Atelier

Épilogue

L'ambition de cette étude duophonique de trois imaginaires possibles de la Bibliothèque était avant tout de mettre au jour, par différents coups de sonde, une méthode née de la collusion de deux pratiques comparatistes distinctes. Nous avons pour ce faire échafaudé un triple dispositif scénographique – ne visant pas l'exhaustivité illusoire de la Babel sombre mais invitant plutôt à poursuivre l'expérimentation! – emprunt de métaphorisation. Puisque la méthode témoigne d'une certaine narrativité de la pensée, il s'agit à présent de faire un retour méthodologique sur notre parcours, notamment sur les modalités de la fictionnalisation ayant permis son élaboration ainsi que sur les partis-pris esthétique et critique qu'il engage.

L'axe majeur par lequel nous avons pu originellement croiser nos champs de recherche correspond à la mise en déroute de la notion de Bibliothèque. Rappelons que l'imaginaire de cette dernière se dédouble en permanence entre les pôles iconiques de Babel et d'Alexandrie: la représentation traditionnelle de la Bibliothèque totale est en effet immanquablement sous-tendue par le mythe inversé de sa propre disparition. Ce que nous nous sommes proposées de faire n'était cependant pas tant d'illustrer cette mythologie de la destruction que d'analyser différentes stratégies scripturales qui consistent toutes à investir pleinement et fabuleusement l'espace-temps (non le simple topos) de la Bibliothèque du savoir total. En d'autres termes, il nous importait de voir comment ce fascinant processus de sape procède avant tout de gestes esthétiques inscrits au sein même des textes qui révèlent l'incessant travail mnésique mis en branle par la littérature.

La mise en fiction dynamique des gestes scripturaux étudiés, de la construction inchoative de la Bibliothèque totale à sa mise en fuite(s) en passant par sa combustion ignée, ne nous semblant pertinente qu'à la condition d'en énoncer les nécessités internes, soulignons la dualité du titre de notre parcours: «Bibliothèques, Fables et Mémoires en acte(s)». S'il affiche d'emblée la dramaturgie qui donne ensuite forme au commentaire, cet intitulé formule dans le même temps le choix de traiter la figure topique de la Bibliothèque dans toute sa performativité. Signe d'un attachement commun à la dimension productrice et jubilatoire d'une littérature «en excès»[i], le recours aux verbes d'actionindique ainsi le souci d'analyser les manières dont la Bibliothèque se bâtit, brûle et fuit en effet, tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit d'«interprétationsqui transforment ce qu'elles interprètent»[ii], travaillant au corps l'immuable mythologie de «la» Bibliothèque. Si le suffixe de ce terme vise à la conservation et à la consignation immémoriales, c'est à sa déterritorialisation que nous avons alors œuvré: désherbage, détérioration, maintenance, fragmentation, avaries, sabordages, tels que les écrivains ainsi que leurs lecteurs peuvent les localiser dans une pratique de la Littérature. Affirmons pour finir que la Bibliothèque ne peut véritablement en être qu'à la condition que ses explorateurs en fassent tout autre chose qu'un banal décorum faustien et qu'ils s'efforcent de la penser toujours au-delà de son simple nom.


Retour à Bibliothèques, Fables et Mémoires en acte(s)


[i] «Le roman en excès nous répète que tout ne se suspendra pas dans un silence de mort. Ce qui fait sa folie, sa vitalité, c'est l'attachement inénarrable que le lecteur peut lui porter; c'est ce qui oblige à le penser au-delà de son nom de roman.», T. Samoyault, E. R., p. 192-193.

[ii] J. Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, p. 89. Nous soulignons.



Julia Peslier et Anne Bourse

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 1 Décembre 2007 à 17h17.