Atelier

  • L'émergence de la notion d'intertextualité, dans la mouvance du structuralisme, a pu être considéré comme une manière de « révolution copernicienne » : au lieu de faire dériver le texte de son origine, comme les études traditionnelles de sources et d'influences, on a commencé à penser l'origine à partir du texte, comme une des fonctions du texte. —> L'origine comme fonction textuelle?.

  • Si le texte est toujours-déjà engagé dans un jeu de relations intertextuelles qui fonde, garantit et « auctorise » sa littérarité, si l'origine est une fonction du texte, l'auteur ne nomme plus un texte mais une relation entre textes. Comme l'écrit J.-N. MARIE (« Pourquoi Homère est-il aveugle? », Poétique, 66, 1986) :
« Le temps de la littérature ne va pas seulement du passé vers l'avenir : il réactive sans cesse le passé, comme par un mouvement de navette qui, afin de tisser et d'étendre la pièce, doit d'abord revenir en arrière. Il n'y a pas, à vrai dire, de texte « passé » : il n'y a qu'un rapport présent entre les textes. L'Odyssée est dans la lecture-écriture qu'en donne Joyce, et lire les Aventures de Télémaque d'Aragon, c'est aussi réactiver, et mieux lire, le style et l'axiologie de l'ouvrage de Fénélon. C'est dans ce champ de relations qu'intervient l'auteur : en signant son texte, il ne s'assure pas la propriété de quelque chose dont il pourrait revendiquer l'origine; il signe l'acte par lequel il assume provisoirement une auctorialité qui n'existe que d'être échangée ou partagée. L'auteur, donc, donne son nom non pas à un texte, mais à une relation entre textes. »

  • Mais la « révolution intertextuelle » engage aussi, et peut-être d'abord, une redéfinition de l'identité et des limites du texte : —> Identité intertextuelle et limites de l'œuvre?.

  • La notion d'intertextualité engage en définitive une « refondation » de l'histoire littéraire?, dont il n'est pas sûr qu'elle ait encore eu lieu: l'histoire de la littérature peut idéalement se parcourir, non plus seulement de l'amont par l'aval pour déterminer les sources et influences, mais dans les deux sens, en entérinant le principe des « influences rétrospectives » et du:
—>Plagiat par anticipation/ —>Influence rétrospective. —> Intertextualité et histoire littéraire.

  • On ne remontera plus du texte vers une source qui l'expliquerait, comme d'un résultat vers sa cause, mais on posera que le texte nouveau existe déjà en puissance dans le texte premier il est aussi dès lors un commentaire (l'hypertexte est un métatexte, voir Intertextualité et transtextualité : les catégories de G. Genette). Ou dans les termes de S. RABAU (L'Intertextualité, Flammarion, GF-Corpus, 2002) :

« Un texte est porteur de son passé qu'il détermine plus qu'il n'est déterminé par lui ; inversement un texte est porteur de son future qu'il contient en puissance sinon en acte : la trace est trace du futur plus que du passé. » (p. 37)

« Ce n'est pas le texte premier qui détermine le texte second mais bien le texte second qui (re)donne accès au texte premier, comme pourrait le faire un commentaire. […] Sur un plan axiologique, l'auteur du texte second renégocie l'autorité et la valeur du texte premier, soit qu'il lui donne le statut de texte fondateur, soit qu'il le rétrograde au rang de simple précurseur d'un chef-d'œuvre, soit qu'il rende risible le texte sacré ou renforce l'autorité d'un texte qui n'avait pas grande valeur culturelle. […] La question n'est pas de savoir si La Fontaine et Molière ont été effectivement influence par Ésope et par Plaute mais bien de comprendre que le prestige accordé à ces deux auteurs antiques provient en grande partie du statut de précurseur de nos classiques. […] Sur le plan de la signification des œuvres, toute écriture intertextuelle détermine rétrospectivement le sens des textes précédents. Enfin, sur un plan quantitatif, le texte second met l'accent sur certains passages du texte premier et en passe d'autres sous silence. Tant par les relations de co-présence (choix d'une citation plus que d'une autre) que par les relations de dérivation (développement ou réduction d'un épisode), le texte second redistribue donc l'équilibre quantitatif du texte premier. […] Plus simplement, toutes les opérations hypertextuelles qui reposent sur l'exagération d'un trait de l'hypotexte — au premier chef la charge [Genette] — mettent en lumière des traits du texte, comme pourrait le faire une analyse littéraire [un commentaire]. » (p. 37).

  • La notion d'intertextualité suppose ainsi une théorie des textes possibles : le texte nouveau existe déjà en puissance dans le texte premier, on dira qu'il actualise un des possibles inscrits dans le texte premier dont il est finalement une variante. —> Intertextualité et textes possibles : poétique des possibles intertextuels.


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Marc Escola

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Dernière mise à jour de cette page le 18 Mai 2003 à 13h50.