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Ce terme de rhétorique désigne à l'origine toute description puis se spécialise pour signifier « description d'une œuvre d'art ». Selon G. Molinié (Dictionnaire de rhétorique, Le Livre de Poche, 1992, p. 121), « cette représentation est donc à la fois elle-même un objet du monde, un thème à traiter, et un traitement artistique déjà opéré, dans un autre système sémiotique ou symbolique que le langage. » En termes de rhétorique, cet auteur signale que la spécificité de ce lieu est qu'il constitue une « indexation de la valeur de culture ». Il est souvent commenté selon la tradition de l'ut pictura poesis, mais on considérera ici comme plus féconde l'étude des différences entre le pictural et le verbal. Voici donc quelques problématiques majeures de la notion:

1 : Anachronisme de l'ekphrasis L'œuvre d'art et sa description sont le plus souvent produites à des moments différents, par des auteurs différents, voire dans des lieux différents. Elles ne s'inscrivent donc pas dans le même contexte culturel. Le regard du descripteur sur l'œuvre d'art est donc essentiellement anachronique. Il faut tenir compte des effets de déchiffrement, interprétation et réévaluation qu'une telle distance implique. Fondamentalement, il importe de voir que l'ekphrasis est le lieu de confrontation de deux moments, de deux cultures, deux systèmes de valeur, voire de deux philosophies de la représentation. (À ceci s'ajoute éventuellement la distance du descriptaire par rapport au descripteur d'une part, à l'artiste d'autre part.)

2 : Pragmatique de l'ekphrasis Corollairement à la proposition précédente, il faut considérer que la description d'une œuvre ne peut pas avoir exactement la même fonction sociale que cette œuvre elle-même. En fait, le plupart du temps, la description a une fonction absolument différente de celle de son objet ; leur seule ( !) communauté de fonction est le caractère esthétique au sens strict. Il importe donc d'être attentif au processus qui consiste à ôter à un objet sa fonction originelle pour lui en attribuer une autre. (ex : La Madeleine dans une Crucifixion de Rubens est pour Gautier une exaltation de la chair victorieuse opposée à la morbidité du Christ. Cette interprétation d'un tableau religieux placé dans une église opère évidemment une reconfiguration pragmatique de l'œuvre. Elle est ici à interpréter en termes de subversion idéologique.)

3 : Valeurs de l'ekphrasis Le jeu pragmatique décrit plus haut a des conséquences en termes axiologiques. Le tableau fonctionne selon une catégorisation (sémiotisation ou mondanisation) du réel et sa description manifeste une prise de position par rapport à cette catégorisation : dans cette confrontation de positions sont manifestées des valeurs. Différentes positions sont à envisager, de l'adhésion sans réserve jusqu'à l'incompréhension totale, en passant par la critique. Il semble raisonnable de considérer qu'une description n'est jamais « neutre » : un système de représentation étant toujours lié à une culture propre, son objectivation comporte nécessairement une évaluation de cette culture.

4 : Spécificité du verbal Dans l'ensemble illimité des relations trans-sémiotiques, l'ekphrasis a ceci de particulier que le rôle du medium (ou la sémiose) secondaire (du commentaire) y est rempli par le langage verbal, donc par le métalangage par excellence, le métalangage de tous les langages (et de toutes les sémioses). Ceci fonde une spécificité non négligeable de l'ekphrasis : son medium est vraisemblablement susceptible de fournir les catégorisations et les prises de position axiologiques les plus fines, les plus riches, capable de la plus grande clarté comme des plus complexes ambiguïtés. En effet, dans la confrontation pictural / verbal, on constate qu'une spécificité du langage verbal est son aptitude particulière à faire sentir l'ironie, la distance, l'emphase, etc. On propose donc que l'étude stylistique de l'ekphrasis soit tout particulièrement attentive au statut du langage verbal comme langage du commentaire par excellence et dans ce cas particulier confronté à son autre qu'est la peinture.

5 : Modèle de la communication Deux options sont possibles : – soit on considère une chaîne de communication dans laquelle le peintre adresse un message au spectateur qui lui-même, devenant descripteur, adresse un message au lecteur (descriptaire) et dans ce cas on peut considérer que la relation descripteur-descriptaire est virtuellement homologique de la relation peintre-spectateur. Ce que l'on peut schématiser ainsi :

peintre->spectateur->descripteur->lecteur implique l'homologie peintre->spectateur //descripteur->lecteur

– soit on considère qu'il n'y a pas de communication à proprement parler du peintre au spectateur et que le tableau constitue une sorte d'écran qui s'offre directement au spectateur sans qu'il soit besoin que l'on conçoive son émetteur (producteur). Dès lors la relation descripteur-lecteur est dissymétrique à la relation tableau-descripteur et si la première peut-être décrite comme suivant le modèle de la communication, la seconde relève de l'observation-contemplation etc.

tableau / spectateur <> descripteur->lecteur

L'enjeu de cette alternative touche la théorie trans-sémiotique. Pour le dire simplement, peut-on penser un modèle unique pour le fonctionnement de tous les arts (que ce soit par le modèle communicationnel ou un autre) ou faut-il poser que la peinture, par exemple, est une sémiose dont l'opacité est absolument étrangère au fonctionnement du langage verbal ?

6 : L'« Innommable » L'altérité du pictural et du verbal amène l'intuition que la traduction de l'un dans l'autre est impossible. D'où l'usage fréquent dans le domaine de l'ekphrasis (mais pas seulement) du paradigme de l'innommable/indicible/ineffable/indescriptible etc. Il faut d'emblée signaler ce que l'emploi de ces notions a d'essentiellement prétéritif : il s'agit généralement d'un effet d'emphase qui insiste sur la spécificité de la description. Toutefois, le fait que l'impression d'indescriptibilité soit si fréquente et préside à tant de descriptions requiert de tenir compte du fait que le descripteur, comme le lecteur, a le sentiment d'une imperfection, d'une incapacité de la description, de son inadéquation à son objet. L'éventuelle impertinence linguistique, philosophique ou logique (selon les repères et les traditions auxquels on adhère) de ce sentiment ne change rien au fait que dans un grand nombre de cultures, chez des auteurs très divers, la description d'œuvres d'art est le lieu privilégié d'une remise en cause des capacités du langage. Le lieu commun de l'innommable est donc plus qu'une formule rhétorique, plus que la marque d'une tradition philosophique particulière, c'est la trace d'un sentiment courant (universel ?) quant à l'usage descriptif du langage.

7 : Mimésis Ceci ramène in fine à ce qui constitue bien souvent le point de départ des réflexions sur l'ekphrasis. La notion de mimésis et plus généralement les théories de la représentation sont en effet un moyen d'aborder le problème. Il s'agit alors de se demander si une théorie unique peut concevoir conjointement représentation verbale et représentation picturale. On peut noter un exemple remarquable de ce genre de tentative théorique chez Louis Marin : se fondant essentiellement sur une pensée classique (Pascal, Port-Royal) Marin conçoit la transparence de la représentation picturale en continuité avec la transparence du langage. (cf. Relecture de Louis Marin, De la représentation)

Nicolas Wanlin

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Dernière mise à jour de cette page le 20 Décembre 2007 à 23h07.