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Dossier Historia et Poiesis

Bérenger Boulay: "Histoire et narrativité. Autour des chapitres 9 et 23 de La Poétique d'Aristote".

Session de linguistique et de littérature d'Aussois 2005, organisée par l'association CLELIA

Article initialement paru, comme l'ensemble des actes de la session, dans le numéro 26 de la revue Lalies et reproduit ici avec l'aimable autorisation de Daniel Petit.



Histoire et narrativité. Autour des chapitres 9 et 23 de La Poétique d'Aristote

Au début du chapitre 9 de sa Poétique (51a36 - 51b11), Aristote exclut du champ de la poésie mimétique le type de discours qu'il désigne par le terme historia – «enquête», souvent traduit par «histoire» ou «récit historique» - et qu'il illustre par l'œuvre d'Hérodote, qui, lui, désigne ainsi non son récit des guerres médiques mais la recherche qui l'a précédé[i], dans la variante dialectale ionienne historiè. Une longue tradition se référant à ce chapitre de la Poétique ainsi, mais plus rarement, qu'au chapitre 23 distingue depuis Aristote l'Histoire et la création littéraire au détriment de la première et répète à l'envi que la poésie mimétique, plus philosophique, traite du général tandis que l'Histoire s'en tient au particulier.

Après un examen de la fortune de cette opposition dans la théorie littéraire et dans la réflexion historiographique contemporaine, une relecture de La Poétique montrera que, si la notion d'historia est définie par Aristote en contrepoint de sa définition de la poésie, celle-ci n'invalide pas complètement une poétique du récit historique. À la «logique phénoménale» de l'historia telle que la définit Aristote, s'oppose certes la dynamique «essentielle[ii]» de la poésie mimétique, mais celle-ci peut porter, nous dit-il, sur des événements réellement arrivés tout en restant poésie (51b27-33) et en conservant donc sa valeur «philosophique». Comme il paraît difficile de soutenir que tout récit historique est nécessairement conforme à la description de L'Enquête d'Hérodote par Aristote - un historien ne se reconnaîtrait que difficilement dans ce portrait d'un chroniqueur dont le discours reste «du côté de l'aléatoire, du contingent, de successions ou de concomitances hasardeuses d'actions sans convergence dans leur finalité[iii]», on montrera que théories de la fiction et de l'Histoire font fausse route lorsqu'elles se réfèrent à l'opposition aristotélicienne, tout simplement parce que les récits historiques ne coïncident pas toujours avec la notion d' historia proposée par Aristote et peuvent même relever de la poésie mimétique telle que la définit ce philosophe. Pour finir, il sera nécessaire d'examiner les enjeux théoriques de cette réintégration du récit historique dans le domaine de la poésie mimétique et l'on s'interrogera pour cela sur la pertinence de la traduction par Gérard Genette de la notion aristotélicienne de mimèsis par celle de fiction.

Il paraît d'abord utile de mettre en place les jalons d'une Histoire de la postérité de l'exclusion de l' historia par Aristote afin de montrer que l'autorité du philosophe a conditionné jusqu'ici la plupart des réflexions portant sur la question de l'écriture de l'Histoire, sur sa littérarité mais aussi, comme on le verra, sur sa scientificité. L'entreprise se limitera ici à l'examen de quelques textes de langue française qui du seizième siècle à nos jours témoignent du recours quasi-systématique à Aristote dans la théorie littéraire et la théorie de l'Histoire et de l'assimilation impensée de tout récit historique à l' historia aristotélicienne.

Dès les premières résurgences françaises de la Poétique, le chapitre 9 est convoqué pour opposer récit historique et poésie imitative. Les réponses successives apportées par exemple par Ronsard à la question «l'historien est-il un poète?» vont nous permettre d'illustrer ce retour d'Aristote. Ainsi, dans sa première édition (celle de 1550), le second livre des Odes se termine par une pièce consacrée au chroniqueur René Macé[iv] dont Ronsard loue la «grave heroique Muse» et qu'il félicite d'avoir forcé les «seurs compaignes» «de quitter leurs cimes» d'Hélicon pour «habiter le Vandomois». Le seul titre de cette ode - «A frere René Macé, excellent poëte historiographe françois» - indique que pour Ronsard, à cette date en tout cas, l'historiographe mérite le titre de poète. Mais le destin éditorial de ces vers est l'indice d'une évolution de l'opinion du poète quant à la question des rapports entre historiographie et poésie. Ronsard corrigera en effet le titre qui deviendra à partir de 1555: «A René Macé, Vandomois» et l'ode sera finalement supprimée à partir de l'édition de 1578, soit six ans après la publication de la première préface de la Franciade où Ronsard se justifie d'avoir choisi la poésie (l'épopée) plutôt que l'histoire, en prenant soin d'opposer l'une et l'autre:

«Encore que l'Histoire en beaucoup de sortes se conforme à la Poësie, comme en véhémence de parler, harangues, description de batailles, villes, fleuves, mers, montaignes & autres semblables choses, où le Poëte ne doibt non plus que l'orateur falsifier le vray, si est-ce quand à leur sujet ils sont aussi eslongnez l'un de l'autre que le vraysemblable est eslongné de la vérité. L'histoire reçoit seulement la chose comme elle est, ou fut, sans desguisure ny fard, & le poëte s'arreste au vraysemblable, à ce qui peut estre, & à ce qui est desja receu en la commune opinion[v]

Bien que la fin de cet extrait, qui emprunte évidemment quoique indirectement au chapitre 9 de la Poétique, aille dans le sens d'un élargissement du champ poétique au «possible» et à l'«admis», et ce conformément à Aristote[vi], on observe ici une émergence du «modèle aristotélicien» qui opère une différence entre poésie et histoire reposant principalement sur l'opposition du vraisemblable et du vrai, le poète et l'historien étant «aussi éloignés l'un de l'autre que le vraisemblable est éloigné de la vérité».

C'est bien sûr au siècle suivant que ce modèle théorique achève de se constituer. La notion de «vraisemblance» est, on le sait bien, au cœur de l'esthétique classique et c'est l'autorité d'Aristote que l'on convoque pour imposer comme pour discuter cette esthétique. La querelle qui oppose Corneille et Aubignac[vii] illustre la prépondérance de la catégorie du vraisemblable dans les discours théoriques portant sur les œuvres de fiction. Dans sa Pratique du théâtre (1657), l'abbé d'Aubignac se signale en effet comme le champion des maîtres d'œuvre de la doctrine classique qui radicalisent Aristote en réduisant l'opposition de l'Histoire et de la poésie (dramatique) à l'opposition du vrai et du vraisemblable, limitent ainsi la marge de manœuvre consentie au poète tragique et condamnent les pièces trop fidèles à l'Histoire lorsqu'ils jugent que cette fidélité va à l'encontre de la vraisemblance. Des pièces comme Le Cid (1637) ou Horace (1640) étant au premier chef concernées par cette condamnation, les réponses de Corneille à Aubignac ne se font pas attendre, notamment dans les «Avis au lecteur» et les «Examens» de certaines pièces, dans le début du Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique et dans la deuxième partie du Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable et le nécessaire (166O), qui procèdent à une (re)lecture d'Aristote pour montrer que ce dernier n'exclut pas que des événements réellement arrivés puissent être représentés au théâtre et même préconise dans certains cas le recours à des événements attestés. Le récit historique n'est bien sûr pas en jeu dans ce débat qui ne porte que sur la question du recours à l'Histoire par la fiction théâtrale, mais la réponse cornélienne met sur la voie d'une réhabilitation du récit historique dans le champ de la poésie mimétique telle que définie par Aristote. Pour Corneille, l'Histoire est persuasive et peut donc servir de caution pour rendre crédible des événements qui paraîtraient invraisemblables si on les inventait.

Au cours du dix-huitième siècle des échos d'Aristote sont toujours décelables dans certains discours théoriques comme L'éloge de Richardson (1762) où Diderot s'exclame: «Ô Richardson! J'oserai dire que l'histoire la plus vraie est pleine de mensonges, et que ton roman est plein de vérités; l'histoire peint quelques individus, tu peins l'espèce humaine[viii]». L'opposition du vrai et du vraisemblable laisse ici place à celle du particulier et du général qui renvoie au même chapitre 9 de La Poétique, mais dans tous les cas le récit historique se trouve opposé, à son détriment, à la poésie fictionnelle.

L'influence d'Aristote est aussi bien sûr évidente dans la théorie littéraire contemporaine. La Poétique reste une référence pour les théories de la fiction - l'occasion se présentera plus loin de constater cette influence chez Gérard Genette ou chez Jean-Marie Schaeffer - comme pour les études, de plus en plus nombreuses, sur l'écriture référentielle (Ecritures de soi, Mémoires, récits de voyages[ix] et bien sûr récits historiques). Il importe ici de souligner que, dans son ensemble, la théorie littéraire contemporaine ne reconduit plus l'exclusion originelle et ne voit aucun inconvénient à proposer une poétique du texte référentiel, qui ne semble d'abord pas concevable chez Aristote[x]. Une difficulté survient cependant si l'on admet, avec Gérard Genette, qu'Aristote désigne par le terme mimèsis ce que nous nommons fiction et, partant, que la Poétique est un traité portant sur l'art de la fiction. Une conception mimétique du discours de l'historien revient-elle nécessairement à rapprocher le texte de l'Histoire et celui de la fiction, à prétendre que l'historien a recours à la fiction? Une conception non fictionnelle de la notion de mimèsis est-elle envisageable? Le traité d‘Aristote ne met-il pas sur la voie d'une telle redéfinition de la mimèsis?

Les réflexions d'Aristote sur l'historia vont par ailleurs constituer un véritable fardeau[xi] pour beaucoup d'historiens, pour qui il reste une référence inévitable[xii]. L'exclusion de l'histoire du champ littéraire pourrait laisser certains historiens indifférents si elle n'était lue du même coup comme un rabaissement des prétentions de l'histoire au statut de science. Affirmant que «la contradiction la plus flagrante de l'histoire est sans doute que son objet est singulier, un événement, une suite d'événements, des personnages qui ne se produisent qu'une seule fois [sic] alors que son but, comme celui de toutes les sciences, est d'atteindre l'universel, le général, le régulier», Jacques Le Goff croit ainsi pouvoir écrire que «déjà Aristote avait rejeté l'histoire du nombre des sciences précisément parce qu'elle s'occupe du particulier qui n'est pas un objet de science[xiii]».

Le Goff semble prendre ici quelques libertés avec Aristote en opérant un déplacement depuis des préoccupations poétiques vers des questions strictement épistémologiques. Mais ce déplacement ne paraît pas illégitime si l'on admet que dans le chapitre 9 Aristote répond à la condamnation de la poésie dans La République de Platon. Pour Aristote la poésie est philosophique parce qu'elle permet de dépasser l'accidentel, le contingent. Il faut avoir en mémoire le chapitre 33 du livre I des Seconds analytiques et les chapitres 1 et 2 du Livre E de la Métaphysique où Aristote distingue l'universel - auquel n'aurait pas accès l' historia selon le chapitre 9 de la Poétique, - de ce qui arrive le plus souvent (epi to polu) - c'est le «probable» sur lequel il faudra revenir puisque cette notion apparaît au chapitre 7 la Poétique (50b30) et de l'accidentel, ce dernier ne pouvant être objet de science. L' historia selon Aristote ne permettrait pas de penser l'universel, ni même le probable qui est un objet possible de la poésie mimétique. Dans le chapitre 33 du livre I des Seconds analytiques, Aristote affirme que «la science est universelle et procède par des propositions nécessaires[xiv]» et précise plus loin que «le nécessaire est l'objet de la science[xv]», l'équivalence de l'universel et du nécessaire ayant été préalablement établie dans le chapitre 4 du même livre. Mais Aristote ne réduit pas toujours le domaine de la science au seul champ du nécessaire universel et semble (parfois) accepter la possibilité d'une connaissance de ce qui arrive le plus souvent. Ainsi dans le chapitre 1 du livre E de la Métaphysique, Aristote distingue trois types de connaissance en posant que «toute pensée est ou pratique, ou poétique, ou théorétique[xvi]». Les sciences théorétiques (en premier lieu la métaphysique ou théologie, mais aussi les mathématiques ou la physique), qui sont «les plus hautes des sciences[xvii]», ont pour objet l'universel, les sciences pratiques (par exemple la médecine) ont pour objet ce qui arrive le plus souvent. Et Aristote précise dans le chapitre suivant que «l'Être par accident n'est l'objet d'aucune spéculation», la preuve en étant qu'«aucune science, ni pratique, ni poétique, ni théorétique ne s'en occupe[xviii]». Si l' historia ne traite que du particulier et, à la différence de la poésie, néglige le général, que celui-ci soit de l'ordre de l'universel ou de celui de l'epi to polu, elle se trouve alors bien exclue du champ de la connaissance scientifique[xix] par le geste même qui l'exclut du champ de la poésie: «il n'y a pas de science de l'accident. Toute science a pour objet, en effet, ce qui est toujours ou ce qui est le plus souvent. Comment, sans cela, apprendre soi-même ou enseigner autrui? La chose doit être déterminée comme arrivant toujours, ou le plus souvent[xx]». La poésie est alors heuristique selon le Stagirite parce qu'elle permet d'articuler le général et le particulier. Tandis que l'historikos traite de cas particuliers envisagés dans leur seule singularité accidentelle, le poète incarnera des types en des instances particulières, nommables: «Le général, c'est le type de chose qu'un certain type d'homme fait ou dit vraisemblablement ou nécessairement. C'est le but que poursuit la poésie, tout en attribuant des noms aux personnages[xxi].» (chapitre 9, 51b8-51b11)

À l'issue de ce rapide examen de l'autorité d'Aristote dans la théorie littéraire et l'historiographie, il apparaît que l'héritage aristotélicien a longtemps impliqué une double condamnation, poétique et épistémologique, du récit historique. Ni littérature (poésie, création littéraire), ni science (connaissance des faits généraux), l'Histoire est réduite au procès d'enregistrement aveugle des contingences. Mais si l'hypothèse d'une réintégration de l'Histoire dans le domaine de la poésie mimétique se trouve vérifiée, le discours de l'historien regagnera du même coup la valeur «philosophique» que lui refusent les aristotéliciens mais qu'ils accordent à la poésie.

La Poétique exclut-elle absolument cette re-catégorisation? Pour répondre à cette question, il faut maintenant aller plus avant dans l'examen de la notion aristotélicienne d'historia, et pour cela préciser quelle conception le Stagirite a de la poésie[xxii], la première étant surtout établie dans la Poétique par son exclusion de la seconde[xxiii]. La définition par défaut de l'historia est établie par Aristote non seulement dans le chapitre 9 où la différence avec la poésie repose sur l'opposition du général et du particulier, mais aussi dans le chapitre 23 qui semble mettre à jour une différence plus formelle: la poésie ne se contente pas d'enregistrer la contingence de successions ou de concomitances mais organise, agence. Il convient alors de s'interroger sur la solidarité de ces oppositions: le critère thématique, l'opposition du particulier et du général, est-il lié à l'opposition entre agencement et enregistrement? Autrement dit, la poésie a-t-elle une portée plus générale parce qu'elle structure et rend par là intelligible les actions qu'elles représentent quand l' historia ne fait qu'en dresser un catalogue?

Le verbe poiein signifiant d'abord créer, fabriquer, la poésie est pour Aristote création par le moyen du langage. Dans leurs notes au chapitre 1 de La Poétique, Dupont-Roc et Lallot précisent que le terme poièsis chez Aristote s'écarte de son emploi fréquent dans le sens de «composition en vers[xxiv]». Bien qu'Aristote ne parle que de textes métriques, il opère un «renversement de perspective[xxv]», déplore que les «poètes» soient désignés ainsi «en raison du recours au mètre[xxvi]» (47 b 15 -16) et propose le critère de la mimèsis (47b15) pour définir la poésie. Dès lors «la différence entre l' historikos et le poète ne vient pas de ce que l'un s'exprime en vers et l'autre en prose» et l'«on pourrait mettre en vers l'œuvre d'Hérodote ce ne serait pas moins une historia en vers qu'en prose» (chapitre 9, 51a38-51b4) [xxvii]. La Poétique est donc «principalement un traité de mimétique[xxviii]» et le terme mimèsis pourra être considéré comme la glose du terme poièsis[xxix]. La poésie telle que l'envisage Aristote est avant tout mimétique.

Même si Aristote ne définit pas la mimèsis dans sa Poétique[xxx], l'examen des chapitres 6 à 10, certes exclusivement consacrés à la tragédie, permet de dégager par induction une définition de la mimèsis littéraire. Si l'on en croit Ricœur ou Dupont-Roc et Lallot, le texte d'Aristote autorise à dissocier cette notion d'un premier investissement dans la tragédie[xxxi]. De cet examen, il apparaît que la mimèsis littéraire est la création d'intrigues, ou d'histoires[xxxii] dans la traduction avancée par Dupont-Roc et Lallot. On voit ici une première raison pour ces éditeurs de ne pas traduire historia par «Histoire»: proposant «histoire» pour muthos, il leur convient d'éviter une homonymie qui pourrait être source de confusion. Le problème ne se pose certes pas si l'on choisit de traduire historia par «récit historique» ou encore par «historiographie» mais l'on verra plus loin quelle difficulté poseraient de tels choix.

Aristote indique dans le chapitre 6 (50a3-5) que le muthos (l'histoire) est la mimèsis (représentation ou imitation selon les traductions) d'une action et qu'il appelle muthos le système ou la synthèse de faits (sunthesis tôn pragmatôn). Après avoir énuméré (50a7-14) les composantes de la tragédie - qui sont selon lui «l'histoire, le caractère, l'expression, la pensée, le spectacle et le chant[xxxiii]» - il précise (50a15) que «le plus important de ces éléments est l'agencement des faits en système (hè tôn pragmatôn sustasis)[xxxiv]». Le muthos, qui, on le voit, ne doit pas être pris ici dans le sens de «légende transmise par la tradition» qu'il peut avoir dans d'autres passages du traité[xxxv], est donc l'objet privilégié de la poésie mimétique. La notion va alors être précisée par touches successives au cours des chapitres suivants.

Dans le chapitre 7, qui traite de l'agencement de l'histoire, le poéticien rappelle (50b21-23)que le système de faits est«le premier et le plus important des éléments de la tragédie[xxxvi]» et ajoute (50b23-25)que celle-ci «consiste en la représentation (mimèsis) d'une action menée jusqu'à son terme, qui forme un tout[xxxvii]». Cette totalité apparaît comme produite par l'ordonnance des faits, leur succession en un «commencement», un «milieu» et une «fin» (50b26). Aristote, lorsqu'il indique qu'une fin «est ce qui vient après autre chose en vertu soit de la nécessité (ex anankès) soit de la probabilité[xxxviii] (è hôs epi to polu)» (50b30) apporte une première précision sur la nature de la légalité (au sens de colligation) qui confère unité à la diversité des parties constitutives du tout. Ce lien est ici d'ordre logique: un événement advient après un autre dans l'histoire parce qu'il est en la conséquence nécessaire ou attendue en vertu de la probabilité, c'est-à-dire de la fréquence statistique, epi to polu signifiant, comme il a été dit précédemment, «le plus fréquemment», «en règle générale». Ce passage semble bien préparer l'affirmation du chapitre 9 sur la valeur philosophique de la poésie (51b5-6): s'il n'est pas ici encore question du katholou (le général), on rencontre déjà la notion de nécessité, or nous avons vu que l'universel et le nécessaire (ce qui ne peut pas ne pas être) sont les deux critères qui définissent l'objet des sciences théorétiques et en tout premier lieu de la métaphysique. Quant à la notion de epi to polu, elle semble montrer que la poésie, si elle ne peut toujours atteindre le niveau de généralité des sciences théorétiques, peut du moins se hisser à celui des sciences pratiques qui ont elles aussi pour objet ce qui arrive le plus souvent. La généralité qui rend la poésie philosophique semble donc résider dans la nature du lien unifiant les composantes de l'histoire.

Une difficulté surgit à la fin du chapitre (51a12), lorsque Aristote substitue la notion de vraisemblable à celle de probable: les événements représentés dans un poème doivent être «enchaînés selon le vraisemblable ou le nécessaire (kata to eikos è to anankaion)[xxxix]». Le vraisemblable doit-il alors être considéré comme un troisième mode de légalité, distinct du probable qu'il remplace définitivement dans la suite du traité? L'hypothèse retenue par Dupont-Roc et Lallot consiste au contraire à voir dans la notion de vraisemblable un quasi-synonyme de celle de probable: celui-ci comme celui-là représentent, l'un «sous l'angle objectif de la réalité statistique, l'autre sous l'angle subjectif de l'attente, une forme atténuée de la nécessité», le plus probable étant aussi «le plus plausible et le plus attendu[xl]». On comprend alors, pour revenir à un passage déjà cité du chapitre 9, pourquoi «Le général (katholou), c'est le type de chose qu'un certain type d'homme fait ou dit vraisemblablement ou nécessairement (kata to eikos è to anankaion) (51b8 -9)» : le général (katholou) selon le vraisemblable (kata to eikos) relevant du niveau de généralité de l'epi to polu quant le général (katholou) selon le nécessaire (kata to anankaion) atteint l'universalité.

Le chapitre suivant vient développer l'exigence d'unité de l'histoire selon la nécessité ou la probabilité. Aristote avance (51a16-19) un premier contre-modèle à la poésie mimétique : «L'unité de l'histoire ne vient pas, comme certains le croient, de ce qu'elle a un héros unique. Car il se produit dans la vie d'un individu unique un nombre élevé, voire infini, d'événements dont certains ne forment en rien une unité; et de même un individu accomplit un grand nombre d'actions qui ne forment en rien une action une[xli].» Ce chapitre 8 paraît très proche du chapitre 23 qu'il annonce sous bien des aspects.

Aristote quitte d'abord le terrain du seul muthos dramatique pour aborder le genre épique, de même que le chapitre 23 est consacré à «l'art de représenter par le récit[xlii]» (59 a 17). Les deux chapitres convoquent ensuite chacun un contre-modèle de l'épopée, qui, dans les deux cas, est caractérisé par une unité temporelle mais aussi par l'absence d'unité d'action. De même qu'un individu, au cours de sa vie, «accomplit un grand nombre d'actions qui ne forment en rien une action une» et, partant, «que tous les poètes qui ont composé une Héracléide, une Théséide ou des poèmes de ce genre» se sont «fourvoyés[xliii]», de même l' historia est «l'exposé, non d'une action une, mais d'une période unique avec tous les événements qui se sont produits dans son cours, affectant un seul ou plusieurs hommes et entretenant les uns avec les autres des relations contingentes (59a 21-24)[xliv]». L'un et l'autre chapitres louent enfin Homère d'avoir su éviter cet écueil du catalogue d'événements survenus en une période unique. Au chapitre 8 (51a23-29) l'«incomparable» Homère a vu juste qui n'a pas raconté une vie d'Ulysse mais a agencé L'Odyssée «autour d'une action une au sens où nous l'entendons[xlv]», c'est-à-dire selon des rapports de cause à effet nécessaires ou probables (vraisemblables). Le chapitre 23 consacre lui aussi Homère, qui de la guerre de Troie retient une «partie unique», tandis que «les autres, au contraire, consacrant leur poème à un héros unique et à une période unique, composent une action à plusieurs parties» (59a29-59 b7). Les compositions de ces «autres» poètes s'enlisent donc dans le modèle de l' historia, illustré comme dans le chapitre 9 par L'enquête d'Hérodote, auquel Aristote fait ici (59a24-27) allusion sans le nommer: «c'est dans la même période qu'eurent lieu la bataille navale de Salamine et la bataille des Carthaginois en Sicile, qui ne tendaient en rien vers le même terme[xlvi]». Hérodote indique effectivement dans le paragraphe 166 du livre VII de l'Enquête, la simultanéité apparemment fortuite de ces deux batailles navales: «le même jour, Gélon et Théron triomphèrent en Sicile du Carthaginois Goff, tandis qu'à Salamine les grecs triomphaient des Perses[xlvii]

Lire conjointement les chapitres 8 et 23 nous permet alors de clarifier la condamnation de l' historia par Aristote. Le chapitre 8 (51a30-35) affirme que le muthos «qui est représentation d'action, doit l'être d'une action une et qui forme un tout; et les parties que constituent les faits doivent être agencées de telle sorte que, si l'une d'elles est déplacée ou supprimée, le tout soit disloqué et bouleversé. Car ce dont l'adjonction ou la suppression n'a aucune conséquence visible n'est pas une partie du tout[xlviii]». L' historia ne répond donc pas à cette double exigence d'unité et de totalité, l'unité temporelle fondée par l'attention portée à une période unique ne suffisant pas à créer une totalité que seule la légalité causale (selon le nécessaire ou le vraisemblable) permet d'atteindre. En effet, comme Aristote le formule dans le chapitre 10, l'exigence de cohésion logique ne peut être confondue avec une légalité simplement chronologique, car «il est très différent de dire ceci se produit à cause de cela et ceci se produit après cela[xlix]» (52 a 21). Pour atteindre la totalité, il faut éviter que les événements se succèdent sans nécessité ni vraisemblance (ou probabilité), et pour cela il faut conjuguer causalité et succession, conséquence et consécution, ce à quoi échoue l'historia qui ne fait que mentionner soit la simultanéité de plusieurs événements, soit leur simple succession, car «il se peut (…) que dans des périodes consécutives se produisent l'un après l'autre deux événements qui n'aboutissent en rien à un terme un» (59a27-29). Articulant logiquement des événements en une «action une», la poésie diffère donc de l'historia qui se contente d'enregistrer les phénomènes sans se soucier de les relier causalement en une unité d'action.

On comprend dès lors pourquoi, selon le chapitre 9, la poésie traite du général et l'historia du particulier[l] (51b6-7), celle-ci étant moins philosophique (51b5) que celle-là : l'agencement poétique est par essence généralisant puisqu'il lie les parties par des lois (nécessaires ou probables) quant la structure de l' l'historia n'est autre que celle du catalogue. Aristote reproche à l'historia sa fonction d'enregistrement, d'être rivée à la contingence phénoménale, de passer à côté des causes nécessaires ou probables (vraisemblables) en faisant fi du souci de légalité causale constitutif de ce que Ricœur, dans sa lecture magistrale d'Aristote, appelle «mise en intrigue». La valeur philosophique de la poésie n'est pas relative au caractère imaginaire de ses objets, par opposition à l'historia qui traite de «ce qui a eu lieu réellement» (chapitre 9, 51a36-37), mais bien à leur légalité fondatrice de totalité, à leur configuration au sein d'une intrigue. Ceci peut éclairer la suite du chapitre 9 où Aristote affirme (51b29-33) qu' «à supposer même qu'il [le poète] compose un poème sur des évènements réellement arrivés, il n'en est pas moins poète, car rien n'empêche que certains événements réels ne soient de ceux qui pourraient arriver dans l'ordre du vraisemblable et du possible, moyennant quoi il en est le poète[li]

Les «universaux» de la poésie ne peuvent être jugés tels non pas parce qu'ils sont inventés, encore moins parce qu'ils empruntent à des «mythes» (au sens de récits transmis par la tradition et porteurs d'une signification universelle)[lii] mais relativement à leur enchaînement causal: c'est l'intrigue qui est universalisante[liii]; les objets de la poésie mimétique ne sont pas généraux, sinon universaux, par eux-mêmes, par exemple parce qu'ils seraient imaginaires, mais parce qu'ils sont mis en intrigue. Aristote n'exclut dès lors pas qu'on puisse composer un poème en établissant des liens logiques (nécessaires et à défaut probables et vraisemblables) entre des événements réellement arrivés.

Certains commentateurs de la Poétique vont alors jusqu'à nier l'opposition de la poièsis et de l'historia dans la Poétique. Ainsi Raymond Weil, dans un ouvrage intitulé Aristote et l'histoire, rappelle qu'Aristote était lui-même un historikos, notamment auteur du traité sur La constitution d'Athènes qui serait à peu près contemporain de la Poétique et se demande «comment Aristote pouvait (…) à la fois se consacrer à l'historia et la juger moins philosophique et moins sérieuse que la poésie[liv]».Raymond Weil se demande par ailleurs comment Aristote pu s'exprimer ainsi s'il a lu Thucydide[lv]. La guerre du Péloponnèse ne correspondrait pas à la définition qu'Aristote donne de l' historia, et l'on sait que Thucydide, contrairement à Hérodote, n'emploie jamais ce terme pour désigner son œuvre. Weil entend alors « se demander si pour le Stagirite l'historia se réduit vraiment, dans tous les cas, à une chronique», à un « rassemblement des coïncidences».Weil s'appuie alors sur ce passage du chapitre 23 (59a21-24) où Aristote convoque l'historia comme contre modèle des épopées, dont la «structure ne doit pas être semblable à celle des chroniques qui sont nécessairement l'exposé, non d'une action une, mais d'une période unique avec tous les événements qui se sont produits dans son cours, affectant un seul ou plusieurs hommes et entretenant les uns avec les autres des relations contingentes[lvi]». Weil examine plusieurs corrections et traductions de ce passage et propose d'y voir un voeu en faveur d'une histoire qui ne soit pas courante, suggérant que certaines historiai échappent à la critique et que toutes devraient, si elles étaient bien faites, éviter le défaut incriminé. Mais Raymond s'appuie sur une leçon du texte rejetée par Dacier, Hardy et Dupont-Roc et Lallotet préfère lire, en 59a21-22, kai mè homoias historias tas sunetheis einai plutôt que kai mè homoias historiais tas suntheseis einai, le remplacement du datif (historiais) par l'accusatif (historias) et de suntheseis par l'adjectif sunetheis (habituel, ordinaire) donnant littéralement: «pas pareilles les histoires habituelles sont». D'où l'on comprend qu'il y a des histoires moins habituelles qui, elles, sont pareilles aux épopées. Certains historiens ne se contenteraient pas d'écrire des historiai, ce que confirmerait le passage du chapitre 9 où Aristote affirme que même lorsque le poète prend pour sujet des événements qui se sont réellement passés, il n'en est pas moins poète.

L'opposition entre poésie et historia semble cependant clairement et indiscutablement établie par le Stagirite. Qui veut considérer le récit historique comme relevant du geste créateur de la poésie mimétique doit donc montrer que le récit historique n'est pas une historia parce qu'il est le lieu d'une mise en intrigue. Or le passage du chapitre 9, sur lequel Raymond Weil s'appuyait aussi, autorise peut-être un tel reclassement du récit factuel: l'historien n'est-il pas ce poète qui tout en composant un poème sur des événements réellement arrivés n'en reste pas moins poète?

Nous ne développerons pas ici les démonstrations proposées par Paul Veyne[lvii], pour qui l'Histoire est un «roman vrai» et surtout par Paul Ricœur, qui affirme aussi un lien essentiel entre «l'intrigue et le récit historique», pour reprendre le sous-titre du premier volume de Temps et récit.

Notons d'abord que, si l'Histoire apparemment la plus structurale, celle écrite par les historiens du vingtième siècle, Duby et Braudel (sur ce dernier, voir la page L'histoire au risque du hors-temps) notamment, sur lesquels Ricœur appuie ses travaux, relève de la mise en intrigue, donc du domaine de la mimèsis aristotélicienne, on ne peut qu'approuver le choix de Dupont-Roc et Lallot qui on traduit historia non par «histoire» mais par «chronique».

Rappelons ensuite le principal argument de toute théorie narrativiste du discours historique. Pour Marc Bloch, l'Histoire est une «science des hommes» mais il faut selon lui ajouter «des hommes dans le temps[lviii]». L'Histoire ne peut se distinguer des autres sciences humaines qu'à condition de rendre compte de la durée de ses objets, de leurs permanences et de leurs changements et c'est aussi la position soutenue par Braudel dans ses Ecrits sur l'Histoire[lix]. Or le récit est, selon Paul Ricœur, le seul discours susceptible de répondre à cette exigence[lx]. L'Histoire se doit donc d'être narrative si elle veut faire entendre sa voix propre dans le concert des sciences sociales. Même attentive aux permanences structurales, l'Histoire reste narrative, c'est pourquoi il est impropre de qualifier de «retour au récit» les évolutions de la discipline à la fin du siècle dernier.

L'Histoire ne peut donc être confondue avec l' historia. Peut-on aller plus loin et affirmer qu'Aristote a mal lu Hérodote, que L'Enquête de ce dernier doit être elle aussi reclassée dans le domaine de la poésie mimétique et non plus dans celui de l' historia ? Hérodote est-il chroniqueur ou poète ? Là encore, nous ne ferons que présenter les lectures de l'Enquête d'Hérodote comme poésie mimétique selon la définition qu'en donne Aristote. La difficulté vient de l'hétérogénéité de l'Enquête, de son manque apparent d'unité, du goût déclaré et assumé pour les digressions, que celles-ci soient au service d'anecdotes ou consacrées à des études quasi ethnographiques ou géographiques qui semblent constituer des échappées hors du propos annoncé dans la préface, à savoir un récit des guerres médiques et une recherche des causes du conflit. L'hétérogénéité de l'Enquête a souvent été soulignée, d'Aristote à Roland Barthes qui parle de «l'imperfection […] de la structure narrative chez Hérodote[lxi]», mais la première difficulté à laquelle doit se confronter une lecture de L'Enquête comme poème mimétique réside dans la dualité longtemps attribuée à ce texte. Dans l'article intitulé «le nom d'Hérodote[lxii]», François Hartog montre en effet que la réception du texte a longtemps consisté en l'établissement d'une ligne de partage entre l'historien des guerres médiqueset un «autre» Hérodote, conteur et voyageur. Pour considérer Hérodote comme un poète, il faut soit accepter ce partage et se contenter alors de relever au cours de l'Enquête une série de muthoi ponctuels, indépendants et non rattachés à une structure narrative globale, soit remettre en cause ce partage comme le fait François Hartog.

La première proposition consiste à voir dans l'Enquête une collection de muthoi, en prenant ce mot soit dans le sens de légendes transmises par la tradition, soit surtout dans celui, plus général, d'intrigues. La proposition la plus forte pour notre propos est celle avancée par Pierre Vidal-Naquet selon qui « […] on rencontre dans l'œuvre d'Hérodote non certes des tragédies proprement dites […] mais des schémas tragiques. Ainsi l'histoire de Crésus, celle des Achéménides, Cyrus, Cambyse, Xerxès, se déroulent selon un ordre familier aux lecteurs de tragédie: oracles ambigus et compris de travers, choix invariablement mauvais engendrant en série les catastrophes personnelles et politiques[lxiii]». L'enquête comme les Chants cypriens ou la Petite Iliade selon Aristote, fournit donc plusieurs sujets de tragédie, tandis que les deux épopées homériques ont «fourni chacune le sujet d'une tragédie ou de deux au plus[lxiv]».

Une autre tentative, celle de François Hartog, qui voit en Hérodote un «rhapsode en prose[lxv]»fortement influencé par les épopées homériques avec lesquelles il aurait voulu rivaliser[lxvi], consiste, dans Le miroir d'Hérodote, à réfuter la thèse d'un Hérodote bifrons, historien des guerres médiques d'un côté et géographe-voyageur-ethnologue-conteur de l'autre. Il prend l'exemple du «lógos scythes», c'est-à-dire les paragraphes 1 à 144 du livre IV de L'Enquête qu'Hérodote consacre au récit de l'expédition de Darius contre les Scythes et à la présentation ethnographique des mythes et des mœurs de ce peuple. Le logos Scythe exerce selon Hartog une fonction narrative dans le grand récit des guerres médiques, puisque «la guerre de Darius en Scythie renvoie à l'expédition de Xerxès en Grèce: la seconde estnécessaire à l'intelligibilité de la première, qui est, elle-même, une répétition générale de la seconde[lxvii].» François Hartog propose donc de hiérarchiser les parties de l'Enquête en subordonnant des épisodes apparemment digressifs au récit des guerres médiques qui se rapprocherait alors du muthos décrit par Aristote. Mais on ne pourra pour autant nier le décousu d'Hérodote, et l'exemple des deux batailles avancé par le Stagirite montre qu'il est difficile de soutenir la thèse d'une intrigue serrée dans L'Enquête, sur les modèles tragique et homérique loués par Aristote[lxviii].

Le reclassement de certaines œuvres d'historiens dans le champ de la poésie mimétique telle qu'elle se trouve définie par Aristote a, pour conclure, des conséquences non négligeables pour la théorie littéraire. Peut-on en effet assimiler mimèsis et fictionsi l'on intègre le récit historique, et peut-être plus largement une grande part des récits factuels, dans le champ de la mimèsis? Si le critère aristotélicien de littérarité n'est pas le caractère imaginaire des objets représentés mais la construction d'une intrigue, la poétique «essentialiste» pour laquelle «ce qui fait le poète, ce n'est pas la diction, c'est la fiction[lxix]», peut-elle légitimement se réclamer d'Aristote? Un récit historique peut-il être considéré à la fois comme mimétique et pure de la feintise[lxx] inhérente à la fiction?

Gérard Genette et Paul Ricœur, qui empruntent tous les deux à Aristote la notion de mimèsis, la rapproche de celle de fiction. Dans Temps et récit, Ricœur écrit qu'il faut entendre par mimèsis «la coupure qui ouvre l'espace de la fiction», que «l'artisan des mots ne produit pas des choses, mais seulement des quasi-choses» et «invente du comme-si». Mais Ricœur précise plus loin que le terme «fiction» s'emploie en français dans (au moins) «deux acceptions différentes: une première fois, comme synonyme des configurations narratives, une deuxième fois, comme antonyme de la prétention du récit historique à constituer un récit “vrai”[lxxi]». Ce partage entre deux emplois du terme «fiction» peut être éclairé par la convocation des deux modèles complémentaires de mimèsis proposés par Jean-Marie Schaeffer dans Pourquoi la fiction? Ce dernier suggère de distinguer et de faire jouer ensemble deux conceptions antiques de la mimèsis, celle avancée par Platon dans la République et celle d'Aristote:

«pour comprendre vraiment la fiction (…), il faut d'une manière ou d'une autre arriver à intégrer le point de vue platonicien (l'imitation comme feintise) dans le modèle aristotélicien (l'imitation comme modélisation cognitive)[lxxii]

Il faut reconnaître que les deux modèles proposés par Jean-Marie Schaeffer permettent de dénoncer des confusions trop fréquentes dans l'emploi des termes mimèsis et fiction. La première acceptation du terme fiction proposée par Ricœur correspond bien sûr au modèle aristotélicien qui définit la mimèsis comme une modélisation, et la mimèsis littéraire comme configuration narrative. La seconde acceptation combine les deux modèles: le modèle platonicien - qui définit la mimèsis comme leurre et qui permet à Schaeffer de redéfinir la fiction comme «feintise ludique partagée» - et le modèle aristotélicien. Bien qu'il existe une tradition théorique qui se revendique d'Aristote et considère la fictionalité comme critère de littérarité et bien qu'Aristote rejette du domaine de la mimèsis

L'Enquête d'Hérodote, le critère de littérarité que doit revendiquer une poétique aristotélicienne n'est pas la fictionalité mais la narrativité. On refusera alors de suivre Gérard Genette lorsqu'il écrit qu'«Aristote repoussait toute poésie non fictionnelle[lxxiii]» : Aristote ne repoussait pas la poésie référentielle, il l'ignorait. Et si Gérard Genette n'est pas le premier à proposer de traduire le concept aristotélicien de mimèsis par celui de fiction[lxxiv], il n'en demeure pas moins qu'il semble «platoniser» Aristote, puisqu'il définit la conception aristotélicienne de la mimèsis en des termes qui renvoient au modèle platonicien établi par Jean-Marie Schaeffer. Dès lors on comprend pourquoi Gérard Genette achoppe face au passage («à supposer même qu'il compose un poème sur des évènements réellement arrivés…» 51b29-33) où le Stagirite semble reconnaître la possibilité d'une poésie mimétique référentielle. Il avoue que la raison pour laquelle «Aristote […] “récupère” en quelque sorte dans le champ de la poétique (…) non pas certes l'historien, mais du moins le poète épique ou dramatique qui emprunte sa matière à l'histoire[lxxv]», lui reste «obscure». L'obscurité disparaît dès qu'on admet que mimèsis ne signifie pas fiction dans le sens de feintise mais dans celui de mise en intrigue (ou configuration, modélisation).

Pour sortir de l'impasse dans laquelle l'a mené sa lecture «platonicienne» d'Aristote, Gérard Genette avance alors l'hypothèse suivante: «la présence du possible et du vraisemblable transforme le réel en objet de fiction». Soutient-il qu'à partir du moment où des événements attestés sont mis en intrigue - sont mis en «présence du possible et du vraisemblable» qui sont deux modalités du lien unissant les actions dans une configuration narrative -, ils sont fictionalisés? Pour Gérard Genette, la mimèsis comprise comme configuration n'est-elle pas in fine vecteur de feintise? Ce panfictionalisme transparaît lorsqu'il affirme que «tout récit introduit dans son histoire une “mise en intrigue” qui est déjà une mise en fiction et/ou en diction[lxxvi]». Pour Genette la mise en intrigue tend donc à «quasi-fictionaliser» le récit factuel:

« […] dans l'œuvre de fiction, l'action fictionnelle fait partie, et Aristote (qui […] nomme mimèsis ce que nous nommons fiction) pense qu'elle fait l'essentiel, de l'acte créateur; inventer une intrigue et ses acteurs est évidemment un art. Au contraire, chez un journaliste, un historien, un mémorialiste, un autobiographe, la matière (l'événement brut, les personnes, les temps, les lieux etc.) est en principe donnée (reçue) d'avance, et ne procède pas de son activité créatrice; on est donc plus ou moins autorisé à estimer qu'elle n'appartient pas à son œuvre, au sens fort (littéraire, artistique) de ce terme (son poiein), à quoi appartient seulement - mais ce peut être l'essentiel - la façon dont il sélectionne et met en forme cette matière: mise en “intrigue” (Veyne, Ricœur), souvent en scène - voyez Michelet - qui tend, si je puis dire, à la quasi-fictionaliser, et qui constitue proprement son travail d'artiste.[lxxvii]»

Il faut ici rappeler le principal argument du panfictionalisme: à savoir que le réel n'est pas structuré comme une histoire[lxxviii]. Toute configuration narrative d'événements réellement arrivés doit donc être pensée comme une représentation simplement possible du réel. D'ici à prétendre qu'il n'existe pas d'histoire vraie, comme le fait Roquentin dans La Nausée de Sartre[lxxix], il n'y a certes qu'un pas mais ce dernier franchit la distance qui sépare l'hypothèse de l'invention ludique ou mensongère. Puisque le passé n'a pas naturellement la forme d'une histoire, c'est l'historien qui en construisant son récit, lui donne une structure et un sens.

Une réponse au panfictionalisme me paraît résider dans l'affirmation de cette frontière séparant l'hypothèse de la fiction. Ne peut-on ainsi envisager, à côté de la feintise ludique et partagée, relative à la fiction, une feintise sérieuse (non ludique) mais tout de même partagée, qui distinguerait pragmatiquement l'énoncé d'un récit référentiel de celui d'une fiction et de celui d'un mensonge? Cette thèse d'une feintise sérieuse et partagée définissant le statut logique du discours narratif de l'Histoire s'articulerait avec les acquis de l'épistémologie concernant la construction de son objet par l'historien et mettrait même en cause l'idée selon laquelle l'historien ne traite que d'événements attestés («en principe donné(s)», donc reçu(s) dirait Genette), à l'exclusion d'événements et d'enchaînements probables mais non attestés. «La connaissance historique est indirecte, indiciaire et conjecturale» écrit Carlo Ginzburg[lxxx], qu'on ne saurait accuser de panfictionalisme et qui nous guide ainsi sur la voie d'une théorie de l'Histoire comme discours probabiliste. Natalie Zemon Davis, ayant à s'expliquer quant à sa participation au scénario du film Le retour de Martin Guerre et prenant comme point de départ de son propos le chapitre 9 de la Poétique, formulait déjà l'hypothèse d'une feintise sérieuse et non trompeuse propre à l'Histoire et qui la distinguerait de la feintise ludique et partagée de la poésie fictionnelle:

«Faire naître l'idée de ce qu'un sujet historique “pourrait avoir pensé”, “voulu”, “senti” - surtout quand on est bien documenté sur le reste de sa vie et sur les modèles qu'elle suit-, ce semble être une pratique historique légitime, et non pas de la poésie. Attribuer des opinions possibles à tel individu, un paysan, artisan, un ouvrier, en se fondant sur une bonne connaissance du groupe dont il fait partie et de ce que “son type de personnage … ferait ou dirait”, c'est apparemment jouer du plausible en histoire et de la vraisemblance; c'est prendre leçon de l'anthropologie sociale, non pas de l'invention poétique[lxxxi]

Natalie Zemon Davis oppose, certes, trop vite Histoire et poésie, parce qu'elle prend ce dernier terme comme synonyme de fiction. Notons que sans même aborder la question de la narrativité de l'Histoire, elle affirme une valeur «philosophique» (au sens d'Aristote dans le chapitre 9) de celle-ci lorsqu'elle articule le général (mais le collectif, ce qui arrive le plus souvent, et non l'universel) et le particulier en formulant des hypothèses qui consistent à «attribuer des opinions possibles à tel individu (…) en se fondant sur une bonne connaissance du groupe dont il fait partie».

À l'horizon de ce travail se profile enfin une interrogation sur la place à accorder au critère (aristotélicien) de la narrativité dans le «tableau volontairement boiteux[lxxxii]» qu'établit Gérard Genette[lxxxiii] dans l'article «Fiction et diction» pour schématiser les modes de littérarité institués par les différentes théories qui tentent de définir la littérature. Que la narrativité[lxxxiv] soit finalement le point aveugle de la présentation des modes de littérarité par une icône de la narratologie peut bien sûr surprendre, mais Gérard Genette affirme être entré à reculons en narratologie[lxxxv] et que «la mécanique narrative n'est pas l'aspect du discours qui (l)'intéresse le plus[lxxxvi]». Genette, qui saute les passages narratifs des romans et leur préfère les descriptions[lxxxvii], est donc plus sensible à la diction qu'à la fiction[lxxxviii], mais non à la dimension narrative de la diction. Mais il s'agit là d'une autre enquête.



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[i]Hérodote L'Enquête (1, 1-5) cité par Hartog (1999: 44-45).

[ii] Montalbetti (1997: 46).

[iii] Montalbetti (2001: 90).

[iv] Ronsard (2001: 241-243).

[v] Ronsard (1993: 1181).

[vi] Ci-dessous, n.52.

[vii] Les lignes qui suivent s'appuient sur le travail de Louvat et Escola dans leur édition des Trois discours (Corneille: 1999).

[viii] Diderot (1996: 162).

[ix] Montalbetti (1997: 44-51).

[x]Ibid., 47.

[xi] Hartog (1999: 15).

[xii] Ginzburg (2003: 43).

[xiii] Le Goff (1988: 200).

[xiv] Aristote (1995, 154-155).

[xv]Ibid., 156.

[xvi] Aristote (1991, 225).

[xvii]Ibid., 227.

[xviii]Ibid., 228.

[xix] Louis (1955).

[xx]Ibid., 232.

[xxi] Aristote (1980: 64-65).

[xxii] Cette tentative de définition de la poésie selon Aristote s'appuie sur l'introduction et les notes de Dupont-Roc et Lallot (Aristote: 1980) ainsi que sur Ricœur (1983: 66-104) et Montalbetti (2001).

[xxiii] Goldschmidt (1982: 345).

[xxiv] Aristote (1980: 150 n.8).

[xxv]Ibid., 151n.9.

[xxvi]Ibid., 34-35.

[xxvii]Ibid., 64-65.

[xxviii]Ibid., 155n.9.

[xxix] Genette (2004: 96).

[xxx] Aristote (1980: 17, introduction).

[xxxi] Ricœur (1983: 67, 79, 88-90) et Aristote (1980: 18, intro).

[xxxii] La graphie «Histoire» désigne ici à la fois le cours des actions humaines, la discipline et le discours de l'historien, tandis que la graphie «histoire» est synonyme d'intrigue, contenu d'un récit.

[xxxiii] Aristote (1980: 54-55).

[xxxiv]Idem. sunthesis (synthèse) et sustasis (système) semblent bien fonctionner comme deux synonymes dans ce passage.

[xxxv]Ibid., 198 n.9.

[xxxvi]Ibid., 58-59.

[xxxvii] Idem.

[xxxviii] Idem.

[xxxix]Ibid., 60-61.

[xl]Ibid., 212 n.1.

[xli]Ibid., 62-63.

[xlii]Ibid., 118-119.

[xliii]Ibid., 62-63

[xliv]Ibid., 118-119.

[xlv]Ibid., 62-63.

[xlvi]Ibid., 118-119

[xlvii]Hérodote (1990: 256).

[xlviii] Aristote (1980: 62-63).

[xlix]Ibid., 68-69.

[l]Ibid., 64-65.

[li]Ibid., 66-67. Sur le dépassement du binôme nécessaire - vraisemblable par la notion de «possible»: Aristote (1980: 225n.3 et 226-227n.4).

[lii] Contrairement à ce qu'avance Finley (1981: 12).

[liii] Ricœur (1983: 85), Goldschmidt (1982: 254), Aristote (1980: 222 n.1).

[liv] Weil (1960: 164 -165).

[lv] Weil (1960: 311), Pippidi (1948), Momigliano (1991: 98-99).

[lvi] Aristote (1980: 118-119. «Chronique» est bien sûr ici la traduction de historia.

[lvii] Veyne (1971)

[lviii] Bloch (1997: 52).

[lix] Braudel (1969). Ces écrits, en particulier les articles regroupés dans le chapitre «l'Histoire et les autres sciences de l'homme», militent tous pour l'échange entre les différentes sciences humaines tout en reconnaissant la spécificité diachronique de l'Histoire.

[lx] On connaît la fameuse thèse de Ricœur, selon laquelle le temps n'est pensé que lorsqu'il est raconté.

[lxi]Barthes (1967: 174).

[lxii]Hartog (2001: 41-53).

[lxiii] Vidal-Naquet (1973: 14-15).

[lxiv] Aristote (1980: 120-121).

[lxv]Cette expression de François Hartog rappelle le passage de l'Institution oratoire (10, 31) où Quintilien contredit Aristote et qualifie l'histoire de «poème en prose». Cité par Hartog (1999: 167).

[lxvi]Hartog (2001, 9-35).

[lxvii]Ibid., 542-543.

[lxviii] Ce qui n'interdit évidemment pas de trouver un intérêt littéraire à L'Enquête. Aristote n'établit qu'une théorie restreinte et normative de la poésie, considérée principalement sous l'angle de la narrativité et jugée, cela est bien connu, à l'aune du modèle tragique.

[lxix] Cette poétique est présentée - mais non assumée - par Genette (2004: 97).

[lxx] Sur la feintise comme notion centrale dans la définition de la fiction: Schaeffer (1995: 377-380).

[lxxi] Ricœur (1983: 125).

[lxxii] Schaeffer (1999: 59).

[lxxiii] Genette (2004: 104).

[lxxiv]Ibid., 96.

[lxxv]Ibid., 227-228n8.

[lxxvi]Ibid., 116.

[lxxvii]Ibid., 227 - 228.

[lxxviii] On trouvera des formulations de cet argument chez Ricœur, (2000: 311 et 1995: 134), Montalbetti (1997: 45), Mac Donald (1954: 221), Jauss (1989), Rigney (1988).

[lxxix] La crise existentielle qui révèle à Roquentin la contingence de l'existence («quand on vit, il n'arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent voilà tout. Il n'y a jamais de commencements. Les jours s'ajoutent aux jours sans rime ni raison, c'est une addition interminable et monotone») l'amène aussi à nier la possibilité d'une histoire vraie («quand on raconte la vie, tout change; seulement c'est un changement que personne ne remarque: la preuve c'est qu'on parle d'histoires vraies. Comme s'il pouvait y avoir des histoires vraies»). Sartre (1938: 64-65).

[lxxx]Ginzburg (1993: 154).

[lxxxi] Zemon Davis (1989: 138)

[lxxxii] Genette (2004: 111).

[lxxxiii] qui affirme, on l'a vu, que la mise en intrigue à la fois fictionalise «et/ou» relève d'un travail de diction.

[lxxxiv] Il va de soit que nous employons ici les termes «narrativité», «narratologie» ou «narratif» non en référence à la narration comme mode de représentation, par opposition à la poésie dramatique, mais, selon l'usage de Paul Ricœur, à la narration -ou plutôt au récit - comme catégorie englobante, synonyme de mimèsis, représentation par mise en intrigue. Sur ce point, nous renvoyons à Mathieu-Colas (1986: 91-110).

[lxxxv] Genette (1999b: 14-15).

[lxxxvi]Genette (1999a: 173).

[lxxxvii] Genette (1999b: 15).

[lxxxviii]Ibid., 28.



Bérenger Boulay

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Dernière mise à jour de cette page le 7 Septembre 2011 à 15h45.