Atelier


L'Analyse pragma-énonciative des figures. Journée CONSCILA du 19 octobre 2007

Michèle Monte, Université de Toulon, Babel EA 2649, ILF-CNRS UMR 6039

L'oxymore : figure syntactico-sémantique ou élément d'une stratégie para-doxique?



L'oxymore a ceci de particulier qu'il n'apparaît pas dans tous les traités de rhétorique sous le même nom : si Molinié (1992) en fait une sous-classe de la catégorisation non pertinente, s'opposant par son caractère très marqué à une autre sous-classe, l'alliance de mots, qui en serait « le mode élémentaire, le moins marqué », Dupriez (1980) n'en fait pas une entrée de son célèbre Gradus, lui préférant l'expression « alliance de mots » , qui, dit-il, consiste à « rapprocher deux termes dont les significations paraissent contradictoires » (c'est lui qui souligne). Il précise ensuite qu' « alliance de mots est une ellipse de la définition alliance de mots contradictoires » et que les deux termes, visant en langue des qualités opposées, sont avec cette figure appliqués au même objet, de sorte que « les vocables s'opposent dans leur sens hors contexte » mais « dans la réalité s'allient avec précision ». Dupriez prend d'ailleurs soin de distinguer l'alliance de mots à la fois du paradoxe (« les sens, écrit-il, ne sont pas incompatibles ») et de l'antithèse ou alliance d'idées qui exploite, en les entérinant, des oppositions lexicales soit pour référer à des notions ou procès que nos schémas de pensée ont coutume d'opposer, adossant ainsi la construction de l'opposition des référents en discours à des antonymies en langue, soit pour montrer qu'un référent ou qu'une situation est susceptible de points de vue opposés appartenant à des énonciateurs différents. Dans le cas de l'oxymore, au contraire, on pourrait dire en première approximation que c'est un même énonciateur qui assume simultanément les deux points de vue en dotant un même référent de propriétés d'ordinaire tenues pour contradictoires.
Dans sa classification, Fontanier (1830, rééd. 1968), pour sa part, ignore le terme « oxymore » mais définit une figure qu'il appelle le « paradoxisme » ou « alliance de mots » d'une façon tout à fait conforme à ce que seront plus tard les définitions de l'oxymore :
Le paradoxisme, qui revient à ce qu'on appelle communément alliance de mots, est un artifice de langage par lequel des idées et des mots, ordinairement opposés et contradictoires entre eux, se trouvent rapprochés et combinés de manière que, tout en semblant se combattre et s'exclure réciproquement, ils frappent l'intelligence par le plus étonnant accord, et produisent le sens le plus vrai, comme le plus profond et le plus énergique.(p.137)


Fontanier inclut le paradoxisme dans les tropes en plusieurs mots, au même titre que l'hyperbole ou la litote, au motif « qu'il ne pourrait, sans absurdité, être pris à la lettre », mais nécessite au contraire « un peu de réflexion » pour être compris. Mais ceci semble contredire assez directement l'insistance mise dans la définition sur le côté frappant de cette figure, ainsi que sur l'accord qui s'établit en contexte entre les mots d'ordinaire opposés. Il se livre ensuite à l'analyse un peu laborieuse de quelques exemples, afin de montrer précisément que l'alliance de mots aux signifiés contradictoires est ici parfaitement appropriée. Les nombreux exemples qu'il énumère ensuite montrent que l'alliance de mots, loin de se cantonner à l'association adjectif + substantif à laquelle nous a habitués l'exemple canonique de l' « obscure clarté », concerne des configurations syntaxiques variées. Mais alors que les manuels et dictionnaires récents situent le plus souvent l'oxymore au niveau de l'actualisation d'un référent par le moyen d'un syntagme nominal, les exemples de Fontanier concernent bien souvent des assertions complètes (Et loin dans le passé regarde l'avenir).
Ce parcours des hésitations des rhétoriciens met l'accent sur plusieurs points que, dans la perspective théorique définie par Alain Rabatel, nous nous proposons d'approfondir :
1. Nous tenterons de mettre à l'épreuve la différence entre oxymore et antithèse sous le rapport des points de vue en jeu et des entités qui les assument : en première approche l'oxymore semble rapporter à un point de vue unique des visions contradictoires d'un même objet ou procès. Il conviendra pourtant de vérifier que le locuteur tient bien la balance égale entre ces points de vue et qu'il les assume simultanément. Par ailleurs, dans la mesure où l'oxymore prend le contre-pied d'une doxa, nous tâcherons de voir si celle-ci est explicitement convoquée dans le contexte ou si elle reste à l'état d'implicite.
2. Fontanier attribue au co(n)texte un rôle crucial dans la perception oxymorique d'un référent ou d'un procès : grâce à lui, une expression qui serait une absurdité irrecevable apparaît dans des circonstances précises comme parfaitement appropriée. On ne saurait mieux indiquer la dimension pragmatique fondamentale de l'oxymore. Ceci nous conduit à une double interrogation. Peut-on identifier certains mécanismes (modalisations énonciatives notamment) grâce auxquels le cotexte inhiberait le jugement de contradiction que le récepteur pourrait être amené à porter ou la compréhension de l'expression repose-t-elle uniquement sur la compétence pragmatique du récepteur ? Par ailleurs peut-on trouver dans le cotexte des indices orientant le récepteur vers une valorisation de la figure (ce que Klinkenberg 2000 appelle la réévaluation scientifique) ?
3. L'oxymore est souvent conçu comme un phénomène local relevant d'une esthétique de la pointe mais le paradoxe apparent de l'expression ne s'inscrit-il pas au contraire dans une stratégie globale de la surprise, du pathos ou de la provocation ? Nous essaierons pour répondre à cette question d'apprécier la portée argumentative ou affective de cette figure au regard du dispositif énonciatif d'ensemble du discours où elle s'observe et d'articuler cette analyse à celle de l'éthos du locuteur.
4. Ceci nous conduira à nous interroger sur l'extension de l'oxymore en croisant cette interrogation avec celles portant sur son fonctionnement syntaxique et sa réception : quelles configurations syntaxiques facilitent la perception de l'oxymore, sa saillance ? l'oxymore cesse-t-il d'être prégnant lorsque les mots mis en rapport n'appartiennent pas à la même catégorie grammaticale ou ne sont pas contigus ? un discours entier peut-il être qualifié d'oxymorique sans qu'il s'agisse d'une simple facilité de langage ? existe-t-il des oxymores « filés » ?


Voilà quelques pistes que nous nous proposons de suivre. On voit qu'elles ont pour noyau essentiel deux interrogations :
- quels sont les points de vue mis en jeu par l'oxymore ? (point(s) de vue du locuteur premier, point de vue de la doxa, etc.)
- comment le cotexte (aussi bien dans sa configuration syntaxique que dans ses contours énonciatifs) facilite-t-il la réception de l'oxymore par le destinataire en inhibant le jugement de contradiction que susciterait l'oxymore pris in abstracto ?


Nous appuierons notre réflexion sur un corpus comprenant des textes argumentatifs et des textes poétiques. Encore en cours de constitution, il comportera pour les oeuvres poétiques le recueil Pièces de Francis Ponge et divers recueils de Philippe Jaccottet.


Bibliographie générale:


Cf. la présentation d'Alain Rabatel


Bibliographie spécifique:



Bonhomme Marc, 1989, « le calcul sémantico-pragmatique en rhétorique : le cas de l'oxymore », in Modèles du discours, Christian Rubattel (éd.), Peter Lang, Berne, p.279-302
Costentin Catherine, 2003, « Position structurale de l'oxymore dans la doctrine classique : apogée figurale d'une perfection paradoxale », Champs du signe n°17, p. 91-107



Michèle Monte

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Dernière mise à jour de cette page le 16 Septembre 2007 à 0h40.