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TACITA VIS ?

Introduction à : M. Levesque et O. Pédeflous (dir.), L'emphase : copia ou brevitas ? XVIe - XVIIe siècle , Paris: Presses Universitaires de Paris Sorbonne (PUPS), coll. "Bibliothèque des styles", 2010

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Cette introduction est reproduite avec l'aimable autorisation de l'éditeur

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Il y a encore un siècle et demi, on demandait aux élèves, en classe de rhétorique, de s'imprégner dans leurs compositions latines des morceaux de bravoure oratoires des Cicéron, Tite Live, Tacite, et d'en restituer l'emphase parénétique. La Troisième République naissante entendait substituer l'éloquence de la tribune à celle de la chaire[i]. Des générations ont été galvanisées par cette rhétorique; Sartre en traduit parfaitement l'effet en un élan lyrique resté célèbre: «Nous étions Grecs et Romains».

Or de nos jours, l'emphase est indiscutablement entrée dans une ère du soupçon. Un critique d'outre-Atlantique résumela doxa ambiante sur les classiques latins, devenus illisibles par débauches d'emphase:

On a pu dire d'une telle manière d'écrire [celle de César] qu'elle était dépourvue d'artifice, ce qui est entièrement faux. Il serait plus exact de dire que les trois livres de César que nous avons sont des manifestes contre l'emphase de Cicéron et de Tite-Live[ii].

Il attaque de même la lyre latine:

Des pans entiers de la poésie latine nous sont gâchés par leur emphase. Les interminables soliloques qu'Ovide, pour ne citer que lui, confie à des jeunes filles éperdues d'amour, distillent un ennui radical. La rhétorique n'est certainement pas absente de la poésie de Lucrèce, mais elle est d'une essence inattendue[iii].

Le monde actuel, qui se défie de la parole et des effets oratoires, épris d'une efficacité censée aboutir à la transparence fantasmée du langage, a beau jeu de congédier l'emphase, qui n'est plus entendue que comme elocutio boursouflée, discours grandiloquent. Le bon discours est celui qui est dénué d'emphase; mais il est difficile de repérer, notamment dans le corpus journalistique où le terme abonde, les critères formels qui caractériseraient une prise de parole «avec emphase» ou, au contraire, «sans emphase»:

«Le peuple guadeloupéen a demandé au LKP de prendre son avenir en main», annonce Élie Domota sans emphase. (20 minutes)

«C'est un jour noir pour le Web français», déclarait jeudi avec emphase

Eric Dupin, après s'être fait condamner à la demande de l'acteur Olivier Martinez. (20 minutes)

Un homme capable de dire précisément, sans emphase, d'une voix à la fois douce et vive : «La métaphore, plus que des images, produit avant tout de la sensation », est quelqu'un que l'on a envie d'écouter, de laisser poursuivre. (Le Monde)

Dans un discours plein d'emphase, le président du FN déplore que «les peuples [soient] ainsi conduits à l'abîme les yeux fermés par ceux qui pourtant se sont donné le rôle de les conduire». (Le Monde)

Il apparaît ainsi que, dans le contexte contemporain, l'absence d'emphase est le signe d'une sobriété de bon ton, tandis que sa présence révèle une pompe oratoire confinant parfois au ridicule. C'est ce que laisse entendre le faisceau de caractérisants dans le voisinage immédiat du mot emphase – les divers qualifiants, dans leur cohérence sémantique, deviennent épithètes de nature: «emphase pompeuse», «emphase loubarde chic chiquée», «beaucoup d'emphase et beaucoup de vent», «grostesque d'emphase», «plus le texte sera emphatique plus il sera vide» (Libération).

Si l'on se penche sur l'origine du mot, on rencontre tout d'abord le terme en grec tardif, où il désigne une figure de rhétorique insistant sur l'intensité dans le discours. Le monde latin a tôt fait de reprendre la notion, à peu près équivalente chez les rhéteurs; mais les grammairiens l'ont récupérée, l'assignant à l'expression de structures syntaxiques spécifiques, notamment dans le domaine des pronoms – début de cette variété des emplois qui entretiendra toujours une confusion entre effet rhétorique et agencement grammatical[iv]. L'emphasis, qui joue de l'esthétique de la suggestion, attire à elle les phénomènes de mise en relief: on perçoit toute l'ambiguïté des orientations diverses d'une notion à géométrie variable.

Toute réflexion sur l'emphase se doit ainsi d'adopter une position diachronique, afin de comprendre comment ce terme, initialement glosable par une «expression forte, qui dit beaucoup en peu de mots»[v], a pu voir son champ sémantique restreint à l'idée de grandiloquence superflue. Pour Montaigne déjà, la valeur expressive de l'emphase menace sans cesse de se transformer en bruyant ornement[vi].

C'est de ce paradoxe qu'est née l'idée de la journée d'étude dont les actes paraissent ici[vii]. Notre ambition était double: à partir d'un corpus exclusivement littéraire, nous avons choisi de revenir au siècle d'Érasme et d'étendre le champ d'investigation à l'ensemble de l'Ancien Régime. L'examen des traités de l'époque révèle une apparente incohérence: l'emphase relève tantôt de la copia – de l'abondance – tantôt de la brevitas – de la condensation. Par ailleurs, l'énoncé emphatique peut être lu à travers différents prismes: rhétorique, syntaxique, stylistique, ou encore sémantique. Ce projet est donc né d'incertitudes et de malaises; il se présente comme une tentative d'exploration d'un cadre d'analyse perméable, quelque peu délaissé par la critique contemporaine, et comme une expérimentation définitionnelle. Doit-on admettre que le terme emphase puisse désigner deux modes d'écriture contradictoires, ou peut-on penser une conciliation, une cohérence possible?

Les références primaires et secondaires sur ces questions sont peu nombreuses. Le De copia[viii] d'Érasme, texte fondateur, n'a pas été traduit en français, à l'exception de quelques fragments[ix]. Les traités de rhétorique antiques et contemporains mentionnent brièvement cette notion, sans la théoriser[x]. L'emphase fait l'objet d'études qui la rattachent tantôt à l'abondance[xi], tantôt à la brièveté[xii]; elle est ponctuellement envisagée dans une perspective syntaxique[xiii], stylistique[xiv], voire psychomécanique[xv]. La thèse de Jean Lecointe, en se fondant sur des considérations essentiellement rhétoriques, souligne l'épineuse question de la distinction entre copia et brevitas:

La copia, c'est le résultat de l'opération d'amplificatio, la brevitas, c'est l'état, soit, brut, de l'argument qui demande à être développé, et en ce sens un signe de manque d'élaboration du donné littéraire, soit, contracté, du texte proposé à l'abréviation[xvi].

L'emphase est un héritage de la formation rhétorique scolaire. L'exercice de la chrie, longtemps en vogue dans les collèges, relevait lui aussi des pratiques de condensation et d'amplification: il s'agissait, pour les écoliers, d'augmenter ou au contraire de réduire un énoncé initial selon divers procédés. L'amplification n'impliquait pas nécessairement l'augmentation du matériel syntaxique de la phrase[xvii].

Pour envisager avec pertinence la notion d'emphase, il convient, dans un premier temps, de baliser ou tout au moins d'interroger les limites d'un champ d'étude problématique. Le développement de la linguistique au xxe siècle a en effet apporté de nouveaux éclairages, notamment dans le domaine de la pragmatique, où le rendement expressif et les processus d'insinuation de la notion ont évidemment toute leur place.

La première partie de cet ouvrage, reprenant les propositions de la table ronde qui ouvrait la journée, permet de confronter diverses perspectives en vue de circonscrire la notion, dans un empan chronologique qui peut lui assurer une cohérence. Dans la seconde partie, les hypothèses sont éprouvées sur différents types de discours et divers corpus: l'emphase gagne à être étudiée en fonction des contraintes énonciatives et des exigences génériques.

Stéphane Macé part du constat que le mot a subi une évolution sémantique, marquée par une quasi inversion de ses connotations sémiques. Il confronte les conclusions des rhéteurs antiques et celles de leurs héritiers d'Ancien Régime, pour y traquer connivences et désaccords. L'instabilité propre à l'emphase apparaît comme la nécessaire conséquence de sa transversalité. La lecture attentive des sources rhétoriques révèle que l'emphase est fille de la significatio, telle que l'ont définie, entre autres, La Rhétorique à Hérennius, ou encore Cicéron et Quintilien. La réception synthétique des textes antiques sous l'Ancien Régime explique peut-être ce qui nous apparaît aujourd'hui comme autant d'incohérences. L'emphase, originellement, est en lien étroit avec la litote et l'allusion: cette acception première disparaît peu à peu au profit d'un lien exclusif avec l'amplificatio. Stéphane Macé rappelle à ce sujet que, pour Quintilien, l'amplification est un mode de soulignement – pensons au verbe anglais to emphasize – indépendant des procédés d'augmentation du matériel lexical et syntaxique. C'est sans doute cette parenté qui est à l'origine des connotations actuellement attachées à la notion : pour Stéphane Macé, les tournures que la grammaire considère comme emphatiques (dislocation et clivage) sont peut-être des tournures linguistiques propres à compenser un effet d'accentuation défaillant.

Cendrine Pagani-Naudet revient justement sur les tournures couramment reconnues comme emphatiques, et plus particulièrement sur la dislocation. Sa contribution instaure un dialogue stimulant avec celles de Cécile Lignereux et de Mathilde Levesque. Le lien entre dislocation et emphase est questionné: abusivement employé par la critique contemporaine, il ne rend pas compte des différentes modalités de la dislocation. Cendrine Pagani-Naudet remet ainsi en cause la constante assignation de l'emphase à des structures spécifiques: une telle analyse conduit, selon elle, à une dévaluation de la pragmatique de l'emphase ainsi qu'à la surinterprétation – voire à l'erreur. Sans renoncer aux postulats de la grammaire générative et transformationnelle, elle montre que tous les énoncés disloqués ne relèvent pas nécessairement d'une manipulation emphatique. Une fois encore, la mise en perspective diachronique apparaît nécessaire: «il a fallu qu'évoluent conjointement le sentiment linguistique et la réception des faits de redondance d'une part, la conception de l'emphase d'autre part, pour que l'on parvienne au cliché contemporain, selon lequel la phrase disloquée est une construction emphatique». Deux conclusions majeures couronnent cette étude : la dislocation n'implique pas toujours une mise en relief, et la reprise pronominale n'est pas toujours emphatique – c'est à ce titre que la véhémence ne doit pas être assimilée à l'emphase. La disparition progressive de l'emphase étymologique vient sans doute du Gradus de 1822 qui ne mentionne aucun lien entre emphase et pouvoir suggestif. Enfin, les structures disloquées sont dotées d'une d'uneforce sous-jacentedont on peut analyser les effets indépendamment de tout recours à l'emphase ou à la mise en relief.

Claire Badiou-Monferran montre qu'en diachronie, le terme emphase a subi deux déplacements majeurs: modification axiologique (du positif au négatif) et évolution modale (du verbal au non verbal). À partir de considérations syntaxiques, l'auteur revient sur un autre paradoxe propre au xviie siècle: la locution conjonctive si bien que, «expressivement marquée», se substitue progressivement à si que. Cette évolution coexiste avec l'influence grandissante du purisme – probablement à l'origine des connotations négatives attachées à l'emphase. Une telle incohérence s'explique tant par la grammatisation que par la grammaticalisation et la textualisation de la locution conjonctive. Forte de cette triple démonstration, Claire Badiou-Monferran parvient à la saisissante conclusion que la désemphatisation prônée par le mouvement puriste passe moins par la suppression des marqueurs d'emphase que par leur remodelage.

Georges Molinié conclut dès lors à une «plasticité triomphante» de l'emphase, dont on doit d'abord analyser les effets. La souplesse de la notion est le signe d'une diversité constitutive qui rend caduques les tentatives d'unification. L'emphase s'inscrit dans une pensée de l'ornement: son intransitivité la lie profondément au sentiment du sublime. Elle relève d'un «parler-virtuose» et n'a d'autre fin que la jouissance dans le partage sémiotique. Une telle approche, à la fois rhétorique et stylistique, invalide les conclusions de la grammaire transformationnelle, et rejoint celles de la linguistique guillaumienne : l'emphase n'est pas le produit d'une quelconque modification, elle est inhérente à l'acte même de profération.

Une première série de contributions s'est attachée à dégager les liens de l'emphase et des types de discours.

Pour Karine Abiven, le sous-genre de l'anecdote actualise la dualité de l'emphase: tout en amplifiant un événement mineur, elle en condense les effets. Cette forme exige des «stratégies textuelles de mise en relief», dotées d'une visée pragmatique. Karine Abiven repère avec précision les marqueurs constants de la séquence: le micro-récit anecdotique, ainsi balisé par des signaux emphatiques, devient une «forme détachable et réutilisable en conversation». L'hypothèse qui sous-tend cette approche permet de repenser les frontières génériques: parce qu'elle est fondamentalement autonome, l'anecdote conserve le même patron phrastique et narratologique, qu'elle soit collectée en recueil ou insérée dans un récit encadrant continu. Elle porte, jusque dans sa forme, les traces de l'exercice rhétorique de la chrie.

Jennifer Tamas, quant à elle, se propose de cerner les marqueurs d'emphase dans la déclaration d'amour racinienne. Un tel type de discours traduit lui aussi la conciliation a priori paradoxale de la copia et de la brevitas: la déclaration d'amour, porteuse d'une information mineure, se caractérise, dans la tirade, par l'expansion discursive. Elle est, par ailleurs, la revanche de la parole sur l'aphasie provoquée par le «coup de foudre». Jennifer Tamas repère ainsi deux moments de la déclaration: une «prédéclaration», indirecte, confiée à un autre personnage, et la déclaration elle-même: l'aveu est ainsi successivement condensé et amplifié. Ces deux mouvements, loin de s'opposer, sont donc une fois de plus complémentaires.

Dans leurs contributions, Aya Kajiro et Olivier Pédeflous s'intéressent de près à la question de l'emphase dans l'œuvre de Rabelais, alors même que l'auteur n'emploie jamais les termes «emphatique» ou «emphase», tout juste entrés dans le lexique français. Aya Kajiro relit l'épisode de l'Île de Ruach (Quart Livre) à la lumière de la Briefve Déclaration et de l'influence érasmienne. L'emphase apparaît alors comme une figure de pensée: proche de la litote, elle constitue un réservoir de sens, conformément à sa première acception. L'emphasis est intrinsèquement liée à la proprietas: un mot étranger conservé dans un texte français préserve toute sa puissance suggestive. Le xénisme fait signe et, en tant que trope, recquiert une élucidation sémantique à l'aide de la Briefve déclaration. L'écriture de Rabelais, à de nombreux égards obscure, inverse le fonctionnement tropique pour un retour au littéral. L'emphase dans le Quart Livre s'inscrit ainsi dans la «normalisation de l'état hyperbolique» au fondement même de l'œuvre.

Olivier Pédeflous montre quant à lui que le parcours tropique n'est pas unidirectionnel chez Rabelais. Les expressions «le monde n'est plus fat» (Cinquième livre) et «croquer pie» (Quart livre), toutes deux situées dans les Prologues, ne font pas l'objet d'un même traitement. Tandis que la première est complexifiée à travers des gloses figurées et allégoriques orientées vers un sens profond, la seconde, exhibée dans toute son obscurité, est vouée à retrouver une acception prosaïque. De telles micro-séquences, parfaitement intégrées au flux d'écriture du Prologue, font du traitement des proverbes une illustration saillante des «choix créatifs» de Rabelais. Le prologue apparaît ainsi comme le lieu de «l'orientation exégétique» de l'œuvre: l'adage, emphatique parce qu'obscur au seuil du récit, est un appel à l'interpretatio qui, telle l' œuvre elle-même, doit se construire par analogies pour accéder au sens ultime.

La dimension pragmatique de l'emphase, déjà sensible chez Rabelais, fait l'objet de la dernière section de cet ouvrage. En écho aux conclusions de Cendrine Pagani-Naudet, Mathilde Levesque et Cécile Lignereux reviennent sur les tournures syntaxiques traditionnellement considérées comme emphatiques: à partir de corpus très divers (les œuvres de Cyrano de Bergerac et les lettres de Mme de Sévigné à sa fille), elles entendent circonscrire les constantes d'apparition des phrases disloquées, clivées et pseudo-clivées. Chacune de ces constructions répond à des intentions pragmatiques différentes. Cécile Lignereux conteste à son tour un certain nombre de préjugés: les «effets d'oralité» propres au genre épistolaire et la «rhétorique des passions» que l'on impute à Mme de Sévigné ne suffisent pas à expliquer la récurrence de ces tournures, qui transgressent moins l'ordre canonique de la phrase qu'elles ne traduisent un style «naturel et dérangé». Ce dernier obéit cependant à des contraintes argumentatives. Chaque construction répond ainsi à des intentions pragmatiques différentes: fonction transitive, rôle didactique ou encore vertu adoucissante.

Mathilde Levesque parvient à la même conclusion: non seulement ces structures apparaissent dans des contextes constants à l'échelle de l'œuvre cyranienne, mais elles jouent des rôles similaires à ceux repérés chez la marquise. Le prisme de la «syntaxe d'expressivité» guillaumienne permet de questionner la pertinence d'une éventuelle concurrence entre un énoncé neutre et un énoncé emphatique. Cyrano ne privilégie pas la dislocation droite, qui bouleverse l'ordre canonique de la phrase: il lui préfère la dislocation gauche, toujours porteuse d'un sémantisme subjectif, et la tournure clivée, vecteur de polémicité en contexte dialogal. La psychomécanique guillaumienne permet de penser une emphase inhérente à la production même de l'énoncé – ce qui conduit à douter, avec Claire Badiou-Monferran notamment, de la validité des hypothèses de la grammaire transformationnelle.

C'est d'ailleurs le remodelage des énoncés qui fait l'objet de la dernière contribution, dans une perspective cette fois génétique. Mathias Degoute interroge ainsi la «logique de la brièveté» à l'œuvre dans les Maximes de La Rochefoucauld, à partir de trois manuscrits et des cinq éditions revues par l'auteur. Préjugés et intuitions volent en éclats: le travail de réécriture n'est pas systématiquement voué à la condensation, en dépit de l'exigence générique de la maxime. Un tel constat invite à la modération : concision et laconisme sont deux options possibles de la brevitas emphatique, dans un siècle où l'obscurité langagière est un risque permanent. Le «réaménagement informatif» d'une maxime répond ainsi à des exigences complexes: contraintes génériques, formelles, syntaxiques, mais aussi souci de clarté et visée pragmatique. Parce qu'elle manifeste, en amont, une réserve, la maxime est, en aval, «déclencheur de polémique». L'emphase tient alors autant à la retenue de l'auteur qu'à la virtualité suggestive du texte.

Si les études rassemblées dans ce volume ont pu éclaircir certaines zones d'ombre, elles ont aussi mis en évidence des paradoxes inhérents à des pratiques d'écriture: les hypothèses proposées lors de la table ronde ont ainsi résonné dans les études de corpus. L'emphase exige d'être appréhendée depuis ses motivations jusqu'à ses enjeux pragmatiques, en passant par ses diverses modalités d'emploi. L'empan chronologique choisi restreint volontairement le problème : c'est sous l'Ancien Régime, à la croisée de l'héritage antique et de la modernité, que se produit le changement lexicologique. Cette période éclaire la complexe évolution sémantique d'un terme saturé de contradictions, mais qui trouve sa cohérence dans sa remarquable puissance sémiotique. C'est surtout à cette force que nuit, à l'heure actuelle, l'affadissement sémantique de la notion.



[i] Voir F. Waquet, Le Latin ou l'empire d'un signe, xvie-xxe siècle, Paris, Albin Michel, coll. «L'Évolution de l'Humanité», 1998.

[ii] K. Rexroth, Les Classiques revisités [Classical revisited, 1986], trad. N. Bloch et J. Cornuault, Paris, Éditions Plein Chant, 1991, chapitre «Jules César».

[iii]

Ibid., chapitre «Lucrèce».

[iv] Pour cet historique, on se reportera à J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Érasme, Paris, Les Belles Lettres, 1981, t. 2, p. 803-815.

[v] A. Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts [La Haye et Rotterdam, 1690], Genève, Slatkine, 1970.

[vi] Voir les deux citations ambivalentes données par Aya Kajiro au début de sa contribution.

[vii] «L'emphase: copia ou brevitas?», colloque organisé par M. Levesque et O. Pédeflous, université Paris-Sorbonne, 28 mars 2009, avec le soutien de l'École doctorale V «Concepts et langages» et de l'Équipe d'accueil 4089 «Sens, texte, informatique, histoire».

[viii]

De duplici copia verborum ac rerum commentarii duo [1512], dans Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami: recognita et adnotatione critica instructa notisque illustrata, éd. B. Knott, Amsterdam, North-Holland Publishing, 1988.

[ix] On en trouve quelques extraits dans ses Œuvres choisies, trad. J. Chomarat, Paris, Le Livre de Poche, 1991, et dans J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Érasme, Paris, Les Belles Lettres, 1981.

[x] Pour les références de ces traités, nous renvoyons à l'importante bibliographie de Stéphane Macé dans ce volume.

[xi] Voir T. Cave, Cornucopia: figures de l'abondance au xvie siècle [The cornucopian text: problems of writing in the French Renaissance [Oxford, Clarendon Press, 1979], Paris, Macula, 1997, ou, sur le plan rhétorique, S.Macé, «L'obscurité et les théories rhétoriques de l'amplification» dans D. Denis (dir.), L'obscurité, Langage et herméneutique sous l'Ancien Régime, Louvain-La Neuve, Academia Bruylant, coll.«Au cœur des textes», 2007, p.55-67.

[xii] Voir, par exemple, J. Lafond (dir.), Les Formes brèves de la prose et le discours discontinu (xvie-xviies.), Paris, Vrin, 1984; A. Montandon, Les Formes brèves, Paris, Hachette, coll. «Hachette Supérieur», 1993, ou B.Roukhomovsky, Lire les formes brèves, Paris, Nathan, coll. «Nathan Université», 2001.

[xiii] C. Badiou-Monferran, après J. Le Goffic, pose ainsi les limites de l'analyse transformationnelle dans les constructions détachées: « Syntaxe d'expressivité et ordre des mots dans les Maximes de La Rochefoucauld », dans F. Neveu (dir.), Faits de langue et sens des textes, Paris, SEDES, 1998, p. 131-152. Pour une synthèse des formes syntaxiques de mise en relief, on consultera M. Mangold, Études sur la mise en relief dans le français de l'époque classique, Mulhouse, Imprimerie Bahy, 1950.

[xiv] De nombreux articles, dans cette livraison, renvoient ainsi à l'important ouvrage de C. Pagani-Naudet, Histoire d'un procédé de style. La dislocation (xiie-xviie siècle), Paris, Champion, 2005. L'emphase est ici questionnée à partir des structures disloquées, clivées, et pseudo-clivées.

[xv] C'est le cas, notamment, dans les Leçons de linguistique de Guillaume, données entre 1945 et 1949 (Québec/Lille, Presses de l’Université Laval/Presses de l'Université de Lille, 1982-1989).

[xvi]

L'Idéal et la Différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, coll. «Travaux d'Humanisme et Renaissance», 1993, p. 579.

[xvii] Voir la définition que propose G. Molinié dans Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, Le Livre de Poche, coll. «Les usuels de poche»: «la chrie est analysable d'un point de vue strictement rhétorique, dans la mesure où elle constitue le noyau des procédures élémentaires de réalisation stylistique. Par rapport à une donnée entièrement condensée comme la forme d'un mot, la chrie représente le premier degré de l'amplification. À son tour, la chrie peut servir de base à un développement narratif, topique, ou non, qui l'amplifie encore, et par rapport auquel elle joue elle-même un rôle de condensation rédactionnelle».



Mathilde Levesque et Olivier Pédeflous

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Dernière mise à jour de cette page le 26 Octobre 2010 à 9h22.