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Extraits de G. Genette, Palimpsestes, Le Seuil, coll. « Poétique », 1982.

  • L'objet de la poétique : la transtextualité ou transcendance textuelle (= « tout ce qui met le texte en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes »).

  • Les cinq types de relations transtextuelles :

1. L'intertextualité = « relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire éidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d'un texte dans un autre. » — forme explicite et littérale : la citation. — forme moins explicite : le plagiat (emprunt non déclaré, mais encore littéral). — forme encore moins explicite et moins littérale : l'allusion (« énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non rencevable. »). NB : M. Riffaterre : l'intertextualité = « L'intextexte est la perception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d'autres qui l'ont précédée ou suivie »; l'intertextualité s'identifie pour lui à la littérarité elle-même. « L'intertextualité est […] le mécanisme propre à la lecture littéraire. Elle seule, en effet, produit la signifiance, alors que la lecture linéaire, commune aux textes littéraire et non littéraire, ne produit que le sens. » Mais les rapports étudiés par Riffaterre sont toujours de l'ordre des micro-structures sémantico-stylistiques, à l'échelle de la phrase, du fragment ou du texte bref, généralement poétique…

2. La paratextualité = « la relation que le texte entretient, dans l'ensemble formé par une œuvre littéraire, avec son paratexte : titre, sous-titre, intertitres; préfaces, postfaces, avertissements, avant-propos, etc., notes marginales, infrapaginales; [etc.] », tous les signaux autographes ou allographes qui procurent au texte un entourage.—> G. Genette, Seuils, 1989.

3. La métatextualité = « la relation, dite “de commentaire”, qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer. »

5. L'architextualité = « l'ensemble des catégories générales, ou transcendantes — types de discours, modes d'énonciation, genres littéraires, etc. — dont relève chaque texte singulier. » Relation tout à fait muette, que n'articule, au plus, qu'une mention paratextuelle (l'indication Roman accompagnant le titre sur la couverture). —> G. Genette, Introduction à l'architexte, 1979.

4. L'hypertextualité = « toute relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire. » L'hypertexte est un texte dérivé d'un autre texte préexistant au terme d'une opération de transformation. : transformation simple (transposer l'action du texte A dans une autre époque : Ulysse de Joyce) ou transformation indirecte (ou imitation : engendrement d'un nouveau texte à partir de la constitution préalable d'un modèle générique; ex. : L'Énéide).

  • Remarques :
• « Il ne faut pas considérer les cinq types de transtextualité comme des classes étanches, sans communication ni recoupement réciproques » ; « leurs relations sont au contraire nombreuses, et souvent décisives », que l'hypertexte, par exemple, a « souvent valeur de commentaire » de l'hypotexte dont il est le produit », etc. • « Les diverses formes de transtextualité sont à la fois des aspects de toute textualité et, en puissance et à des degrés divers, des classes de textes » ; ex : « tout texte peut être cité, et donc devenir citation, mais la citation est une pratique littéraire définie, évidemment transcendante à chacune de ses performances, et qui a ses caractères généraux. » (« seul l'architexte, sans doute, n'est pas une classe, puisqu'il est, si j'ose dire, la classéité (littéraire) même : reste que certains textes ont une architextualité plus prégnante (plus pertinente) que d'autres »). —> « Et l'hypertextualité ? Elle est aussi évidemment un aspect universel (au degré près) de la littérarité : il n'est pas d'œuvre littéraire qui, à quelque degré et selon les lectures, n'en évoque quelque autre et, en ce sens, toutes les œuvres sont hypertextuelles. Mais […] certaines le sont plus (ou plus manifstement, massivement et explicitement, que d'autres : Virgile travesti [de Scarron], disons, plus que les Confessions de Rousseau. Moins l'hypertextualité d'une œuvre est massive et déclarée, plus son analyse dépend d'un jugement constitutif, voire d'une décision interprétative du lecteur : je puis décider que les Confessions de Rousseau sont un remake actualisé de celles de saint Augustin, et que leur titre en est l'indice contractuel — après quoi les confirmations de détail ne manqueront pas, simple affaire d'ingéniosité critique. Je puis également traquer dans n'importe quelle œuvre les échos partiels, localisés et furtifs de n'importe quelle autre, antérieure ou postérieure. Une telle attitude aurait pour effet de verser la totalité de la littérature universelle dans le champ de l'hypertextualité, ce qui en rendrait l'étude peu maîtrisable ; mais surtout, elle fait un crédit, et accorde un rôle, pour moi peu supportable, à l'activité herméneutique du lecteur — ou de l'archilecteur. » = s'en tenir aux cas « où la dérivation de l'hypotexte en hypertexte est à la fois massive (toute une œuvre B dérivant de toute une œuvre A) et déclarée, d'une manière plus ou moins officielle. »

  • Typologies des pratiques hypertextuelles
(« la littérature au second degré », sous-titre de l'ouvrage) : — Deux modes fondamentaux de dérivation : la transformation qui s'en prend à un texte ; l'imitation qui reproduit à un style, une manière. => distinguer la parodie (dans Ulysse Joyce transpose l'Odyssée) du pastiche (Proust, dans l'Affaire Lemoine imite les styles de Balzac, Flaubert, etc.). — Trois « fonctions » (intentions et effets) pour chacune ces relations de transformation ou d'imitation : régimes ludique, satirique ou sérieux. Soient six catégories : trois par transformation: PARODIE(Boileau, Chapelain décoiffé) TRAVESTISSEMENT (Scarron, Virgile travesti) TRANSPOSITION (Th. Mann, Docteur Faustus) trois par imitation: PASTICHE (Proust, L'Affaire Lemoine) CHARGE (Reboux et Muller, À la manière de…) FORGERIE(Quintus de Smyrne, Suite d'Homère)

(NB: Sur Proust et L'Affaire Lemoine, on peut lire Le pastiche entre critique et création littéraire).

  • Remarques :
• « Aucune des “pratiques” [type d'opérations] n'est vraiment élémentaire, et chacune d'elles, en particulier la transposition, reste à analyser en opérations plus simples ; inversement, [il existe] des genres plus complexes, mixtes de deux ou trois pratiques fondamentales. » • « La transformation sérieuse, ou transposition, est sans nul doute la plus importante de toutes les pratiques hypertextuelles, ne serait-ce que […] par l'importance historique et l'accomplissement esthétique de certaines des œuvres qui y ressortissent. Elle l'est aussi par l'amplitude et la variété des procédés qui y concourent. La parodie peut se résumer à une modification ponctuelle, voire minimale, ou réductible à un procédé mécanique comme celui du lipogramme ou de la translation lexicale [cf. Oulipo] ; le travestissement se définit presque exhaustivement par un type unique de transformation stylistique (la trivialisation) ; le pastiche, la charge, la forgerie ne procèdent que d'inflexions fonctionnelles apportées à une pratique unique (l'imitation), relativement complexe mais presque entièrement prescrite par la nature du modèle ; et, à l'exception possible de la continuation, chacune de ces pratiques ne peut donner lieu qu'à des textes brefs, sous peine d'excéder fâcheusement la capacité d'adhésion de son public. La transformation, au contraire, peut s'investir dans des œuvres de vastes dimensions, comme Faust ou Ulysse, dont l'amplitude textuelle et l'ambition esthétique et/ou idéologique, va jusqu'à masquer ou faire oublier leur caractère hypertexuel, et cette productivité même est liée à la diversité des procédés transformationnels qu'elle met en œuvre ». (p. 291). • « La porosité des cloisons entre les régimes tient surtout à la force de contagion, dans cet aspect de la production littéraire, du régime ludique. À la limite, aucune forme d'hypertextualité ne va sans une part de jeu, consubstantielle à la pratique de remploi de structures existantes. […] L'hypertexte à son mieux est un mixte indéfinissable et imprévisible dans le détail, de sérieux et de jeu (lucidité et ludicité), d'accomplissement intellectuel et de divertissement. » • « La distinction entre les deux types de relation [est] beaucoup plus nette et étanche [que la distinction entre les trois régimes]. Cela n'exclut nullement la possibilité de pratiques mixtes, mais c'est qu'un même hypertexte peut à la fois, par exemple, transformer un hypotexte et en imiter un autre. » —> fondement de la distinction entre les deux régimes : « Il est impossible, parce que trop facile et donc insignifiant, d'imiter directement un texte. On ne peut l'imiter qu'indirectement, en pratiquant après lui son idiolecte dans un autre texte, idiolecte qu'on ne peut lui-même dégager qu'en traitant le texte comme un modèle, c'est-à-dire comme un genre. Voilà pourquoi il n'y a de pastiche que de genre, et pourquoi imiter une œuvre singulière, un auteur particulier, une école, une époque, un genre, sont des opérations structuralement identiques — et pourquoi la parodie et le travestissement, qui ne passent en aucun cas par ce relais, ne peuvent jamais être définis comme des imitations, mais bien comme des transformations, ponctuelles ou systématiques, imposées à des textes. Une parodie ou un travestissement s'en prennent toujours à un (ou plusieurs) texte(s) singulier(s), jamais à un genre. […] On ne peut parodier que des textes singuliers ; on ne peut imiter qu'un genre (un corpus traité, si mince soit-il, comme un genre) — tout simplement, et comme chacun le savait d'avance, parce qu'imiter, c'est généraliser. » (p. 110-111).


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Marc Escola

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Dernière mise à jour de cette page le 19 Février 2003 à 23h22.