Atelier

Les accidents de la nature.

Fortune et catastrophes naturelles dans la première moitié du XVIIe siècle

Françoise Lavocat, Paris VII

Cet article est issu d'une communication prononcée au colloque "Revers de fortune : les jeux de l'accident et du hasard au XVIIIe siècle", organisé par Florence Ferran et Delia Gambelli à Rome les 29 et 30 septembre 2006; il est publié avec leur aimable autorisation.


La tempête idéologique et éditoriale suscitée par le désastre de Lisbonne a un peu fait oublier que ce que l'on peut appeler, par un anachronisme relatif[1], les catastrophes naturelles, ont suscité, au dix-septième siècle, un intense débat. Bien avant Candide, Pantagruel remarque que la catastrophe – en l'occurrence la peste – fauche les gens de bien et épargne les méchants. L'abondante production de témoignages, de relations, de lettres publiées à l'occasion des grandes catastrophes du dix-septième siècle (éruption de Vésuve en 1629, peste au nord de l'Italie en 1630, incendie de Londres en 1666)[2] appréhende la catastrophe comme la manifestation la plus énigmatique de la Fortune, ou d'une Providence incompréhensible. Tel abbé constate que l'on meurt plus de la peste après une procession qu'avant; tel citoyen de Londres renâcle à voir la main de Dieu dans la destruction de sa ville, au motif que Londres n'est sûrement pas plus impie que Paris ou Rome. La catastrophe, par la multiplicité des systèmes de causalité qu'elle met en jeu, parfois en concurrence, focalise l'attention sur la notion même de fait et d'événement (statut qu'elle ne semble pas avoir avant la fin du seizième siècle)[3], relié à la Providence de façon problématique et incertaine. Dans cette mesure, on peut se demander quelle est la fonction des catastrophes dans les représentations littéraires qui en sont données, à une période où le roman paraît plus spécialement placé sous l'égide de la Fortune.

L'articulation entre les catastrophes et la littérature à travers les systèmes de causalité et les modalités qui structurent les univers de fiction (en particulier la modalité aléthique: le possible, l'impossible, le contingent et le nécessaire) n'a pas jusqu'ici attiré l'attention. Certains critiques anglo-saxons, comme Cynthia Wall, ont mis l'accent sur l'influence d'une catastrophe,en l'occurrence l'incendie de Londres, sur la naissance de l'empirisme et la transformation du roman de la restauration anglaise[4]. Cette articulation peut cependant être étudiée en amont, dans la première partie du dix-septième siècle, à travers le lien qui se noue et se dénoue, dans ces années-là, entre les catastrophes naturelles et la notion de Fortune. La christianisation de la notion de Fortune, aux seizième et dix-septième siècles, ne va pas de soi: la Providence ne recouvre jamais tout à fait la Fortune[5]. Aussi, on peut faire l'hypothèse que les débats que suscitent les catastrophes naturelles, à partir de la fin du seizième siècle, incitent à les placer sous l'égide d'une Fortune aux contours incertains.

Je mettrai tout d'abord en regard l'exclusion des catastrophes naturelles par l'histoire officielle et un exemple de témoignage sur l'incendie de Londres qui s'efforce d'embrasser, non sans contradictions, la multiplicité des systèmes de causalité qu'il doit mobiliser. Ensuite, je confronterai deux traités sur la Fortune, à la fin du seizième et au milieu du dix-septième siècles, qui prennent en compte les catastrophes naturelles. La définition qu'ils donnent de la Fortune comme «fiction» retiendra plus particulièrement l'attention: elle éclaire peut-être la place des catastrophes naturelles dans plusieurs grands romans baroques du milieu du siècle, surtout en position de seuil. Le rôle de ces catastrophes inaugurales semble en effet devoir être mis en relation avec la transformation de la Fortune comme suspens. On se demandera enfin quel genre d'univers de fiction, doté de quel système de causalité, fondent ces catastrophes liminaires, dont les causes finales sont rendues impénétrables.

L'histoire officielle, au seizième et dix-septième siècles, ne prend pas en compte les catastrophes[6]. Parmi les raisons, multiples, qui motivent cette exclusion, figure le défaut d'intelligibilité de ce qui ne ressortit pas directement de l'action humaine. L'historien Agostino Mascardi le théorise clairement en 1636, soit cinq ans après la peste la plus meurtrière qui ait ravagé l'Italie: la mention des tremblements de terre et des éclipses fait dévier l'historien de sa route, entraînant, à ses yeux, des digressions intolérables[7]. La catastrophe est moins considérée comme un événement que comme un écheveau de causes et d'effets divers qui se donnent sous la forme d'un fatras de textes, d'autorités, de références. À la lisibilité de l'action humaine s'oppose l'opacité des astres qui la surplombe. L'histoire, dans ce mouvement d'auto-définition qui la caractérise au dix-septième siècle, taille son territoire dans le champ étroit de l'action des grands où, même dans les alcôves où se trame l'histoire secrète, jouent des ressorts purement humains: l'art de l'historien, selon Mascardi, consiste à «tisser convenablement le récit des accidents humains les plus mémorables»[8]. La catastrophe déchire ce tissu.

L'histoire des bourgeois est laissée aux Antiquités de ville, celle du peuple et des simples particuliers aux canards, mémoires et relations. Ce sont eux qui prennent en charge le récit de catastrophe, qui s'efforcent de débrouiller le système de causalité multiple qu'ils ont à leur disposition pour rendre compte de l'inouï. Pour ne prendre qu'un seul exemple, l'anglais qui prend la plume après l'incendie de Londres sous le pseudonyme de Rege Sincera observe que«the accident», «the misfortune» est le résultat de l'inattention du boulanger chez qui le feu a pris, de la configuration du quartier (maisons en bois, ruelles trop étroites), du moment (entre le samedi et le dimanche, où tout le monde dort), de la sécheresse de l'été précédent, du vent d'est «the unfortunate wind», et peut-être de la présence d'étrangers suspects – hypothèse finalement exclue. En somme, «Whole was an effect of an unhappy Chance, or to speak better, the heavy hand of God upon our Sinnes»[9]. La correction autorise l'auteur à détailler chacune des causes envisagées[10], numérotées et classées, assorties des mesures adéquates pour en prévenir, si possible, les effets.

Les catastrophes appartiennent donc de plein droit à l'empire de la Fortune, comprise comme la concurrence entre le hasard et un faisceau de causes plus ou moins occultes»[11], le tout coiffé par une Providence qui parle plus ou moins fort et clair[12]. Les proportions et la façon de penser cette double articulation varient notablement au cours du siècle, d'un texte à l'autre, et selon la nature de la catastrophe. Les quatre cavaliers de l'apocalypse ne marchent pas du tout du même pas[13]. La plupart des relations de catastrophes ouvrent la totalité de l'éventail des causes finales et secondes, même si, généralement, les causes naturelles prévalent pour les tremblements de terre, le hasard pour les incendies, la vengeance de Dieu pour la peste. Mais même dans ce cas, le hasard (avec l'origine de la contamination et la catégorie de la population qui est touchée, source d'infinies spéculations) et les causes naturelles (guerre et famines) jouent un rôle. L'histoire de l'origine de la peste, répétée à l'envie, fait intervenir le hasard (des soldats d'Avidius Crassus, lieutenant de Marc Antoine, auraient trouvé sur leur chemin, dans un temple d'Apollon, une cassette, et l'auraient ouverte par curiosité et avidité, libérant ainsi la peste). Elle fait écho au mythe de Pandore, souvent dotée, à la Renaissance, des attributs de l'allégorie de la Fortune[14]. Elle rappelle aussi une autre illustration canonique de la fortune comme hasard, qui l'histoire de l'homme qui trouve une cassette en bêchant son champ.

L'impossibilité à faire coïncider les catastrophes avec un système de causalité satisfaisant (ce qui n'était certainement pas le cas au moyen âge) explique peut-être en partie leur entrée massive dans les recueils d'histoires tragiques et d'histoires prodigieuses comme celles de Boaistuau ou de Simon Goulard. Elles figurent en bonne place dans deux traités sur la fortune, le premier de Daniel Drouyn, Le revers de la Fortune traitant de l'instabilité des choses mondaines (1587), le second, d'Urbain Chevreau[15], de 1648, réédité quatre fois jusqu'en 1665s'intitule: Tableau de la Fortune, où par la décadence des empires et des royaumes, par la ruine des villes et par diverses advantures merveilleuses, on voit l'instabilité de toutes les choses du monde, de ceux qui sont arrivés aux Roys, aux Princes, aux Courtisans, aux Avanturiers, dans les Tournois, dans les duels, aux Sçavants, aux Dames, & à toutes sortes de personnes, par diverses aventures. Cet ouvrage est une réécriture assumée de Drouyn, au motif qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil depuis Salomon.

Les importantes modifications qu'il apporte au texte de Drouyn suggèrent pourtant le contraire. Le nouveau titre du Revers de la Fortune, qui répète deux fois le mot d'«aventure» et manifeste un nouvel intérêt pour les accidents qui surviennent aux simples particuliers («à toutes sortes de personnes»), fait signe vers le romanesque. Chevreau recycle un traité moral dans la lignée du contempus mundi[16] en un recueil d'histoires où chatoie la diversité d'un monde en proie à une Fortune beaucoup moins funeste.

Chacun des deux auteurs s'emploie à la définir, en rendant longuement compte, dans un premier chapitre, de la tradition païenne et en se définissant par rapport à elle. L'enjeu est à l'évidence la place accordée au hasard. Daniel Drouyn ne la cerne qu'au prix de plusieurs contradictions. Il commence par définir son livre comme un recueil d'histoires «propre à etre mises au rang des choses fortuites, que non pas en celuy qu'[il pourrait] ci apres dresser des Vengeances divines»[17], ce qui semble exclure ce qui relève de la Providence, apparemment destiné à un autre ouvrage. Dans sa préface, il renchérit. La sélection d'événements fortuits constitue même à ses yeux l'originalité de son œuvre, qui semble également liée au développement de la forme narrative et à l'ambition de divertir le lecteur:

Different en mon oeuvre à tous ceux qui ont escrit de telles choses (comme Orose, Bocace, Alain Chartier, Guevare, Carion, Boaystuau, Regois & plusieurs autres) d'autant que je fais distinction des vengeances divines, des choses qui viennent fortuitement, & qui ne semblent avoir esté meritées. Et pour recreer le lecteur: je n'ay voulu abreger mes exemples des infortunes, leur laissant à chacune forme d'histoire entiere…[18]

Cependant, à la fin du premier chapitre, consacré à la Fortune selon les Anciens, l'auteur rejette l'acception de «rencontre hasardeuse», reçue par le paganisme et ce qu'il appelle l'athéisme moderne. De même qu'il s'est excusé, à la fin de sa préface, d'avoir «à regret», été «contraint» d'user du mot de «Fortune», il affirme maintenant que ce n'est que «Dieu desguisé soubs un autre nom». Cette ruse de Dieu (comparé à un père qui laisse à dessein un objet précieux dans son jardin pour vérifier si son l'enfant n'est pas larron) se prévaut de l'ignorance et de l'imagination. La Fortune est donc «une fiction de l'esprit de l'homme», définition qui en appelle «aux philosophes» (Aristote et Plutarque), mais qui interprète tout autrement l'ignorance des causes cachées.

Cette idée de fortune comme hasard subjectif se retrouve aussi bien chez Calvin, au motif que nous ne sommes pas au conseil de Dieu[19], que chez Spinoza, avec des présupposés évidemment bien différents (la fortune est un effet de l'imagination). Les deux moralistes se situent quelque part entre les deux, Urbain Chevreau inclinant davantage, sans surprise, vers une forme de rationalisme.

Il insiste moins que son devancier sur la misère de l'homme. L'accident fortuit, pour lui, n'est pas nécessairement malheureux. Il rappelle que Pausanias a associé la fortune à l'amour, alors que Drouyn n'en souffle mot. Significativement il a transformé «le revers» en «tableau» de la Fortune, ce qui n'indique aucune direction, sinistre ou favorable. Sa définition de la Fortune en renforce notablement la nature psychologique:

Je n'entens par ce nom de Fortune qu'une chose dont la fin n'a point esté telle dans l'intention de celuy qui l'a fait: C'est ainsi que chaque accident est une Fortune, tant à ceuy qui trouve un trésor caché dans la terre, quand il ne pense qu'à la cultiver, qu'à celuy qui s'y verrait mordu d'un serpent, quoy que l'un & l'autre y rencontrent diversement de quoy se réjoüir & se plaindre. Ce n'est pas qu'il faille tirer une consequence que tout se fasse icy bas à l'avanture: Comme un Ancien disoit, que les roües de la Fortune avoient des yeux, il faut croire que tout ce qui arrive est un incident contre l'attente des hommes, mais qui n'oste rien pourtant de la prescience ny de la sagesse de Dieu. Apres tout, la Fortune n'est qu'une Chimere, c'est à notre Fantaisie qu'elle est redevable de sa puissance: Nous la faisons entrer dans les embrasemens & dans les naufrages, quoy qu'elle ne connoisse ny le feu, ny l'eau; Nous l'appellons dans le combat, & nous la benissons pres la victoire, quoy qu'elle soit sans arme, & sans sentiment: & pour dire ce qu'on en doit croire, c'est une ombre dont on épouvante les esprits foibles, un estre sans subsistance, un ouvrage de nostre idée, & un fantosme de qui nous prenons les faveurs & les disgraces.[20]

Or, ce glissement de paradigme infléchit la représentation des catastrophes naturelles. Chez Drouyn, «les infortunes», chez Chevreau, les «malheurs» qui sont «arrivés au monde par les éléments» prennent place à la fin de la première partie. Ils se situent entre la décadence des empires et les désastres arrivés aux rois, aux grands, aux simples particuliers. La succession des chapitres fait de plus en plus de part à l'incongru – les morts de rire, les morts de trois fois rien, d'avoir avalé un poil, une mouche…[21]. Le mouvement général va du plus grand au plus petit, du tragique au comique. Les catastrophes naturelles, curieusement, occupent une place intermédiaire, après la destruction des empires et avant les malheurs des particuliers, ce qui suggère une certaine difficulté à les classer.

À l'origine et au premier rang de cette hiérarchie, chez Drouyn, figure le déluge universel. Chevreau saute l'épisode, de même que la destruction de Sodome et Gomorrhe. Il privilégie des exemples éloignés, mythologiques – dans une perspective évhémériste[22]– antiques et exotiques[23].

Cet éloignement s'accompagne d'un traitement à la fois plus narratif, plus anecdotique et plus rationaliste des catastrophes. Les images topiques évoquant la colère de Dieu (comme les flèches pour la contamination par la maladie), utilisées par Drouyn, sont négligées par Chevreau. En revanche, il privilégie les explications naturalistes, évaluées à l'aune du vraisemblable[24]. De fait, c'est l'articulation même de la notion de fortune à la catastrophe qui a changé. Pour Drouyn, elle reposait sur une métaphore, selon laquelle la matière se rebellait contre elle-même, sur le modèle de la guerre civile, pour enseigner aux hommes la leçon que rien ne dure[25]. Chevreau, qui se pose à plusieurs reprises en «historien», et non en «philosophe»[26] (ce qui veut dire qu'il privilégie l'aspect narratif sur la dimension didactique) s'intéresse «aux exemples particuliers». Dans le chapitre consacré aux inondations, il va parler de ceux qui montrent que «la fortune commande à tout, si ce n'est à la vertu»[27]. On est passé subrepticement d'une Fortune pathétique à une Fortune héroïque, propre à mettre en valeur des personnalités d'exception ou des destinées romanesques.

C'est en effet l'individu face aux catastrophes qui intéresse Chevreau. C'est celui qui se sauve contre toute attente dans un tremblement de terre, alors que son voisin est enseveli, qui retient son attention. Au chapitre des inondations, il développe de façon significative l'exemple de Promethée, rapidement mentionné par son prédécesseur à partir de Diodore de Sicile. Ce n'est pas l'interprétation évhémériste qui fait l'originalité de l'exemple: reconnaître l'inondation du Nil dans l'aigle qui dévore Prométhée est un topos. Mais sa réécriture par Chevreau introduit dans l'aventure du «seigneur Prométhée» une part de hasard qui la rend intéressante: il manque de perdre la vie, il se sauve in extremis. L'épisode fait partager au lecteur le point de vue de Prométhée désespéré; il regarde ses derniers biens flotter sur l'eau, voit ses sujets dévorés par les crocodiles, hésite à se suicider. Ailleurs, au chapitre des pestes, Chevreau s'attarde sur une circonstance annexe et plutôt inattendue de la maladie, jamais évoquée dans les traités ou les relations : les sacrifices de victimes expiatoires interrompus par «un oracle ou un incident»[28]. Dans un contexte aussi funeste que celui de la peste, la Fortune s'est donc convertie en bonne fortune, felix exitu, dont il importe peu d'éclaircir l'origine: Chevreau ne dit pas qui a envoyé l'aigle qui fond sur le prêtre et emporte l'épée avec laquelle il s'apprêtait à immoler sa victime. L'épisode, qui évoque un finale de pastorale, a même inspiré Urbain Chevreau dans son unique roman (publié, comme le Tableau de la Fortune, en 1648), Hermiogène. Ce roman raconte l'histoire de Vercingétorix, «ce prince Gaulois qui n'est jamais plus-grand que dans ses chûttes[29]». Les revers de fortune de celui-ci sont dus au plus pur hasard: c'est parce que le vaillant Hermiogène, son allié, est malencontreusement malade, que César remporte la bataille d'Alesia. Or, au début de ce roman, alors que les druides s'apprêtaient à sacrifier une victime, une «pluie extraordinaire», due à la «prevoyance des Dieux, ou peut-estre par l'effet d'une cause naturelle»[30], a éteint le feu: cet «accident» décide les prêtres, pour l'heure et pour toujours, à renoncer à ce genre d'holocauste.

On voit qu'un traitement narratif de la catastrophe, impliquant une forme de suspens, se marque par l'introduction d'une part de hasard, c'est-à-dire d'une Fortune neutre, et ce à deux titres: d'une part, elle est susceptible, même dans un contexte aussi désespéré que la peste, de se convertir en issue favorable; d'autre part l'explicitation du système de causalité qui la régit est mis en suspens ou passé sous silence. On sait bien qu'à cette époque, il n'est pas nécessaire de nommer Dieu pour considérer que rien ne se passe sans son aveu. Il semble tout de même que cette discrétion, ou cette indifférence, sont liés à une forme de rationalisme, ou à tout le moins à un relâchement du projet exemplaire. On peut aussi supposer que la définition de la fortune comme fiction (même comprise comme aveuglement de notre entendement infirme) la prédispose à se déployer dans un univers romanesque. Notre irrésistible attrait pour les fables (que le premier dix-septième siècle perçoit de façon si aiguë) pourrait alors rejoindre l'incorrigible propension de notre imagination à croire au hasard. Cette croyance en la fortune «des athéistes», que nos auteurs semblent considérer comme intuitive et spontanée, est très proche de celle selon laquelle les choses auraient pu être autrement. Cette idée, dont Marie-Luce Demonet a tracé la généalogie[31], se cristallise par exemple, dans la préface de La Franciade de Ronsard. Si le statut de l'événement passé rejoint celui de l'événement fictif (Enée peut n'être pas venu en France, mais il n'est pas impossible qu'il soit venu), il est alors permis à l'épopée ou au roman, comme monde possible, de mimer la contingence.

Cette modalité que je propose de définir comme le propre de la fiction (en termes logiques: «il est possible qu'il soit possible») doit être mise en relation avec l'apparition du suspens, dont Terence Cave a montré l'apparition dans les écrits sur le roman et l'épopée au seizième siècle[32]. Jean Lecointe a mis en relation la redécouverte, au seizième siècle, de la conception cicéronienne d'une fortune souriante susceptible d'exciter la pitié et le plaisir, par ses coups de théâtre et ses retournements de situation, avec la naissance du suspens et le développement du roman[33]. On peut également supposer que l'histoire de la rhétorique croise dans cette période une réflexion sur le possible, qui part de la définition aristotélicienne du poète comme celui qui dit ce qui pourrait se passer. Dans l'Ethique à Nicomaque (VI, 4), Aristote compare l'art à la fortune, car ils ont «rapport aux mêmes objets». L'art, comme la fortune, amène en effet à l'existence «une de ces choses qui sont susceptibles d'être ou de n'être pas, mais dont le principe d'existence réside dans l'artiste et non dans la chose produite». La double association entre l'art et la fortune et entre la fortune et l'illusion est assez courante; on la trouve par exemple dans le Lexicon philosophicum de Glocenius à l'entrée «Fortuna» (1613). Elle ouvre la voie à une poétique du suspens dans la mesure où le poète, comme le Dieu de Drouyn et de bien d'autres, non seulement dissimule ses fins mais simule le hasard. L'impression de suspens, en effet, est étroitement conditionnée par le fait que le lecteur puisse construire, à chaque bifurcation du récit, plusieurs possibles narratifs, qui ont à ses yeux des chances égales de se réaliser. Cela suppose une certaine autonomie de la fiction, à la fois à l'égard de contraintes génériques et d'un projet exemplaire. On peut donc penser que l'alliance étroite entre le roman et une fortune comprise comme mimesis de la contingence se noue au début du dix-septième siècle. Erich Köhler, dans son livre sur le hasard en littérature, en a montré l'importance nouvelle dans le roman picaresque[34]; mais il n'est pas moindre dans le roman baroque et sentimental.

La fortune joue en effet un rôle central dans le roman baroque, ce que la traversée maritime illustre et emblématise. Or, les plus grands romans de la première moitié du siècle, en particulier sous la plume des Scudéry, accordent aux catastrophes naturelles une large place. En position inaugurale, elles remplacent le naufrage du roman grec, qui jette sur le rivage les rescapéspar lesquels l'histoire commence. Mais tant s'en faut que soit dérobé au lecteur le spectacle du cataclysme, comme chez Héliodore: à la mesure du texte qu'il inaugure, il met en branle, avec fracas, l'énorme machine romanesque. Visage hyperbolique de la fortune, les catastrophes accouchent des héros et règlent le régime de la causalité qui va régir l'univers de fiction qu'elles fondent.

Les catastrophes occupent certes une position de seuil bien avant l'âge baroque. On songe, évidemment, au Decamerone. Mais la peste n'y a pas un statut de fiction et le séjour à la campagne n'est une parenthèse pour les devisants: «la fortune»[35], qui guide les jeunes gens dans l'Eglise de Santa Maria Novella où ils se rencontrent n'est en rien liée à l'épidémie. La catastrophe fictionnelle, dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, génère de tout autres développements narratifs. L'inondation jette sur les routes quantité de gens, qui, s'en remettant à leurs «diverses opinions», empruntent des routes bien différentes. Celles-ci vont les conduire, qui vers des montagnes escarpées (Oisille), qui chez un paysan assassin (Hircan, Parlamente, Longarine, Dagoucin et Saffredent), qui dans les griffes d'un ours mangeur d'hommes (Nomerfide et Ennasuite), qui aux mains de brigands (Geburon), qui au milieu d'une rivière en crue (Symontault). L'inondation est un catalyseur d'aventures qui révèlent les qualités des protagonistes. Grâce à la fortune[36] et à leur valeur, ils échappent de justesse à l'hécatombe qui emporte en foule leurs serviteurs et quelques uns de leurs proches (comme le mari de Longarine): ceux qui n'ont pas de chance n'ont pas d'avenir dans la fiction, et partant, pas de nom. Si l'inondation elle-même n'est pas mise à son crédit, Dieu dénoue explicitement quelques unes des péripéties[37] et choisit les rescapés[38], comme le reconnaît nettement, à la fin de l'épisode, «la compaignye miraculeusement assemblée», et plus particulièrement Parlamente, qui est le pseudonyme de l'auteur.

Dans des œuvres plus tardives, l'articulation entre fortune et providence, à propos des catastrophes, se fait moins explicite. Elle peut être l'objet d'une véritable mise en question, comme au début d'un petit roman anonyme à la première personne intitulé Les amours de Mélite et Statiphile (1609). Dans les premières lignes du roman, la peste, comparée à Pandore renversant sa boîte sur le «plus grand théâtre de l'univers», c'est-à-dire Paris, en chasse le narrateur. Celui-ci évoque une crise morale, attribuée à l'imagination et à la curiosité, l'amenant à supposer que le «maître ouvrier», c'est-à-dire Dieu, délaisse sa création. Mais concluant ensuite à sa propre culpabilité et jugeant rapidement que ses «propres fautes» sont responsables du fléau, le narrateur sort des «routes périlleuses» du doute et de Paris pestiféré pour aller rencontrer bergers et bergères dans un lieu pastoral qui n'est affligé que par l'amour[39]. Dans l'histoire de Tircis et de Cléon, dans le premier livre de l'Astrée (1607), la peste qui ravage Paris n'est jamais attribuée à une volonté surnaturelle, mais ramenée à une situation historique (la guerre, l'afflux de réfugiés dans la ville). La providence semble muette (la fortune est «ennemie»)[40]. Bien plus, la peste permet de suspendre la causalité ordinaire et les contraintes génériques du roman pastoral. En effet, alors que tous les écrits sur la peste déclinent à l'envi le motif de la perte de tout sentiment d'humanité, entre parents et enfants, amis et amants, Cléon sacrifie sa vie pour soigner sa mère, Tircis risque la sienne pour sa maîtresse, jusqu'à lui percer ses bubons à la place des médecins et prendre dans ses bras son cadavre en putréfaction. Mais Tircis n'est pas contaminé. La mort de l'amante de Tircis, celui-ci lui survivant[41], est une infraction par rapport au code romanesque. Le monde de la peste, généralement décrit comme un espace de non droit, exonère le récit, dans la fiction, des règles du vraisemblable; cela se traduit parfois par une surenchère du romanesque, c'est-à-dire, dans le roman de cette époque, par l'extraordinaire et l'arbitraire.

Le comble de la fantaisie et du panache, à cet égard, est sans doute atteint par Alaric ou la Rome vaincue de Georges de Scudéry (1654), le poème héroïque ayant à l'égard du vraisemblable des contraintes génériques plus lâches que le roman historique. L'auteur commence par développer, en alexandrins, un tableau de désolation qui emprunte à de nombreux lieux communs sur la peste. Mais on consulte un oracle; celui-ci annonce que l'épidémie s'arrêtera lorsque sera sacrifiée une jeune fille, désignée par le sort, à moins qu'une autre fille s'offre à sa place (car la faute originelle est féminine). Il ne faudra pas moins d'un naufrage pour conduire un jeune prince aux abords de cette contrée désastrée, d'un travestissement du héros en fille, d'un assaut de générosité (chacun voulant mourir pour l'autre), pour que l'oracle intervienne à nouveau, déclare la fin de la peste et ordonne le mariage. On retrouve le motif de l'oracle et du sacrifice interrompu goûté par Chevreau. Les retournements à répétition, l'expression d'une providence improbable par la voix d'un oracle du genre de ceux qui font les mariages dans les pastorales, l'appel massif aux topoï du roman baroque (naufrage, travestissement, beaux sentiments) convertissement la scène de la peste, lieu du fatum et de la mort de masse, en théâtre où la fortune distingue des héros d'exception. Il est à noter qu'à partir du moment où parle, pour la première fois, l'oracle, il n'est plus question de l'épidémie, comme si la superposition du monde de la peste et de celui du poème héroïque n'était pas possible, à moins que l'un supplante l'autre.

Le traitement romanesque de la peste est en effet une gageure. Daniel Defoe, dans le Journal of a Plague Year (1722) prendra un parti anti-romanesque. La fiction se fait avec Defoe mimesis du témoignage; à l'âge baroque, elle s'efforce de plier la catastrophe à ses lois, c'est-à-dire en introduisant l'arbitraire et la contingence susceptibles de fabriquer des héros.

La catastrophe, surtout initiale, apparaît donc comme un opérateur de fictionnalité, dans la mesure où elle met en branle, de façon spectaculaire, une fortune affranchie de toute causalité autre que la conduite de l'histoire. Les catastrophes autres que la peste sont plus propices à la création de mondes, sans doute parce qu'elles portent avec elles l'idée de renouveau, qui est étrangère à l'épidémie. Les auteurs d'histoires mémorables, comme Simon Goulard, en 1618, suggèrent assez souvent que telle ville reconstruite après avoir été détruite par le feu ou l'eau est plus belle qu'avant[42], ce qui est un infléchissement radical par rapport au ton et aux thèmes du contempus mundi.

L'épisode inaugural de la Clélie exploite au mieux la vertu paradoxale de la catastrophe fictionnelle. Elle crée d'abord un nouvel espace. Comme dans maintes relations à propos des éruptions du Vésuve, qui commencent par brosser un tableau idyllique de la nature environnante pour mieux mettre en valeur son anéantissement, le roman débute par une évocation du «plus beau jour» qui fut jamais sur la délicieuse Capoue. On apprend un peu plus loin que ce paysage est déjà le résultat d'une inondation qui a ravagé le pays, pas plus tard que la veille, et, «aplani[ssant] les collines et creus[ant] les campagnes», en a déjà totalement changé la face. Ce ravage a surtout permis la résurgence du passé, l'eau ayant déterré des tombeaux antiques, des colonnes et des vases précieux. Ainsi, c'est bien une catastrophe qui a mis en place le décor de «l'histoire romaine». De façon tout à fait significative, le tremblement de terre qui commence quelques lignes plus loin, et qui donne le véritable coup d'envoi au roman, en creusant un abîme infranchissable entre Clélie et Aronce, détruit tout, sauf ces vestiges à peine mis au jour. C'est même de ces tombeaux, exhumés par la première catastrophe et préservés par la seconde, en vertu d'«un cas fortuit étrange»[43], que trouvent refuge les parents de Clélie. Au contraire, l'amie de Clélie et son amant (qui eux non plus n'ont pas de chance et pas de nom), sont retrouvés carbonisés. Ces doubles malheureux de Clélie et d'Aronce mettent en valeur l'arbitraire qui sauve les héros ; c'est bien à la Fortune que se confie Aronce[44], jeté d'un côté et de l'autre par les secousses telluriques, et qui, malgré toute sa vaillance et son amour, «n'est plus maître de ses actions»[45]. Et c'est finalement «le hasard»[46] qui permet au héros de s'éloigner du lieu du désastre, en lui faisant trouver sous les cendres, non une cassette, mais un chariot renversé.

Au dix-septième siècle, les témoignages et les recueils de prodiges associent volontiers les catastrophes naturelles à une Fortune qui inclut une part indéterminée de hasard[47]. Cette mutation témoigne du questionnement intense que les catastrophes suscitent, mais aussi du processus de laïcisation dont elles font l'objet, ainsi que la fortune. Chez les moralistes, cela se traduit par un intérêt plus marqué pour la variété des situations humaines induites par la catastrophe, avec une prédilection pour les retournements inattendus et les issues favorables.

Dans le roman, on peut décrire ce processus de laïcisation de la fortune comme le passage de la fortune pathétique du contemptus mundi à une fortuna felix. Son lien avec la providence est plus que lâche: la catastrophe romanesque n'est jamais l'effet d'une vengeance divine. La compréhension de la fortune comme fiction favorise une conception du roman comme art du suspens et imitation de la contingence; la catastrophe en est l'illustration par excellence. La mimesis d'une causalité qui admet une part de hasard est la condition même de l'autonomie de l'univers de fiction, effet de l'art, tel qu'il est perçu dans une perspective aristotélicienne. La catastrophe romanesque permet de mettre en place, de façon privilégiée, un univers fictionnel, parce qu'elle est une version hyperbolique du revers de fortune.



[1] Plusieurs travaux ont étudié le sens du mot, depuis l'Antiquité (voir A. Lukinovitch: «KATASTROFH, mot grec. Les articles katastrephô et katastrophê duThesaurus Graecae Linguae d'Henri Estienne (1572)». Traduction et note dans De la catastrophe, Genève, Centre d'art contemporain, 1982, 33-40. Selon C. Delécraz (et alii), la première acception moderne du mot se trouverait dans les Lettres persanes (CIX): «je ne te parlerai pas de ces catastrophes particulières si communes chez les historiens, qui ont détruit des villes et des royaumes: il y en a de générales, qui ont mis bien des fois le genre humain à deux doigts de la perte. Les histoires sont pleines de ces pestes universelles, qui ont tour à tour désolé l'univers…» (C. Delacraz, L. Durussel, Laurie (dir), Scenario catastrophe, Musée d'ethnographie de Genève, 2007, p. 13). Mais Max Engammare que je remercie pour cette information, me signale dans le dictionnaire de Cotgrave (1611) la définition suivante: «A catastrophe, conclusion, last act, or part of a play; the shutting up of a matter; also, th'utter ruine, subversion, destruction, fatall or finall, end of».

[2] Ce matériel a été étudié collectivement, dans une perspective interdisciplinaire (historique et littéraire), dans le cadre d'un projet de recherches (ACI: «Styles et partage des savoirs, 1550-1700») financé par le Ministère de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (équipe: A. Duprat, J. Hoock, P. Kapitaniak, F. Lavocat, C. Liaroutzos, C. Zonza). Livre collectif à paraître: Ecrire les catastrophes (XVI-XVIIe siècles), Droz, 2008. Pour une analyse de ce corpus à la lumière de la notion d'exemplarité, voir Anne Duprat, «Pestes et incendies; l'exemplarité du récit de témoin aux XVIe-XVIIe siècle», http://www.fabula.org/colloques/document315.php.

[3] Je me permets de renvoyer sur ce point à mon article, «Catastrophe et narrativité», Actes du colloque de Laval Représenter la catastrophe à l'Âge classique, (26-29 septembre 2007), textes réunis par T. Belleguic, Presses de l'Université de Laval, à paraître.

[4]

The Literary and Cultural Spaces of Restoration of London, Cambridge University press, 1998.

[5] Voir «Hasard et providence» Actes du 50ème colloque du C.E.S.R, Université François Rabelais de Tours, sous la direction de Marie-Luce Demonet, 2006. Version en ligne: http://www.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvidence.

[6] Cette évolution est à replacer dans le cadre général de la séparation, conclue au dix-huitième siècle, de l'historia naturalis, civilis et divinis. Bacon comprend déjà la nature comme non historique. Voir R. Koselleck, «Le concept d'histoire» (1975), trad. A. Escudier, L'expérience de l'histoire, Gallimard, Le Seuil, 1997.

[7] «cosi con l'occasione degli horribili terremoti, che nel tempo di Giuliano, e di Costanzo scessero l'Asia, e seppelirono nelle lor proprie ruine, non solamente molte castella, ma la città di Nicomedia, metropoli di Bittinia, discorre come filosofo della natura de' terremoti, apportando l'opinione d'Aristolele, d'Anassagora, d'Anassimandro; gli divide nelle loro specie; e la varietà degli effetti da lor prodotti dall'antiche historie raccoglie», Dell'arte historica, Roma, Giacomo Facciotti, 1636, p. 303-304.

[8] «Tanto che l'arte historica hà per suo fine l'insegnare a tessere convenientemente il racconto degli accidenti humani più memorabili.», ibid., p. 7.

[9]

Observations both Historical and Moral upon the burning of London, With an Account of the Losses, and a most remarkable parallel between London and Mosco, both as to the Plague ad Fire. Also an essay touching the Easterly-Winde. Written by the way of narrative, for satisfaction of the present and futures Ages. London, Thomas Ratcliffe, 1667, p. 4.

[10] Il écrit pour satisfaire la curiosité «who inquire so much of the causes», ibid., p. 27.

[11] «The admirable concurrence of several causes», ibid., p. 34.

[12] Une des plus célèbres relations sur l'incendie de Londres, du prédicateur Thomas Vincent, s'intitule God's terrible voice (1667).

[13] Sur la popularité de cette image, voir Andrew Nikiforuk : The Fourth Hourseman : a Short Story of Epidemics, Plagues and other Scourges, London, Fourth Estate, 1992.

[14] Voir Erwin Panovsky, La boîte de Pandore (Pandoras'Box, 1962), trad. Maud Sissung, Hazan, 1990, p. 43.

[15] Urbain Chevreau est un prolifique auteur de comédies et de tragédies. Il est en outre l'auteur d'une histoire universelle et d'un roman.

[16] A partir de Boèce elle est illustrée, notamment par Pétrarque et Jean Bouchet. Voir Jean Lecointe, «Figures de la Fortune et Théorie du récit à la Renaissance», In La Fortune, représentations, discours, Etudes rassemblées par Yasmina Foehr-Janssens et Emmanuelle Métry, Droz, 2003.

[17]

Le Revers de Fortune traitant de l'instabilité des choses mondaines, Paris, Claude de Montr'œil, 1587, dédicace à Henri d'Orléans, non paginée.

[18] Préface, non paginée.

[19] «nous dirons donc que, combien que toutes choses oient faictes par l'ordonnance de Dieu toutesfois quelles nous sont fortuites. Non pas que nous reputions Fortune dominer sur les hommes, pour tourner hault et bas toutes choses témérairement (car ceste rêveries doibt estre loins d'ung cœur Chrestien) mais pource que, des choses qui adviennent, l'ordre, la raison, la fin et la nécessité est le plus souvent cachés au conseil de Dieu, et ne peut estre comprinse par l'opinion humaine, les choses que nous scavons certainement provenir de la volonté de Dieu nous sont quasi fortuites.» Institution de la religion chrétienne, 1961, t. 3, ch VIII, p. 111. Cité par J. Lecointe, p. 216.

[20]

Tableau de la Fortune, où par la décadence des empires et des royaumes, par la ruine des villes et par diverses advantures merveilleuses, on voit l'instabilité de toutes les choses du monde… Paris, Vv N. de Sercy, 1648, p. 10-11. C'est moi qui souligne.

[21] Chevreau termine son livre par une condamnation des tournois et des duels, qui laissent le champ libre à l'arbitraire, comme s'il avait oublié que son système excluait le hasard: «Nous verrons que la Fortune s'est intéressée dans leurs querelles & dans leurs combats & qu'elle s'est trouvée bien souvent plus ingénieuse que l'adresse, &plus puissante que la justice.», ibid., p. 449.

[22] Prométhée, Deucalion et Actéon sont évoqués dans cette perspective.

[23] Il cite abondamment l'Historia natural y moral de las Indias de Jose de Acosta (1588). La traduction française de Robert Regnault paraît en 1598.

[24] A propos des volcans: «cette opinion n'est pourtant pas vray-sembable, puisque la matière que ces Montagnes vomissent est presque infinie. Il y a plus d'apparence de croire...», op. cit., p. 202.

[25] «Toutes les infortunes que j'ay alleguees ci dessus estre advenues tant aux hommes qu'à leur citez & Republiques, sont arrivees de leurs propres mains, affectant la domination les uns sur les autres: mais pour montrer que le destin miserable d'icelles n'est pas seulement attaché à l'ambition & à la tyrannie ains aussi au Ciel, aux vents, & à la foudre, & autres injures du temps mesme aux quatre elements dont toutes choses sont construites, la matiere faisant guerre contre la matiere, comme la creature raisonnable contre son semblable, causant par leurs esmotions de merveilleux effets, ainsi que la terre fremissant ruyne soi-mesme son embellisement d'Architecture. Donc je produiray en passant ce qui est arrivé plus digne de memoire, pour plus apertement monster l'instabilité de toutes choses crees, & principallement de l'operation humaine & de ses edifices, à fin que nous n'en bastissions nostre orgueil», op. cit, ff. 55r-56v.

[26]

Op. cit., p. 11.

[27]

Ibid., p. 170.

[28]

Ibid., ch. 16.

[29]

Hermiogène, Augustin Courbé, 1648, Epître à Madame de Mallenoë, non paginée.

[30]

Ibid., livre I, p. 60.

[31] «« Les êtres de raison, ou les modes d'être de la littérature », in Res et Verba in der Renaissance, éd. Eckhart Kessler et Ian MacLean, colloque de Wolfenbüttel 1998, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, Wolfenbüttel, 2002, p. 177-195»; « Le ‘possible passé' : la reconstitution historique dans le récit au XVIe siècle », Revue des sciences humaines, 2005; La Montagne d'or. Étude sur la fiction à la Renaissance, à paraître.

[32]

Pre-Histoire textes troublés au seuil de la modernité, II, Droz, Genève, 1999.

[33]

Art. cit., voir supra, note 15.

[34]

Le hasard en littérature, le possible et la nécessité (1973),trad. E. Kaifholz, Paris, Klincsieck, 1986.

[35] «ecco la Fortuna a' nostri cominciamenti è favorevole, e hacci davanti posti discreti giovani e valorosi…» Decamerone, Introduzione, a cura di Vittore Branca, Einaudi, 1980, p. 39.

[36] Dans le texte, le mot équivaut à «aventures», L'abbé de Saint-Savyn demande à ses hôtes «de leurs fortunes» Prologue, (1560), Garnier, 1967, p. 4.

[37] «mais Dieu voulut qu'il fut si près de la rive…»; «Et ce soir là, Dieu y amena ce bon religieux», ibid., p. 5

[38] «Louant le créateur qui, en se contentant des serviteurs, avoit saulvé les maistres et maistresses», ibidem.

[39] «Ce fut lors qu'une passion juste en apparence, mais impie en effet, me représentoit à travers tant de miseres l'Autheur de ce tout, le Maistre Ouvrier des Cieux si peu soigneux en la conservation de ses oeuvres. J'allois esgarant mon imagination parmy les routes perilleuses, si le respect tiré de la crainte d'offenser ceste toute puissance, n'eust arresté le cours de ma curiosité, en me faisant voir en mes propres fautes le suject de tant de fleaux, qui nous estoient eslancés d'en haut.» Les amours de Mélite et de Statiphile, Paris, David le Clerc, 1609, f. 2v.

[40] Astrée, I, 7, édition Vaganay, p. 255.

[41] La double mort des amants est un topos de la pastorale, abondamment exploité dans les Bergeries de Julliette de Nicolas de Montreux.

[42] «La pluspart de la ville [Venise] fut deffigurée par tel accident. Depuis elle a esté tellement rebasties, enmbellie & agrandie, que ceste perte des longtemps ne paroit plus […] L'an mil cinq cents trente six, le deuxième jour de May, un tourbillon de vent ayant espandu ç'a & là des estincelles, le feu se print en plusieurs maisons à Delff ville grande, belle, & renommée en Hollande, tellement, qu'en peu d'heures la pluspart d'icelle ville fut ruinée & peut s'en falut qu'elle ne fut du tout consumée a mise en poudre par cest embrasement. Mais elle a esté tellement restaurée depuis que c'est aujourd'huy l'une des plus plaisante & agreables villes que l'on sçauroit voir» Histoires admirables & memorables advenuës de notre temps. Recueillies de plusieurs bons Autheurs, Memoires, & Avis de divers endroits… Nouvellement mises en lumière par S. G Paris, Jean Houze, 1618, t. I, p. 134.

[43]

Clélie, histoire romaine (1654), éd. Delphine Denis, Gallimard, folio classique, 2006, p. 39.

[44] «de sorte qu'il avait été contraint de se laisser conduire à la Fortune, qui le sauva d'un si grand péril», ibidem.

[45]

Ibidem.

[46]

Ibid., p. 41.

[47] La peinture, au XVIIe s, confirme cette hypothèse. L'apparition, à la fin du seizième siècle, de tempêtes «immotivées», sans lien avec un épisode religieux, va dans ce sens, ainsi que le traitement de l'élément météorologique par Poussin. Voir René Démoris, «Les tempêtes de Poussin», in L'événement climatique et ses représentations (XVIIe-XIXe siècle), histoire, littérature, musique et peinture, dir. E. Le Roy Ladurie, J. Berchtold, J-P. Sermain, Desjonquères, 2007.



Françoise Lavocat

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Dernière mise à jour de cette page le 10 Novembre 2007 à 11h49.