Séminaire Sortir du temps : la littérature au risque du hors-temps organisé par Henri Garric et Sophie Rabau.
Séance du 04 juin 2007.
Bérenger Boulay: L'histoire au risque du hors-temps. Braudel et la Méditerranée (exemplier commenté).
(9) «Hors de la durée»: Venise et l'effet d'éternité.
À Venise, la visibilité du passé (voir la page longue durée et autopsie) crée un effet d'éternité, d'échappée hors de la durée:
Venise, photographies de Folco Quilici[i]; les références ci-dessous renvoient au chapitre «Venise» de la «petite Méditerranée», (volume II, Les Hommes et l'Héritage[ii]).
(169) «Toutes les gloires de Venise, avec un peu d'imagination, surgissent devant vous: les galères au ras de l'eau, les naves au ventre rebondi, même la galère dorée du Bucentaure à bord de laquelle, lors de la “sensa”, la fête de l'Ascension, le Doge, chaque année, épousait solennellement la mer.»
(171) « À Venise, il n'est même pas nécessaire d'appeler l'histoire à la rescousse pour imaginer le passé. Le passé est omniprésent, comme une vase molle, multiple, épaisse, dans laquelle on s'enlise sans même s'en apercevoir, dans laquelle le présent sombre».
Le temps n'efface ni ne conserve les traces du passé:
(170) «À Venise, le passé fait naturellement partie du présent».
Certes, Venise a changé, le Lido est devenu une station balnéaire. Et puis le vaporetto est apparu, « mais il est là depuis si longtemps déjà!» (169):
(169)«À Venise le temps ne s'écoule pas comme ailleurs. La ville est par magiehors de la durée.»
Pas hors du changement, mais bien hors de la durée. Venise serait le lieu hors du temps qui contient tous les temps (à l'exclusion certes des temps à venir).
S'y observe une «succession de passés reconnaissables» (170), mais sans ordre chronologique:
(172) «Le miracle, c'est que ces repères qui n'ont jamais le même âge vivent ensemble et se confondent; ils brassent le temps révolu, le mélangeant sans fin. Pas des langages différents mais un langage fait de tous; pas une époque mais des chevauchements d'époques. »
(173) «Harmonie, mélange, mais aussi intemporalité. C'est pour cette raison et d'autres que tout y est actuel et défunt à la fois et cependant vivant. Nous pouvons voir impunément Venise avec les yeux de ses peintres et visiteurs de jadis, aussi bien les yeux de Carpaccio que ceux de Guardi ou de Canaletto, sorte de photographe génial, ou de Ruskin, ou de Jean Cocteau. Les images, les couleurs, les passions peuvent être les mêmes. L'anachronisme s'est enfui à tire d'aile. »
Sommaire de L'histoire au risque du hors-temps.
Sommaire de Sortir du temps : la littérature au risque du hors-temps.
Pages associées: Histoire, Littératures factuelles, Genres historiques, Historiographie.
[i] Venise, photographies de Folco Quilici,[i] Paris, Arthaud, 1984.
[ii] La Méditerranée II. Les Hommes et l'Héritage, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1977; Paris , Flammarion, coll. «Champs», 1985, p157-192.