Atelier

Dans la Poétique de Dostoïevski, au début du chapitre V consacré au « mot chez Dostoïevski », Bakhtine situe son travail par rapport à la linguistique, et définit de façon prémonitoire ce qu'on appellera plus tard la « pragmatique », récusant l'opposition saussurienne langue/parole : « Nous nous attacherons à l'étude de la langue dans sa totalité concrète, vivante, et non dans pas de la langue comme objet spécifique de la linguistique, obtenu en faisant abstraction de certains côtés de la vie concrète du mot (ce qui en linguistique était parfaitement légitime et même nécessaire) […] Par conséquent, nos analyses ultérieures ne seront pas linguistiques dans le sens exact du terme. On peut les rattacher à la translinguistique, si on entend par celle-ci une science qui ne serait pas encore strictement déterminée par des disciplines précises, bien délimitées, et consacrées à ces aspects du mot qui sortent du cadre de la linguistique. […] Ce qui compte, c'est non pas l'existence de certains idiolectes, de dialectes sociaux, etc., décelables à l'aide de critères purement linguistiques, mais l'angle dialogique sous lequel ils s'opposent ou se juxtaposent à l'intérieur de l'œuvre. Là, les critères linguistiques sont inopérants car les rapports dialogiques, bien qu'entrant dans le domaine du mot, échappent à une étude de ce dernier purement linguistique. Les rapports dialogiques (y compris ceux du locuteur avec son propre mot) sont un objet de la translinguistique » (Poétique de Dostoïevski, p. 238-239). Bakhtine situe ces rapports dialogiques à tous les niveaux : le mot, l'énoncé, le texte, et même entre des systèmes sémiotiques différents : « des rapports dialogiques, au sens large, sont possibles entre d'autres phénomènes de signification dès lors que ceux-ci sont produits par une matière sémiotique. Les rapports dialogiques peuvent exister, par exemple, avec des images prises dans d'autres arts. Mais ce problème dépasse le cadre de la linguistique » (Poétique de Dostoïevski, p. 242) : ce sera en effet l'objet de la transsémiotique. Dans le cadre de la translinguistique, Bakhtine étudie la « stylisation » (c'est-à-dire le discours rapporté), la parodie, le skaz (récit mené à la première personne dans un style souvent populaire) et le dialogue. Ce qui importe surtout, c'est que la translinguistique a essentiellement pour objet l'étude du dialogisme, celui-ci étant considéré par Bakhtine comme la réalité concrète de la langue : pour lui, la langue en usage est avant tout dialogique.



Claire Stolz

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 5 Juillet 2002 à 23h51.