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Du style comme pratique, par Laurent Jenny
Cet article a d'abord paru dans la revue Littérature, n° 118, juin 2000. Il est ici reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Dossier style.



Du style comme pratique

La notion de style, qui était devenue suspecte dans les années 70 avec la vogue du structuralisme, semble avoir retrouvé depuis quelques années un intérêt et une légitimité. Ce sursaut me paraît lié à la redescription du style en termes hérités de l'esthétique analytique américaine ainsi qu'à l'extension de la problématique à l'ensemble des arts. La réception tardive de l'oeuvre de Nelson Goodman en France, et de son chapitre de Langages de l'art, “ Le statut du style ”, a ainsi suscité des reformulations françaises de la notion de style chez Gérard Genette[i], Jean-Marie Schaeffer[ii], ou Bernard Vouilloux[iii] . Cependant l'interprétation de la théorie du style de Goodman a donné lieu à des versions quasiment contradictoires, allant d'un relativisme de la réception presque absolu chez Genette à une nouvelle rhétorisation du style en termes de “ choix de variantes ” chez Schaeffer (ou Vouilloux). Ce grand écart s'explique par les silences de Goodman sur certains aspects essentiels de la notion centrale d'“ exemplification ” qui lui sert à bâtir sa théorie. Chacun a complété ces silences à sa façon, ou les a ignorés, s'en servant parfois pour reconduire sous des habits neufs de vieilles approches du style. Tout en faisant mon profit de l'apport de Goodman, je voudrais montrer qu'il ne saurait conduire à une réduction rhétorique du style sans y perdre sa consistance.


Les pratiques de l'individuel

Avant d'y venir, j'aimerais aborder la notion de style par une réflexion volontairement large et englobante sur des pratiques qui excèdent le style artistique mais sur fond desquelles ce dernier prend sens. Il me semble en effet qu'on peut situer le style parmi un ensemble plus vaste de pratiques, pratiques vitales tout autant que productrices, et qui toutes ont pour objet “ l'individuel ”. Dans cette notion vague de “ pratiques de l'individuel ”, je rangerai, répondant aux suggestions de divers auteurs : l' “ individuation ”, la “ distinction ” et la “ stylisation ”. Certaines de ces pratiques sont susceptibles d'une version “ transitive ”, où elles portent sur un objet extérieur, et d'une version “ réfléchie ” où l'agent se prend lui-même pour objet de sa pratique. Je les traiterai d'abord indifféremment dans l'une ou l'autre de ces versions.

Lorsque j'affirme, par certains actes, que je suis détenteur d'une sphère “ privée” dont les contours doivent être respectés, et au sein de laquelle aucun autre n'a le droit de faire intrusion sans mon autorisation, je fais acte d'“ individuation” . C'est ce que me semble viser Pierre Pachet, dans son livre Un à un, lorsqu'il écrit[iv] :

L'individu s'affirme le plus, et sous sa forme la plus abstraite, là où le signe de son affirmation est le plus stéréotypé. Pourquoi? Ce que l'individu affirme là n'est pas la richesse de sa vie psychologique, son inventivité, ses ressources; c'est sa pure indépendance, le pouvoir nu de dire oui ou non, de désirer ou de repousser...

Il s'agit donc de revendiquer une forme d'ipséité vide par des gestes aussi communs qu'allumer une cigarette, fermer une porte pour s'isoler ou décider d'appeler quelqu'un sur son téléphone portable. Par ces gestes, je (me) rappelle que je ne me confonds pas avec une collectivité qui régirait mon existence, que la gratuité de mes choix m'appartient et que je possède un espace propre qui m'est dû en tant que je suis un individu et non pas une chose ou un animal. Ce territoire n'a pas à justifier sa valeur aux yeux d'autrui, ni son originalité. Il suffit qu'il soit posé comme mien. Et, comme le remarque Pachet, il y a souvent là une conquête sur des formes sociales et culturelles où cet espace individuel n'est ni possible ni reconnu. Négativement, des situations extrêmes comme la privation de liberté, l'humiliation sociale, peuvent me faire éprouver que je suis nié en tant qu' “ individu ”, quel qu'il soit, (en deçà même de ce qui fait mon statut social ou ma personnalité). L' “ individuation ”, prise dans ce sens, ne se conçoit guère que sur le mode “ réfléchi ”. Et on ne la confondra pas avec le sens “ transitif ” de l' “ individuation ”, qui, philosophiquement, désigne l'identification d'un objet comme identique à lui-même.[v]

C'est une toute autre “ pratique de l' individuel ” que décrit Bourdieu dans son livre La Distinction.[vi] Se “ distinguer ”, ce n'est plus mettre l'accent sur son ipséité, c'est au contraire “ prendre position ”, par un ensemble d'habitudes de consommations, de choix de modes, ou les préférences esthétiques. Ces choix ont d'emblée une portée significative. Ils sont “ autant d'occasions d'éprouver ou d'affirmer la position occupée dans l'espace social comme rang à tenir ou distance à maintenir ”. Se “ distinguer ”, c'est donc se rattacher à des groupes sociaux et s'opposer à d'autres. C'est afficher des connivences et des refus. C'est jouer pleinement du clavier des valeurs disponibles dans un état social donné. Et c'est participer activement à la définition de sa propre place. La pratique réfléchie de la “ distinction ” s'accompagne corrolairement de la “ distinction ” transitive d'autrui : je me situe d'autant mieux à une place donnée que je déchiffre celle d'autrui et m'en distancie. La “ distinction ” suppose donc l'existence préalable d'un système de positions et de valeurs au sein duquel il s'agit de s'inscrire. La “ distinction ” peut porter aussi bien sur des pratiques vitales que sur des artefacts, chargés de valeur significative. On peut donc déchiffrer, du point de vue de la “ distinction ”, les caractères propres d'un objet esthétique, pour autant que ces caractères entrent dans un paradigme de valeurs collectivement prédéfinies.

Cependant, l'ensemble des valeurs sociales que j'exhibe pour me “ distinguer ” ne se confond pas avec la présentation de mon “ individualité ” (même si elle peut en faire partie). Pour mieux le faire comprendre, j'aurai recours à un exemple d' “ individualisation ”, au sens transitif du terme. Lorsque le narrateur de la Recherche se demande “ qui ”, au fond, est Albertine, il ne se pose pas un problème d'identification - une fois qu'il l'a eu clairement repérée au sein de la “ petite bande ” -, ni évidemment un problème de caractérisation sociale - , à partir de son langage, de ses habitudes vestimentaires ou d'informations sur le milieu des Bontemps. Il se demande quel principe individuel explique l'ensemble de ses conduites et à quelle cohérence de désir répond son attitude (par exemple la débauche ou le lesbianisme). L'individualisation ainsi comprise, c'est la saisie d'une convergences de différenciations[vii]. Bien entendu, il se peut que cette convergence soit complexe (par exemple qu'Albertine aime à la fois Marcel et les femmes). Elle ne lui en apparaîtra pas moins régie par un principe totalisant, aussi ouvert et transformable qu'il soit. “ Individualiser ” Albertine, ce sera donc saisir son style d'être et éventuellement de devenir. Distinguer un individu, c'est le saisir comme l'addition d'un ensemble de caractéristiques externes, l'individualiser c'est le comprendre comme une dynamique interne de différenciations en acte qui relève du style. L'opposition entre les points de vue est aussi celle du statique (les caractéristiques sont pré-définies) et du dynamique (les différenciations sont ouvertes et “ plastiques ” même si elles peuvent toujours devenir à leur tour des caractères). Lorsqu'un individu prend en charge cette individualisation comme tâche à accomplir (et non plus seulement comme analyse à mener) sur un objet ou sur soi-même, on parlera de “ stylisation ”, et , avec Richard Schusterman, d'“ autostylisation ” [viii]. Dans les dernières pages de La transfiguration du banal, Arthur Danto semble le mettre en doute en définissant le style comme “ la physionomie externe d'un système de représentation interne ”. De cette définition, il tire la conséquence que, en tant que ce système de représentation serait “ interne ”, il serait inaccessible à celui qui en est le sujet : “ les aspects extérieurs de ses représentations ne sont en général pas accessibles à l'homme à qui elles appartiennent : il voit le monde à travers ses représentations sans les voir , elles ”[ix]. Il me semble qu'il existe de nombreux exemples du contraire. Mais il est vrai que cette visibilité n'est pas donnée. Elle est le fruit d'une pratique. C'est par exemple ce à quoi invite Nietzsche dans le fragment 290 du Gai savoir lorsqu'il écrit :

Donner du style à son caractère- voilà un art grand et rare! Celui-là l'exerce qui embrasse tout ce que sa nature offre de forces et de faiblesses, et qui sait ensuite si bien l'intégrer à un plan artistique que chaque élément apparaisse comme un morceau d'art et de raison et que même la faiblesse ait la vertu de charmer le regard.[x]

Nietzsche décrit donc un ressaisissement endogène du moi, et non pas une détermination exogène (comme dans les choix de mode). Pour le sujet qui s'“ autostylise ”, il s'agit, sans rien excepter de ses propres goûts ou tendances, d'en faire ressortir l'unité et la cohérence, (le “ plan ”), par une mise en relief significative. Ainsi ce qui pouvait apparaître comme addition hasardeuse de caractérisations, les unes positives et les autres dépourvues de valeur, devient une construction, un jeu subtil de points de vue intégrés. C'est en sens qu'on peut comprendre la paradoxale injonction à “ devenir qui on est ” également formulée à plusieurs reprises par Nietzsche. La forme du moi ne devient apparente qu'au terme d'un travail de stylisation. Force est de remarquer que l'autostylisation, comprise en ce sens, implique aussi une spectacularisation du moi. Comme dans le dandysme, on vise le regard d'un autre. Et c'est dans le regard de cet autre que se vérifie l'idiosyncrasie du moi. Voilà qui nous mène aux confins des pratiques transitives de stylisation.

Je définirai donc provisoirement le style comme une pratique de ressaisissement de l'individualité. Lorsque cette individualité porte sur un artefact, il y a stylisation esthétique, c'est-à-dire travail continu de ressaisissement, d'élaboration et d'inflexion des différences propres à l'objet. C'est supposer que le style d'un objet n'est pas donné d'emblée, à partir d'une singularité de hasard ou d'occasion, mais qu'il est l'objet d'une activité réflexive.

Je laisserai cependant en suspens la question de la relation entre l'individualité des artefacts et celle de leur producteurs, en me contentant de remarquer que rien ne permet d'indexer automatiquement l'individualité d'un artefact sur la “ subjectivité ” de son producteur. On peut mettre en doute le rapport de délégation de l'individualité du producteur à celle de son artefact. Deux artistes, comme Braque et Picasso durant les années 1908-1913, peuvent fort bien élaborer un style commun - au point qu'il faut le regard de spécialistes pour distinguer certaines de leurs oeuvres. Inversement, un même artiste est susceptible de développer simultanément des styles multiples : pensons, par exemple, au Picasso d'après 1914, qui produit alternativement des oeuvres de facture cubiste et néo-classique. Le style des artefacts n'est donc pas nécessairement “ subjectif ”. J'ajouterai que, quelle qu'ai été l'intention (distinctive ou individualisante) d'un artiste, on demeurera toujours libre d'appliquer à son artefact un point de vue distinctif ou individualisant. Les deux points de vue, bien qu'opposés, apparaissent largement complémentaires.

Le point de vue distinctif aborde les styles comme un enchâssement de caractérisations. Soit donc un “ individu discursif ”. D'un point de vue “ distinctif ”, on y verra une stratifications de “ caractérisations ”.Certaines de ces caractérisations seront rapportées au “ dialecte ” dans lequel est formulé le texte individuel. Elles seront décrites par une stylistique comparée des langues. D'autres caractérisations dépendront du “ sociolecte ”, et c'est une rhétorique des genres et des situations de parole, qui en rendra compte. D'autres enfin proviendront de l' “ idiolecte ” [xi] propre à l'auteur et feront la matière d'une analyse stylistique. De cet enchâssement, il découle que, du point de vue distinctif, toute individualité est relative. Elle apparaît en effet comme une somme de caractérisations qui renvoient chacune à une classe d'appartenance. L' “ individu ” n'est fait que de l'entrecroisement particulier de ces classes. On caractérisera donc un style par ces relations d'appartenance et ses relations d'exclusion à d'autres classes. Après avoir identifié le style de Proust comme style de prose romanesque française, marqué par le poème en prose et l'écriture artiste, on l'opposera à celui de tel romancier mondain contemporain.

Le point de vue individualisant sur un individu discursif - par exemple celui de Spitzer sur Proust - s'attachera moins aux relations externes d'un style qu'à sa logique interne (et peu importe, comme l'a fait remarquer Jean Starobinski[xii], qu'il identifie cette logique interne à un principe spirituel, puisqu'en définitive il la décrit comme une différenciation purement discursive) . Il s'intéressera moins aux relations de l'écriture proustienne avec celle des Goncourt, qu'à l'analogie entre la construction de la Recherche et celle de la phrase proustienne. Il sera moins sensible dans l'écriture proustienne à son appartenance générale au style métaphorique, par exemple, qu'à la différenciation particulière qu'elle inflige à l'usage des métaphores. Et au total, il sera plus sensible à la valeur idiosyncrasique d'un style (et donc à sa nouveauté historique) qu'à sa valeur relative.

Les deux points de vue cependant sont toujours convertibles l'un dans l'autre. Il sera toujours loisible de montrer qu'une caractérisation générale se trouve en fait différenciée dans le contexte d'une oeuvre singulière et dotée de valeurs irréductibles à sa classe. Et à l'inverse une différenciation inédite, l'invention d'un trait de style, pourront toujours être appréhendés comme le point de départ d'une nouvelle classe de caractérisation. Il faut se demander jusqu'à quel point cette opposition recouvre celle du “ rhétorique ” et du “ stylistique ”.


Point de vue rhétorique et point de vue stylistique

L'opposition des points de vue “ rhétorique ” et “stylistique ” est sans doute d'abord fonctionnelle, comme on l'a souvent remarqué [xiii]: la rhétorique est originairement une technique productive de discours, et la stylistique une technique de lecture et d'interprétation[xiv]. Il ne faut pas s'étonner que la stylistique soit contemporaine de l'émergence de l'histoire littéraire, car, foncièrement, elle appartient aux disciplines historiques (j'y reviens un peu plus bas). Mais, par-delà cette première opposition, rhétorique et stylistique s'opposent aussi comme deux points de vue, distinctif et individualisant, sur les individus discursifs. Dans les deux cas, on admet que la parole ne se réalise qu'à travers des discours. Mais c'est dans la relation à ces individus discursifs que rhétorique et stylistique divergent.

La production discursive rhétorique, et sa visée efficace, son “ calcul ”, reposent en effet sur une caractérisation préalable des genres de discours, des actes discursifs et des modes de présentation de la forme. Dans le point de vue rhétorique le paradigme des caractères individuels du discours est présenté comme fini (il y a un système des formes discursives) et intemporel. La catégorisation rhétorique repose sur une déhistoricisation d'événements discursifs particuliers. On voit à l'oeuvre ce travail de déhistoricisation dans l'invention du système des trois styles oratoires, tel qu'il est décrit, par exemple, par Marc Fumaroli[xv]. De Théophraste à Cicéron en passant pars Démétrius, on assiste à l'indexation des trois styles (historique, conversationnel et oratoire), exemplairement rapportés à Thucydide, Platon et Isocrate, sur les trois genres de discours (judiciaire, délibératif et épidictique) et à leur institution en paradigme discursif. Ainsi, les individualités historiques propres à ces styles d'auteurs et à ces pratiques sociales éphémères sont converties en système des possibles discursifs. Le même geste, dans une tonalité plus littéraire, se reproduit avec la réinvention des trois styles par Donat, qui les dérive cette fois des trois grandes oeuvres virgiliennes (Les Bucoliques, Les Géorgiques et L'Enéide ). La trilogie des styles simple, moyen et élevé, sera dès lors indéfiniment reconduite dans l'oubli de l'événementialité poétique qui la fonde. La “ roue de Virgile ” reclôt ainsi le temps historique dans une caractéristique éternelle.

A l'inverse, le point de vue individualisant de la stylistique entretient des liens étroits avec l'histoire. Généalogiquement, la stylistique procède en effet de la linguistique historique humboldtienne. La stylistique ne fera que transposer au discours le point de vue individualisant qu'Humboldt applique aux langues[xvi]. Humboldt d'ailleurs appelle cette transposition en traitant lui-même les langues comme des oeuvres littéraires. Il décrit la formation des langues comme un processus de forgerie poétique collective où s'exprime l'esprit d'un peuple. Entre individualisation de la langue et individualisation des discours, il y a perpétuel échange et relais. Les peuples-poètes, après avoir forgé les caractères phonologiques et conceptuels d'une langue cèdent la place aux poètes individuels qui vont illustrer la langue avant que les grammairiens ne la fixent. Humboldt cherche donc moins à distinguer les langues qu'à les saisir comme une dynamique de développement interne (energeia ). D'une part, il y a une cohérence générale des caractères de la langue à partir des choix premiers qu'elle fait. D'autre part, la caractéristique des langues est “ ouverte ”. Il n'y a pas de “ système ” clos des langues pas plus qu'il n'y en a de l'événementialité littéraire que ressaisit la stylistique. C'est pourquoi la stylistique inspirée de Humboldt devrait avoir pour tâche de décrire des individualités historiques.

Cependant, il n'y a sans doute pas de rhétorique pure, pas plus que de stylistique pure. L'une et l'autre sont traversées par la confusion des points de vue “ distinctif ” et “ individualisant ”. Ainsi depuis Cicéron, il y a dans la rhétorique des éléments d' “ individualisation ”. Le concept d' “ingenium ” introduit dans la compétence rhétorique un facteur de talent individuel de nature plutôt stylistique, en ce qu'il en appelle à une forme globale d'invention. Et la rhétorique du sublime du Pseudo-Longin, comporte elle aussi des aspects stylistiques. Elle est sensible dans le style sublime à une convergence figurale (l'“ épisynthèse des parties ”[xvii]) qui efface la particularité des figures aux profit de leur effet extatique. Inversement, la stylistique de Bally exclut l'objet littéraire et se présente comme une rhétorique des manières sociales de dire. On peut observer cette même impureté dans l'approche des styles non verbaux. Par exemple, la théorie des “ styles ” artistiques que développe Wölfflin dans ses Principes fondamentaux d'histoire de l'art n'est que partiellement “ individualisante ” [xviii]. Lorsqu'il s'efforce de montrer la cohérence des formes de la vision propres à un style donné - par exemple la convenance réciproque du style linéaire, de la perspective par plans parallèles, de la forme fermée, de la forme plurielle et de la clarté des objets dans le style classique - Wöllflin l'individualise. Mais dès lors qu'il induit de ces styles historiques (classique et baroque) des catégories a priori de la vision, transcendantes et historiquement cycliques - en posant, par exemple, que tout style connaît une phase “ baroque ” et qu'il y a eu un “ baroque gothique ” -, il change de point de vue et érige ses catégories en grille intemporelle de caractérisation, en paradigme distinctif.

Sans doute les deux points de vue sur le style sont-ils complémentaires : l'événementialité d'un style ne devient intelligible qu'à travers des catégories qui la transcendent, les catégories stylistiques de leur côté sont sans cesse infléchies, voire réinventées, dans les configurations nouvelles où elles apparaissent. Il faut donc s'accorder une théorie du style qui, tout en distinguant strictement les points de vue, permette de saisir le style comme processus de décatégorisation et de recatégorisation. Une approche strictement distinctive de l'individualité des styles, telle que celle qu'on a voulu tirer de la réflexion de Goodman, y échoue. Et sa consistance même paraît problématique.


Nelson Goodman et les silences de l' “ exemplification ”

Je commencerai par rappeler brièvement la teneur de la théorie goodmanienne du style. Dans “ Le statut du style ”[xix], Nelson Goodman présente le style - d'une époque, d'un artiste, d'une période de l'artiste ou d'une oeuvre, comme une addition de caractéristiques, “ une caractéristique complexe qui fait en quelque sorte fonction de signature individuelle ou collective ” [xx]. Toutes les caractéristiques d'une oeuvre ne sont pas stylistiques - ainsi le réseau de craquelures d'un tableau ou le nombre de mots d'un poème. Aux yeux de Goodman, pour qu'une caractéristique puisse être reconnue comme stylistique, deux conditions sont requises. D'une part, il faut que la caractéristique ait une valeur distinctive : “ une propriété -..- pourra compter comme stylistique seulement si elle renvoie une oeuvre à tel (plutôt qu'à tel autre) artiste, période, région, école, etc. ”[xxi] Ce n'est évidemment pas le cas de caractéristiques matérielles comme les formes de vieillissement d'un tableau. D'autre part, il faut que la caractéristique en question fasse partie “ des propriétés du fonctionnement de l'oeuvre comme symbole ”. C'est à dire, qu'elle devra être exemplifiée par l'oeuvre : non seulement l'oeuvre doit posséder cette caractéristique, mais elle doit y faire référence. Ou encore, dans une formulation de 1984 : “ Un trait stylistique, tel que je le conçois, est un trait qui est exemplifié par l'oeuvre et qui contribue à la situer dans un corpus significatif d'oeuvres parmi d'autres. ” [xxii] Goodman admet cependant “ qu'il est souvent difficile de déterminer avec exactitude quelles propriétés une oeuvre d'art ou une exécution exemplifient ”[xxiii]. La difficulté essentielle tient à la distinction entre propriétés simplement “ possédées ” et propriétés “ exemplifiées ”. Théoriquement cette distinction ne fait pas problème : une propriété simplement possédée n'est pas l'objet d'une référence et n'entre donc pas dans “ le fonctionnement symbolique de l'oeuvre ”. Elle n'a pas de statut sémiotique, elle est purement immanente. Certes. Mais, pratiquement, il reste à définir comment nous pouvons discerner des types de propriétés qu'a priori rien ne distingue, c'est-à-dire comment s'embraye un processus d'exemplification.

Goodman nous fournit un exemple très clair[xxiv] (mais extérieur à l'art) de fonctionnement de l'exemplification. C'est celui de l'échantillon de tissu : un échantillon de tissu rouge ne possède pas seulement des propriété de couleur et de texture, il les exemplifie. En revanche, il possède des propriétés qu'il n'exemplifie pas : par exemple sa taille ou sa forme. Comment faisons-nous la différence entre les unes et les autres? Dans le cas de l'échantillon, la réponse est d'ordre pragmatique : l'usage de l'échantillon est le résultat d'une convention apprise selon laquelle les échantillons de tissus exemplifient des propriétés définies; la situation d'utilisation de l'échantillon peut aussi être accompagnée d'une explication ou d'un mode d'emploi qui précise les propriétés exemplifiées et exclut celles qui ne le sont pas. Ainsi, le photographe nous expliquera que son échantillon de développement photographique exemplifie le format et la brillance du tirage qu'il s'apprête à faire de nos négatifs, mais pas les couleurs de son échantillon. L'exemplification artistique fonctionne-t-elle sur le même principe? Jusqu'à un certain point, la situation est analogue. Sans “ mode d'emploi ”, c'est-à-dire si nous sommes dépourvus de toute culture artistique, si nous n'avons pas appris à regarder des tableaux et à y trouver des propriétés remarquables, si nous n'avons jamais lu aucune oeuvre critique, nous sommes incapables de comprendre qu'une oeuvre d'art exemplifie certains caractères et impuissants à saisir quels caractères elle peut bien exemplifier. Cependant le rapprochement entre oeuvre d'art et échantillon a ses limites. Effectivement, contrairement à celui des échantillons, le mode d'emploi des oeuvres d'art ne définit pas contractuellement quelles sont les propriétés exemplifiées par l'oeuvre. Dans une oeuvre d'art l'exemplification est “ ouverte ”. Un nouveau regard critique pourra toujours nous faire apercevoir de “ nouvelles ” propriétés exemplifiées par l'oeuvre, et il n'aura pas tort au regard de l'oeuvre, s'il débusque des propriétés réelles et qu'il peut montrer qu'elles sont réellement mises en valeur par l'oeuvre. Sans cette autonomie, on peut douter de la capacité de l'oeuvre d'art à fonctionner comme oeuvre d'art. Dans le récent débat français sur l'art contemporain, des critiques comme Jean-Philippe Domecq ont posé à cet égard d'intéressantes questions[xxv]. Une oeuvre d'art qui ne se soutient et ne se perçoit qu'à partir du discours théorique qu'elle illustre (c'est-à-dire d'une sorte de mode d'emploi) est-elle encore une oeuvre d'art? On peut, je crois, admettre que le jeu propre de l'art, c'est d'excéder par sa capacité exemplificatrice les intentions explicites de l'artiste, les théories admises et les interprétations convenues d'avance. En somme l'oeuvre d'art ne se conçoit guère sans autonomie exemplificatrice.

Le problème reste donc entier. Dans quelles conditions l'autonomie de l'oeuvre d'art peut-elle s'exercer et transformer ses propriétés simples en exemplifications? Dans Manière de faire des mondes, Goodman esquisse deux types de réponse à cette question en s'intéressant aux conditions et aux symptômes de l'art. Une oeuvre d'art fonctionne comme telle lorsqu'elle rencontre des situations favorables : la bonne question n'est pas “ Qu'est-ce que l'art? ” mais “ Quand y a-t-il art? ”. Si un tableau de Van Gogh se trouve soustrait à toute contemplation par son utilisation pour fermer un clapier dans une cour de ferme, il ne fonctionne plus comme oeuvre d'art. Son autonomie exemplificatrice est réduite à néant. Mais dès lors que le même tableau, retrouvé et nettoyé, est présenté dans une rétrospective Van Gogh, il est offert à l'attentionnalité du public et retrouve ses capacités exemplificatrices. D'autre part, sans accorder une essence à l'oeuvre d'art, Goodman n'exclut pas un ensemble de propriétés favorables au fonctionnement esthétique. Parmi tous les objets virtuellement susceptibles de devenir des objets d'art, il y en a certains qui sont plus probables - et sans doute plus probants - en fonction de leurs propriétés symboliques. Ces propriétés, que Goodman décrit comme des “ symptômes ” sont au nombre de cinq : 1. la densité syntaxique 2. la densité sémantique 3. la saturation relative 4. l'exemplification et 5. la référence multiple et complexe[xxvi]. Bien que Goodman n'en tire pas de conséquences particulières, on peut admettre que la convergence des conditions et des symptômes oriente notre réception favorablement vers le fonctionnement esthétique de l'objet, qu'elle nous incite à dépasser le simple constat de ses propriétés pour y déceler des processus d'exemplifications. Conditions et symptômes éveilleraient en somme notre attentionnalité à l'exemplification.

Mais la notion d'attentionnalité à laquelle on est tenté de recourir est ambiguë et, sur le fond, elle ne résout pas notre problème. Comme l'a fait justement remarquer Jean-Marie Schaeffer[xxvii], l' “ attentionnalité ” peut être entendue en deux sens à peu près antagonistes. On peut la comprendre comme une réponse à l'intentionnalité de l'artiste ou de l'oeuvre, et dans ce cas elle est le versant réceptif d'une intentionnalité objective; ou on peut y voir, comme Jean-Marie Schaeffer, “ la réception esthétique d'un artefact en tant que distincte de sa fonction esthétique intentionnelle ” et elle relève plutôt d'une appréciation subjective de l'oeuvre. Il resterait à cependant à définir les limites de l'attentionnalité comprise dans ce second sens. Si je m'intéresse à des propriétés esthétiquement non pertinentes d'une oeuvre - à supposer qu'on puisse les définir -, ma conduite est-elle “ attentionnelle ”? Si, même, j'hallucine dans l'oeuvre des significations purement subjectives, en l'utilisant comme un test de Rorschach, puis-je revendiquer une “ attentionnalité ” à l'oeuvre? Jusqu'à quel point l' “ attentionnel ” demeure-t-il dépendant de propriétés objectives? Je ne suis pas sûr de saisir l'usage exact que, par exemple, Gérard Genette fait d'une telle notion lorsqu'il l'applique, précisément, à l'exemplification stylistique, posant que “ l'auteur ne peut jamais totalement maîtriser ” l'exemplification et que cette dernière est “ plutôt ” régie par “ l'attention du lecteur ”[xxviii]. Si c'est l' “ attentionnalité ” du lecteur qui est responsable de l'exemplification, cela signifie-t-il donc que le style est entièrement relatif? Qu'un statisticien débusque, par son attention propre, la fréquence plus élevée des consonnes dans le second mot de chaque phrase de Céline, et cela deviendrait une propriété pertinente du style de Céline. Mais, inversement, que l' “ attentionnalité ” à l'exemplification d'une lecteur soit égale à zéro, et, contrairement au précepte genettien selon lequel “ tout texte a du style ”, ce lecteur pourrait établir que les textes de Céline n'a pas de style puisqu'il n'y trouve aucune exemplification. Plus sérieusement, si le critère “ attentionnel ” de l'exemplification est lui-même relatif (“ plutôt ”), il faudrait donc que Genette nous dise, comment l' “ auteur ” procède - mais l' “ auteur ” n'est pas la question, c'est plutôt le texte - lorsqu'il maîtrise tout de même certaines exemplifications. Jusqu'à maintenant, l'énoncé des conditions favorables à l' “ attentionnalité ” ne nous a pas expliqué comment se faisait la discrimination entre propriétés “ possédées ” et propriété “ exemplifiées ” de l'oeuvre.

C'est faute, me semble-t-il, de prendre en considération un aspect fondamental du style de l'oeuvre d'art : c'est que la perception des “ exemplifications ” y est plus ou moins contraignante selon les propriétés concernées. Ainsi dans le style verbal, certaines exemplifications doivent être obligatoirement perçues pour autoriser la constitution d'une dénotation satisfaisante, tandis que d'autres ont, de ce point de vue, un caractère facultatif. Les figures dites in absentia imposent une reconnaissance et un travail d'inférence pour accéder au sens dénotatif de ce qui est dit. Je ne peux en effet négliger une ellipse syntaxique ou une métaphore in absentia sans que le discours tombe hors-sens (par exemple le “ Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ” d'Hermione à Pyrrhus). Mais je peux parfaitement omettre de relever une paronomase (“ Et les fruits passeront la promesse des fleurs ”) sans que cela soit de quelque conséquence sur le sens global de l'énoncé. Le style verbal n'est donc pas un phénomène purement “ attentionnel ”, au sens simplement “ subjectif ” du terme : il y a dans le discours des formes objectives qui imposent le déchiffrement de certaines exemplifications sous peine de bloquer l'accès à la dénotation. Le même problème se pose d'ailleurs dans les arts plastiques représentatifs. Comme l'a fait remarquer Panofsky[xxix], pour comprendre que la Résurrection de Grünewald représente “ un homme s'élevant dans les airs en flottant ” et non, par exemple, un homme couché yeux ouverts peint sur un fond abstrait, il faut que j'en passe par l'identification d'un certain nombre de conventions stylistiques. C'est donc dire que la reconnaissance des exemplifications est, jusqu'à un certain point, “ guidée” par la forme de l'oeuvre, pour autant bien entendu que l'oeuvre soit reconnue comme objet intentionnel et non pas comme simple chose du monde. Sans raidir à l'excès cette opposition entre exemplifications obligatoires et facultatives (car il va de soi qu'on pourra graduer indéfiniment le degré de contrainte de chacune), j'en retiendrai surtout l'idée qu'un style n'est pas fait d'une addition mais d'une hiérarchie d'exemplifications.

Ce qui impose une propriété à la réception - et donc l'exemplifie - c'est un ensemble de déterminations propres à l'oeuvre individuelle. Outre le rôle déjà mentionné de l'exemplification dans l'accès à la dénotation, la configuration globale de l'oeuvre oriente la réception de ses propriétés par récurrence, convergence et parfois réduction analytique. Plus une propriété de l'oeuvre est fréquente, plus elle tend à s'exemplifier en “ traits de style ”, orientant la réception vers une reconnaissance de son caractère stylistiquement pertinent. Il faut cependant admettre que ce critère, pas plus d'ailleurs que les autres, n'est absolu : on peut imaginer de dégager des propriétés d'une oeuvre statistiquement fréquentes mais dont la pertinence stylistique apparaît très improbable. Sans doute le critère de convergence est-il plus difficile à contester : une propriété tend à s'exemplifier lorsqu'on peut lui trouver des synonymes ou des analogues à d'autres niveaux de configuration de l'oeuvre ou lorsqu'elle rencontre des propriétés explicitement dénotées par l'oeuvre. Soit, dans le roman de Georges Perec intitulé La Disparition, une propriété du discours sans aucune tradition stylistique : l'absence totale de la lettre “ e ” tout au long du texte. Je note que la reconnaissance de cette propriété est “ facultative ”, en ce sens que chaque phrase et l'ensemble du roman (aussi saugrenus en soient les épisodes) ont un sens complet indépendamment de sa prise en considération[xxx]. Parmi les premiers lecteurs de La disparition, un certain nombre n'a pas perçu immédiatement cette singulière propriété du discours perecquien pour la raison qu'elle n'avait a priori aucune pertinence esthétique. Ce qui cependant lui confère statut d'exemplification, dans une lecture attentive de l'oeuvre, c'est outre sa récurrence absolue dans le discours (il n'y a pas d'exception à cette règle), le fait qu'elle entre en convergence avec une thématique générale de la disparition et de la lacune au fil du récit, et qu'elle apparaisse de plus explicitement dénotée par le titre du roman.

J'ajoute que comme l'a fait remarquer Meyer Schapiro [xxxi], la forme de convergence des traits stylistiques n'est pas nécessairement de type “ organique ”. On peut la concevoir, particulièrement à l'époque moderne, sur un mode “ fonctionnel ” : “ elle peut être comparée également à celle d'une machine qui n'a qu'une liberté de mouvement limitée; dans un organisme complexe, les parties sont dissemblables et leur intégration est plus une affaire d'interdépendance fonctionnelle que de répétition du même schéma à travers tous les organes. [xxxii]” Ainsi dans un tableau cubiste des lettres au pochoir et un morceau papier peint à motif de faux bois peuvent exemplifier tous deux la négation d'une perspective illusionniste, bien qu'ils n'aient aucune “ ressemblance ” plastique. Sur un mode fonctionnel, c'est tout de même la cohérence interne de l'ensemble qui orientera vers la reconnaissance de cette valeur exemplificatrice.

A côté de la récurrence et de la convergence, des esthétiques récentes, comme celles du minimalisme ou de l'arte povera, ont mis en pratique une mode d'exemplification inverse, par réduction analytique des propriétés de l'oeuvre. C'est par élimination, “ appauvrissement ” des propriétés de l'objet, et non par saturation, que les propriétés restantes sont exemplifiées, fussent-elles les plus littérales ou apparemment triviales (comme celles d'un parallélépipède noir). Le caractère contraignant - voire même pédagogique - de l'exemplification n'en apparaît que plus prégnant...


Retour à une définition du style

Le processus de l'exemplification ne se conçoit donc guère hors d'un espace de configuration : c'est en effet l'organisation globale de cet espace qui opère la conversion des propriétés de l'objet en exemplifications, par une mise en relief différenciée. Certes, une fois produites dans l'espace d'une oeuvre, les exemplifications peuvent devenir des traits de style traditionnels, faire l'objet d'un répertoriage rhétorique et de comparaisons distinctives. Mais une approche taxinomique du style ne saurait rendre compte des valeurs spécifiques que reprennent ces traits de styles en contexte et du travail d'individualisation auquel ils concourent.

Nous voici à présent mieux armés pour revenir à une définition plus précise du style. J'évoquais au début une “ pratique de ressaisissement de l'individualité d'un objet ”. Le ressaisissement est impliqué par la notion d' “ exemplification ”. Le style témoigne qu'on ne se contente pas de produire un artefact ayant des propriétés spécifiques, on réfère à ces propriétés, et, ce faisant, on les infléchit. L'individualité de l'objet n'est pas seulement donnée ou “ trouvée ”, elle est accentuée, prolongée. Pas de style, sans “ stylisation ”. Cette stylisation est globale, elle n'excepte aucune des propriétés de l'objet. Toutes les propriétés exemplifiées le sont selon une hiérarchisation différenciée que régit leur rôle dans l'accès à la dénotation (dans les arts représentatifs), ainsi que la récurrence, la convergence ou réduction analytique agencée dans le champ figural. Je me sépare donc d'une conception uniformisante du style, comme celle proposée par Genette dans Fiction et diction , qui le présentait comme la “ face perceptible du discours ”. Le style n'est pas simple perception de propriétés, il est différenciation de propriétés perceptibles. Cela n'entraîne d'ailleurs aucune “ discontinuité ” stylistique mais, au contraire, une mise en perspectives d'aspects relatifs les uns aux autres comme, dans une représentation perspective, le premier plan l'est au fond, sans qu'aucun des deux puisse être considéré comme terme “ neutre ” ou “ normal ”. Si donc l'on peut légitimement réintroduire à propos du style l'idée de valeur, ce n'est pas du tout au sens de la “ valeur esthétique ”, mais c'est au sens de “ valeurs d'emphase ”. L'exemplification stylistique est bien “ valorisation ” puisqu'elle module différentiellement un ensemble de propriétés. Cet ensemble est ouvert : il va des propriétés les plus manifestement exemplifiées aux propriétés les plus fines et dont la valeur d'exemplification devra être justifiée (et pourra être discutée).

La fonction du style apparaît donc essentiellement comme une deixis qui oriente la réception de l'objet en différenciant la pertinence de ses propriétés remarquables. Ceci peut nous aider à clarifier la question de la réception “ attentionnelle ” du style. Le style, en tant que distribution de valeurs d'emphase, suscite effectivement une réponse “ attentionnelle ”. Mais cette “ attentionnalité ” est dirigée vers les exemplifications relativement objectives qui constituent la “ forme intentionnelle ” du style (on se gardera de confondre cette “ forme intentionnelle ” du style avec le “ sens intentionnel ” de son auteur). J'ajouterai que cette “ forme intentionnelle ” du style, bien qu'elle repose sur un fonctionnement symbolique qu'a mis en valeur Goodman (celui de l'autoréférence de l'oeuvre à ses propriétés possédées), n'est pas elle-même sémantique. Les valeurs d'emphase distribuées par un style ne sont pas directement associables à une signification. En revanche, la prise en considération de leur forme globale est justiciable d'une interprétation pragmatique : lorsqu'on a identifié la forme intentionnelle d'un style, on est conduit à s'interroger sur ce qui justifie la mise en évidence préférentielle de telle ou telle propriété. Et on le fait sur la base d'un ensemble de savoirs culturels et contextuels. L'analyse du style joue donc un rôle relatif de garde-fou herméneutique : elle ne garantit pas qu'on puisse s'entendre sur la signification d'un style, mais elle s'efforce de garantir qu'on puisse s'entendre sur ses propriétés pertinentes pour l'interprétation.


Réponses à quelques objections.

Plusieurs objections m'ont régulièrement été opposées, lorsque je me suis efforcé de dégager le style de ses approches caractérisantes et distinctives.

1. Une conception individualisante du style impliquerait nécessairement un retour au style comme expression romantique d'une idiosyncrasie subjective. C'est la critique que m'adresse Jean-Marie Schaeffer dans son article “ Le style littéraire et son objet ”[xxxiii]. Bernard Vouilloux, lui emboîte le pas, reprenant la définition réductrice du style comme choix paradigmatique au sein d'un système de variantes. Et il l'oppose, entre autres, à ma propre conception du style, en laissant entendre que je la comprends comme “ inscription du sujet ”[xxxiv]. Cet amalgame régulier de la “ singularisation ”[xxxv] ou de l' “ individualisation ” stylistique avec “ l'expression subjective ” a des raisons avant tout idéologiques : la théorie romantique de l'art, telle qu'elle a pu être encore relayée par la phénoménologie et la psychanalyse dans les années 70-80, n'ayant aujourd'hui plus cours, il est bon de s'en démarquer, y compris en la dénonçant là où elle n'est pas. L'individualité des objets esthétiques est évacuée au nom de la lutte contre le “ subjectivisme ”. Mais l' “ individuel ” n'est évidemment pas le “ subjectif ”, pas plus que la “ forme intentionnelle ” d'un style n'est l' “ expressif ” - les développements ci-dessus l'établissent suffisamment. J'y reviens en conclusion.

2. Les mêmes auteurs s'appuient volontiers sur l'autorité de l'histoire de l'art pour relégitimer une approche taxinomique et distinctive du style, et la proposer en exemple aux études littéraires. S'il est vrai que l'histoire de l'art pratique bien plus volontiers que les études littéraires des approches stylistiques comparatives, cela n'entraîne pas nécessairement que sa stylistique soit de type taxinomique. J'ai mentionné chez Wöllflin l'attention à la convergence des traits de style. Et même Gombrich, en dépit de certaines formulations, ne peut servir à cautionner une stylistique distinctive, identifiant le style à un “ choix de variante ”.

Certes, les termes employés par Gombrich me donnent apparemment tort puisque, dans L'Art et l'illusion, on lit :

L'histoire de l'évolution des modes et des goûts retrace un processus de préférences, de choix délibéré entre diverses alternatives[xxxvi]

Plus loin, soulignant que toute invention ne saurait être que graduelle et relative Gombrich écrit que “ les variantes ne peuvent être testées et contrôlées que par comparaison à un ensemble de données acquises et invariables”[xxxvii]. Mais, dans ce second extrait, la traduction française rend l'anglais variation par le français “ variante ” [xxxviii]. Or que signifie variation dans le contexte où l'emploie Gombrich? Le terme fait référence au fait qu'une invention stylistique se conçoit seulement par différenciation d'un modèle préexistant, que l'artiste a toujours en tête une sorte de “ fac-simile ” de formes antérieures auquel il fait subir des transformations. Ainsi procède Manet avec son Déjeuner sur l'herbe (1863) où il reprend un schéma de composition au Jugement de Pâris (1515) de Marcantonio Raimondi , assemblant ses personnages dans des attitudes très semblables à celles d'un groupe secondaire dans la gravure de son prédécesseur italien. Mais, si la gravure de Raimondi fait bien partie du contexte de Manet, il va de soi que le Déjeuner sur l'herbe ne saurait en être pour autant une “ variante ”. L'économie du tableau de Manet n'a strictement rien à voir avec celle de Raimondi. Et l'emprunt ne laisse apercevoir aucune forme de “ synonymie ” entre les deux oeuvres. Ce que montre a contrario l'exemple de Gombrich, c'est que l'innovation stylistique, pour relative et graduelle qu'elle soit, ne peut jamais être pensée en terme de “ variantes ”.

S'il est vrai que les formulations de Gombrich peuvent parfois accréditer une idée du style comme “ choix délibéré entre diverses alternatives ”, ces termes sont foncièrement inappropriés à sa réflexion. L'idée essentielle développée par Gombrich est qu'il n'y a pas d'innovation artistique sans fond contextuel. Il s'efforce de rapprocher ainsi les propositions esthétiques des hypothèses scientifiques qui corrigent, transforment, améliorent des hypothèses préalables. Une conception du style comme choix de variantes pré-définies va évidemment à l'encontre d'une telle vision de l'art. Elle ne saurait convenir qu'à des états de l'art académiques et stéréotypés, où l'art perd sa valeur d'hypothèse heuristique. Or, lorsque Jean-Marie Schaeffer reprend à son propre compte le terme “ variante ”, on n'y retrouve plus le sens de la variation de Gombrich. En effet, Jean-Marie Schaeffer rapproche le “ choix ” stylistique de l'activité de “ sélection ” d'une unité au sein d'un paradigme de synonymes dans l'usage d'une structure linguistique synchronique. Or c'est bien plutôt du changement linguistique, telle que peut l'appréhender une linguistique historique, qu'il aurait fallu rapprocher le style.

Des pratiques de l'histoire de l'art, je retiendrai toutefois l'importance accordée au contexte préalable des possibilités stylistiques. Si un style est nécessairement le produit d'une individualisation interne, il est évident qu'il prend aussi sens et valeur sur fond de styles déjà réalisés. La raison pour laquelle les historiens de l'art sont si légitimement attentifs au dialogue des formes, dialogue qui fait que toute oeuvre peut être reçue comme une réponse polémique à un ensemble d'autres, c'est évidemment que ce dialogisme, étant de nature non verbale, passe tout entier dans les propositions implicites du style. L'analyse de la différenciation interne qui constitue un style doit donc être, là plus encore qu'ailleurs, complétée de celle de la différenciation externe par laquelle il se détache d'une tradition.

3. Selon Bernard Vouilloux, les stylistiques mettant l'accent sur la “ singularité ”, ou dans la reformulation que je propose sur l' “ individualisation ”, seraient vouées au “ monologisme ” et incapable de rendre compte des styles composites : polyphoniques, parodiques ou postmodernes[xxxix] . Elles ne pourraient décrire les styles de Joyce ou Gadda, car ceux-ci sont composites et ne renvoient pas à une unité organique. Cette objection n'aurait de pertinence que si l'on postulait qu'un style est a priori dépourvu d'apports hétérogènes, de modèles retraités, de tensions internes, voire de contradictions dynamiques - idée à laquelle je n'adhère nullement. Comme on l'a vu, l'unité d'un ensemble stylistique n'est pas nécessairement de type organique. Quant à l'usage de matériaux citationnels, il n'est pas rebelle à une approche individualisante du style. Le contester, ce serait par exemple poser qu'on ne peut pas individualiser des styles comme ceux de Döblin et de Dos Passos, ou de Max Ernst et Kurt Schwitters. Or leur individualité stylistique tient sans doute pour partie au choix de certains matériaux parmi d'autres, mais aussi et surtout au mode d'assemblage de ces matériaux. L'exemplification porte donc moins sur les éléments de l'oeuvre que sur leur retraitement et leur mise en relations. Ce sont donc les propriétés “ syntaxiques ” de l'oeuvre qui se trouvent, dans de tels cas, exemplifiées au premier plan. C'est dire que les oeuvres citationnelles sont précisément celles qui supportent le moins une approche stylistique taxinomique et qui exigent le plus d'être appréhendées en tant que totalité organisée.

4. Enfin l'approche individualisante du style, en rendant la perception du style dépendante d'une appréhension globale de l'oeuvre, reconduirait le dogme structuraliste de la clôture du texte (ou plus généralement de l'oeuvre) et ignorerait ainsi les approches généticiennes ou intertextuelles du style.

Une polémique à propos de la génétique textuelle [xl]a fait de moi, à ma surprise, un adepte de la “ clôture du texte ” alors qu'il me semblait défendre une thèse inverse. Dans Le style dans la langue[xli], Jean-Michel Adam, sans me citer, m'attribue ainsi, après Pierre-Marc de Biasi, un refus de prendre en considération la génétique des texte au nom d'une conception du texte comme “ objet clos, unique et délimité ”. Je n'avais rien écrit de tel mais seulement rappelé des évidences, à savoir qu'il n'y a pas de lecture sans “ clôture au moins provisoire des textes ” et que tout moment interprétatif “ suppose le geste arbitraire et souverain qui institue l'oeuvre en totalité momentanée de signification ”. Il s'agissait donc d'affirmer au contraire qu'il n'y a pas d'essence du texte et que la configuration d'un ensemble textuel est solidaire d'un acte de lecture. Non seulement une telle position n'est pas contradictoire avec l'étude génétique des styles, mais elle lui est indispensable. Si l'on veut étudier les états d'un style, voire le processus d'individualisation d'un style, on ne pourra travailler sur un continuum informe de traces dont on voit mal où elles s'arrêteraient en amont du texte; il faudra bien constituer un corpus fini d'avant-textes, l'instituer provisoirement, et de façon toujours relativement arbitraire, en ensemble fini pour le mettre en rapport - éventuellement génétique - avec cet autre ensemble provisoire qu'est l'oeuvre définie comme achevée par son auteur ou par des circonstances éditoriales. Sans texte, il n'y a non plus ni avant-texte, ni intertexte, ni dossier génétique. Quand au dossier génétique, il relève toujours lui-même, dans sa constitution, d'un ensemble de choix herméneutiques implicites.

La conception individualisante du style que je défends implique qu'on l'appréhende à travers des ensembles de configuration. Certains de ces ensembles sont donnés avec une relative objectivité : le poème, le tableau, l'édition ne varietur, etc.. D'autres ensembles sont plus manifestement construits dans l'acte de réception : le “ passage ” d'un texte, l' “ anthologie ” de poèmes, la “ période ” d'un peintre, etc. . Il est à noter, d'ailleurs, que l'approche comparative des styles n'échappe pas à cette nécessité. Elle doit constituer un paradigme d'oeuvres au sein duquel les distinctions sont supposées significatives. Et ce geste de configuration est plus risqué que celui qui définit un ensemble stylistique individuel, car rien ne limite vraiment sa liberté. Au demeurant l'essentiel est qu'il n'ignore rien de l'horizon de précompréhension dont il est implicitement porteur.

Je reviens pour conclure à la place de la stylisation dans les “ pratiques de l'individuel ”. Si toutes impliquent l'activité d'un sujet, toutes pour autant ne sont pas “ subjectives ” au sens expressif du terme. Seule l' “ autostylisation ” peut vraiment y prétendre, encore entraîne-t-elle, par sa mise en spectacle des manières d'être subjectives, une forme de distanciation et probablement d'écart à soi-même. De même, lorsqu'on stylise un objet, on préfigure d'abord la forme de sa relation à autrui puisqu'on esquisse le protocole de sa réception. Cela ne doit pas nous faire oublier que l'individualisation stylistique a aussi un retentissement subjectif. Plus haut, j'ai laissé en suspens cette question en soulignant seulement que la relation d'un sujet à l'objet qu'il stylise ne pouvait pas être pensée selon un mode “ indiciel ” ou “ expressif ”. Il n'en reste pas moins que nous sommes intéressés et parfois “ suspendus ” aux objets dont nous élaborons le style. Il me semble que l'essentiel de cet intérêt tient à la dialectique entre le donné -ou le “ trouvé ” - et le “ ressaisi ” dans l'objet. La forme que nous “ avançons ” nous captive précisément en ce qu'elle excède notre intentionnalité et nous renvoie sa dynamique propre. Cette dialectique jouée dans l'objet ne nous “ exprime ” pas, mais il se pourrait qu'elle nous “ ressemble ” et nous attire spéculairement parce qu'elle figure le processus de notre individualisation subjective, faite elle aussi de projet et de découvertes, de “ trouvailles ” et de “ ressaisissement ”.


Laurent Jenny

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[i] Fiction et diction, Paris, Seuil, coll. “ Poétique ”, 1991.

[ii] “ La stylistique littéraire et son objet ”, Littérature n°105, mars, 1997.

[iii] “ Pour une théorie descriptiviste du style ”, Poétique n°114, avril 1998.

[iv] Paris, Seuil, 1993, p.14.

[v] Sur ce thème cf. Vincent Descombes, Proust, Philosophie du roman (Paris, Minuit, 1987). Vincent Descombes y rappelle le sens logique et philosophique du mot “ individuation ” : “ Les philosophes appellent principe d'individuation pour un genre de choses donné le concept dont nous nous servons pour décider si nous parlons bien du même individu ” (p.301) Le résultat d'une opération d' “ individuation ” prise en ce sens, c'est donc l'identification. Lorsque le narrateur de la Recherche se demande si la “ jeune fille au polo noir ” est bien la même que telle jeune fille aperçue dans la rue, à savoir Albertine, il se pose une question de ce type.

[vi] La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979, p.61.

[vii] Vincent Descombes, pour sa part, dans l'ouvrage cité supra sur Proust, comprend “ individualisation ” au sens que j'accorde à “ distinction ” : “ Quand nous parlons d'individualisation, nous ne discutons plus de problèmes d'identification, mais de problèmes de caractérisation. (..) Il s'agit maintenant de savoir en quoi divers individus de même espèce se ressemblent et en quoi ils se distinguent. ” L'opération qui résulte d'un processus d'individualisation, au sens de Vincent Descombes, c'est la caractérisation. Ainsi nous dit-il, Albertine, au sein de la “ petite bande ”, est “ individualisée par son polo noir et sa bicyclette ” (ibid., p.301). C'est ne rien dire d'une dimension essentielle d'Albertine : l'énigme de sa personnalité propre, qui n'est pas d'emblée relative à autrui .

En revanche, je me rapprocherais (si je la comprends bien) de l'opposition avancée par Jean-Philippe Saint-Gérand dans son article : “ Style et individua(li)sation : le cas du XIXe siècle ” (in Mireille Dereu, Vous avez dit “ Style d'auteur ”?, PUN, 1999), p.27. Celui-ci oppose en effet, dans la pratique du style, “ individuation ” et “ individualisation ”, comme deux formes d'inscription du sujet dans la langue :

“ l'INDIVIDUATION qui pose intrinsèquement l'objet du STYLE comme un donné du langage résultant de la capacité de l'individu à s'inscrire dans l'univers du monde par la langue. Sa langue : la langue à laquelle le renvoie son ipséité, et qui le constitue en sujet régi par la parole collective. Qui lui assigne une place et lui donne une voix au sein du choeur.

- Et l'INDIVIDUALISATION, qui envisage le donné résultatif comme un procès, dans son effectuation en langage et dans la tension du dynamisme sémiologique suscité par le sujet régi réagissant à sa propre dépendance, et affirmant son vouloir être individuel, dans et par la langue. Quelquefois contre. ”

[viii] “ Style et styles de vie ”, Littérature n°105, mars 1997. Sur ce thème, cf. aussi L'art à l'état vif (Paris, Minuit, 1992), particulièrement, ch.6.

[ix] (1981), Paris, Seuil, 1989, p.320.

[x] Oeuvres philosophiques complètes V, (trad. P. Klossowski), Paris, Gallimard, 1982, p.197.

[xi] Je reprends ces catégories à François Rastier, “ Le problème du style pour la sémantique du texte ” in Molinié et Cahné, Qu'est-ce que le style?, Paris, P.U.F., 1994.

[xii] Dans son essai “ Leo Spitzer et la lecture stylistique ”, in Leo Spitzer, Etudes de style, Paris, Gallimard, 1970.

[xiii] Par exemple A. Kibédi Varga, “ La question du style et la rhétorique ” in Molinié et Cahné, Qu'est-ce que le style? Paris, PUF, 1994.

[xiv] Même s'il importe de nuancer sérieusement la brutalité de cette opposition. Au Moyen-Age, l'enarratio constitue l'une des étapes de la lecture des manuscrits et elle consiste en l'identification des caractéristiques du vocabulaire, des figures de rhétorique et des recherches littéraires propres au texte lu. Sur ce thème cf. Malcom Parkes, “ Lire, écrire, interpréter le texte ” in Cavallo et Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental (Paris, Seuil, 1997) : “ A côté des traités de grammaire qui aidaient le lecteur à identifier les éléments d'un texte, il y en avait d'autres, consacrés aux figures de rhétorique, qui ne se contentaient pas d'aider le lecteur à les reconnaître, mais lui donnaient le moyen de déchiffrer la construction inhabituelle des mots propre à la figure. ” (p.114). Inversement, on n'ignore pas que nombre de traités du style, du genre de ceux d'Albalat se proposaient la production de textes par l'imitation des “ bons ” modèles.

[xv] “ Le grand style ” in Qu'est-ce que le style?, op.cit.

[xvi] Cf. Introduction à l'oeuvre sur le kavi (trad. P.Caussat), Paris, Seuil, 1974.

[xvii] Longin, Du Sublime, (trad. Lebègue), Paris, Les Belles Lettres, 1965, XL, 1 : “ Dans le discours, comme dans le corps, ce qui fait surtout la grandeur, c'est l'assemblage des membres [è tôn melôn episunthesis]; retranché d'un autre, chacun n'a par lui-même rien de remarquble; réunis tous ensembles ils constituent un organisme parfait ” (p.56)

[xviii] (1915), trad. française 1992, Gérard Monfort. Pour illustrer l'impureté de la démarche, je ne fais pas ici allusion à la “ double racine du style ” que postule Wöllflin, en distinguant le tempérament artistique et les formes de présentation disponibles à son époque. En effet que la forme soit subjective ou collective, elle peut aussi bien être décrite d'un point de vue distinctif ou individualisant.

[xix] Publié à l'origine dans Critical Inquiry, vol.1, 1975, 1975; repris in Manière de faire des mondes (1978) (trad.fr. M.-D. Popelard, éd. Jacqueline Chambon, 1992).

[xx] Sur son usage du mot signature, Nelson Goodman se contredit manifestement et d'une façon pour moi assez énigmatique. Après avoir écrit dans “ Le statut du style ” (1975) qu' “ un style est une caractéristique complexe qui fait en quelque sorte fonction de signature individuelle ou collective ” (p.49) et qu'un style est “ métaphoriquement une signature ”, il corrige en 1985 dans Of mind and other matters en reprochant à Anita Silvers de lui attribuer une acception erronée du mot “ signature ” : “ Les lecteurs de la discussion de Silvers doivent savoir qu'elle utilise “ signature ” en un sens différent de celui que je lui donne habituellement dans Manière de faire des mondes. Elle en fait un emploi métaphorique équivalent à “ style ”. Pour ma part je l'utilise littéralement pour désigner le nom de l'artiste et par extension, tous les autres traits permettant de situer une oeuvre (quant à l'artiste, au style, à la période) qui ne sont pas des traits de style. ” (trad. fr. in L'art en théorie et en action, éditions de l'Eclat, 1996, p.38).

[xxi] Manière de faire des mondes, p.49.

[xxii] L'art en théorie et en action, p.38.

[xxiii] Manière de faire des mondes, p.52.

[xxiv] Langages de l'art, p.93..

[xxv] Notamment in Artistes sans art? , éditions Esprit 1994, repris in Pocket 1999.

[xxvi] Langages de l'art, p.297 et Manière de faire des mondes, p.91.

[xxvii] Les Célibataires de l'art, Paris, “ Essais ”, Gallimard, 1996, p.49.

[xxviii] Fiction et diction, p.147.

[xxix] “ Contribution au problème de la description d'oeuvres appartenant aux arts plastiques et à celui de l'interprétation de leur contenu ” (1931) in La perspective comme forme symbolique, Paris, Minuit, 1975.

[xxx] Malgré les apparences, l'absence du e n'est donc pas une figure in absentia, parce qu'elle ne découle pas d'une lacune discursive, mais plutôt des caractères phonologiques de la “ langue ” parlée par Perec...

[xxxi] “ La notion de style ” (1953) repris in Style, artiste, société , TEL, Gallimard.

[xxxii] Op.cit., p.52.

[xxxiii] Littérature n°105, mars 1997. J'ai répondu une première fois à Jean-Marie Shaeffer dans “ Sur le style littéraire ”, Littérature n°108.

[xxxiv] Dans “ Pour une théorie desciptiviste du style ”, Poétique n°114, avril 1998, p.243, Bernard Vouilloux écrit “ A l'inverse, en définissant de façon bi-univoque le style à partir du paradigme indiciaire (“ l'inscription du sujet ”), en particularisant le “ style littéraire ” comme un “ lieu d'esthétisation et de sémantisation discursives ”, on en vient tôt ou tard à bloquer la négativité différante de la marque sur la positivité d'une instance originaire et à interrompre le mouvement incessant des transcendances au gré desquelles l'attention au style cadre et découpe des catégories intelligibles sur un horizon de compréhension et d'interprétation donné ”. A vrai dire, malgré le mystérieux enchaînement de guillemets pratiqué par Vouilloux, qui laisse entendre que j'en suis l'auteur, l'expression “ l'inscription du sujet ” ne m'est nullement attribuable, pas plus que l'idée d'un “ paradigme indiciaire ”.

[xxxv] Tel est le terme que j'ai employé, dans un sens très proche de celui d' “ individualisation ”, dans La Parole singulière (Paris, Belin, 1990) et dans “ L'objet singulier de la stylistique ”, Littérature n°89, février 1993.

[xxxvi] (1959), trad.fr. G.Durand , Paris, Gallimard, 1996, p.17.

[xxxvii] Ibid., p.273.

[xxxviii] Dans le texte original, Art and illusion, Pantheon Books, N.Y., 1959, p.21 : “ The history of taste and fashion is the history preferences, of various acts of choice between given alternatives ” et p.322 : “ variations can be controlled and checked only against a set of invariants ”.

[xxxix] Article cité, p.241.

[xl] “ Divagations généticiennes ” [titre de la rédaction], Le Monde , 20 décembre 1996, à quoi a répondu P.-M. de Biasi “ Les désarrois de l'herméneute ”, 14 février 1997.

[xli] Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997, p.183.

Laurent Jenny

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Dernière mise à jour de cette page le 7 Décembre 2010 à 21h50.