens large. Selon Michel Kerouac,

Dans le contexte de la relation d'aide, la métaphore adopte un sens plus spécifique et devient la métaphore thérapeutique. […] [Elle] est une histoire réelle ou fictive, une anecdote, un conte, une allégorie, une fable, un symbole, un dessin ou même un jeu qui attire l'attention inconsciente d'une personne et sert à déjouer ses mécanismes de défense afin de lui permettre de rejoindre ses mécanismes inconscients, forces riches d'alternatives et de solutions[43].

Il s'agit, pour le psychothérapeute, d'écouter son patient, de s'imprégner du «style» de langage de ce dernier, et de repérer quelles sont les images qu'il emploie, par exemple dans les expressions toutes faites. C'est au cœur de ces traits langagiers et de l'image employée qu'il se situe; il reprend alors l'image et la fait basculer dans une autre direction (recadrage).

Par exemple, un patient dépressif peut évoquer la «galère» dans laquelle il est «embarqué»; le thérapeute peut alors relancer en demandant à quel poste il se situe: au gouvernail, à l'avant, ou autre, et surfer sur la vague de la métaphore pendant un long moment, sans jamais «traduire» avec un langage rationnel le problème abordé[44]. La métaphore permet de s'adresser au cerveau droit, visuel, ce qui permet de ne pas se heurter aux défenses mises en œuvre par le cerveau gauche, rationnel, et du coup de faire entendre ce qui aurait pu être autrement inacceptable par le patient.

Autre exemple possible: le thérapeute peut construire un conte, compris comme métaphore élargie, isomorphe à l'histoire de son patient (même nombre de personnages, même type d'événements centraux), très général, et en finissant par un dénouement ouvert – non qu'il y ait une solution proposée, loin de là, puisque c'est au patient d'inventer sa propre solution; déjà, le simple fait de mettre à distance un récit de vie particulièrement indéterminé, et d'indiquer un monde de possibles et non une fin fermée, peut amorcer un changement chez le patient. La métaphore est ainsi conçue dans un sens particulièrement ouvert, concise ou largement déployée dans le temps et la narration. D'ailleurs, quelle plus belle métaphore y a-t-il parfois que les symptômes en eux-mêmes?


***

Pour conclure, nous avons essayé d'analyser, sans être exhaustif, quelques points de convergence importants de deux disciplines, littérature et psychologie clinique, dans une attitude comparatiste. D'une part, il s'avère qu'à côté des interprétations littéraires, d'histoire des idées, socio-historiques, stylistiques et autres de certains textes littéraires qui évoquent des souffrances, des troubles psychiques ou des «expériences aux limites», on peut ajouter avec pertinence encore une autre lecture, celle issue du repérage sémiologique. Sémiotique et sémiologie peuvent à ce titre apporter des regards croisés sur des textes littéraires, ce qui permet de rendre aux mots toute leur polysémie. Inversement, la psychologie clinique est de fait sans cesse amenée à utiliser des outils littéraires: des phrases qui pourraient être neutres, une fois prononcées dans un cadre thérapeutique, deviennent dotées d'une efficacité technique, clinique, thérapeutique. La psychologie clinique est encore à même de repérer des traces de psychopathologie dans le discours - selon une approche pragmatique. Par ailleurs, elle recourt sans cesse à la narration, qu'il s'agisse de soigner des bébés, des enfants, des adultes - narration comme récit de ce qui a été observé, narration comme récit de ce qui a été rêvé, élaboré autour du patient, dans la rencontre avec lui lors du contre-transfert, narration imaginaire et imagée, pour l'aider en enrichir sa perception et à penser des possibles nouveaux. Un champ disciplinaire comparatiste est donc déjà bel et bien ouvert, inauguré depuis en fait longtemps. Le tout s'articule au cœur des sciences humaines, autour d'une recherche centrée sur l'humain – dans ce qu'il peut dire, traduire et signifier de lui-même.


Judith Lacoue-Labarthe (Université de Nantes)


[1] Voir, pour aborder l'œuvre de Nâzim Hikmet Paysages humains, les travaux de l'ethnologue et folkloriste turc Pertev Naili Boratav, qui a collecté la tradition orale épique turque chez les paysans illettrés d'Anatolie. Pour plus de précision, voir Judith Labarthe, «Histoire, engagement et epos dans la poésie épique du XXe siècle», dans Voix épiques. Akhmatova, Césaire, Hikmet, Neruda, sour la dir. d'Olivier Kachler, Rouen, P.U.R.H., 2010, p. 141-170.

[2] Voir Alain-Michel Boyer, «Littérature et ethnologie», Revue de littérature comparée, 2001/2, n° 298, p. 295-303; sous la direction d'A.-M. Boyer, Littérature et ethnologie, de Montaigne et Melville à Michel Leiris, Nantes, Cécile Defaut, à paraître en 2011.

[3] Voir Littérature et anthropologie, sous la dir. d'Alain Montandon, Paris, SFLGC, 2006.

[4] Voir Camille Dumoulié, Littérature et philosophie. Le gai savoir de la littérature, Paris, Armand Colin, 2002, ainsi que de nombreux articles du même auteur. Voir aussi Littérature et philosophie, sous la dir. d'Anne Tomiche et Philippe Zard, Arras, Artois Presse Université, 2002.

[5] Voir Camille Dumoulié, «Littérature comparée, philosophie et psychanalyse», site de la SFLGC – Vox Poetica, 2005, en ligne à l'adresse www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/lc.html. Voir aussi les nombreux travaux d'Anne Tomiche sur J.-F. Lyotard, A. Artaud, G. Deleuze…

[6] «Le partage des disciplines», LHT n° 8, en ligne à l'URL www.fabula.org/lht/8 Voir également la présentation de Nathalie Kremer à propos de l'aphorisme de Stanley Fish à la page http://www.fabula.org/lht/8/261-kremer publiée le 16 mai 2011.

[7] Voir notamment les travaux de Serban Ionescu, dont 14 Approches de la psychopathologie, Paris, Armand Colin, 1991-2005: il cite les approches athéorique, behavioriste, biologique, cognitiviste, développementale, écosystémique, ethnologique, éthologique, existentialiste, expérimentale, phénoménologique, psychanalytique, sociale et structuraliste (dans l'ordre alphabétique).

[8] Selon le Trésor littéraire de la langue française informatisé (TLFi: http://atilf.atilf.fr/tlf.htm), par «sémiologie», du grec «semeion», «signe», et «logos», «discours», on entend: 1. la partie de la médecine qui étudie les symptômes et les signes cliniques traduisant la lésion d'un organe ou le trouble d'une fonction (un synonyme en est la symptomatologie); 2. depuis Ferdinand de Saussure, l'étude générale, la science des systèmes de signes (intentionnels ou non) et des systèmes de communication. La «sémiotique» (du grec «semiotikos», mais surtout de l'américain «semiotic» ou «semiotics»), est, depuis Charles Sanders Peirce (et repris en ce sens par Hjemslev, Benveniste, etc.), la théorie générale des signes dans toutes leurs formes et dans toutes leurs manifestations, ou théorie générale des représentations, des systèmes signifiants. Le terme «séméiotique» est un emprunt au grec «semiotikê <technè>», «diagnostique ou observation des symptômes », féminin de «sémiotikos», « apte à noter; qui concerne l'observation ».

[9] Voir Alain Deneux, François-Xavier Poudat, Thierry Servillat, Jean-Luc Vénisse et alii, Les Psychothérapies: approche plurielle, Paris, Masson, 2009.

[10] Voir John Langshaw Austin, Quand dire, c'est faire [How to Do Things with Words, 1962], Paris, Le Seuil, 1970.

[11] Voir Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Paris, Bordas, 1990.

[12] Voir les travaux d'Alain Blanchet, Recherches sur le langage en psychologie clinique, Paris, Dunod, 1997, et de Patrick Thomassin, «Déconstruction et reconstruction de l'identité narrative au cours d'une psychothérapie», Pyschologie française, 44 (4), p. 371-381. Voir aussi A. Blanchet, P. Thomassin, «Pragmatique et psychothérapie», dans Psychologie clinique, psychopathologie et psychothérapie, sous la dir. d'A. Blanchet et S. Ionescu, Paris, P.U.F., 2007, p. 551-584.

[13] Article cité, traduit et commenté par Jean-Philippe Jaccard dans «Le Requiem d'Anna Akhmatova, femme et poète. Histoire d'une image, de la lucidité de N. Nedobrovo à la ruse (?) de V. Žirmunskij», Modernités russes, Lyon, Centre d'études slaves A. Lirondelle, 2002, n° 4, p. 217-236.

[14] Anna Akhmatova, Requiem, Poème sans héros et autres poèmes [anthologie], traduction de Jean-Louis Backès, Paris, Gallimard, 2007, p. 193.

[15] Ibid., p. 196.

[16] Ibid., p. 197.

[17] Henri Grivois, Tu ne seras pas schizophrène, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001.

[18] Anna Akhmatova, op. cit., p. 194-195.

[19] Lydia Tchoukovskaïa, Entretiens avec Anna Akhmatova, Paris, Albin Michel, 1980.

[20] Voir Magali Molinié, Soigner les morts pour guérir les vivants, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.

[21] Voir Jean-Pierre Garrido, «Roland fou furieux», Chroniques italiennes. Revue de l'UFR des études italiennes et roumaines, 1/ 1996, n° 45, 47 pages, consultable en ligne à l'adresse chroniquesitaliennes.univ-paris3.fr/PDF/45/Garrido.pdf

[22] Arioste, Roland furieux, textes choisis et présentés par Italo Calvino (1970), trad. de C. Hipeau, Flammarion, 1982, p. 206.

[23] Ibid., p. 207.

[24] Ludovico Ariosto, Orlando furioso, Milano, Biblioteca Universale Rizzoli, 1974-1997 (volume primo), CXXVIII, p. 823.

[25] Voir l'adaptation de Quinault pour Lully dans Roland, et toutes les adaptations ultérieures: Haendel, Haydn, etc.

[26] Aristo, ibid., CXXXIII, p. 824.

[27] Il serait intéressant de savoir si l'Arioste avait eu accès à des livres de médecine, humanistes, antiques ou arabes sur la question…

[28] Voir Jeanne Siaud-Facchin, L'Enfant surdoué, Paris, Odile Jacob, 2002.

[29] Voir Judith Labarthe, «Les ballades du Kalevala, ou une mise en récit de l'archaïque», La Ballade (XVIIIe-XXe siècles). Littérature savante, littérature populaire et musique, sous la dir. de Claudine Le Blanc et Judith Labarthe, Nantes, Cécile Defaut, 2008, p. 149-166.

[30] Voir John Langshaw Austin, Quand dire, c'est faire [How to Do Things with Words, 1962], Paris, Le Seuil, 1970.

[31] Voir Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques (1936-1949, publiées en 1953), Gallimard, 2005.

[32] Voir Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Paris, Bordas, 1990.

[33] Alain Blanchet et Patrick Thomassin, «Pragmatique et psychothérapies», dans Psychologie clinique, psychopathologie et psychothérapie, sous la dir. d'A. Blanchet et S. Ionescu, Paris, P.U.F., 2007, p. 551-584.

[34] Alain Blanchet, «L'interaction thérapeutique», dans Tobie Nathan, Alain Blanchet, Serban Ionescu, Nathalie Zajde, Psychothérapies, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 97-163.

[35] Voir Patrick Thomassin, La construction du rapport à soi dans une médiation psychosociale. Doctorat n.p. (Université de Rouen), 1998.

[36] On peut renvoyer aux travaux d'Odile Husain, Colette Merceron, Christine Rebourg, Frieda Rossel, Fabrice Choquet…

[37] Christine Rebourg, «Identification et qualification au Rorschach», dans le numéro spécial Rorschach et T.A.T. L'analyse du discours du Bulletin de psychologie, sept.-oct. 2001, 54, 5, 4, p. 487-492, qui accueille de riches contributions du Groupe de Lausanne.

[38] L'Observation du bébé selon Esther Bick. Son intérêt dans la pédopsychiatrie aujourd'hui, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2004.

[39] Nicole Garret-Gloanec, «L'intérêt de l'observation directe au Centre nantais de la parentalité», L'Observation du bébé selon Esther Bick. Son intérêt dans la pédopsychiatrie aujourd'hui, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2004, p. 113-134, voir p. 114.

[40] Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées [The Uses of Enchantment, Etats-Unis: 1976], Paris, Robert Laffont, 1976.

[41] Pierre Lafforgue, Petit Poucet deviendra grand. Le travail du conte, Bordeaux, Mollat éditeur, 1995.

[42] Voir Eric Bardot, Julien Betbèze, Wilfrid Martineau, Thierry Servillat et Alain Vallée, «Les métaphores thérapeutiques», dans Alain Deneux et alii, Les Psychothérapies: approche plurielle, Paris, Masson, 2009, p. 275-280.

[43] Michel Kerouac, La Métaphore thérapeutique et ses contes. Etudes ericksoniennes. Canada, Québec, MKR éditions, 1996, p. 25.

[44] Cet exemple est emprunté à Wilfrid Martineau, Les Psychothérapies: approche plurielle, op. cit.



Judith Lacoue-Labarthe

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Dernière mise à jour de cette page le 12 Novembre 2011 à 12h07.