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L'œuvre littéraire est-elle un monde possible? Par Françoise Lavocat

Ce texte doit paraître dans Problèmes de Théorie littéraire, volume dirigé par Sylvie Patron, contenant également des articles suivants:
Guillaume Perrier, «Narratologie et temps phénoménologique» ; Franck Bauer « L'hypothèse iconique » ; Laure Himy « Le style : un acte d'écriture ? » ; Michel Sandras « Réflexions sur la notion de langage poétique »: Martin Rueff « L'intention, c'est l'oeuvre » ; Florence de Chalonge : « La voix : métaphore ou concept dans les études littéraires ? » ; Sylvie Patron : « Sur l'épistémologie de la théorie narrative (narratologie et autres théories du récit de fiction) »: Chantal Liaroutzos :« Le chronotope et l'écriture de l'histoire » ; Gilles Philippe : «L'hypothèse d¹un discours sans destinataire est-elle pertinente ?».
Il est publié avec l'aimable autorisation de l'éditrice



L'œuvre littéraire est-elle un monde possible?

La question posée exige une clarification préalable. Il est devenu classique, depuis les années quatre-vingt, aux Etats-Unis, de se demander dans quelle mesure on peut considérer que les mondes fictionnels sont des mondes possibles. Or, un monde fictionnel ne ressortit pas obligatoirement au littéraire, et ce à plusieurs égards. Un monde de fiction, en effet, n'est pas toujours un artefact construit dans une visée esthétique[i]: il suffit de songer aux jeux des enfants[ii]. En outre, dans le domaine esthétique, les mondes fictionnels ne sont pas tous faits de mots[iii]. Enfin la fiction ne recouvre pas la totalité du champ littéraire: selon G. Genette, elle n'en est qu'un des modes, les genres poétiques relevant à son avis plutôt de la «diction»[iv].

Cette question implique donc non seulement de procéder à une réduction, mais d'accepter un déplacement. S'intéresser à la fictionnalité des œuvres littéraires, amène à envisager d'autres objets que ceux des théories narratologiques et structurales[v], et même précisément ceux qu'elles avaient disqualifiés, comme la référence[vi] ou le personnage. Il s'agit aussi de privilégier un autre échange interdisciplinaire que celui avec la linguistique et la psychanalyse, et se confronter aux propositions de la philosophie analytique et de la logique formelle, ce qui ne va pas sans difficultés ni conflits[vii]. Enfin, et cette question constitue plutôt l'horizon que l'objet de ce travail, il faudra s'interroger sur la littérarité des mondes de fiction littéraires, ou, en d'autres termes, se demander quel pourrait bien être l'apport d'une théorie des mondes possibles (peut-être aménagée) pour l'étude des textes littéraires.

Il convient d'abord de rappeler quelques éléments de la question controversée des mondes fictionnels comme mondes possibles. J'essaierai ensuite d'évaluer à quelles conditions et à quel prix on peut construire une théorie des mondes possibles compatible avec l'objet spécifique que constitue l'œuvre littéraire, en m'appuyant principalement sur les travaux de Thomas Pavel (1975, 1983, 1986), Marie-Laure Ryan (1991) et Ludomir Dolezel (1988, 1993, 1998)[viii]. Cependant, malgré les pistes tracées par ces auteurs, les outils d'analyse du texte littéraire inspirés de la sémantique des mondes possibles restent à forger.

Les mondes possibles de Leibniz, sont devenus très populaires dans les années soixnate-dix, après que des philosophes, en particulier Saül Kripke (1963) en eurent fait le fondement axiomatique de la logique modale. Leibniz, dans la troisième partie de la Théodicée, dans le passage consacré au rêve de Théodore, prêtre de Delphes, définit comme mondes possibles les chambres-bibliothèques d'une pyramide infinie qui contient toutes les versions et variantes possibles de la vie de Sextus Tarquinus s'il avait choisi d'écouter le conseil de Jupiter de renoncer au trône. Au sommet de la pyramide se trouve le plus beau des mondes, le meilleur des mondes possibles, le monde tel qu'il est. Cette séduisante fiction, qui corrobore l'intuition commune selon laquelle le monde aurait pu être différent, à des degrés variables, de ce qu'il est, qu'un petit événement aurait pu changer le cours des choses (on pense à Smoking/No smoking de Resnais…) est à l'origine de malentendus fondateurs. Chez Leibniz, les mondes possibles non actualisés existent bel et bien, dans l'esprit infini de Dieu. Ils ne sont pas créés, mais découverts par des esprits hors du commun, ce qui les met à la portée du poète, du génie. La vieille distinction aristotélicienne entre l'historien, qui dépeint les choses telles qu'elles ont été, et le poète, qui les peint telles qu'elles auraient pu être[ix], l'élaboration à l'âge classique du concept de vraisemblance, rendent l'exploitation par la théorie littéraire de la notion de monde possible faussement évidente et, somme toute, assez banale. Elle semble flatter l'intuition constitutive de l'illusion mimétique, ou plutôt le paradoxe de la représentation elle-même, selon laquelle les êtres et les univers de fiction existent indépendamment des phrases qui les décrivent[x]. Il est d'ailleurs certain que tout ce que la critique structuraliste considérait comme le propre d'une lecture naïve, l'infamante «illusion référentielle», la tendance obstinée du lecteur à faire «sortir du papier» les personnages[xi], est réhabilité par les théoriciens contemporains de la fiction. Le questionnement sur la nature ontologique des êtres de fiction, l'examen des processus mentaux par lesquels le lecteur ou le spectateur accepte l'immersion dans un univers de fiction prennent pour point de départ ce type de lecture[xii]. La notion de«monde possible», défini, de façon minimale, comme une «alternative crédible du monde réel», entretient en effet des affinités avec toutes les approches de la fiction comme illusion. Elle séduira aussi bien les lecteurs de Don Quichotte que ceux des romans du dix-neuvième siècle, qui offrent sans aucun doute les personnages les plus pleins, les plus consistants, les plus à même, comme Mme Bovary, Anna Karenine, à bondir hors du papier, jusqu'à émigrer, quelques fois dans d'autres œuvres – c'est le phénomène de «transfictionnalité»[xiii]. Les romans du dix-neuvième siècle sont d'ailleurs si bien construits, ou «meublés» pour reprendre la terminologie de Thomas Pavel (1986), qu'on pourrait considérer, par exemple, que La Comédie Humaine est bien une alternative crédible du monde réel au milieu du dix-neuvième siècle, au point d'en être la réplique exacte, avec comme petit changement, «changement local», l'introduction d'une centaine de personnages fictifs. La Comédie humaine décrit le monde du milieu du dix-neuvième siècle tel qu'il aurait pu être si un individu comme Rastignac, et quelques autres, avaient vu le jour (Pavel, 1983). Mais une telle interprétation, outre qu'on ne voit pas très bien ce qu'elle apporte à la lecture de la Comédie Humaine, risque bien de réactiver la vieille conception de la littérature comme mimèsis. Elle ressortit en tout cas d'une compréhension de la «possibilité» comme vraisemblance, ce qui rend la théorie des mondes possibles inutilisable pour des pans entiers de la littérature.

Il faut revenir à la notion de possibilité et à quelques aspects simples de la définition, par la logique modale, des mondes possibles, pour tenter d'évaluer de façon plus rigoureuse leur éventuel caractère opératoire pour la littérature.

La logique modale moderne a emprunté à Leibniz la notion des mondes possibles pour analyser le concept de nécessité et la valeur de vérité des propositions. Soit par exemple, la proposition A, «Il est nécessaire que 2 et 2 soient quatre», et B, «il est nécessaire que Socrate ait le nez camus», A est vrai parce que 2 et 2 sont 4 dans tous les mondes possibles, et B est faux, parce qu'on peut concevoir un «état de choses», dans un monde possible, où Socrate aurait eu un nez d'une forme différente[xiv]. Une proposition est possible, si elle est vraie dans au moins un monde; elle est nécessaire si elle est vraie dans tous les mondes possibles. Dans une conception kripkéenne des mondes possibles, un «monde» est une construction abstraite. Il est un ensemble d'états de choses; ou plus exactement un ensemble de propositions formant des descriptions d'états consistants (c'est-à-dire non contradictoires) et complets (un monde est «complet», si on peut toujours dire de toutes les propositions qui le composent qu'elles sont soit vraies soit fausses). La possibilité est une relation liée à la notion «d'accessibilité»: un monde M2 est possible pour M1 s'il est «accessible» à partir de celui-ci, s'il y a une relation entre M1 et M2, qui sont alors «compossibles», c'est-à-dire l'un et l'autre possibles. Par exemple, il y a un monde possible où je serais en train de dormir au lieu d'écrire un article, un autre où je l'aurais rédigé en latin, etc, qui sont compossibles avec le monde actuel; mais le monde possible où je suis dans mon lit n'est pas compossible avec un monde où je n'existerais pas. Pour la plupart des logiciens, le monde possible M2 est la réplique du monde actuel, M1, à un «changement local» près (ici, par exemple, le maintien du latin comme langue scientifique…). Notre monde actuel est donc entouré par une infinité de mondes possibles, chacun étant à son tour le monde de référence d'une nouvelle constellation de mondes possibles. La sémantique des mondes possibles formalise les relations d'accessibilité entre ces mondes. Les mondes possibles ne sont pas préexistants, comme dans la conception leibnitzienne, ils ne sont pas découverts au moyen de puissants télescopes, ils sont stipulés[xv]. Cette hypothèse, depuis les années 70, s'est révélée extrêmement féconde dans toutes sortes de disciplines, comme dans les théories de la décision, la physique, les sciences naturelles. On peut par exemple stipuler un monde possible où les lois du mouvement seraient différentes et étudier quel serait alors le développement des espèces. La seule limite à la stipulation des mondes possibles est la violation du principe de non-contradiction, le changement des lois de la causalité elle-même[xvi]. Les mondes possibles sont des outils puissants pour la théorisation empirique parce qu'ils fournissent des modèles alternatifs de l'univers et des scénarios contrefactuels (si les circonstances avaient été autres, d'autres événements se seraient produits).

Cependant, le statut des mondes possibles est rien moins que clair, chez les logiciens eux-mêmes. Certains, comme Kripke, insistent pour ne pas les essentialiser (ce qui explique que Kripke n'a pas mis en avant l'origine leibnizienne du concept), car le mot de «monde» ne renvoie qu'à un modèle mathématique, à propos desquels il n'y a pas lieu de poser la question ontologique. D'autres, en revanche, accordent aux mondes possibles et au monde actuel des statuts ontologiques variés, qui vont de l'existence physique de tous les mondes possibles (sorte de mondes parallèles, autonomes), comme le stipule David Lewis (1978), à une forme d'existence particulière, mentale. Nicholas Rescher (1973), par exemple, estime que le statut existentiel du non-réalisé est d'être pensé, d'être dépendant de l'esprit. Nelson Goodman (1979) au contraire, dans un relativisme radical, estime qu'il n'y a pas de mondes possibles, dans la mesure où aucun n'est accessible à partir du monde actuel, qui est pure contingence. Sans rentrer plus avant dans le détail de ces théories[xvii], il faut signaler que la question plus générale du statut du non-existant, des êtres non actuels, dont ressortissent les êtres de fiction, a une longue histoire, depuis Platon, mais a été réactivée au début du siècle par le débat entre Alexis Meinong et Bertrand Russell. Meinong (1904) estime que les objets non existants ont une référence, mentale, en opposition avec Fregge (1892), Russell (1905), et la plupart des philosophes analytiques contemporains[xviii], pour lesquels les objets non existants n'ont pas de référence, ce qui revient à exclure la fiction du champ du questionnement philosophique (en tout cas pour Fregge et Russell). Les théories qui s'inspirent de cette position sont appelées, depuis Pavel (1986), «ségrégationnistes», dans le sens où ils n'accordent d'existence qu'à l'univers réel, par opposition aux théories «intégrationnistes», qui estiment pertinent de s'interroger sur la logique de la fiction, sur la référence et le statut ontologique des êtres de fiction[xix].

La question de la référence des êtres de fiction est cependant lâchement reliée, à tout le moins chez Thomas Pavel, à celle des œuvres de fiction comme mondes possibles. La position de Thomas Pavel est en effet révélatrice d'une difficulté. Sa postulation «d'univers de fiction» s'appuie sur des théories plutôt excentriques par rapport à la tradition analytique, comme celle de Meinong et de Lewis[xx]: ce dernier en vient en effet à contester toute différence de statut entre le monde actuel et les mondes possibles, chaque monde possible étant le monde actuel d'autres mondes possibles, qui existent au même titre que lui[xxi]. Cela revient à peu près à adopter le point de vue de Don Quichotte.Or, si une des propriétés de la fiction est bien de mettre en œuvre des stratégies de brouillage entre le réel et l'imaginaire, la distinction entre l'actuel et le non-actuel relève bien d'une compétence culturelle communément partagée, qui n'est réellement mise en défaut que lorsque l'on a affaire à une volonté délibérée de tromper (c'est le cas par exemple de la fausse biographie de Marbot par Wolfgang Hildesheimer[xxii]). Cet outillage théorique au coût exorbitant, fabriqué pour asseoir la dignité ontologique des êtres et des univers de fiction, ne permet pourtant pas à Thomas Pavel de faire des œuvres de fiction des mondes possibles. Il propose en effet de considérer la théorie kripkéenne des mondes possibles comme un «modèle distant», et d'envisager le concept de monde possible de façon «souple», pour qu'il puisse être exploité par la théorie littéraire[xxiii]. On peut se demander si, même «assoupli», le concept s'est finalement à ses yeux révélé pertinent, puisqu'il l'a abandonné dans ses ouvrages ultérieurs, comme celui sur l'imagination classique, L'art de l'éloignement (1996) ou, plus récemment, dans La pensée du roman (2003). Dans le premier, il semble bien que le concept «d'univers de la fiction» se soit dilué dans celui, plus vague, d'imaginaire (c'est précisément ce que reproche Dorrit Cohn à la notion contemporaine de «fiction»[xxiv]). Le second, qui s'intéresse notamment au rapport du roman à l'éthique, a peut-être été en partie inspiré par une réflexion à partir des catégories modales, mais l'appareil logique a disparu. Le concept de «monde possible» doit-il être utilisé de façon si peu satisfaisante par la théorie littéraire qu'il vaut mieux l'abandonner? Dans l'affirmative, on se demande quel pourrait alors bien être le fondement théorique de la notion d'«univers de la fiction» et si ce n'est pas l'ensemble de l'approche contemporaine de la fictionnalité, et surtout l'apport novateur de la logique formelle et de la philosophie analytique dans la théorie littéraire qui seraient invalidés, ou en tout cas considérablement fragilisés.

Il faut donc examiner quelques uns des points de fracture entre la notion de monde possible, prise dans l'acception communément reçue chez les logiciens, et l'œuvre littéraire, définie comme un ensemble de propositions décrivant un certain état de choses. Les difficultés majeures, plusieurs fois relevées et diversement résolues, ou laissées en suspens[xxv] concernent la nature de la relation entre M1 (monde actuel, ou «monde primaire», dans la terminologie de Pavel, ou encore univers de référence) et M2 (l'œuvre littéraire, ou univers secondaire). Un des enjeux essentiels de cette question est de savoir si la théorie des mondes possibles n'est pas un détour pour refonder la vieille théorie de l'œuvre d'art comme mimesis. Le deuxième problème concerne la qualité de M2, dans le cas spécifique où M2 est constitué par un ensemble d'énoncés linguistiques. Il est alors malaisé, à première vue, de lui appliquer les traits définitoires des mondes possibles stipulés par la logique. L'objection classique à l'idée d'un monde possible textuel est que celui-ci n'est pas obligatoirement consistant (on peut donner des exemples d'œuvres de fiction contradictoires), et qu'il est généralement incomplet. Bien des propositions dans une œuvre de fiction restent en effet indéterminées, ne sont ni vraies ni fausses[xxvi]: on ne peut répondre à des questions du genre «Pantagruel avait-il les yeux bleus?», si le texte ne le spécifie pas explicitement, pour la bonne raison que Pantagruel n'existe pas.

Le premier problème concerne la relation d'accessibilité entre M1, univers actuel, et M2, monde ayant pour propriété d'être textuel et fictionnel. Thomas Pavel l'envisage essentiellement sur le mode mimétique, en identifiant univers actuel et univers de référence. Il juge, à partir d'une généralisation du concept d'allégorie qu'il emprunte à Paul de Man[xxvii], que cette relation entre M1 et M2 est d'ordre allégorique: le lecteur, à son avis, ne fait pas une opération de l'esprit très différente lorsqu'il identifie un personnage avec une faux comme la Mort, et lorsqu'il reconnaît en Mr Pickwick les qualités de l'anglais moyen réellement existant[xxviii]. On peut rejeter cette proposition pour deux raisons. En premier lieu, si l'allégorie, comprise évidemment dans une acception plus étroite est bien une modalité de la référence (dont ressortit à mon avis, par exemple, la lecture à clef), il ne me semble pas possible de l'assimiler à la référence en elle-même: l'allégorie suppose la plupart du temps un jeu avec un code exogène à l'œuvre qui enveloppe une part de secret. En revanche, il n'est pas nécessaire de déchiffrer Mr Pickwick. Même si on admet, avec Catherine Kerbrat-Orecchioni que la référence est un trope, qui ressortit à la métaphore[xxix], il s'agit encore d'une opération foncièrement différente de celle qu'implique l'allégorie. Mais là n'est pas l'essentiel. En deuxième lieu, en effet, il me paraît douteux que lire consiste à associer Mr Pickwick, être de fiction particulier, à une somme de traits généraux partagés par une classe d'individus ayant réellement existé[xxx]. La comparaison que fait encore T. Pavel, entre cette relation est celle que décrit Kendall Walton, avec ses jeux de faire-semblant, n'est pas non plus satisfaisante. Croire qu'Anna Karénine existe en dehors du papier, est-ce vraiment la même chose que ce que fait un enfant, qui décide que pendant le jeu, les pâtés de sable seront des tartes aux fraises? Il me semble que la tendance à l'hypostase, ou à l'essentialisation du personnage de fiction, de la part du lecteur ou du spectateur, ressortit d'un mécanisme assez différent que celui du jeu d'enfant, où un objet réel (dans l'exemple cité) sert de support, d'analogon à une construction imaginaire[xxxi].

La solution à ce problème ne réside pas dans un retour aux théories de la non-référence ou de l'auto-référence: outre qu'elles sont en elles-mêmes problématiques (Kerbrat-Orecchioni 1982), elles ne sont pas à même de rendre compte de la fictionnalité[xxxii].

Une des solutions consiste plutôt à dissocier monde actuel et monde de référence, à postuler la pluralité des mondes de référence de l'univers de fiction, dont certains lui préexistent et d'autres sont construits par lui. Je propose de considérer que le propre d'un univers textuel de fiction est 1) de construire les objets auxquels il réfère, 2) de dissimuler sa fictionnalité, 3) de générer par la lecture une infinité de mondes possibles.

La dissociation entre univers actuel et univers de référence, qui permet d'échapper à une restauration pure et simple d'une théorie mimétique et qui rendrait compte, en même temps, du dualisme de la fiction (artefact qui ne se donne pas comme tel, non existant qui se donne comme existant) pourrait consister, comme le propose M-L Ryan, à distinguer trois mondes actuels[xxxiii]. Le monde actuel dans le lequel nous sommes nés et où se situe l'émetteur; le monde actuel du texte;l'univers de référence du texte (ou somme des mondes projetés par le texte) où se situe le lecteur implicite. La relation d'accessibilité entre ces mondes peut-être, selon M-L Ryan, de différentes sortes, que l'on peut inventorier. Les différents types de compatibilité et d'incompatibilité entre monde actuel et monde actuel du texte, monde actuel et monde de référence du texte, monde actuel du texte et monde de référence du texte servent de fondement à une théorie des genres. Cette théorie admet une définition plus large de la possibilité que celle des logiciens, mais elle la comprend toujours en termes d'accessibilité. La définition de l'œuvre de fiction non comme monde possible mais comme monde actuel textuel prend en compte la pseudo-réalité des êtres de fiction.

On pourrait faire remarquer que la proposition selon laquelle l'œuvre de fiction, définie comme monde actuel textuel, est entourée de mondes possibles est susceptible de plusieurs interprétations. Une voie consiste à considérer que les mondes possibles du texte sont réalisés par d'autres textes qui en inventent des suites, des variantes, des reprises, ce qui est bien étudié actuellement, notamment sous le terme de «transfictionnalité» (qu'il faut bien distinguer, cependant, des simples phénomènes de reprises, d'adaptation). Mais les mondes possibles de l'œuvre sont aussi les mondes rêvés, souhaités, stipulés par les personnages. Mme Bovary en produit un grand nombre; on pourrait peut-être imaginer une typologie des œuvres selon la capacité des personnages à produire des mondes imaginaires alternatifs au monde actuel de l'œuvre, et selon quelles modalités.Les mondes possibles de l'oeuvre sont aussi les développements de l'intrigue possibles, ceux que la narration suscite et abandonne en chemin. La lecture peut en effet se décrire par la génération d'une infinité de mondes possibles incessamment construits, déconstruits, remodelés, abandonnés[xxxiv]. On peut aussi envisager un type d'analyse du texte qui examinerait de quelle façon, à quels moments, le texte prévoit la production de ses mondes possibles[xxxv].

Mais si l'on voit assez bien en quoi pourraient consister les mondes possibles du texte, reste à expliquer comment l'œuvre construit son propre univers de référence, ce qui est la pierre de touche qui permet de parler d'un monde actuel du texte, d'accorder une forme d'existence –une existence dans la fiction– aux êtres textuels et une valeur de vérité aux propositions fictionnelles. On pourrait s'en tenir, comme le fait Catherine Kerbrat-Orecchioni, pour laquelle l'idée selon laquelle un énoncé linguistique pourrait ne référer à rien est tout simplement absurde, à remarquer que l'identification d'un texte de fiction comme tel serait impossible, si l'on ne pouvait le confronter au monde actuel, enregistrer l'écart avec le monde de l'expérience: il faut bien pour cela construire un référent textuel[xxxvi]. Mais l'idée d'une référence construite par le texte, par les théoriciens de la fiction (Pavel, Ronen) se prévaut généralement des nouvelles théories de la référence de logiciens comme Kripke, Putnam et Donellan[xxxvii]. Ceux-ci postulent que la référence ne doit plus être définie seulement en termes de descriptions identifiantes (Socrate = le grand philosophe grec). Un terme peut fixer la référence indépendamment de l'essence de la chose ou de ses propriétés essentielles. La démonstration passe par la définition des noms propres comme désignateurs rigides, c'est-à-dire que Socrate réfère à l'individu Socrate dans tous les mondes possibles, même ceux où il n'aurait pas été philosophe, et par l'exemple de mots dont l'extension a varié selon l'époque ou les connaissances scientifiques (Eau = H20; satyre = un dieu, une bête, une fable selon les époques, etc). Pour les théoriciens de la fiction, cette disjonction entre le mot et les propriétés identifiantes de la chose ou du concept auquel il réfère autorise à postuler que chaque contexte discursif peut associer à un terme un ensemble de propriétés variables. La similitude entre les mondes possibles et les univers de fiction réapparaît: de même que je peux stipuler un monde où Socrate n'aurait pas été philosophe, je peux imaginer un monde où Paris comporterait des rues, des habitants qui n'ont jamais existé.

Je plaiderais pour ma part pour une théorie qui prendrait en compte, qui formaliserait si possible, l'hétérogénéité de la référence du texte littéraire. Je rejoins ici T. Pavel pour une conception de la référence en termes de degrés[xxxviii], de variantes prenant en compte les contraintes génériques et l'évolution des systèmes de croyances. Le texte littéraire fictionnel peut en effet à la fois créer son propre univers de référence (dans lequel le Forez, par exemple, est la patrie des bergers, et Céladon le plus parfait berger de la contrée), référer à des univers préexistants, textuels ou non (pour l'Astrée, la mythologie classique, l'historiographie de la Renaissance, les œuvres de Pétrarque…), et référer au monde actuel de l'auteur, sous la forme allégorique, ou au moyen de clefs. Il est cependant probable que le propre de la fiction peut-être défini comme la création d'un univers de référence autonome. Il me paraît passionnant d'examiner en détail, par exemple, comment l'œuvre de fiction s'affranchit des différentes modalités de la référence allégorique, entre la Renaissance et l'âge classique, ou comment les êtres mythologiques ou fabuleux changent de statut, ce qui se marque par le passage d'un monde à l'autre (fictionnels, féeriques), dont on peut dire, dans la terminologie de Marie-Laure Ryan, que leurs relations d'accessibilité avec le monde actuel et le monde textuel de référence sont très différentes.

Il est temps d'essayer de répondre à la question posée.

Si rien ne limite la stipulation de mondes possibles, mis à part le respect des principes de la causalité et de non-contradiction, on ne voit pas très bien pourquoi l'œuvre littéraire ne pourrait pas être un monde possible. Il suffirait d'admettre que les univers faits de texte ne sont pas de même nature que les univers postulés par l'esprit, et qu'ils ont des caractéristiques propres, dont, notamment l'incomplétude. On pourrait même, comme l'a montré Thomas Pavel (1983) considérer que l'incomplétude n'est pas seulement l'indice de la pauvreté ontologique des univers de fiction, mais est un des effets esthétiques majeurs du texte littéraire (le fait de savoir si Lady Macbeth a des enfants ou non est savamment rendu indécidable par le texte, et n'est pas indifférent à l'interprétation de celui-ci)[xxxix]. La question de la clause de non-contradiction est plus difficile à éliminer. Ludomir Dolezel, qui estime en 1985 que les procédures poétiques transcendent les lois de la logique, et qu'on peut donc parler de mondes possibles contradictoires, change de cap en 1988, estimant que les fictions contradictoires (comme La Maison du rendez-vous de Robbe-Grillet) s'auto-annulent, et ne sont plus à proprement parler des fictions. Qu'est-ce, en effet, à proprement parler qu'une fiction contradictoire? Les féeries, les mondes de science-fiction[xl], régulièrement cités à ce sujet[xli], ne le sont pas. On peut en effet très bien postuler un monde possible où les lois de la nature sont différentes: les physiciens le font bien! Ces mondes qui se dotent de règles propres apparaissent même comme particulièrement construits, autonomes et séduisants. Il y a également des mondes, fantastiques par exemple, dont le principe est la transgression de règles tacitement empruntées à l'univers ordinaire. Mais un univers inconsistant, où l'on affirmerait, en effet, A et non A, que la même Cendrillon, au même moment, va au bal et ne va pas au bal, ne représenterait plus aucun état de choses.

Il est cependant de nombreuses fictions, en particulier à la Renaissance, où la contradiction affecte la voix auctoriale, dans une variante du paradoxe du menteur, qui affirme à la fois qu'il ment et qu'il ne ment pas[xlii]. La modernité est également familière de ces jeux. Faut-il considérer, avec Dolezel (1985) «qu'il est impossible de construire un monde impossible fictionnellement authentique»? Mais si le propre de la fiction est justement de dissimuler sa nature, quoi d'étonnant à ce qu'elle exhibe quelquefois sa dualité? Les théoriciens de la fiction ont souvent cherché à définir la fictionnalité comme un opérateur modal en intension[xliii], c'est-à-dire qu'il affecterait le sens et la valeur de vérité des propositions qu'il introduirait (comme «il est possible que», «il est nécessaire que»). C. Kerbrat-Orecchioni note qu'on n'en trouve pas de traces textuelles («il était une fois» n'est qu'une convention). Je propose de considérer que le paradoxe la forme que prend, de façon non systématique mais récurrente, la fictionnalité comme opérateur.

Construire une théorie de l'œuvre littéraire comme monde possible a le mérite d'apporter des réponses satisfaisantes à la question ontologique que posent les êtres de fiction, et d'offrir des textes une approche assez nouvelle. Elle articule une théorie de la lecture (sans laquelle on ne peut pas décrire les effets de la fiction) et une attention extrême aux stratégies du texte, dans la construction de ses univers de référence et de ses possibles. Cela permet de poser autrement la question du style, de la littérarité des univers de fiction, sans pour autant réduire, comme le voudraient Dorrit Cohn (1999) et Gerald Prince (1983), la fiction à un récit, ce qui reviendrait à écarter la question ontologique, qui est le propre de l'approche que je propose d'adopter.

Mais si l'on trouve plus économique, en termes conceptuels, de ne pas considérer chaque œuvre de fiction comme un monde possible, ce qui évite aussi de focaliser l'attention sur une structure duelle pauvre (univers primaire, le réel, univers secondaire, l'œuvre d'art), on pourra partir de la proposition de Marie-Laure Ryan, que je reformulerai ainsi: définir l'œuvre littéraire de fiction comme un monde actuel textuel, environné de ses mondes possibles et ses univers de référence, certains crées par lui, d'autres lui préexistant. Je préférerais réserver le terme «d'Univers de la fiction» à de vastes constellations de mondes textuels avec leurs satellites, comme l'Arcadie, l'Utopie, la Science-fiction, ensembles qui transcendent la notion de genre et entretiennent des relations d'accessibilité spécifiques avec le monde réel.

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[i] Marie-Laure Ryan s'inscrit en faux contre les théories «panfictionnelles», selon lesquelles tout discours relève du fictif. Elle souligne qu'en ce qui concerne les fictions littéraires, la fictionnalité ne constitue nullement la littérarité du texte. Une théorie de la fiction n'est pas une théorie esthétique (1984; 1991; 1999; 2001).

[ii] Le parallèle entre les jeux enfantins et la fiction est récurrent, surtout depuis Kendall Walton (1998) et Jean-Marie Schaeffer (1999). Pour une critique de la notion de «feintise ludique», en tant qu'elle repose sur une théorie de l'œuvre comme mimesis, voir N. Murzilli (2001) et la réponse de M-L Ryan (2001).

[iii] Nelson Goodman (1979) s'intéresse essentiellement à des mondes fictionnels picturaux. Les jeux video constituent pour Jean-Marie Schaeffer un exemple privilégié, et il s'emploie à distinguer les modalités d'immersion différentes selon que le «dispositif fictionnel» relève du livre, du théâtre, du cinéma ou d'un support numérique (1999).

[iv] La diction recouvre la littérature qui s'impose par ses caractéristiques formelles, alors que la littérature de fiction, serait celle qui s'impose «par le caractère imaginaire de ses objets» (1991, p. 31).

[v] Il existe cependant plusieurs tentatives de concilier narratologie et théorie de la fiction, dont la plus récente et la plus aboutie est sans doute celle de Ludomir Dolezel (1998). Mais les théories postulant la clôture du texte et se situant dans le sillage d'une conception saussurienne du langage me semblent difficilement conciliables avec les perspectives inspirées de la philosophie analytique. Pour une critique de ces théories, voir Descombes (1983); Dolezel (1998, p. 5); Bremond et Pavel (1998).

[vi] En 1983, P. Brooks note déjà la lassitude le retour massif, dans le champ théorique, de la question du référent.

[vii] Cette confrontation, les enjeux et les impasses de l'approche obligatoirement interdisciplinaire que constituent les mondes possibles ont été remarquablement décrits et analysés par Ruth Ronen (1998).

[viii] La question des noms propres, que je n'aborderai pas ici, a constitué un terrain d'échanges et de confrontations privilégié entre philosophes analytiques et théoriciens de la littérature. Dans le dernier chapitre («Who's who dans La Comédie Humaine»), de son ouvrage sur l'objet (1983) V. Descombes propose une réflexion sur le statut des noms propres dans l'œuvre balzacienne, qui s'élargit à plusieurs propositions sur les univers de fictions textuels.

[ix] «Ce n'est pas la tâche du poète de dire ce qui s'est passé, mais le genre de choses qui auraient pu se passer, ce qui est possible selon la possibilité ou la nécessité» (Poétique, IX, 1).

[x] F. Martinez-Bonati montre que la représentation ne fonctionne efficacement que lorsqu'elle se confond avec son objet. Elle n'est plus perçue comme représentation, mais comme son objet représenté. Le paradoxe n'est pas inhérent au langage, mais au phénomène de la représentation. Dans le cas des représentations artistiques, il n'y a qu'une semi-transparence de la représentation (1981, p. 24-25).

[xi] Roland Barthes (1970); Philippe Hamon (1977).

[xii] Thomas Pavel (1986), Kendall Walton (1990) et Jean-Marie Schaeffer (1999). C'est aussi le point de départ de tout ceux qui s'intéressent au «paradoxe de la fiction», c'est-à-dire à la capacité des êtres non-existants à produire en nous des émotions. C. Radford prend justement l'exemple d'Anna Karenine (1975).

[xiii] Richard Saint-Gelais (2000; 2004).

[xiv] Tel est l'exemple développé dans l'article «Semantics, Possible Worlds», de la Routledge Encyclopedia of Philosophy, ed. Edward Craig, Routledge, 1998.

[xv] Selon le mot de Kripke, 1972, 1982 (trad. française),

[xvi] Russel (1905).

[xvii] Je renvoie pour cela, notamment, à Thomas Pavel (1986) et à Ruth Ronen (1994)

[xviii] W. V. Quine (1953), V. Descombes (1983) par exemple. Voir aussi R. Howell (1979).

[xix] Cette distinction concerne aussi la question très débattue des frontières de la fiction. M.-L. Ryan (1999) réinterprète les termes de l'opposition entre ségrégationnisme et intégrationnisme au moyen de l'opposition entre un modèle «digital» (opposant fiction et discours référentiel) et analogique (selon lequel «la relation entre le code de la fiction et le code du discours référentiel est d'ordre inclusif»), plus proche de la perception commune. Elle adopte, avec des nuances, une position favorable au modèle «digital».

[xx] Pavel, 1986, p. 65, p. 71.

[xxi] Lewis (1978). Voir aussi Schmidt (1984): dans sa perspective, la distinction entre réalité, fiction littéraire et non-littéraire est purement conventionnelle.

[xxii] Cet exemple a retenu l'attention de Dorrit Cohn (1991; 2001 trad. française, ch. V, p. 125, sq), et de Jean-Marie Schaeffer, 1999, ch 3, p. 133, sq. Il est également mentionné par M.-L. Ryan (1999) et R. Saint-Gelais (2001).

[xxiii] 1986, trad. française 1988, pp. 67-68.

[xxiv] 2001, ch. 1, «La fiction, une mise au point», p. 11, sq. Paul de Man généralise le concept d'allégorie, notamment, dans Allegories of Reading (1979).

[xxv] Par Pavel (1986), Ronen (1994), Dolezel (1998).

[xxvi] La question de la valeur de vérité des propositions fictionnelles a également fait couler beaucoup d'encre; voir notamment Lewis (1978) et Dolezel (1980).

[xxvii] 1986, trad. française 1988, p. 79.

[xxviii]

Ibid., p. 51.

[xxix] 1982, p. 38, sq. C. Kerbrat-Orecchioni propose de considérer «le trope fictionnel» (qui concerne le statut du référent discursif) comme «un cas particulier d'énallage de modalité». C'est une piste pour la définition de la fiction comme opérateur modal.

[xxx] Pour la critique de ces théories qualifiées de pseudo-mimétiques, voir L. Dolezel, 1988, p. 477, sq.

[xxxi] Cela ne signifie pas que je dénie l'apport de l'approche cognitiviste dans les théories de la fiction, ni que je ne sois convaincue de la parenté profonde de la fiction avec le jeu. J'estime seulement que ce parallèle ne résout pas la question de la référence des êtres non-existant.

[xxxii] Voir Florence de Chalonge (2004).

[xxxiii] Dans la terminologie de M.-L. Ryan, le monde actuel (AW pour «actual world»); l'univers textuel (TAW: «textual actual world») et l'univers référentiel (TWR: «textual world referential»). Elle pose ensuite un certain nombre d'axiomes: il n'y a qu'un monde actuel (AW); l'émetteur, l'auteur est toujours situé en AW; TAW est présenté comme une image d'un monde TRW qui existe indépendamment de TAW; tout texte a un lecteur implicite qui est toujours situé en TRW. Elle décrit ensuite trois types de divorce: TAW peut ne pas bien refléter AW; TRW peut ne pas être identique à AW; TAW peut être plus ou moins incompatible avec TRW (1991, p. 24).

[xxxiv] Umberto Eco (1979).

[xxxv] Cette voie a été déjà esquissée par Michel Charles (1995). C'est aussi dans cette direction que travaille actuellement Marc Escola.

[xxxvi] Kerbrat-Orecchioni, 1982, p. 33.

[xxxvii] Ronen, 1994, p. 41, sq.

[xxxviii] Pavel parle de «degrés d'être», 1986, p. 43.

[xxxix] C'est aussi un des fondements de la théorie de la lecture de W. Iser (1971; 1976).

[xl] Plusieurs théoriciens de la fiction, comme R. Saint-Gelais par exemple, sont spécialistes de la littérature de science-fiction.

[xli] Sur la difficulté que posent les mondes «impossibles» de la fiction: Pavel, 1986, p. 67; Ronen, 1994, p. 31.

[xlii] Pour l'usage des paradoxes comme opérateurs de fictionnalité dans les mondes fictionnels de la Renaissance (arcadiques, utopiques et picaresques), voir F. Lavocat (2004). Richard Saint-Gelais (2001) évoque les dispositifs paradoxaux dans Jacques le Fataliste et Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo Calvino (1979).

[xliii] Cette proposition soulève évidemment de nombreuses difficultés. La proposition «il est fictionnel que» définit certes le statut de la référence et la valeur de vérité des objets qu'elle introduit, mais ne permet pas de construire des systèmes logiques à l'instar des opérateurs modaux classiques, comme «il est possible» et «il est nécessaire que».

[xliv] De même que cet article se veut, modestement, une introduction à la théorie des mondes possibles dans leur relation aux théories de la fiction, cette bibliographie ne vise nullement à l'exhaustivité: je renvoie pour cela à R. Ronen (1994), L. Dolezel (1998), T. Pavel (1986) et G. Prince (1987). Je remercie ces deux derniers pour m'avoir aidée et encouragée dans cette voix.




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Dernière mise à jour de cette page le 15 Juillet 2009 à 17h55.