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De l'effet de réel (Roland Barthes, 1968) au récent "effet-valeur" de Vincent Jouve (voir le compte-rendu de Jean-Louis Jeannelle), déjà auteur en 1992 d'un Effet-personnage, en passant par l'Effet-fiction (Mireille Calle-Gruber, 1989), le terme a pris de plus en plus d'importance dans le discours théorique comme si effectivement il n'était plus possible de parler simplement de fiction, de personnage ou de réel. La fortune du concept tient évidemment à une prise en compte maximale du rôle constitutif du pôle de la lecture dans les composantes qui définissent l'identité d'un texte.

Le concept s'inscrit à la fois dans une tradition rhétorique et phénoménologique. En 1977, Michel Charles réévalue la perspective rhétorique du point de vue du lecteur et définit une "rhétorique de la lecture", c'est-à-dire "une théorie du discours mais [...] du discours en tant qu'il est reçu, ou à recevoir, de telle ou telle manière. Disons une théorie du discours comme effet" (Rhétorique de la lecture, p. 79). En 1976, Wolfgang Iser publie sa "théorie de l'effet esthétique" (L'Acte de lecture) qui propose l'approche d'une grande question philosophique par des méthodes d'inspiration phénoménologiques. Mais si l'ensemble des théories de la réception, dont les travaux d'Iser font partie, sont tournées vers le lecteur dans son interaction avec le texte, l'inspiration phénoménologique d'Iser le fait considérer la lecture bien plus comme un acte que comme un effet. Car la phénoménologie est précisément fondée sur le refus de distinguer entre les choses et leurs effets, entre le noumène et le phénomène. Pourtant, Iser emploie le terme d'"effet esthétique", signalant ainsi, au-delà de la perspective phénoménologique proprement dite, la nécessité d'élargir l'étude des textes pour incorporer, justement dans la définition de l' "esthétique" (ce qui le distingue du Lector in fabula d'Umberto Eco qui évite expressément la question de l'esthétique et de la littérarité), l'action du texte sur le lecteur. Paradoxe intéressant : ce n'est qu'en "littéraire" et non pas en "phénoménologue", que l'on parle d'effet, même si c'est pour inaugurer une phénoménologie de la lecture.

C'est ainsi que l'apparente homogénéité des formules recouvre parfois des différences non négligeables.

L'effet de réel de Barthes marque déjà syntagmatiquement une différence signifiante. C'est en rhétoricien que Barthes s'intéresse à l'effet. L'accent n'est pas mis sur l'expérience du réel - l'effet-réel - qui s'offrirait au lecteur par le biais de tel ou tel mécanisme textuel, mais sur le texte comme producteur de simulacres (on pourrait presque dire d'effets spéciaux). Barthes n'invente pas la formule en vue de constituer une poétique du réel - comme Jouve met en place une poétique du personnage et une poétique des valeurs - mais comme argument en faveur d'une théorie non-mimétique du discours. Et cette intention de départ change la donne. Une formule comme l'effet-personnage (ou l'effet-fiction) identifiant la chose et son effet, a une portée beaucoup plus phénoménologique.

Or la relation d'identité qui s'établit malgré tout lorsqu'on lit la formule de Barthes ("l'effet de réel" mène facilement à "le réel est un effet") s'établit indirectement au prix d'une altération de l'un de ses termes. En effet affirmer que le réel est un produit du texte (n'est qu'un effet) n'a pas les mêmes conséquences que d'affirmer que le personnage - entité littéraire par définition - est la somme de procédés sémiologiques. La formule de Barthes présuppose alors une critique du réel et de la représentation dont les conséquences dépassent les analyses de Jouve et celles de Calle-Gruber. Ni la notion de personnage, ni celle de fiction ne sont intrinsèquement minées par leur définition en termes d'effet, mais simplement réévaluées. Dans l'énoncé de Barthes, le réel, parce qu'hétérogène justement à l'univers de la fiction littéraire, est nié au profit de l'effet, c'est-à-dire effet uniquement textuel. "L'effet de réel" prend alors paradoxalement valeur d'un manifeste historique que, imitant une formule célèbre du même auteur, l'on pourrait de façon polémique reformuler ainsi : la mort du réel.



Dominique Vaugeois

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Dernière mise à jour de cette page le 11 Mars 2011 à 10h09.