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Dossier historia et Poiesis

Cette page est une annexe de l'article Histoire et narrativité. Autour des chapitres 9 et 23 de La Poétique d'Aristote.

On pourra aussi consulter la page Historia et Poiesis: les chapitres 9 et 23 de La Poétique d'Aristote.


Les chapitres 9 et 23 de La Poétique d'Aristote sont souvent cités par les historiens et les théoriciens de la littérature.

Dans ces deux chapitres, Aristote exclut du champ de la poésie mimétique un type de récit qu'il désigne par le terme historia.


On compare ici les traductions des termes historia, historikos, mimèsis, et muthos proposées par J. Hardy, Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Michel Magnien et Gérard Genette.


  • Aristote, La Poétique, traduction de J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1932; cité dans l'édition préfacée par Philippe Beck, Paris, Gallimard, coll. «tel», 1996.

  • Aristote, La Poétique, texte, traduction, notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Éditions du Seuil, coll. «Poétique», 1980.

  • Aristote, La Poétique, traduction de Michel Magnien, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, coll. «Classiques de poche», 1990.

  • Gérard Genette, Fiction et diction, précédé de Introduction à l'architexte, Paris, Éditions du Seuil, collection «Points Essais», 2004.


Mimèsis, muthos, mimeisthai


Examinons d'abord les traductions des substantifs muthos et mimèsis et du verbe mimeisthai d'après un extrait du chapitre 9 (1451 b 27 – 29).


Hardy (op.cit., p95):

«[…] le poète doit être artisan de fables [tôn muthôn poiètèn] plutôt qu'artisan de vers, vu qu'il est poète à raison de l'imitation [kata tèn mimèsin] et qu'il imite [mimeitai] les actions.»

Dupont-Roc et Lallot (op.cit., p67):

«[…] le poète doit être poète d'histoires [tôn muthôn poiètèn] plutôt que de mètres, puisque c'est en raison de la représentation [kata tèn mimèsin] qu'il est poète, et que ce qu'il représente [mimeitai], ce sont des actions.»

Magnien (op.cit., p99):

«[…] le poète doit être poète d'histoires [tôn muthôn poiètèn] plutôt que de vers, d'autant qu'il est poète en raison de l'imitation [kata tèn mimèsin] et qu'il imite [mimeitai] des actions.»

Genette (op.cit., p96):

«Le poète doit plutôt être artisan d'histoires [tôn muthôn poiètèn] que de vers, puisque c'est par la fiction [kata tèn mimèsin] qu'il est poète, et que ce qu'il feint [mimeitai], ce sont des actions.»


Première remarque:

Les traductions de muthos par «fable» chez Hardy et de mimèsis et mimeisthai par «fiction» et «feindre» chez Gérard Genette vont dans le même sens et font de La Poétique un traité «fictionaliste», dans lequel le critère déterminant pour définir la poésie (poièsis) est avant tout l'invention, la feintise ou encore la simulation, autre traduction possible de mimèsis selon Gérard Genette :

«Mais comment le langage, ordinairement instrument de communication et d'action, peut-il devenir moyen de création? La réponse d'Aristote est claire: il ne peut y avoir de création par le langage que si celui-ci se fait véhicule de mimèsis, c'est-à-dire de représentation, ou plutôt de simulation d'actions et d'événements imaginaires; que s'il sert à inventer des histoires ou pour le moins à transmettre des histoires déjà inventées.» (op.cit., p96)

Seconde remarque:

On voit que Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Michel Magnien et Gérard Genette proposent «histoire» pour muthos: le terme n'est alors plus disponible pour traduire historia, à moins de traduire ces deux termes grecs (très) différents par un même mot, en jouant sur la polysémie de celui-ci.


Historia, historikos


Voyons maintenant comment sont rendus historia et historikos.


Gérard Genette, ne faisant pas à proprement parler œuvre de traducteur, ne propose qu'incidemment des citations de La Poétique, soit dans sa propre traduction, comme c'était le cas dans l'exemple ci-dessus, soit dans la traduction de J. Hardy. Pour historikos, il suit J. Hardy qui traduit ce terme par «historien», et qui, logiquement, propose «histoire» pour historia.

Hardy (chapitre 9, 1451 b 1-5, op.cit., p93-94):

«[…] l'historien [historikos] et le poète ne diffèrent pas par le fait qu'ils font leurs récits l'un en vers et l'autre en prose (on pourrait mettre l'œuvre d'Hérodote en vers et elle ne serait pas moins de l'histoire [historia] en vers qu'en prose), ils se distinguent au contraire en ce que l'un raconte des événements qui sont arrivés, l'autres des événements qui pourraient arriver.»

Genette (op.cit., p97):

«Empédocle, dit Aristote, n'est pas un poète, c'est un naturaliste; et si Hérodote avait écrit en vers, cela ne modifierait en rien son statut d'historien et ne le qualifierait en rien comme poète.»

J. Hardy, ayant traduit muthos par «fable», peut sans risque de confusion traduire historia par «histoire». En revanche, Michel Magnien traduit muthos par «histoire» et historia tantôt par «histoire» (dans le chapitre 9), tantôt par «récit historique» (chapitre 23).

Magnien (chapitre 9, 1451 a 36 – 1451 b 10, op.cit., p98):

«[…] le rôle du poète est de dire non pas ce qui a réellement eu lieu mais ce à quoi on peut s'attendre, ce qui peut se produire conformément à la vraisemblance ou à la nécessité. En effet, la différence entre l'historien [historikos] et le poète ne vient pas du fait que l'un s'exprime en vers ou l'autre en prose (on pourrait mettre l'œuvre d'Hérodote en vers, et elle ne serait pas moins de l'histoire [historia] en vers qu'en prose); mais elle vient de ce fait que l'un dit ce qui a eu lieu, l'autre ce à quoi l'on peut s'attendre. Voilà pourquoi la poésie est une chose plus philosophique et plus noble que l'histoire [historia]: la poésie dit plutôt le général, l'histoire [historia] le particulier. Le général c'est telle ou telle chose qu'il arrive à tel ou tel de dire ou de faire, conformément à la vraisemblance ou à la nécessité; c'est le but visé par la poésie, même si par la suite elle attribue des noms aux personnages. Le particulier, c'est ce qu'a fait Alcibiade, ou ce qui lui est arrivé.»

Magnien (Chapitre 23, 1459 a 18-28, op.cit., p123):

«[…] leur agencement [celui des épopées] ne doit pas être semblable à celui des récits historiques [historiais] dans lesquels il est nécessaire de faire voir non une action une, mais une seule époque comprenant tous les événements qui se sont alors produits pour un seul ou plusieurs hommes et dont chacun n'entretient avec un autre qu'un rapport fortuit. C'est en effet à la même époque qu'eurent lieu la bataille navale de Salamine et la bataille des Carthaginois en Sicile qui n'avaient nullement la même fin; et de la même façon, lors d'époques consécutives un événement se produit parfois après un autre, desquels ne résulte nullement une fin une.» (p 123)

Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, enfin, traduisent historia et historikos par «chronique» et «chroniqueur». Leur traduction des deux chapitres dont il est ici question est partiellement reproduite sur la page Historia et Poiesis: les chapitres 9 et 23 de La Poétique d'Aristote.


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Bérenger Boulay

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Dernière mise à jour de cette page le 11 Novembre 2007 à 23h37.