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•Lyrisme et romantisme Depuis la poésie romantique, on associe le lyrisme à l'expression de la subjectivité doublée de l'idée de souffrance qui caractérisait l'élection et la marginalité du poète (Madame de Staël, critique incontestable du XIXème romantique consacre le dixième chapitre de De l'Allemagne à cette idée.) . Le lyrisme romantique se définit comme spirituel et désenchanté ; sa poésie comme un élan, un effort vers le Beau, l'Idéal, le Sublime, ou le Divin, souvent entravé par la réalité, la laideur du monde. Les Méditations poétiques de Lamartine en 1820 miment ainsi une progression vers l'Idéal, l'élévation vers une consolation divine. Le lyrisme fut pour ces poètes du XIX siècle (Lamartine, Musset, Baudelaire, Les Parnassiens) un moyen de se démarquer de la poésie néoclassique qui était une poésie conventionnelle, fondée sur l'imitation des anciens, et la reprise de lieux communs, en conduisant la poésie vers l'intime, la subjectivité, et l'émotion. « Je n'imitais plus personne, je m'exprimais pour moi-même, ce n'était pas un art, c'était un soulagement de mon propre cœur, qui se berçait de ses propres sanglots. Je ne pensais à personne en écrivant ces vers si ce n'est à une ombre et à Dieu ». (in Préface des Méditations esthétiques de Larmartine) Cette révolution esthétique s'insinue dans la langue poétique qui devient le reflet des « mouvements lyriques de l'âme, [des] ondulations de la rêverie, [des] soubresauts de la conscience » (In préface aux petits poèmes en prose, le Spleen de Paris, de Baudelaire) , mais aussi d'un désir d'élévation : cette caractéristique ramène le lyrisme à sa première expression , celle d'une poésie chantée. Cette imprégnation romantique fait que l'on a eu malheureusement tendance à confondre le lyrisme avec l'expression du moi, or depuis Rimbaud, le lyrisme de l'altérité, et la poésie objective placent le sujet du poème hors du moi. C'est lui qui a imposé une définition plus large du lyrisme, celle de l'expression d'un sentiment personnel, d'une voix, qui aurait une tonalité affective sans pour autant confondre le sujet du poème avec le moi du poète.

•« Je est un autre » Dans la « lettre du voyant », du 15 mai 1871, Rimbaud prend ses distances avec la conception romantique de la poésie et formule ce que pourrait être une poésie future fondée sur l'idée d'altérité, de voyance. Il remet en question les fondements du cogito cartésien : le ‘je' en tant que fondement psychologique, en tant que fondement de toute pensée, de tout langage, ce ‘je' n'est plus le centre du poème. Si le sujet est comme transi par une vision qui le dépasse, la poésie accomplit alors une métamorphose du moi, mène au dépassement des bornes étroites de la subjectivité et à une exploration différente des possibilités que recèlent le langage. Si l'on doit imaginer un renouveau du lyrisme au 20ème siècle, ce n'est plus en terme de subjectivité, ni d'intériorité mais de projection et d'ouverture à l'autre. Le lyrisme de René Char est précisément lié à la question du partage, de la communication. Le poème, souvent, sur le mode de l'interpellation ou de la dédicace impulse l'éloge d'un TU souvent féminin. Les métaphores ou les allégories tentent de le rendre présent, de faire exister cet autre en le dotant d'une voix, fût-ce au prix de la disparition du sujet. Le poème n'est plus exclusivement l'expression d'un sujet, mais l'affirmation conjointe du lien et de la séparation qu'il y a entre le « je » et son (ou sa) destinataire, reléguant ce dernier dans une demi-obscurité à laquelle le ‘je' n'a pas accès, réservant un message ou un signe invisible, repoussant son apparition, et exerçant malgré son éloignement et son caractère inaccessible, un étrange pouvoir de fascination.

•Lyrisme et littéralité A la fin du 20ème siècle, le lyrisme reste néanmoins encore attaché de façon péjorative au romantisme. Dans les années 80-90, si beaucoup de poètes envisagent la poésie contemporaine comme l'expression d'un sentiment personnel et souhaitent un retour au chant lyrique, que se soit Lionel Ray, dans Les métamorphoses du biographes, ou Jean-Michel Maulpoix dans La voix d'Orphée, dans la même période se constitue un mouvement de résistance anti-lyrique avec Christian Prigent, animateur de la revue TXT qui dénonce « la béance baveuse du moi », en parlant du lyrisme. Jean-Marie Gleize, dans A Noir dénonce l'idéalisme, le subjectivisme au nom de la « littéralité » et d'un certain réalisme poétique (Suivant en l'héritage mallarméen qui annonçait la « disparition élocutoire du poète », le retrait du sujet lyrique par rapport au langage, puis la réflexion qui a animée la revue TEL QUEL de Philippe Sollers, la poésie à partir de 1960 met l'accent sur la littérarité, l'autonomie référentielle du poème) . Le lyrisme leur apparaît comme antagoniste au travail poétique c'est-à-dire au travail sur le signifiant et sur la littéralité de l'énoncé. Cette querelle oppose somme toute deux inconciliables : d'une côté, une poésie qui se veut l'expérience du monde, et l'expression des émotions d'un sujet, de l'autre, une poésie qui s'intéresse au langage et à ses possibilités phoniques, rythmiques, sémantiques. Il est plus intéressant en revanche de voir comment certains poètes contemporains, prenant acte de la crise du sujet, ont tenté de rapprocher lyrisme et réalité. Si le lyrisme est, selon l'expression de Baudelaire, «l'aspiration humaine vers une beauté supérieure », ne peut-on pour autant imaginer un lyrisme qui ne serait pas l'exaltation du sublime et de l'idéal, un lyrisme proche de la réalité, un lyrisme dépouillé de tout ornement ?



Céline Guillot

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Dernière mise à jour de cette page le 1 Novembre 2002 à 14h43.