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Montaigne, Essais, I, xl, sur les lettres d'Épicure et Sénèque.

“Sur ce sujet des lettres, je veux dire ce mot, que c'est un ouvrage auquel mes amis tiennent que je puis quelque chose. Et eusse pris plus volontiers cette forme à publier mes verves, si j'eusse eu à qui parler. Il me falloit, comme je l'ai eu autrefois [avec La Boétie], un certain commerce qui m'attirât, qui me soutînt et soulevât.” Et de conclure: mon entreprise en eût été mieux réussie et plus sûre.

“J'écris mes lettres toujours en poste [i.e. à la hâte], et si précipiteusement que, quoi que je peigne [i.e. écrive] insupportablement mal, j'aime mieux écrire de ma main que d'y en employer une autre, car je n'en trouve point qui me puisse suivre, et ne les transcris jamais. […] Celles qui me coûtent le plus sont celles qui valent le moins: depuis que [i.e. dès lors que] je les traîne, c'est signe que je n'y suis pas. Je commence volontiers sans projet; le premier trait produit le second.”

La Bruyère, “Des Ouvrages de l'esprit”, 37 (1689):

“Ce sexe [i.e. les femmes] va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste, que tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent; il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate; elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étaient correctes, j'oserais dire que les lettres de quelques-unes d'entre elles seraient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit.”

Diderot à Sophie Volland, 9 septembre 1767:

“Le bon style est dans le cœur; et voilà pourquoi tant de femmes disent et écrivent comme des anges, sans avoir appris ni à dire ni à écrire, et pourquoi tant de pédants diront et écriront mal toute leur vie, quoiqu'ils n'aient cessé d'étudier sans apprendre.”

Guez de Balzac à la marquise de Rambouillet: “grâces négligées et les ornements sans art, que les docteurs de connaissent point, et qui sont au-dessus des règles et des préceptes.” (“Suite d'une entretien de vive voix, ou de la conversation”, Œuvres diverses (1644), éd. R. Zuber, Champion, 1995).

Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs (1918):

“Ma grand-mère m'avait appris à en aimer les vraies beautés. […] Elles devaient bientôt me frapper d'autant plus que Mme de Sévigné est une grande artiste de la même famille qu'un peintre que j'allais rencontrer à Balbec et qui eut une influence si profonde sur ma vision des choses. Je me rendis compte à Balbec que c'est de la même façon que lui qu'elle nous présente les choses, dans l'ordre de nos perceptions, au lieu de les expliquer d'abord par leur cause. […] Je fus ravi par ce que j'eusse appelé plus tard (ne peint-elle pas les paysages comme lui les caractères?) le côté Dostoïevski des Lettres de Mme de Sévigné.”

Mlle de Scudéry, dans son roman Clélie (1654-1660) fait l'éloge des talents de Mme de Sévigné déguisée sous les traits de Clarinte: “J'oubliais de vous dire qu'elle écrit comme elle parle, c'est-à-dire le plus agréablement et le plus galamment qu'il est possible.”

Mme de Sévigné, à Mme de Grignan, 20 oct. 1677:

“comment? j'aime à vous écrire! c'est donc le signe que j'aime votre absence, ma fille: voilà qui est épouvantable.”

Jean-Philippe Arrou-Vignod, Le Discours des absents, Gallimard, 1993.



Marc Escola

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Dernière mise à jour de cette page le 29 Octobre 2007 à 19h27.