Atelier

L'absence de distinction nette entre les usages communs et les usages littéraires des discours référentiels pose d'importantes difficultés d'évaluation, au double sens du terme : il s'agit à la fois de déterminer la nature du texte en question – sa valeur –, et d'interpréter le sens des valeurs (des codes sociaux, éthiques et politiques) qu'il convoque.

En effet, les textes factuels ne peuvent pas se prévaloir, comme les textes fictionnels, d'un statut particulier ; ils relèvent de la forme ordinaire du langage et ne peuvent être distingués des discours quotidiens qu'au prix d'une évaluation qu'il est nécessaire de justifier, ainsi que G. Genette l'a montré en inventant la notion de régime conditionnel de littérarité. Si l'on juge que le texte d'un historien ou d'un philosophe est une œuvre d'art, on subordonne l'intention explicite du texte (enseigner, démontrer…) à sa valeur esthétique, attribuable à un ensemble de caractéristiques formelles qu'il faut être capable d'identifier. Les écrits factuels constituent cependant des types discursifs conventionnels ayant leur propres règles (règles institutionnelles de la pratique historiographique, journalistique, scientifique, etc.) ; ils mobilisent les valeurs qui organisent la vie sociale et, à ce titre, doivent obéir aux critères qui régissent les discours ordinaires, notamment la règle distinguant le vrai du faux : la question de la vérité, fréquemment soulevée à propos de l'autobiographie et de ses marges, est par conséquent un enjeu essentiel de l'ensemble des littératures factuelles. Ainsi naissent les conflits entre l'appréciation de la valeur esthétique de ces textes et l'évaluation de leur dimension axiologique (éthique, politique et idéologique).

C'est peut-être ce point qui pose les plus grandes difficultés. Car il semble que bien souvent, le véritable problème ne soit pas tant de pouvoir s'assurer de la référentialité de ce qui est écrit, mais bien plutôt de sa valeur littéraire : c'est ce qui explique que les théoriciens s'interrogeant sur les éventuels critères de fictionnalité ou de factualité prennent avant tout leurs exemples dans les genres fictionnels. La plus grosse difficulté est bien d'oser s'intéresser à des textes qui ne relèvent pas des grands genres littéraires que sont le roman, la poésie et le théâtre, c'est-à-dire sortir du domaine de la littérarité essentialiste (définie soit par fiction, soit par diction dans le cas de la poésie).

Jean-Louis Jeannelle

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Dernière mise à jour de cette page le 3 Juillet 2002 à 23h32.