Atelier

Devenue une notion phare de la théorie littéraire depuis les années 1960, l'ironie a connu une redéfinition double: d'une part,dans le domaine linguistique, elle a fait l'objet d'études très précises, d'autre, elle s'est diluée dans les études littéraires, jusqu'à ne plus désigner que l'arbitraire du critique interprétant l'oeuvre. Pourtant, son caractère d'outil de lecture rétrospective est bien au coeur même de sa définition.Comme l'a montré W. Benjamin, elle devient avec les romantiques allemands, la notion qui désigne la façon dont la littérature se structure en époques et en genres par une construction critique.Ce caractère nous oblige alors à garder une certaine vigilance envers toutes les théories qui attribuent l'ironie en propre à un genre. Lukacs lui-même est revenu sur sa définition du roman ironique, en soulignant combien elle devait à la pensée romantique. Si l'on définit l'ironie comme le propre du roman, la conception polytphonique du roman aboutit à une tautologie, selon le schéma circulaire que révèle Jean-Marie Schaeffer dans La Naissance de la littérature . La question ouverte par l'utilisation de l'ironie comme notion d'analyse critique est celle de toutes les études littéraires: comment articuler une notion et une oeuvre, et a fortiori une notion programmatique et un corpus antérieur?

Dans le domaine de l'histoire littéraire, les questions portent sur l'évolution du sens du mot, mais aussi sur la construction historique des formes littéraires incarnant l'ironie.

L'évolution historique de la notion a été étudiée par E. Behler qui distingue 4 formes d'ironie selon les périodes historiques: ironie socratique (du dialogue), ironie classique (rhétorique), ironie romantique (liée à l'oeuvre et au monde), ironie post-moderne (doute généralisé). Cette étude fondamentale laisse néanmoins ouverts deux problèmes: d'une part, l'articulation de la notion aux oeuvres de la même période, d'autre part, la transmission des conceptions de l'ironie entre différentes périodes et le retravail d'une même conception par différents penseurs. On peut ainsi émettre l'hypothèse que l'ironie romantique n'a jamais été clairement comprise parce qu'elle a été étudiée selon des présupposés hégéliens, alors même que Hegel n'a reconnu la place de la notion que pour la critiquer afin d'éloigner sa propre conception de la dialectique du risque de cette négativité infinie.

Il manque encore des outils pour comprendre les liens entre l'évolution du sens de la notion et sa pratique littéraire. Enfin, un domaine de recherche encore relativement inexploré est celui de l'ironie dramatique : comment passe-t-on de la notion aristotélicienne de la péripétie à celle de l'ironie du sort et de l'histoire ? L'ironie tragique. Cette étude permettrait d'explorer des conceptions du temps qui varient, et de réexplorer l'idée proposée par Ricoeur d'une littérarité de notre imaginaire de l'intrigue. Ici, le modèle dramatique aurait influencé la lecture de la ligne temporelle.

La difficulté est que trop souvent l'historicité de la notion est biffée, non seulement dans sa construction théorique, et ses représentations, mais dans sa pratique littéraire et comme phénomène social. En prenant en compte ces divers éléments, l'ironie oblige à inscrire la littérature dans un fonctionnement plus général de la parole.

Marie de Gandt

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Dernière mise à jour de cette page le 30 Avril 2005 à 10h56.