Atelier

L'histoire des mots compte, elle n'est pas définitive. Parler aujourd'hui d'empathie critique rappelle des souvenirs divers et diffus. L'empathie, semble-t-il, calque l'anglais empathy qui traduisait au début du siècle précédent l'Einfühlung de Theodor Lipps. Dans une réflexion sur la psychologie esthétique, Lipps désigne par empathie le fait de se sentir soi-même et un autre, comme dans l'unisson provoqué par le beau de l'œuvre d'art. Il est donc question d'un sentiment étrange, voire extraordinaire, que n'est plus à même de rendre le sens courant de sympathie (dégradation de l'intensité depuis la langue grecque). Bien avant, l'empatheia hellénistique, surtout chez Plutarque, renvoyait à une affection, proche de l'excès, et provoquée par une situation, par un discours poignants. On trouvait déjà le schème d'une transmission du sentiment ou au moins d'un retentissement des affects.

L'empathie critique a été revendiquée par plus d'un, comme Jean-Paul Sartre ou Jean-Pierre Richard. Elle signifie un souci de fidélité à la lecture, où je suis différent de ce que je suis et persiste pourtant comme tel. L'ambiguïté majeure repose dans cet em- de l'empathie. Peut-on vraiment être dans l'œuvre ? puis est-ce une position viable pour la critique ? Ce que je chercherai donc dans l'empathie sera une expérience impossible, mais qu'il faut tenter. La lecture nous projette hors de nous, nous déforme et, ensemble, nous confirme et nous refait ; c'est toute la logique de la possession. Je suis aussi ce que je lis, et je subis absolument. Je vais si loin dans les chemins de l'œuvre qu'à terme, je ne puis qu'être autre part. Il s'inaugure alors un nouveau rapport critique sachant également être un transport.

Lire également: La critique littéraire rend-elle plus empathique?, par Antonio Rodriguez.



Laurent Dubreuil

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 22 Octobre 2013 à 17h05.