Atelier




Qu'est-ce que l'autofiction? par Joël Zufferey (Université de Lausanne)

Extrait (Avant-propos) de : L'Autofiction: variations génériques et discursives, Academia, coll. "Au coeur des textes", 2012 (p.5-14).
Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur.




Qu'est-ce que l'autofiction?[1]


La question n'est pas nouvelle, elle a d'ailleurs quasiment accompagné la naissance du néologisme, et la critique s'est très vite affairée à y donner réponse. Mais les définitions proposées varient et l'on ne cesse de les renouveler. Certains affirment, par exemple, qu'elle est la version post-freudienne de la représentation discursive de soi. Pour qui lui prête cette origine, l'autofiction est née d'une perte, celle du jugement lucide et désintéressé du sujet aux prises avec son passé. On la proclame alors avatar moderne de l'autobiographie, genre à jamais ruiné, puisque frappé d'une suspicion qui mine la sincérité sur laquelle il repose. D'autres y voient plus de neuf: l'autofiction est alors une invention postmoderne. Ainsi Vincent Kaufmann met ici en évidence, dans sa contribution sur la littérature s'offrant en spectacle, le système médiatique dans lequel sont pris aujourd'hui les auteurs: amenés à faire acte de présence sur la scène médiatique, à dévoiler l'intime aux caméras, à faire aveu, ils inscrivent le spectacle au cœur de la représentation de soi, la fiction de l'authentique au cœur de l'autobiographie. Envisagée dans ce contexte culturel, l'autofiction constitue un genre d'écriture réflexive affecté par la résiliation postmoderne du réel, à la limite par l'abolition de toute donnée transcendante au langage. Affirmer sur soi ne semble plus guère possible, et la description rétrospective du sujet s'avère au mieux un «jeu de langage». On le comprend, la vérité ne sanctionne plus l'adéquation aux faits et l'autofiction s'érige, là encore, en formule instruite et éclairée que l'on substitue à la naïve autobiographie, idéal de naguère.

Sans en rester au matériau langagier, l'expertise sémiologique a même fait perdre sa puissance d'attestation à la photographie; Dominique Kunz Westerhoff construit, dans son étude, des corrélations entre «autofiction» et «photofiction», pour rendre à la représentation photographique l'épaisseur symbolique qui lui est spécifique. Elle finit par examiner l'intrication des catégories voisines (autofiction/photofiction), qui fondent l'écriture des Années composé par Annie Ernaux à partir de photos absentes de la publication: le texte se fait alors la trace d'une représentation iconique (absente) de l'absent. Le domaine de l'autofiction trouve ici un nouvel horizon, élargi à des formes d'expression imprévues. Naturellement, d'autres approches du genre ont vu le jour, s'inscrivant parfois dans des univers conceptuels hétérogènes, jusqu'à bousculer les écrivains eux-mêmes. Entre amour et haine, les prises de position de la part des auteurs sont en effet nombreuses. Parmi les auteurs étudiés ici, A.Ernaux refuse par exemple, avec insistance, d'inscrire son œuvre sous le régime de l'autofiction (ce qui n'empêche pas D.Kunz Westerhoff et J.Zufferey d'envisager, respectivement Les Années et Passion simple, sous cet angle…). Mais une position originale est certainement celle adoptée par Éric Chevillard. Gaspard Turin remarque que Chevillard, tout en exhibant le caractère autofictionnel de ses livres, monté en titre (L'Autofictif; L'Autofictif voit une loutre; L'Autofictif, père et fils), refuse d'étaler sa vie, se retire de ses textes et tend même à suspendre son engagement énonciatif; et de fait, lorsque le «je» subsiste, il dénote un sujet absurde, irréalisable et donc irréel. G.Turin y voit les signes d'un investissement ironique, «par dérision» de l'autofiction qui s'offre à l'auteur comme un domaine de liberté poétique peu codifié.

Dans une perspective d'analyse (et non plus de production), l'étiquette «autofiction» est appliquée, dans la diversité de ses usages, à une collection généralement ouverte de textes; et la préférence accordée à telle ou telle définition du mot vise à justifier leur réunion sous une même enseigne. Établir les critères définitoires de l'autofiction ne consiste ainsi pas simplement à intervenir dans le domaine abstrait de la sémantique lexicale (fixer le signifié d'un mot). Il s'agit en fait d'un choix critique qui a pour implication ultime de circonscrire, éventuellement de manière floue, une série d'objets, pour nous un ensemble de textes. On peut remarquer que la démarche générale de l'examen procède de manière circulaire: l'assignation au vocable d'un contenu sémantique, naturellement informée par la fréquentation des textes, régit l'extension de la catégorie, de sorte que l'examen des textes éclairera finalement le principe de cohérence qui les réunit en classe. À chaque définition de l'autofiction correspond donc une liste d'objets spécifiques et, partant, une analyse qui devra être ajustée au domaine d'observation. Le phénomène peut être illustré à partir des positions à certains égards antagonistes du premier Doubrovsky[2] et de V.Colonna.

Doubrovsky, on le sait, est le père du néologisme qu'il a créé en réaction à une typologie du récit homodiégétique qu'avait proposée Ph.Lejeune. Dans son Pacte autobiographique (1975), Lejeune croisait deux paramètres devant servir à classer les récits en première personne: l'identité onomastique de l'auteur et du personnage, d'une part, et l'explicitation en zone péritextuelle d'un contrat de lecture autobiographique ou romanesque, d'autre part. Le tableau suivant prenait forme:


Pacte \ Nom du personnage

différent du nom de l'auteur = 0 = nom de l'auteur
romanesque ROMAN ROMAN X
= 0 ROMAN Indéterminé AUTOBIOGRAPHIE
autobiographique X AUTOBIOGRAPHIE AUTOBIOGRAPHIE
(Lejeune (1975) 1996: 28)


Deux intersections sont jugées impraticables, ce que l'auteur signifie en ombrant les cases qui leur correspondent. La case aveugle de droite, qui a été appelée à la carrière que l'on connaît, faisait l'objet d'un commentaire qui, déjà, ouvrait prudemment une perspective:

Le héros d'un roman déclaré tel, peut-il avoir le même nom que l'auteur? Rien n'empêcherait la chose d'exister, et c'est peut-être une contradiction interne dont on pourrait tirer des effets intéressants. Mais, dans la pratique, aucun exemple ne se présente à l'esprit d'une telle recherche. Et si le cas se présente, le lecteur a l'impression qu'il y a erreur. (Lejeune (1975) 1996: 31)

Doubrovsky, travaillant alors à la rédaction de son récit Fils, découvre ces lignes qui trouvent à ses yeux le sens d'une interpellation. Son œuvre en cours, remarque-t-il, fait concrètement écho à l'impossibilité théorique de la nomenclature[3]. Il entreprend alors d'investir, par son écriture, cet espace paradoxal en instaurant l'identité onomastique (auteur = narrateur = personnage), fondatrice d'un discours homodiégétique sérieux (non fictionnel), tout en refusant explicitement, dans un prière d'insérer, le pacte factuel qui revient de droit à la relation autobiographique:

Autobiographie? Non, c'est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style. Fiction, d'événements et de faits strictement réels; si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. Rencontres, fils des mots, allitérations, assonances, dissonances, écriture d'avant ou d'après littérature, concrète, comme on dit musique. Ou encore, autofriction, patiemment onaniste, qui espère faire maintenant partager son plaisir. (2001: 10)

Tel est le contexte de première apparition du terme «autofiction». La fabrication du mot-valise procède par la réunion de deux morphèmes (auto-; fiction) que vient justifier un double refus des catégories discursives impliquées: refus de la fiction romanesque par opposition à «auto-», et de l'autobiographie par opposition à «-fiction». L'autofiction se distingue par conséquent de l'autobiographie et du roman, tout en conservant cependant certains aspects de ces deux genres que la formule tout de même intègre. Cette double tension, trop souvent réduite à un seul de ses aspects, apparaît bien dans les propositions de Raphaël Baroni qui soutient que l'autofiction peut servir tantôt à authentifier le roman réaliste contemporain, tantôt à conférer, par la logique narrative, une valeur générale à l'anecdote autobiographique. Le rejet réciproque des catégories (auto-; fiction) nous apparaît finalement donc très relatif, puisque c'est par leur réunion dans une opération d'hybridation qu'est généré le nouveau genre. Il est donc possible de soutenir que l'autofiction est et à la fois n'est pas, mais de manière toujours partielle et selon des proportions variables, autobiographie et roman. Ce sont ces modalités variées de l'autofiction qui nous intéressent et que nous nous proposons de faire valoir.

Toute l'originalité de la création doubrovskienne provenait de ce que les catégories censées fonder l'autofiction étaient perçues comme incompatibles. La force innovante de l'autofiction tenait ainsi de la synthèse qu'elle opérait entre les opposés. Près de dix ans après la publication du Pacte autobiographique, Lejeune s'est à nouveau penché sur les conditions du contrat de lecture et a reconnu que l'identité onomastique (A=N=P) ne constitue pas un critère bien tranché:

J'ai eu tendance à durcir en une opposition de «tout ou rien» l'organisation d'un axe sur lequel figurent en réalité bien des positions intermédiaires. (1983: 421)

Cet aspect, qui concerne naturellement aussi l'autofiction, nous importe. Il est clairement problématisé dans les réflexions de Christine Le Quellec Cottier et de Jérôme Meizoz qui portent sur des écrivains antérieurs à la postmodernité, respectivement Cendrars et Céline. Pour ces derniers, l'identité d'auteur s'élabore dans un projet d'écriture, et le pseudonyme (Blaise Cendrars; Ferdinand Céline) finit par l'emporter sur le patronyme (Frédéric Sauser; Louis Destouches), même dans le domaine civil. L'identité onomastique procède de l'acte poétique par lequel Cendrars et Céline, chacun à sa manière, se constituent une personne (persona), se font auteurs. De son côté, Daniel Maggetti nous montre que Catherine Safonoff fait valoir, dans ses œuvres consacrées à l'écriture du moi, «le caractère fragmentaire et hétérogène d'une identité instable et constamment remise en cause». Elle joue, pour cela, avec le contrat de lecture impliqué par différents genres tels que le journal, la lettre, le monologue; mais ce sont surtout les modalités de la désignation qui semblent affecter l'identité: que ce soit par la réduction du prénom à l'indice d'une initiale – «C» naturellement –, mais aussi par les variations morphologiques de la personne (JE vs ELLE) et, plus radicalement encore dans Au nord du Capitaine (2002), par la prise en charge momentanée de la personne énonciative par une figure autre. On en conclut que le paradoxe de l'autofiction, lié au paramètre onomastique, n'apparaît pas toujours, dans les textes, avec le même tranchant que la théorie poétique a pu donner à penser par la formulation d'une alternative (A est ou n'est pas N).

Doubrovsky a cependant toujours tenu au cadre contractuel qui installe l'autofiction et n'a jamais situé la part de la fiction dans la référence, déclarée sérieuse et authentique par l'auteur: «fiction, d'événements et de faits strictement réels». Laissée à l'initiative d'associations peu contrôlées, la gestion du dire, plutôt que la chose dite, instaure la fiction du discours. Le verbe, ici, précède la chose et même la «conçoit» en lui donnant forme. Doubrovsky s'explique:

Si l'on délaisse le discours chronologico-logique au profit d'une divagation poétique, d'un verbe vadrouilleur, où les mots ont préséance sur les choses, se prennent pour les choses, on bascule automatiquement hors narration réaliste dans l'univers de la fiction. (1988: 69)

Cette acception de l'autofiction entre dans ce que L.Jenny (2003) nomme «la définition stylistique», selon laquelle «indépendamment de la véracité des faits racontés certains caractères stylistiques du discours suffisent à créer ce qu'on pourrait appeler un effet de fiction». De cette caractérisation conceptuelle de la notion s'ensuit une délimitation étroite des objets susceptibles d'intégrer la classe dénotée. Outre Fils, Jenny mentionne notamment Sujet Angot (Ch.Angot) qu'il se propose de verser dans le lot. Ce sont justement alors des remarques stylistiques —les procédés d'écriture par associations libres, nés de la réflexion psychanalytique— qui servent de justification à l'intégration du texte dans l'ensemble de l'autofiction. Un autre fait stylistique, sans lien direct avec les phénomènes de discontinuité verbale habituellement rattachés à l'autofiction, sera mis en évidence par Joël Zufferey dans son étude de Passion simple; il montrera que, chez Annie Ernaux, le dispositif formel de l'itération altère l'identité du sujet et instaure une dimension fictionnelle dans l'écriture de soi.

Mais, en distinction de la méthode stylistique, Jenny évoque une deuxième perspective théorique sur l'autofiction, qui intervient sur un plan référentiel. Cette approche est représentée en particulier par les positions théoriques de V.Colonna. Selon lui, dans l'autofiction, «l'écrivain est au centre du texte comme dans une autobiographie (c'est le héros), mais il transfigure son existence et son identité» (2004: 75). Et en fonction des modalités de transfiguration qu'elle met en œuvre, l'entreprise autofictionnelle se trouve infléchie, dit-il, vers des processus discursifs distincts, tels que le fantastique, le biographique, le spéculaire, etc. On remarque ici le choix d'une voie clairement opposée à celle empruntée par Doubrovsky qui s'attachait à laisser intacte la donnée référentielle ou du moins à ne pas fonder la dimension fictionnelle sur sa déformation volontaire[4]. Le principe de cohérence, mais aussi l'étendue de la catégorie proposée par Colonna apportent un changement profond par rapport aux vues établies par Doubrovsky.

Partant de l'idée que la description, de soi ou d'un autre, a pour condition fondamentale l'opération énonciative d'un sujet, la représentation tend, dans la perspective référentielle, à être assimilée à une projection éminemment personnelle. L'exercice du dire, l'énonciation, bien plus que les contenus descriptifs eux-mêmes, porte à la communication l'expérience de l'auteur qui se donne, à la limite, comme une expérience «absolument» singulière. Il n'y a alors qu'un pas, que l'idéologie postmoderne a allègrement franchi, pour soutenir que la subjectivité du locuteur fait écran au monde, au point de faire perdre au langage le pouvoir de sortir de lui-même et de transcender son épaisseur signifiante. Ainsi privé d'accès aux objets et aux événements, le discours resterait confiné dans l'univers subjectif de l'énonciateur. Et l'activité langagière ne pourrait donc fournir, en deçà de toute référence objective, qu'une image de son origine énonciative. Parler du monde ou d'autres choses fictionnelles reviendrait à parler exclusivement de soi, à se saisir dans l'autre ou l'autre dans soi, de sorte que tout discours se donnerait, par son ancrage énonciatif, d'une certaine manière comme autobiographique[5]. François Rosset montre que Sollers pense effectivement se retrouver dans l'autre: raconter Sade, Casanova ou Mozart c'est «être» Sade, Casanova ou Mozart; cette identification repose sur une opération langagière éminemment consciente, qui maintient la présence de l'énonciateur dans son discours quel qu'en soit l'objet: dire l'autre consiste alors à représenter des attitudes fondamentales du moi. C'est un investissement subjectif analogue, mais dans une quête esthétique très différente, que Muriel Pic cerne chez Pierre Michon. L'élaboration de la phrase michonienne engage pleinement le sujet dans le dire, qui travaille ainsi à se mettre en tension identitaire avec celui qu'il dit. Michon recherche, par un processus d'empathie avec les figures qu'il décrit, l'autre en lui-même, il devient ainsi l'autre et, par cette opération affective vécue dans le langage, devient auteur.

L'inclination de certains auteurs à un subjectivisme plus ou moins radical confère à la catégorie de l'autofiction telle que la conçoit Colonna (et peut-être au-delà de ses prévisions) une étendue extrêmement large. Si «dire» revient à «se dire», l'autofiction tend à s'assimiler à la multitude indéfinie et faiblement caractérisée des récits homodiégétiques. Et s'en tenir rigoureusement, dans cette version subjectiviste de l'autofiction, au principe de l'identité onomastique ne réduit guère, de manière significative, le domaine d'analyse. La liste des œuvres concernées demeure très étendue; Lecarme (1997) mentionne pour exemples Remise de peine (Modiano), Bratislava (Nourissier), W ou le Souvenir d'enfance (Perec), etc. En conformité avec ses critères de définition, Colonna poursuit l'inventaire en ajoutant notamment de Cyrano, Dante, Apulée, faisant ainsi éclater la pertinence historique et esthétique de la classe.

On le remarque ici, que ce soit dans l'approche stylistique ou référentielle de l'autofiction, la définition initialement posée détermine la classe des objets qui sont à examiner, ainsi que le type d'observations qui doit permettre de justifier l'unité de la catégorie. Il y a bien, comme nous l'avons indiqué, circularité de la méthode; mais le mouvement n'est pas pour autant vicieux. Cette circularité est même une condition normale de la recherche en sciences humaines où il revient au théoricien d'élaborer non seulement ses modèles descriptifs (ou interprétatifs), mais aussi les objets pour lesquels il se propose de fournir une description-interprétation. Reconnaître cette circularité de la méthode impose cependant au chercheur de ne pas laisser croire, dans l'exposé de ses résultats, à une démarche strictement objective qui consisterait à cerner de la pertinence dans un matériaux d'observation externe à la théorie. Il convient, contre un tel aveuglement épistémologique, d'expliciter les présupposés théoriques (i.e. le sens attribué à l'autofiction), mais surtout d'énoncer en quoi ces derniers régissent la sélection d'un corpus, c'est-à-dire la constitution d'un observable. Cette attitude critique vise, à terme, certainement pas à élire la meilleure définition, mais à investir et dégager certaines variations de l'autofiction sur les plans générique, sémantique et stylistique. Il ne s'agit donc pas pour nous de prendre un parti, de plaider pour telle ou telle théorie de l'autofiction, mais d'examiner, dans une perspective descriptive, quelques pratiques variées de l'autofiction et de s'interroger sur les enjeux de sens qui leurs sont liés.

Compte tenu des observations qui précèdent, il ne nous revient pas de demander si telle œuvre de P.Michon, É.Chevillard, A.Ernaux ou Ph.Sollers «est» autofictionnelle, mais s'il y a un intérêt à l'«envisager comme» autofictionnelle. Et dès les premières contributions – celles de Christine Le Quellec Cottier et de Jérôme Meizoz –, la question portera sur des œuvres antérieures à 1977 et à la création du mot «autofiction». Interroger la pertinence de l'autofiction modifie radicalement les données du problème tel qu'il est posé habituellement. Il ne s'agit plus de traiter l'autofiction comme un genre intrinsèquement fondé, mais d'en faire une collection de textes que vient, au mieux, justifier le choix d'une perspective d'analyse. C'est dans cette voie que s'engage explicitement Jérôme Meizoz qui, proposant une étude de Mort à crédit, parle de «dynamique autofictionnelle»; il évite ainsi de rigidifier la catégorie et de tomber dans le piège typologique: Céline fait-il ou ne fait-il pas de l'autofiction? Les études réunies ici n'ont donc aucunement pour ambition de fixer les limites du genre (il est ce que l'on y met), ni d'énumérer la liste des œuvres qui en ressortissent (l'exercice ne pourrait être achevé et resterait arbitraire). En d'autres termes, l'autofiction ne représente pas l'objet final de notre étude, elle fait plutôt office dans notre travail de concept heuristique; elle sert de cadre particulier à travers lequel nous choisissons d'examiner certains textes, décision critique que doivent cependant justifier les résultats de chaque analyse en fournissant une contrepartie formelle ou herméneutique à la catégorie.


Joël Zufferey (Université de Lausanne)

Pages de l'Atelier associées: Autofiction, Ecritures de soi, Fiction, Case aveugle.

Références bibliographiques

Ouvrages littéraires

Doubrovsky S. 2001 (1977): Fils, Paris, Gallimard, coll. Folio.

Ouvrages théoriques et critiques

Colonna V. (2004): Autofiction & autres mythomanies littéraires, Mayenne, Tristram.

Doubrovsky S. (1988): «Autobiographie/vérité/psychanalyse», in Autobiographiques: de Corneille à Sartre, Paris, PUF, pp.61-79.

— 1993: «Textes en main», in Autofictions & Cie, RITM, 6, Doubrovsky S., Lecarme J. & Lejeune Ph. (dirs.), Paris, pp.207-217.

Gasparini Ph. (2008): Autofiction: une aventure du langage, Paris, Seuil.

Jenny L. (2003): «L'autofiction» [en ligne], Université de Genève [consulté le 6.6.2010]. Disponible sur Internet: www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/index.

Lejeune Ph. 1996 (1975): Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, coll. Points.

— 1983: «Le pacte autobiographique (bis)», Poétique, 56, Paris.

— 1993: «Autofictions & Cie: Pièce en cinq actes», in Autofictions & Cie, Doubrovsky S., Lecarme J. & Lejeune Ph. (dirs.), RITM, 6, Paris, pp.5-16.



[1] Cet ouvrage est la suite donnée à un colloque qui s'est tenu à l'Université de Lausanne en novembre 2010. La publication des actes a été rendue possible grâce au soutien financier accordé par la Faculté des Lettres et par l'Université de Lausanne. Nous remercions enfin très cordialement Elsa Neeman qui a travaillé avec soin et dévouement à la mise en forme de l'ensemble.

[2] Philippe Gasparini (2008) a montré que la position de Doubrovsky à l'égard de l'autofiction a évolué: d'un concept purement descriptif, justifié sur le plan stylistique, il en a fait par la suite une catégorie poétique, un genre éventuellement.

[3] Doubrovsky en informera ultérieurement le poéticien par lettre: «Je me souviens, en lisant dans Poétique votre étude parue alors, avoir coché le passage… J'étais alors en pleine rédaction et cela m'avait concerné, atteint au plus vif. Même à présent, je ne suis pas sûr du statut théorique de mon entreprise, ce n'est pas à moi d'en décider, mais j'ai voulu remplir très profondément cette “case” que votre analyse laissait vide, et c'est un véritable désir qui a soudainement lié votre texte critique et ce que j'étais en train d'écrire, sinon à l'aveuglette, du moins dans une demi-obscurité… (Lettre à Ph. Lejeune (1977), in Lejeune 1993: 6).

[4] Doubrovsky a lui-même souligné la divergence des perspectives: «Ma conception de l'autofiction n'est pas celle de Vincent Colonna, “œuvre littéraire par laquelle un écrivain s'invente une personnalité et une existence, tout en conservant son identité réelle (son véritable nom)”. La personnalité et l'existence en question ici [dans le Livre brisé] sont les miennes, et celles des personnes qui partagent ma vie. Je m'en tiens toujours à la définition que j'ai proposée pour Fils: “Fiction, de faits et d'événements strictement réels”» (1993: 212-3).

[5] On peut relever une telle influence postmoderne chez de nombreux auteurs; ainsi dans les propos tenus par J.-M.G.Le Clézio à l'occasion d'un entretien publié dans le Nouvel Observateur (n°1995): «En vérité, j'ai le sentiment de n'avoir jamais rien écrit d'autre, depuis Le Procès verbal, que des autobiographies» (2003: 56).



Joël Zufferey

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Dernière mise à jour de cette page le 22 Mai 2012 à 11h31.