Atelier



Introduction de l'ouvrage de Guillaume Peureux, La Fabrique du vers. Paris : Éditions du Seuil, coll. "Poétique", 2009, 668 p.

Compte rendu dans Acta fabula: "La métrique et ses historicités" par Benoît Houzé.

Ce texte, reproduit ici avec l'aimable autorisation des Éditions du Seuil, est très proche de la version finale, dont il diffère toutefois légèrement. Les notes sont ainsi présentées en continu, tandis qu'elles sont renumérotées à chaque page dans la version papier. Le sommaire détaillé de l'ouvrage est reproduit en bas de cette page.



La Fabrique du vers: introduction.


Départ dans l'affection et le bruit neufs!
Rimbaud


Préambule


En France, une poésie dont le principe premier est le décompte des syllabes, et qui apparaît sous différentes formes qui sont le résultat de pratiques d'auteurs, de pratiques scolaires ou universitaires parfois, mais aussi publicitaires (sous la forme de slogans rappelant les formes métriques familières), est aujourd'hui une survivante, presque une rescapée. Non pas seulement parce qu'elle est une production minoritaire, mais parce que son histoire révèle, depuis l'apparition d'une poésie en français dont on compte les syllabes, jusqu'à nos jours, à la fois sa capacité de persistance et la continuité, de siècle en siècle, des résistances, des critiques, des remises en cause, de l'invention de systèmes poétiques alternatifs (vers mesurés à l'antique, théories du vers syllabique et accentuel, vers libre). Cette histoire révèle l'efficacité pourtant contestée d'un système métrique remplaçable mais auquel jamais aucun autre système ne s'est véritablement substitué en français.


La versification est une partie de la prosodie


On aime parfois penser de la poésie qu'elle est un langage en partie débarrassé des habitudes du quotidien, qui renouvelle notre regard ou notre être au monde, tel un «infra-langage», celui de l'enfance par exemple (le moment où l'on ne parle pas encore), ou bien qu'elle est une sur-élaboration, par laquelle on retrouve un lien perdu avec le réel et qui opérerait un dévoilement aux fonctionnements quelque peu prodigieux. Le langage de la poésie permettrait un accès ou un retour aux sensations, au monde ou même à soi parce que, précisément, il serait défait de nombreux arbitraires qui nous entravent. Or, il n'est sans doute rien de plus arbitraire, rien de plus dépendant de conventions que la composition des vers, dans laquelle on compte le nombre des syllabes (au lieu par exemple de disposer des accents ou des voyelles longues et brèves en des positions prédéfinies) et on se soumet à certains usages, changeants, concernant la langue. Et, s'il est possible peut-être que l'arbitraire poétique permette d'accéder à ce qui échappe aux «mots de la tribu[1]», c'est qu'il est d'abord affaire de rythmes, parce que la langue et chaque mot inscrit dans le poème et devenant de ce fait indispensables sont littéralement soutenus par le système métrique. La poésie produit des rythmes, des constituants rythmiques – c'est-à-dire des successions de phénomènes sonores repérables en tant qu'ils sont équivalents – et repose sur eux. Certains sont périodiques: le nombre syllabique, les mètres constituant les strophes. Certains ne le sont pas: matière sonore, ordre des mots et découpage syntaxique ou, du moins, pas à l'échelle du poème. La science générale de tous ces rythmes est la prosodie.

Le présent ouvrage n'est pas un essai sur la prosodie. C'est une histoire des vers en France, de leur permanence et de leurs évolutions. La différence est fondamentale: on ne va s'intéresser qu'à une partie des rythmes que la prosodie prend en charge. Les mètres produisent des rythmes périodiques: ils n'existent (ils ne sont perceptibles[2]) que par la périodicité, alors que d'autres rythmes envisageables, celui de la conversation ou celui de la prose sont a priori non périodiques (il convient ainsi de ne pas confondre la métrique avec les impressions rythmiques que l'on peut avoir), tout comme d'autres couches de rythmes qui s'articulent aux mètres[3]. Autrement dit, il n'y a pas de raison de considérer que la célèbre phrase de Montaigne: «Parce que c'estoit luy, parce que c'estoit moy» est un vers, même si les groupes syntaxiques qui y sont agencés semblent rappeler un alexandrin tel qu'on les a longtemps composés (6+6 syllabes): aucune périodicité ne permet d'identifier ces mots comme des vers, et ils ne sont extraits d'aucun poème que Montaigne aurait cité; pour les mêmes raisons, la proposition suivante: «et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre», extraite de la tirade de Sganarelle au début du Dom Juan de Molière, est de la prose. Car si l'on considère que ces deux citations sont des vers, on prétend qu'un vers peut exister isolément de tout autre vers, in se ou per se; on risque alors de repérer d'innombrables vers, de une à douze syllabes, cachés au sein de n'importe quel texte de prose. La célèbre réplique du maître de philosophie dans Le Bourgeois gentilhomme («Tout ce qui est prose n'est pas vers; et tout ce qui n'est point vers est prose[4]»), perdrait toute son «évidence», et la périodicité disparaîtrait de la définition du vers français[5]. Dans Les Premières Addresses du chemin de Parnasse (1620), premier traité systématique (et exclusif) de versification française en français, Louis Du Gardin, un médecin de Douai, évoque l'importance capitale de la périodicité pour la poésie française: «ce n'est assez en la langue françoise, faire une ligne, ou seulement un Vers, pour faire distinction contre la Prose, comme se faict en la Poësie Latine: Mais il faut, pour le moins nécessairement avoir deux Vers, lesquels doivent unisonner en leurs fins[6]». La poésie française n'étant pas fondée sur une alternance réglée de voyelles longues et de voyelles brèves qui permettent à un lecteur lettré d'identifier immédiatement une séquence poétique et de la distinguer d'une séquence en prose (où l'alternance des longues et des brèves n'est pas réglée), il faut au moins deux vers pour avoir des vers. Cela ressemble à un truisme, mais c'est au fondement même de la poésie métrique française jusqu'au milieu du XIXe siècle au moins.

Contemporain de Du Gardin, Pierre Laudun d'Aigaliers écrivit ce qu'il nomma un «Sonnet en prose[7]»:

Je voudrois bien volontiers chanter ta grand'gloire,
Et dire aussi tout ce, dequoy tu puis vanter:
Mais puis que je n'ay jamais sceu si hault chanter,
Je contempleray constant ce que je dois croire.
Tu seras gravé dans le temple de memoire,
Car, docte, tu as merité de frequenter,
Les Princes les plus excellents qu'on peut compter:
Qui sont, ou bien qui seront en ce territoire.
C'est pourquoy, mon docte Allemandi, je sçay bien
Que jamais tu ne manqueras d'heur et de bien
Ains vivras avec les hommes en toute joye,
Je prie donc le grand Dieu qui de rien a tout faict
Te rendre chascun desir pieux, tres-parfaict
Pour te donner par un jour à sa saincte voye.

Quoique ce texte rappelle visuellement un sonnet en vers (quatorze lignes qui ressemblent à des vers familiers et qui sont regroupées par quatre puis par trois), il s'agit aux yeux de son auteur d'un texte en prose. Certains diront peut-être que chaque ligne est un vers et détermineront des frontières entre hémistiches puisque, tout compte fait, on dénombre douze syllabes numéraires métriques par ligne. Voici comment seraient probablement décrits les «vers» de ce poème, certains «découpages» étant hautement fantaisistes et improbables par ailleurs:

1. 7-5
2. 6-6
3. 5-7 ou 7-5
4. 5-7 ou 7-5
5. 5-7
6. 8-4
7. 8-4
8. 7-5
9. 3-9
10. 8-4
11. 3-9
12. 6-6
13. 9-3
14. 4-8 [8]

Or en faisant cette description, non seulement on ne tiendrait pas compte des règles de fonctionnement de la métrique syllabique en français, mais on ne tiendrait pas compte non plus de ce que l'auteur dit lui-même de son texte. Essayons plutôt de tirer des conséquences de ce que Laudun d'Aigaliers nous apprend.

En premier lieu, on note que, hormis dans les lignes 2 et 12, qui rappellent formellement des alexandrins classiques, les frontières entre les hémistiches ne sont pas toujours distinctes (vers 1, 3, 4, 6-10, 13, où cette frontière est recouverte par un mot), ce qui rend les mesures difficilement perceptibles: la concordance entre syntaxe et métrique est pour l'époque inhabituellement bouleversée par ces coupes sans place assignée; mais au vers 5, c'est une préposition («dans») qui clôt l'hémistiche; et l'on repère aux vers 9, 11, 13 et 14 qu'il y a une très forte discordance. Autrement dit, quand les césures ne sont plus disposées de manière systématiquement similaire d'un vers à l'autre, Laudun d'Aigaliers considère qu'il ne s'agit plus de vers[9]. Cela confirme que la perception de la périodicité syllabique est, au moment où ce sonnet est écrit, décisive pour définir ce qui relève de la poésie: Laudun d'Aigaliers brouille la perception du seul nombre des syllabes, sans considération pour un autre type de rythme qui reposerait par exemple sur une succession réglée de syllabes longues et brèves. Enfin, puisque le nombre global constant de syllabes composant ces lignes n'en fait pas des vers mais de la prose, Laudun d'Aigaliers suggère à ses lecteurs que ce nombre n'est pas perceptible: de fait, il existe une limite (quantitative) à la capacité humaine de perception des syllabes, telle que le retour de séquences de douze syllabes est hors de perception et que ces séquences ne peuvent pas être perçues comme équivalentes entre elles[10].

Dans les années 1870, en voulant renouveler la poésie française métrique en se débarrassant de ses formes les plus vénérées, comme l'alexandrin, Rimbaud n'hésite pas à mêler dans un même texte des vers familiers, comme des alexandrins (6-6), avec des mesures non métriques (non perceptibles), telles que 9-3 par exemple. Cela ne signifie pas qu'un texte tel que «Qu'est-ce pour nous mon cœur…[11]» n'est pas un poème en vers.

Autrement dit, la versification n'est pas un savoir fixé depuis son origine, c'est une activité changeante. Ainsi, au moment précis où écrit Laudun d'Aigaliers, alors qu'une vogue de vers mesurés (composés sur une alternance de syllabes longues et brèves) s'éteint et qu'on ne parle pas encore de poème en prose, il existe une équivalence dans l'esprit des lettrés entre poésie et nombre syllabique.


La fabrication des vers est un fait historique


L'approche métrique des vers se doit de les appréhender en fonction de conditions historiques indispensables à la compréhension même des textes: actualité des usages, modes de lecture, conceptions esthétiques, etc. En cela, elle ne se confond pas avec le sentiment personnel du lecteur, son sens du rythme ou une vague idée qu'il aurait de ce que peut être la prosodie. L'étude de la métrique se définit comme le fait d'être centré sur les textes en tant qu'ils résultent d'un travail d'écriture individué adossé à des contraintes elles-mêmes sujettes à des appropriations par l'auteur dans le cadre de négociations avec les tendances de son époque, avec les goûts, les usages, les pratiques, les habitudes, comme avec des évolutions telles que celles qui touchent à la phonétique[12] ou aux conceptions syntaxiques par exemple.

L'appréhension des poèmes, comme de tout texte, est une expérience personnelle qui, si elle peut se partager, relève néanmoins de manière indiscutable de la subjectivité du lecteur. Les conditions d'appropriation du poème par celui-ci sont éminemment variables (sociales, historiques, politiques, sexuelles, etc.) et de surcroît conditionnées par les compétences spécifiques dudit lecteur, son expérience de la poésie française en vers. Cela influe par exemple sur sa lecture, silencieuse ou à voix haute. Et si ce dernier mode de lecture n'est absolument pas exclusif du premier, il révèle inexorablement des variations plus grandes dans la seule profération du poème. Àcela s'ajoutent les écarts entre la manière dont le poète aurait pu lire son texte, la manière dont le public auquel il s'adressait pouvait lire le texte et les conditions d'appropriation singulières de chaque lecteur, autant de scansions singulières, contingentes, qui n'ont pas seulement à voir avec la métrique.

Pour s'approcher d'une compréhension juste des textes et de leur fonctionnement, il faut donc prendre en compte la réalité mouvante, évolutive du vers, et tout particulièrement de l'alexandrin en tant que c'est un vers qui fait l'objet de nombreuses projections esthétiques et idéologiques au point d'être ce qu'on pourrait appeler «le vers français par excellence». L'approche métrique n'est donc ni prescriptive ni évaluative. Elle se démarque d'une approche manichéenne du vers juste opposé au vers faux pour mieux comprendre comment et pourquoi on a pu écrire des vers à un moment donné[13]. C'est donc moins en termes de règles ou de lois qu'il sera parlé de poésie dans cet ouvrage, qu'en termes d'usages ou de pratiques adossés à certains invariants. On préférera mettre en avant des usages ou des pratiques métriques en mouvement. C'est au regard d'un contexte construit et justifié par l'analyste qu'on peut parler de versification, en situant tel ou tel praticien du vers dans un corpus large d'auteurs contemporains, ou en observant sa pratique en diachronie par exemple afin de voir comment un vers analysé est ou non conforme à une tendance déterminée auparavant[14].

La syntaxe poétique est une forme d'accident, une matière associée à la mesure et sujette à d'infinies interprétations quant à son sens, à son organisation et à son rythme global, c'est-à-dire à tout ce qui y produit du rythme, au-delà de la configuration métrique. Les marquages mélodiques, les proéminences, qui en relèvent, sont des phénomènes accidentels (au sens où ils ne sont pas métriques mais relèvent de la langue, voire de l'interprète lui-même), ils s'y associent seulement, qu'il s'agisse d'usages accentuels localisés dans le temps, dans l'espace social ou dans la géographie. Ils n'affectent pas la perception du rythme métrique (celui du nombre) et surtout ne la conditionnent pas. La forme de la phrase et la morphologie sont des choix du poète qui, s'ils permettent d'observer des concordances ou des discordances entre le discours et la forme métriques ne sont pas pour autant des objets métriques. Bien souvent, les analyses syntaxiques et sémantiques opérées dans l'analyse littéraire des poèmes sont trop lapidaires et tendent à fusionner abusivement versification et rythme au nom d'un commentaire sémantique et syntaxique (souvent succinct): elles ne sont pas historicisées (Ronsard, La Fontaine et Mallarmé n'ont pas les mêmes conceptions de la phrase, de la grammaire, etc.) et sont réduites à une description des constituants qui ne rend pas compte de tous les éléments textuels qui participent à l'élaboration du sens. C'est donc prendre le risque d'analyser la poésie en fonction d'hypothèses incomplètes sur le mode de constitution du sens au détriment d'autres modes ignorés. Ainsi, les «découpages» du type: «cet alexandrin est un 4/2/2/4», outre qu'ils sont insuffisants pour analyser le fonctionnement rythmique de la séquence discursive en question, ne décrivent pas ce qui rend le vers métrique perceptible comme vers[15].

Sans ignorer la possibilité, voire la pertinence artistique de lectures anachroniques, c'est-à-dire fondées sur le jugement ou les sentiments d'un lecteur au détriment d'une prise en compte des conditions de production des poèmes, on peut aborder la versification des poèmes en fonction des compétences des lecteurs visés par les poètes. Ces compétences sont d'abord leurs habitudes de lecture (sont-ils, par exemple, habitués à lire des vers de dix syllabes en 4-6 ou bien indifféremment en 4-6 et en 6-4, ou à lire des sonnets comme celui de Laudun d'Aigaliers, cité précédemment?) à partir desquelles il est possible de cerner ce qui est régulier à leurs yeux et ce qui est une anomalie métrique, c'est-à-dire de saisir d'éventuels effets de sens, leurs capacités métriques changeant avec le temps (un lecteur d'aujourd'hui, qui a développé d'autres compétences et est différemment sollicité, perçoit moins aisément les équivalences et anomalies métriques que ne le faisaient des lecteurs lettrés d'il y a cent cinquante ans par exemple). Il est donc indispensable de prendre en compte, dans cet ouvrage qui se veut une étude historique de versification française, en parallèle des poèmes, les textes écrits sur la versification depuis la Renaissance. Non pour les constituer en discours de vérité, mais en tant qu'ils sont des observatoires privilégiés des pratiques et débats de leur temps, et qu'ils expriment des prises de position plus ou moins représentatives.


Écrire l'histoire des vers


C'est par commodité que l'on décrit généralement les vers en fonction d'un profil ou prototype qu'on ne prend pas toujours le temps d'établir et que l'on suppose immuable: «un alexandrin, c'est…», «un décasyllabe, c'est…». Henri Meschonnic pose pourtant comme hypothèse que «toute mise en page représente et pratique une conception du langage à découvrir» et que «toute page de poésie représenterait une conception de la poésie»[16]. Les conséquences de ces propositions sont radicales puisqu'il y aurait autant de métriques, autant de langues et autant de poésies que d'auteurs et donc autant de manières d'approcher les textes. Il semble, pour infléchir légèrement cette position, qu'il y ait des tendances massives selon les moments, ce qui n'exclut pas que chaque poète puisse faire des usages spécifiques de l'écriture des vers, en particulier après 1850 environ. Notre propos sera donc situé à la croisée de la recherche de fonctionnements métriques prototypiques et de l'identification de marques contextuelles dans la composition des vers.

Jean-Pierre Bobillot[17] a soulevé un problème majeur dans l'approche de la versification française en diachronie, et dans sa description: l'existence de ce qu'il appelle deux «mythes», deux récits typiquement français qui contribuent à brouiller l'analyse et qui ont des effets sur la fabrication et l'appréhension des vers au fil de l'histoire en France.

Il existe un mythe qui porte sur l'époque dite «classique» (du milieu du XVIe au XVIIIe siècle) et qui consiste à penser que le vers se serait alors adapté à un «génie» de la langue française, à sa «clarté», à son ordre «logique» dans lequel elle présenterait les mots dans la phrase (sujet-verbe-complément)[18]. En effet, réside dans l'imaginaire collectif, et donc dans la perception des vers telle qu'elle est conditionnée, l'idée que les vers «classiques» sont des réalisations linguistiques et métriques idéales à l'aune desquelles il faudrait juger toute poésie française. Par là, on semble supposer l'uniformité des conceptions syntaxiques, de construction du sens et des usages poétiques entre1550 et1800, voire au-delà. Selon l'étymologie de classicus, le «classique» est celui que l'on enseigne et qu'il faut imiter parce qu'il est le premier, le meilleur. Ce qui est écrit de manière différente oscille alors dans l'imaginaire collectif entre faute, erreur et dégradation du modèle. Baudelaire, Rimbaud ou d'autres ne font pourtant pas toujours des fautes quand leurs vers ne ressemblent pas à ceux de Malherbe ou de Racine, ni Villon, quand il compose selon des principes que Voltaire ne reconnaît pas.

Si, comme tant d'autres, Antoine Arnauld peut croire et écrire, depuis l'abbaye de Port-Royal, que la langue française «aime particulièrement la netteté, et à exprimer les choses, autant qu'il se peut, dans l'ordre le plus naturel et le plus desembarrassé, quoiqu'en même temps elle ne cede à aucune en beauté, ni en élégance[19]», les deux vers de Malherbe cités ci-dessous, à défaut de défaire pour toujours ce «mythe» inventé dès le XVIIe siècle, y fixeront sans doute quelque banderille par l'obscurité qui semble y régner:

Ce ne sont point esprits qu'une vague licence
Porte inconsidérés à leurs contentements[20].

Malherbe, le maître de la poésie classique, le réformateur du Parnasse, le promoteur de la clarté à la française selon la doxa se révèle désordonné et obscur parfois. Or, si la figure malherbienne[21], si fondatrice dans l'histoire littéraire en France, s'effrite quand on le confronte à la réalité de certains de ses vers, dont la syntaxe semble moins relever d'un ordre naturel[22] que de contorsions maladroites ou «baroques», c'est bien aussi que la versification et son histoire sont l'objet de représentations biaisées, ces «mythes» selon J.-P.Bobillot, ces fables, dont on peut sans doute se défaire.

Henri Meschonnic affirme que:

le métricien n'admet pas le changement. Du moins il ne l'admet qu'à l'intérieur de son monde. Il est donc de ceux qui ont le plus de mal à reconnaître ce qui n'en est pas. Ala théorie du rythme comme alternance du même et du différent qui se résout dans le primat du même, correspond le conservatisme du même. Il voit surtout l'ancien dans le nouveau[23].

Il dénonce, pour défendre sa propre théorie du rythme[24], les effets sur la perception métrique scolaire et universitaire du discours dominant qui empêche souvent tout effort d'historicisation. Incapable de voir l'événement produit par le texte, et le sens de cet événement, ne sachant résister à l'envie de le rabattre sur du déjà-vu métrique considéré comme «classique» et donc universellement bon, le «métricien» de Meschonnic s'empêche parfois, et ses lecteurs avec lui, de saisir la nature des vers qu'il lit parce qu'il n'en voit pas les enjeux historiques. Ainsi, Jean Mazaleyrat écrit-il par exemple qu'«un vers d'Eluard […] ne se lit pas autrement qu'un vers d'Hugo ou même de Racine[25]», puisque, selon lui, l'analyse de la métrique d'un texte pourrait se faire «indépendamment de toute considération d'ordre historique[26] ». Or, si la «non-historicité» peut être un principe de lecture délibéré, elle n'en demeure pas moins risquée, d'un point de vue technique et scientifique, pour les analyses qui en découlent. Rappelons une évidence dont les conséquences sont essentielles: la poésie est une affaire de langue. Quelle que soit l'époque, la poésie est prise dans la langue et ses évolutions, mais est aussi l'objet de projections politiques[27]. De ce fait, la poésie et, par conséquent, le principe formel qui la fonde sont l'objet des mêmes projections et se voient aussi parfois chargés de symboliser ou de prendre en charge des discours conservateurs ou réformateurs, se représentant comme classiques ou comme modernes, etc. Si la versification n'est pas à proprement parler de la politique, elle est sujette à des changements, elle a une histoire marquée par les représentations que les élites lettrées mais aussi les élites politiques s'en font, une histoire intimement liée aux politiques de la langue également. Elle n'est donc pas un corps de savoir, elle est une discipline, un champ disciplinaire où s'affrontent des amateurs et des professionnels de la poésie, où des positions de pouvoir sont en jeu[28].

Le suivi de cette histoire de la versification tend aussi à mettre en évidence combien la période qu'on appelle parfois improprement les «siècles classiques» correspond au moment où se sont fixées un certain nombre de pratiques, des régularités plutôt que des règles, dont l'importance est fondamentale; malgré des variations, ces siècles se caractérisent par une versification définie par des constantes (tendance à la concordance, rime systématique réglée par des codes promouvant sa variété et son extension, strophes au fonctionnement binaire). En effet, nombre de régularités se sont presque définitivement fixées entre1550 et1680 environ. Pour les lettrés, pour les amateurs de poésie, pour tous ceux qui par goût ou du fait de leurs études ont appris de la poésie ou en ont étudié, qui en somme en ont une connaissance assimilable à une compétence, cette période constitue une forme de modèle poétique à l'aune duquel toute poésie en français est lue: «classique» pour l'histoire littéraire, cette période incarne l'idée d'une norme qui sert d'étalon. Dans une remarque sur Hugo, Maurice Grammont met en relief cette dimension:

Victor Hugo désarticulait l'alexandrin, parfois jusqu'à la disgrâce, mais sans briser les liens d'airain qui maintenaient droite sa forme traditionnelle; agrandissant très peu le geste, il ajoutait aux membres des ornements nouveaux et obligatoires: après lui, la césure demeure et les douze syllabes que l'œil compte et que l'oreille cherche […][29].

Un lecteur contemporain d'Hugo, rompu à la forme 6-6 du vers de douze syllabes, est dans un rapport de très forte attente à l'égard des vers qu'il lit. Grammont évoque en fait l'inscription de ce vers dans la culture française, dans l'imaginaire collectif aussi, où Hugo, l'alexandrin et la France ne semblent faire qu'un. Il souligne aussi combien un tel lecteur, aux capacités métriques probablement différentes des nôtres et sans doute assez proches de celles des lettrés contemporains de Racine, a inscrit dans sa mémoire un rythme 6-6, de telle sorte qu'il «cherche» à retrouver presque intuitivement cette forme à laquelle il est accoutumé. Mais avec l'idée de la fixité absolue en 6-6, ces «liens d'airain», Grammont incite aussi son lecteur à appréhender comme une erreur ou une faute tout mètre différent de douze syllabes (5-7 par exemple) prenant un usage dominant à travers les siècles pour une loi inhérente à la composition de l'alexandrin.

Le «mythe» du classicisme et de la transparence entraîne le déploiement d'un second «mythe» de révolte localisée dans le temps et que J.-P.Bobillot identifie dans l'historiographie française au moment de l'époque romantique. Selon ce second récit, le progrès en matière de poésie serait nécessairement passé par une révolte contre les formes usuelles et les conventions. Une telle supposition tend à surévaluer le moment romantique en négligeant l'existence préalable d'anomalies métriques au regard d'usages contemporains ou de lois de la métrique (la périodicité, le syllabisme, etc.)[30]. Elle postule également que l'entreprise romantique de remise en cause de la versification avait sonné le glas du vers et de la métrique. Or, dans La Vieillesse d'Alexandre (1978), Jacques Roubaud a montré combien l'émergence du vers libre était intimement liée à la métrique syllabique[31], preuve que le rejet de la versification se fondait inexorablement sur elle. On abordera donc le vers-librisme comme un objet-limite pour l'étude métrique dont il faut définir les méthodes, les outils ad hoc et les objectifs. Mais on observera aussi comment, au fil du temps, depuis le XVe siècle, des poètes ont parfois joué avec les codes de leur temps, avec les usages dominants[32].

Or, depuis les travaux pionniers de Georges Lote[33], l'histoire des vers en France n'a pas été écrite de manière systématique, même si l'alexandrin du XIXe siècle[34] ou certaines formes poétiques, comme le sonnet[35], ont fait l'objet de travaux historiques[36]. Or, c'est parce que les vers sont un fait historique que le présent ouvrage s'attache à décrire les fonctions poétiques de la mise en vers, les techniques de composition et leurs évolutions. L'histoire de chaque constituant métrique (de la syllabe à la strophe) est commentée; leur apparition, leur fixation et leurs évolutions, mais aussi les causes de ces différentes étapes, sont présentées; les principes de l'analyse des vers (rejets, enjambements, discordances) sont discutés en fonction de leur inscription dans des contextes esthétiques et linguistiques décisifs pour leur analyse. Ensuite, en suivant les grandes étapes de cette histoire de formes, en quelque sorte, on observe au fil du temps la mise en place de cette métrique régulièrement contestée par des partisans d'autres métriques ou par des opposants à la rigidité supposée de ce système. Si le syllabisme s'est globalement imposé depuis le Moyen Age jusqu'à l'émergence du vers libre, une métrique accentuelle ou quantitative aurait été envisageable en français. Son élimination et le succès d'une métrique où prédomine la perception d'équivalence en nombre de syllabes sont un fait historique, une institution lente et conflictuelle dont les enjeux, au fil du temps, dépassent la seule versification, et que cet ouvrage s'efforce de comprendre et d'expliquer.

Il ne s'agit donc ni d'une encyclopédie historique des esthétiques ou des poétiques spécifiques de tel ou tel auteur, ni d'une histoire des genres ou formes fixes. Il ne s'attache qu'à la fabrique des vers et aux discours qui l'entourent ou l'encadrent, aux motivations et conséquences de ces derniers. Sa perspective historique est celle des formes, dont l'évolution est expliquée et rationalisée par le biais de l'intérêt porté aux espaces intellectuels et sociaux qui la conditionnent.


Guillaume Peureux

Page de l'atelier associée: Versification, Histoire



[1] St.Mallarmé, «Le tombeau d'Edgar Poe», Œuvres complètes, éd. H.Mondor et G.Jean-Aubry, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1945, p.70.

[2] Sur cette notion, voir B.de Cornulier dont les travaux sur la métrique, et notamment la Théorie du vers. Rimbaud, Verlaine, Mallarmé (Paris, Ed. du Seuil, coll. «Travaux linguistiques», 1982), constituent pour cet ouvrage une base théorique décisive.

[3] H.Meschonnic a montré que les auteurs s'inscrivent dans leurs textes, y libèrent quelque chose d'ordre physiologique, leurs propres rythmes, qui sont perçus par les lecteurs. Voir sa Critique du rythme. Anthropologie historique du langage, Paris, Verdier, 1982.

[4] Molière, Le Bourgeois gentilhomme, dans OEuvres complètes, éd. G.Couton, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1971, t.II, p.730.

[5] Néanmoins, il faut souligner que les compétences métriques et l'oreille des contemporains de Montaigne puis de Molière, jusqu'à Hugo au moins, leur permettaient peut-être de percevoir dans la prose des constructions qui pouvaient leur rappeler des vers familiers, a fortiori puisque ces propositions peuvent se lire en langue des vers. Dans ce cas, il y aurait un effet de citation possible, une connivence culturelle. Cela ne fait pas de ces énoncés des vers, mais il est donc envisageable qu'ils aient été identifiables comme tels à certains moments de l'histoire.

[6] L.Du Gardin, Les Premieres Addresses du chemin de Parnasse, pour monstrer la prosodie françoise par les menutez des vers françois, minutees en cent reigles, Douay, B.Bellere, 1620, p.8-9. Du Gardin précise que la rime est déterminante parce qu'il la considère comme un facteur rythmique appartenant au système syllabique.

N.B. Cette citation, comme toutes les citations de cet ouvrage, est restituée dans son orthographe; l'objet du livre étant la poésie et notamment sa langue, il allait de soi de respecter au plus près cette graphie (hormis les modifications d'usage: discrimination des i/j et u/v). Par conséquent, il arrive que soit donnée en référence de bas de page une édition ancienne et qu'elle soit complétée de références plus récentes (mais dans lesquelles l'orthographe a été modernisée) dans la bibliographie de fin d'ouvrage.

[7] L'existence de ce sonnet m'a été signalée par J.-Ch.Monferran. Il se trouve dans St.Allemandi, La Venue de la Paix, Paris, Fr.Huby, 1598, p.47.

[8] Il semble qu'il y ait apocope due de «prie».

[9] C'est la raison pour laquelle il a semblé préférable ci-dessus de parler de «coupes». Cette notion n'implique aucune périodicité, au contraire de la césure (souvent confondue avec la frontière entre les mesures; voir p.161 et suiv.).

[10] Voir p.146 et suiv., la «loi des huit syllabes», loi non métrique mais liée aux limites et capacités de notre cerveau et qui a de ce fait des répercussions sur l'écriture des vers.

[11] Voir p.495 et suiv.

[12] Voir Y.-Ch.Morin, «La naissance de la rime normande», Poétique de la rime, dir. J.Dangel et M.Murat, Paris, Champion, coll. «Métrique française et comparée», 2005, p.219-252; «La rime d'après le Dictionnaire des rimes de Lanoue», Langue française, 1993, n°99, p.107-123; et «La variation dialectale et l'interdiction des suites voyelles + e muet dans la poésie classique», Le Vers français. Histoire, théorie esthétique, éd. M.Murat, actes du colloque de 1996 (université de Paris-Sorbonne-Paris-IV), Paris, Champion, coll. «Métrique française et comparée», 2000, p.193-227.

[13] En cela, elle ouvre la voie à des réflexions sur la stylistique de l'écart (L.Spitzer, Etudes de style, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1993) et sur les jeux avec des «horizons d'attente» (H.R.Jauss, Pour une esthétique de la réception [1972], Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1978). En effet, l'introduction d'anomalies métriques se fait dans un rapport ironique ou impertinent à l'égard des codes dominants. Cependant, il convient de distinguer ce qui est de l'ordre de l'anomalie dans un cadre donné et ce qui est de l'ordre d'un renouvellement.

[14] Sur ce point, voir J.-M.Gouvard, «Le vers français en métrique générale», Le Vers français, op. cit., p.23-56. Voir également p.600 et suiv. dans le présent ouvrage.

[15] De même, la postulation qu'il existerait des accents de fin de mots (accentuation lexicale), de début de mots polysyllabiques, de groupes de mots (accentuation syntaxique) ne permet pas d'induire l'existence dans la poésie classique française d'une métrique fondée sur leur possible existence. Au plus doit-on leur envisager une fonction dans le cadre de la diction.

[16] H.Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p.303. Meschonnic affirme plus loin que les vers libres sont les lieux où se déploient des «prosodies personnelles» et le «rythme du sujet» (p.612), ce qui semble de son point de vue applicable aux vers métriques également.

[17] J.-P.Bobillot, «Pour une métrique restreinte. “Crise de vers”, encore», Le Vers français, op. cit., Paris, Champion, 2000, p.107-126.

[18] Il n'existe bien sûr aucun «génie» de la langue française (toute langue semble claire pour ceux qui la parlent et l'écrivent). Une telle croyance relève d'une forme de patriotisme intellectuel. Les linguistes ont par exemple repéré de véritables différences entre ce qu'ils nomment le français «pré-classique» (avant 1640 environ) et le «français classique», signe qu'il n'existait pas une seule langue française au XVIIe siècle (à quoi s'ajouteraient les variations sociolectales). Plus encore, les descriptions des remarqueurs, tel Vaugelas, créent davantage un horizon idéal qu'elles ne reflètent une réalité linguistique; et c'est précisément cet idéal de certaines élites qui passe parfois dans la littérature critique contemporaine pour une réalité. Voir, par exemple, G.Siouffi, «Vaugelas et la notion de “cohésion”», Problèmes de cohésion syntaxique de 1550 à 1720, dir. J.Baudry et Ph.Caron, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 1998, p.279-312; et, du même auteur, «La norme lexicale dans les Remarques sur la langue française de Vaugelas», La Norme lexicale, dir. G.Siouffi et A.Steuckardt, Montpellier, Dipralang, 2001, p.57-85. Voir aussi H.Weinrich, «Clarté du français ou clarté des Français?», Conscience linguistique et Lectures littéraires, trad. de l'allemand par D.Malbert [1985], Paris, Maison des sciences de l'homme de Paris, 1989, p.219-235.

[19] A.Arnauld et Cl. Lancelot, Grammaire générale et raisonnée… [1660], Paris, Prault fils, 1754, p.211. Arnauld et Lancelot par ailleurs affirment que la «liaison» des mots entre eux, l'ordre dans lequel on les dispose, est «l'action de notre esprit, et la manière dont nous pensons». Il y aurait un rapport de transparence entre la pensée et l'expression verbale, selon un ordre logique et naturel. Voir en particulier p.208-209. L'ordre naturel se révélerait ordinairement «lorsque toutes les parties du discours sont simplement exprimées». Voir, par ailleurs, D.Réguig-Naya, Le Corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l'augustinisme de Port-Royal: Arnauld, Nicole, Pascal, Mmede La Fayette, Racine, Paris, Champion, coll. «Lumière classique», 2003.

[20] Fr.de Malherbe, OEuvres, éd. A.Adam, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1971, p.101.

[21] Voir G.Peureux, «Eléments pour une histoire de l'invention d'une figure de poète: Malherbe», Pour des Malherbe, actes du colloque de Caen (24-25novembre 2005), L.Himy et Ch.Liaroutzos dir., Presses universitaires de Caen, 2008, p.13-22.

[22] Voir p.99 et 409.

[23] H.Meschonnic (Critique du rythme, op. cit., p.595) critique spécifiquement P.Guiraud pour qui la versification «n'a, quoi qu'on en dise, pratiquement pas changé depuis les origines» (La Versification, Paris, PUF, coll. «Que sais-je?», 1970) et J.Mazaleyrat pour qui il y a une «nature du vers français» (Eléments de métrique française [1974], Paris, Armand Colin, coll. «Cursus», 1995). Meschonnic prend acte parmi les premiers de l'historicité de la métrique en tant qu'elle évolue sans qu'il soit question d'appréhender ses évolutions en termes évaluatifs. Ainsi souligne-t-il que l'alexandrin de Ronsard par exemple n'est pas moins parfait que celui d'Hugo.

[24] Voir p.576 et suiv.

[25] Eléments de métrique française, op. cit., p.11.

[26] Ibid., p.15.

[27] Voir H.Meschonnic, De la langue française. Essai sur une clarté obscure [1997], Paris, Hachette, coll. «Pluriel», 2001.

[28] Voir les remarques de Cl.Scott dans «Etat présent. French verse analysis», French Studies, 2006, vol.LX-3, p.369.

[29] M.Grammont, Petit Traité de versification, Armand Colin, Paris, 1908, p.217-218.

[30] Par ailleurs, l'étude de textes jugés mineurs, non canonisés, d'auteurs oubliés permettrait sans doute d'écrire une autre histoire de la poésie et de la versification.

[31] J.Roubaud, La Vieillesse d'Alexandre. Essai sur quelques états récents du vers français, Paris, Maspero, 1978.

[32] Certains textes métriques peuvent avoir des ressemblances, recherchées par les poètes, avec la chanson traditionnelle. Voir B.de Cornulier, Art poëtique. Notions et problèmes de métrique, Presses universitaires de Lyon, coll. «IUFM», 1995, p.149. Par ailleurs, certains poèmes dont la versification est tout à fait en adéquation avec les usages de leur temps ont été composés pour accompagner des mélodies connues. Des auteurs de la Renaissance, en particulier, ont été mis en musique, le plus souvent selon des mélodies connues. Dans d'autres cas, la musique est secondaire et seulement composée pour accompagner les vers, comme dans le cas du Supplément musical des amours de Ronsard (1552), commandé à P.Certon, Cl.Goudimel, Cl.Janequin et M.-A. Muret. Les chansons populaires ou folkloriques ne seront toutefois pas traitées dans ce livre: les textes écrits pour être chantés, accompagnés d'une musique, échappent aux usages qui dominent la production poétique classique. Il peut ainsi arriver qu'une syllabe corresponde à une note, mais il peut aussi arriver que ce ne soit pas le cas et qu'une voyelle soit chantée sur plusieurs notes: la versification est alors comme mise de côté. L'objet de cet ouvrage est la poésie littéraire.

[33] G.Lote, Histoire du vers français [1949], Aix-en-Provence, Université de Provence, 1988-1996, et L'Alexandrin d'après la phonétique expérimentale. Etude sur le vers français, Paris, La Phalange, 1913. Les perspectives théoriques de Lote, pour lesquelles il analyse sans distinction les vers dits et les vers chantés, se basent sur une contestation du syllabisme.

[34] A la suite de B.de Cornulier, J.-M.Gouvard, notamment, a étudié un corpus impressionnant de vers de douze syllabes au XIXe siècle (Critique du vers, Paris, Champion, coll. «Métrique française et comparée», 2000).

[35] Voir A.Gendre, Evolution du sonnet français, Paris, PUF, coll. «Perspectives littéraires», 1996.

[36] Malgré des propositions de R.Barthes («Histoire ou littérature?» [1960], Sur Racine, Paris, Ed. du Seuil, coll. «Points», 1979, p.137-157) et de G.Genette («Poétique et histoire», FiguresIII, Paris, Ed. du Seuil, coll. «Poétique», 1972, p.13-20).



Table

Introduction ......................................................................... 9

Préambule ......................................................................... 9

La versification est une partie de la prosodie ........................ 10

La fabrication des vers est un fait historique ........................ 15

Écrire l'histoire des vers ..................................................... 19

PREMIÈRE PARTIE

FONCTIONS POÉTIQUES DE LA VERSIFICATION

Chapitre 1. Principes et problèmes généraux ...................... 31

Préambule. La question du syllabisme ................................. 31

1. Mise en place du système métrique syllabique en français…. 33

2. Propriétés élémentaires de la métrique syllabique ............. 43

a. (Iso)syllabisme et périodicité .................................. 43

b. Objections et mises au point ................................... 46

Conclusion ........................................................................ 57

Chapitre 2. Une langue pour les vers .................................. 59

Préambule. Langue et langue pour les vers .......................... 59

1. Le e .............................................................................. 61

a. Statut du e.............................................................. 61

b. Le cas particulier de la séquence

« voyelle + e + consonne ou mot non jonctif » ............. 66

2. Petite histoire de l'hiatus ................................................ 82

3. Diérèse et synérèse ........................................................ 90

Conclusion. Une langue poétique sans rime ni raison ? ........ 93

La domination des usages ......................................... 93

L'invention en danger ? ............................................ 95

Chapitre 3. Les strophes ..................................................... 97

Préambule ........................................................................ 97

1. Le fonctionnement métrique de la strophe ....................... 99

a. Définition ............................................................ 99

b. Suites non périodiques de strophes et disparition

de la strophe ............................................................ 106

c. Remarques (tercets, quintils, distiques) ................... 108

2. La construction et l'exploitation des strophes .................. 122

a. Le secret de la fabrication classique ........................ 122

b. Illustration des formes et des effets ........................ 123

3. Strophes et stances. Mises au point ................................. 135

Conclusion ....................................................................... 144

Chapitre 4. Vers simples et vers complexes ....................... 145

Préambule ........................................................................ 145

1. Deux types de vers ........................................................ 146

a. La « loi des huit syllabes » (B. de Cornulier) ........... 146

b. La « contrainte de discrimination » (B. de Cornulier) 152

c. Des mètres rares ................................................... 156

2. Autour de la césure ....................................................... 161

a. Une frontière entre les expressions ......................... 161

b. Césure, frontière, coupe et pause ............................ 163

c. Le e aux alentours de la frontière métrique ;

césures « lyrique » et « épique » ................................ 168

Conclusion ....................................................................... 174

Chapitre 5. Mesures et expressions.

Concordances et discordances ........................................... 175

Préambule ........................................................................ 175

1. La discordance : incertitudes, justifications, permission .... 182

a. Les points de vue des théoriciens

de la période classique .............................................. 182

b. Densités variables des hémistiches à l'âge classique 200

2. Les discordances en métrique ......................................... 209

a. Essai de définition ................................................ 209

b. Par-delà la concordance et la discordance ............... 211

Conclusion ....................................................................... 213

Chapitre 6. La rime, à la lisière de la métrique ................... 216

Préambule ......................................................................... 216

1. De l'assonance à la rime : un enjeu national ..................... 217

a. De l'assonance à la rime ......................................... 217

b. Changement de statut ............................................. 222

c. Rime et rythme ...................................................... 227

d. La rime en question ............................................... 230

2. Remarques sur le fonctionnement des rimes ..................... 234

a. L'alternance en genre des rimes : métrique et misogynie 234

b. Extension de la rime vs « richesse », « pauvreté »,

« suffisance » ........................................................... 239

c. Un cas particulier : la « rime normande » ................. 244

d. Un autre cas particulier : la distinction entre rime

pour l'œil et rime pour l'oreille .................................. 248

Conclusion ........................................................................ 253

SECONDE PARTIE

ÉLÉMENTS DE VERSIFICATION HISTORIQUE

Chapitre 7. Naissance d'une discipline (XVe et XVIe siècles)

et d'une poésie française ..................................................... 257

Préambule ......................................................................... 257

1. La rhétorique métrifiée des Grands Rhétoriqueurs ............ 261

a. La rupture des Grands Rhétoriqueurs ...................... 261

b. La rime par-dessus tout .......................................... 263

c. Quelques points caractéristiques ............................. 266

d. La poésie cherche un statut via la versification ......... 269

2. Une nouvelle économie du vers

(du milieu à la fin du XVIe siècle) ......................................... 271

a. La rupture des années 1550 .................................... 271

b. La versification pour défendre et illustrer la langue

et le génie du poète ? ................................................. 277

c. Import-export : un usage en voie de définition

et les mots des provinces ........................................... 282

3. Poésie syllabique et poésie mesurée ................................ 288

a. Coexistence du syllabisme et des quantités .............. 288

b. Descriptions de systèmes (J.-A. de Baïf, J. de La Taille,

de Vigenère, L. Du Gardin) .................................... 297

Conclusion. Le tournant théorique ...................................... 308

Chapitre 8. Au fil du XVIIe siècle. Une religion du vers ...... 312

Préambule. De nouveaux enjeux pour la versification .......... 312

1. La versification, un corps de savoir « vrayment françois »

(Richelet) ......................................................................... 317

a. Jeux interdits ........................................................ 318

b. Les bons vers font le bon usage et inversement ....... 321

c. « Enjamber » contre la grammaire.

Une technologie du vers ........................................... 326

d. Contre les poètes barbares, les « bons François » ..... 332

2. Réaffirmation du syllabisme et peur des quantités ............ 340

a. Un rare consensus ................................................. 340

b. Essai d'explication ............................................... 346

3. Le rôle de Malherbe. Mise au point ................................ 348

a. Un moderne ................................................................ 348

b. Un moderne parmi d'autres ....................................... 354

4. Aux marges de la poésie classique : vers mesurés

et vers mêlés .................................................................... 357

a. Marin Mersenne ................................................... 358

b. La mode des vers mêlés ........................................ 360

Conclusion ....................................................................... 365

Chapitre 9. Une « crise de vers » au XVIIIe siècle ? ............. 367

Préambule ........................................................................ 367

1. La versification classique en question. Le cadre de la crise 370

a. Les insuffisances du vers ....................................... 371

b. Déclamation et musique au cœur des discussions .... 374

c. La canonisation du XVIIe siècle vs les poètes antiques 377

d. Le facteur institutionnel ........................................ 383

2. Le rythme poétique en questions .................................... 387

a. De la périodicité aux vers mêlés :

La Fontaine au pinacle .............................................. 387

b. Des syllabes aux pieds : frondes métriques ............. 391

c. Des origines de l'harmonie à l'émergence

de l'« harmonie imitative » ....................................... 402

3. Économie et simplification des moyens

jusqu'à l'éreintement des vers ............................................ 410

a. La métrique assouplie ? Les exemples de Chénier

et Roucher ............................................................... 411

b. Des vers sans rimes ou la fin de la « Loi fantastique »

(L. P. de Longue) ..................................................... 414

c. Les vers mêlés et suites de strophes non périodiques 418

d. La poésie revisitée : des poèmes en prose ................ 424

Conclusion. Beaucoup de bruit pour rien ? ........................... 437

Chapitre 10. Remise en cause de la versification classique.

Pour de nouvelles rythmiques au XIXe siècle ....................... 440

Préambule ......................................................................... 440

1. Une vogue théorique massive ......................................... 446

a. Cadre général : description, prescription, discussion . 446

b. Antonio Scoppa ..................................................... 454

c. Louis-Marie Quicherat (et Maurice Grammont) ....... 459

d. Louis Becq de Fouquières ...................................... 464

2. Les promesses de réformes ............................................. 471

a. Les audaces bridées d'Hugo ................................... 473

b. Retour critique sur les classiques.

Les promesses romantiques ........................................ 482

c. Le « trimètre romantique » ? ................................... 485

d. Quelques innovations et altérations baudelairiennes 489

3. Les dernières décennies du XIXe siècle et le cas de

« Qu'est-ce pour nous, mon cœur… » de Rimbaud ............... 492

a. Présentations ......................................................... 492

b. Rapide point sur la critique portant sur

« Qu'est-ce pour nous, mon cœur… » ......................... 495

c. Remarques sur le détail du texte .............................. 498

d. La vingt-cinquième ligne ....................................... 505

e. Rimbaud, poète ignorant ? ...................................... 508

Conclusion. Une crise de vers ou le renouveau du lyrisme ? .... 509

Chapitre 11. Les nouveaux claviers.

Eléments sur les « vers libres » du XVIIe siècle au XXIe siècle 512

Préambule ......................................................................... 512

1. Problématiques du vers libre ........................................... 515

a. Des vers libres avant le vers libre ............................ 515

b. La Fontaine, les « équivalences contextuelles » ........ 520

c. Remarques sur Alcools ........................................... 527

d. Eléments de contexte (l'oralité, l'oscillographe,

les longues et les brèves) ........................................... 530

e. Fixer les rythmes de la musique intime

(liberté et servitude du vers libre) ............................... 538

f. Unanimité à propos d'un paradoxe fondateur ........... 548

2. Le vers libre et la versification ....................................... 551

a. Vers libre et langue des vers ? ................................ 552

b. Dilution de la rime ................................................ 556

c. Persistances classiques : reconnaissance et variations,

souvenir et oubli ...................................................... 558

d. Réinterprétations des propriétés de la versification

classique (l'exemple de Jacques Réda) ....................... 566

Conclusion. Une métrique séquentielle ............................... 572

Chapitre 12. Approches contemporaines.

Théories accentualistes et métrique du syllabisme ............ 575

Préambule ........................................................................ 575

1. L'approche d'Henri Meschonnic .................................... 576

2. Les tenants d'une versification pluri-accentuelle .............. 581

a. L'accent « intraphrasal » selon Roger Pensom ......... 581

b. Le rythme selon Milner et Regnault. Remarques

sur la diction des vers ............................................... 587

c. Une versification syllabique et accentuelle :

Jean Mazaleyrat ....................................................... 593

d. Excursus électronique ........................................... 597

3. La métrico-métrie de B. de Cornulier .............................. 600

Conclusion. Fonctions et valeurs des accents.

Propositions pour un diagnostic ......................................... 603

a. Philosophie de la versification ............................... 603

b. L'angoisse de la misère prosodique française .......... 605

Conclusion ......................................................................... 609

Poésie française et métrique : un long malentendu

à propos d'une affaire nationale ................................. 609

Une histoire de luttes ................................................ 609

Une affaire nationale ................................................ 611

Une technologie de contrôle ? ................................... 613

Index des notions ................................................................ 615

Index des noms ................................................................... 619

Bibliographie ..................................................................... 631




Guillaume Peureux

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Dernière mise à jour de cette page le 15 Avril 2010 à 20h13.