Atelier



Lecture contrauctoriale: "Le Désauteur", par Laurent Zimmermann.
Séminaire "en résidence" organisé par l'équipe Fabula du 7 au 11 septembre 2009, à Carqueiranne (83), en partenariat avec le projet HERMÈS (Histoires et théories de l'interprétation).



Le Désauteur
(résumé et débat)

J'aimerais prendre exemple d'une lecture que j'ai été amené à produire, celle d'un poème de Baudelaire, pour avancer la proposition d'une instance, le désauteur, qui vient doubler celle de l'auteur dans les textes et qu'il pourrait à mon sens – c'est ce que j'ai essayé de faire en partie dans ma thèse, dans un ouvrage récent, et ce que j'essaie de continuer à développer dans un travail en cours – être intéressant de mieux cerner. J'appelle désauteur une instance qui conteste de manière interne ce que l'auteur avance. Evidemment, dire cela, c'est supposer qu'il y a toujours de l'auteur dans les textes, et de l'auteur au sens de ce qui nous impose quelque chose. C'est ce que je dirais: il y a toujours de l'auteur, toujours cette instance qui influence notre lecture. Une telle instance peut se trouver fabriquée avec divers éléments du dispositif général que nous appelons auteur (l'écrivain, l'auteur représenté dans le texte, l'auteur présent dans le discours, l'auteur imaginaire au sens de Diaz (1), etc.), pour autant que l'auteur en ce sens, comme ce qui pèse sur la lecture pour l'orienter, comme ce qui fait autorité, est une instance essentiellement mixte (Foucault évoquait également la rencontre entre l'écrivain et le locuteur fictif (2)). Donc il y a toujours de l'auteur, en ce sens, au sens de l'autorité; il y a toujours une part de notre lecture qui se trouve conditionnée par cette instance. Tel est le constat de départ. Mais en retour, je dirais, telle est la proposition que j'avance, que cette instance n'est pas seule: elle se double d'une autre, le désauteur, qui la conteste et ouvre la possibilité d'une lecture différente, parfois contraire. Le désauteur ne nous donne pas accès au grand ensemble ouvert qu'est le texte, il conteste précisément ce que l'auteur avance. Il n'y a pas de texte littéraire possible sans la mise en place, souvent violente ou du moins déroutante, de cette dialectique. Arriver à l'entendre reviendra à entendre une complexité du texte, la manière dont ce qui nous est présenté ne vient pas vers nous sans exiger que nous entrions dans cette complexité qui nous transforme. De fait, ce mouvement se produit dans toute lecture d'une œuvre. Mais il est possible d'essayer de l'éclairer au plan critique.

Si donc nous prenons l'exemple de L'Albatros, la première question à nous poser est celle de la présence de l'auteur dans le texte.

L'auteur, pourrait-on dire, au sens de ce qui impose une lecture, est très fortement présent dans le texte. Il est possible de détailler la constitution de cette instance, qui est hybride et emprunte aux diverses dimensions de l'auteur.

Ce que nous trouvons dans le poème est tout d'abord la trace d'événements biographiques, et donc l'auteur en tant qu'il est l'écrivain. L'auteur, cet auteur, y apparaît comme attestation de ce qui est proposé en vertu de l'autorité de l'expérience, de l'expérience qui vient se proposer comme preuve de ce qui est avancé.

(En l'occurrence, le fil biographique est connu : la figure de l'albatros vient à l'esprit de Baudelaire parce qu'il a vu des albatros au cours d'un long voyage en bateau.)

En ce point une précision théorique est nécessaire, pour distinguer la présence biographique de l'auteur comme curiosité et la présence biographique comme attestation. Car toute trace d'événement renvoyant à la biographie ne participe pas de la constitution de l'auteur comme autorité.

Il existe quelque chose de l'ordre de la curiosité face à des indices biographiques, face à la présence de l'auteur comme individu. C'est alors à un certain plaisir du texte, à un mode de plaisir du texte que l'on a affaire : le texte comme marque d'un mode de vie, d'une suite d'événements biographiques drôles ou intrigants ou effrayants, etc. Bien entendu, il sera possible d'aller plus loin, vers des questionnements de l'ordre de ceux qu'avance Foucault autour du mode de vie, du souci de soi, etc. Mais avant toute chose, il y a simplement cette curiosité. C'est du reste autour de ce terme, la curiosité, simplement, que court la séparation entre Bellemin-Noël et Barthes quant à la question de l'auteur. Bellemin-Noël, dans Vers l'Inconscient du texte, déclare son absence de «curiosité» quant à la question et à la figure de l'auteur. Et c'est à ce livre que Barthes va faire référence, dans La Préparation du roman, pour dire que son changement de point de vue quant à l'auteur (son «retour à l'auteur» (3)) tient précisément à sa «curiosité», finalement, envers l'auteur. Il souligne que le terme est exactement celui qu'il faut employer. Il y a là, donc, un certain rôle de la biographie, qui ne joue pas dans la constitution de l'instance de l'auteur comme autorité.

Mais il y a, donc, un autre rôle possible de la biographie: lorsqu'elle joue comme attestation. A ce moment, l'événement biographique vient renforcer voire soutenir le propos avancé par le texte. C'est exactement ce qui arrive avec L'Albatros: l'oiseau renvoie à un voyage forcé de Baudelaire, effectué parce qu'il était en marge de ce grand représentant de la norme sociale qu'était la famille.

L'auteur est ensuite présent également de deux manières dans le texte, comme figure à travers la figure de l'albatros qui est un comparant pour le poète et son existence, puis comme instance qui vient directement indiquer à son lecteur, selon un schéma didactique souligné par Ross Chambers (4), comment interpréter la grande comparaison qui organise le texte.

Difficile, donc, de comprendre le texte autrement que selon l'auteur. Si pourtant nous essayions d'aller dans ce sens, comment pourrions-nous y arriver? Comment pourrions nous lire contre l'auteur? Selon deux grandes orientations: l'une, la plus courante, qui est externe, l'autre, moins simple, qui est interne – où trouvera place l'hypothèse du désauteur.

Les lectures contre l'auteur effectuées d'un point de vue externe sont extrêmement fréquentes. Plusieurs cas de figures se distinguent.

Les réécritures par d'autres écrivains, à partir du moment où elles sont critiques, peuvent dans une certaine mesure être classées parmi les lectures contre l'auteur organisées selon un point de vue externe. Lorsque Rimbaud, selon la lecture de Mario Richter (5), réécrit avec Le Cœur du pitre le poème que nous considérons, il nous conduit à relire autrement L'Albatros, et à renverser l'idéalisme du poème pour en imaginer la satire. Plus exactement, on pourra dire que Rimbaud aura lu Baudelaire, l'espace imaginaire et figural proposé par Baudelaire, mais pour en renverser l'interprétation.

Arrivent ensuite les lectures contre l'auteur organisées selon un point de vue externe à proprement parler. Ce sont toutes les lectures critiques qui trouvent leur autorité à l'extérieur de l'œuvre. C'est le cas des lectures marxistes ou psychanalytiques qui imposent une doctrine au texte considéré – et qui peuvent ensuite appeler le renversement inventé par Pierre Bayard avec La Littérature appliquée à la psychanalyse, où il s'agit au contraire de modifier la doctrine avec le texte.

Deux grandes orientations se distinguent plus particulièrement de ce point de vue; elles sont complémentaires et s'accompagnent souvent l'une de l'autre.

La première consiste dans un choix de corpus. Lorsqu'un critique choisit de lire plutôt certains textes que d'autres chez un auteur, il impose un lire contre l'auteur de fait, en modifiant ce que l'auteur a proposé. Parfois, ce choix de corpus est très marqué, comme avec Leo Bersani (6) qui écarte certaines pièces des Fleurs du Mal avec dédain pou lire Baudelaire. Mais la démarche est évidemment constitutive de la critique et de la lecture, et constitue l'une des raisons qui peuvent les transformer en «dialogue de sourds» là encore dans la théorie de Pierre Bayard (7).

La seconde orientation consiste en une lecture à partir d'une vérité extérieure au texte. Les lectures marxistes et psychanalytiques en font partie, mais le grand modèle de ce point de vue sera la préfiguration de Saint Paul, et toutes les lectures allégoriques. Il est possible, à partir du moment où l'on fait passer une œuvre dans ce dispositif de la vérité qu'elle recèlerait sans la dire explicitement, de lire contre l'auteur sans plus aucune retenue, et même de proposer l'inverse de ce qu'il avance. C'est du reste ce qui va se passer avec un Balzac marxiste par exemple.

Reste, donc, la possibilité d'une lecture contre l'auteur organisée d'un point de vue interne; d'une lecture contre l'auteur ou plus exactement, d'un lire «autrement» que selon l'auteur.

On pourrait songer sur ce plan à certaines tentatives critiques, comme celle de Jean-Pierre Richard qui parle de deux thématiques, celle explicitement avancée par l'auteur et une autre, interne au texte, qu'il cherche à trouver.

C'est en ce point aussi que je voudrais avancer l'hypothèse du désauteur, l'hypothèse suivant laquelle si un auteur nous impose quelque chose, s'il y a de l'auteur donc en ce sens, au sens de l'instance qui nous impose une lecture, ce ne sera pas sans qu'une autre instance ne viennent dialectiquement proposer autre chose. Pourtant, et c'est toute la difficulté, il ne s'agira pas de dire simplement qu'il est possible d'être en désaccord avec l'auteur; il s'agira de montrer que l'auteur est dépassé par lui-même, débordé de manière interne. Ce qui est dire aussi qu'il ne s'agira pas de faire valoir un deuxième auteur, qui serait plus vrai et qui supplanterait un premier auteur – ce que font les lectures organisées selon un point de vue externe. Il s'agit bien de maintenir la légitimité de l'auteur, mais de montrer qu'il s'agit d'une instance dialectique, qui suppose cette instance interne d'opposition qu'est le désauteur. Pour mettre en évidence l'instance du désauteur, il faudra donc faire jouer les mêmes critères que pour mettre en évidence l'instance de l'auteur, et en particulier montrer le travail d'une cohérence à l'aide des passages parallèles.

Je passe relativement rapidement sur le détail de l'analyse que je propose de L'Albatros, dans la mesure où je l'ai développée ailleurs (8). Dans l'architecture travaillée des Fleurs du Mal, il se trouve que ce poème prend la place d'un autre, Le Soleil. Si nous lisons les deux poèmes ensemble, nous remarquons que deux configurations semblables s'y dessinent, d'une part une configuration imaginaire qui associe la comparaison avec le poète à un mouvement de descente vers le sol, ce qui entre en contradiction avec le motif idéaliste de l'élévation, et d'autre part une configuration qui associe la maladresse physique, le poète et l'ivrogne. Dans L'Albatros, le troisième terme de cette configuration (l'ivrogne) est absent, mais précisément la comparaison avec Le Soleil et d'autres pièces du recueil permet de le retrouver. Par ailleurs, un certain nombre d'éléments dans le poème lui-même confirment cette lecture (un jeu sonore, la scène elle-même, qui peut ressembler à un attroupement autour d'un ivrogne). Si l'on accepte cette lecture, on dira donc que le poème de Baudelaire, par le triple moyen de la biographie comme attestation, de la composition d'une figure de poète et par le schéma didactique, compose une instance d'auteur qui oblige le lecteur à n'entendre dans ce qui est avancé que l'idéalisme et l'accusation du «commun» des humains; mais on ajoutera que le poème, dans une dialectique clairement en place, attaque cet idéalisme en présentant une instance d'auteur figurée par l'ivrogne qui conduit vers une lecture contre-idéaliste. Exemple élémentaire, particulièrement simple, encore que le détail de la preuve ne soit pas évident à première lecture, mais qui montre ce que peut être le désauteur: une instance, éventuellement figurée, qui impose une complexité au lieu où l'auteur imposait ou imposerait une lecture univoque. Aucune référence, alors, à la subjectivité du lecteur, à sa libre invention ni non plus à une vérité extérieure à l'œuvre, mais mise en place d'une dialectique interne.


(1) José-Luis Diaz, L'Ecrivain imaginaire, Scénographies auctoriales à l'époque romantique, Champion, 2007

(2) Michel Foucault, «Qu'est-ce qu'un auteur?» dans Dits et écrits I, Gallimard, 1994, p. 803: «Il serait tout aussi faux de chercher l'auteur du côté de l'écrivain réel que du côté de ce locuteur fictif; la fonction-auteur s'effectue dans la scission même»

(3) Roland Barthes, La Préparation du roman I et II, Seuil, 2003, p. 276.

(4) Ross Chambers, «Recycling the Ragpicker: «Le Vin des Chiffonniers»», dans Understanding Les fleurs du Mal: critical readings, dir. William J. Thomson, Vanderbilt University Press, 1997

(5) Mario Richter, ««Je est un autre» et Le Cœur supplicié», dans La crise du logos et la quête du mythe, A la Baconnière, 1976

(6) Leo Bersani, Baudelaire et Freud, trad. Dominique Jean, Le Seuil, collection Poétique, 1981, p. 31

(7) Pierre Bayard, Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds. Minuit, 2002

(8) Laurent Zimmermann, La Littérature et l'ivresse. Rabelais, Baudelaire, Apollinaire, Hermann, 2009, p. 47-76


Débat sur l'intervention de Laurent Zimmermann


Marc Escola:«Suite d'auteurs possibles». Pourquoi une succession? Et pourquoi privilégier le singulier en faisant entendre le pluriel?

LZ: L'auteur, dans la perspective qui est la mienne, est ce qui nous impose une lecture ou une partie de notre lecture. On peut imaginer différents «Proust» de ce point de vue, différents «Michaux», etc., dans la mesure où je ne me situe pas face à l'individu, dans le domaine du biographique, mais face à cette instance qui impose une partie de la lecture, et qui se compose en partie avec l'auteur comme individu (l'écrivain), ou l'auteur comme figure représentée dans le texte, ou avec le narrateur également – puisque ce que nous appelons auteur se compose en partie dans cette hybridité qui inclut le narrateur comme l'a souligné Foucault, alors que nous avons tendance trop facilement à séparer les choses à bon compte, à placer l'auteur d'un côté, le narrateur de l'autre. Donc, une instance, celle qui impose quelque chose dans la lecture. Maintenant, concrètement, l'auteur est la plupart du temps unique, et il impose, plutôt qu'une consigne précise, un dispositif, un ensemble mobile de consignes de lectures. C'est la raison pour laquelle il est préférable d'employer le singulier – pour rendre compte du plan pratique. Mais au plan théorique, rien n'empêche de penser une pluralité, et il le faut même pour éviter de confondre l'auteur avec l'individu.

ME: On n'en voit qu'un à la fois?

LZ: De fait oui, en droit il peut y en avoir plusieurs, je parle là seulement de l'auteur. Quant au désauteur, il vient s'opposer à l'auteur; c'est un nom pour penser ce qui s'oppose à l'auteur, donc il n'y en aura pas davantage que d'auteur, c'est une instance qui double celle de l'auteur.

BB: N'est-ce pas imposé, cette succession, par le fait que l'architecture du recueil existe?

LZ: Non c'est une configuration générale qui va au-delà de Baudelaire

Mathieu Vernet: Est-ce que tu confonds la figure de l'auteur et du poète?

LZ: Pas nécessairement. J'ai ramené les deux instances pour dire qu'en l'occurrence elles se rencontrent, mais la figure de l'auteur et la figure du poète peut se distinguer ou non selon les cas, bien entendu. Evidemment, parfois la figure de l'auteur peut s'opposer à celle du poète, dans un poème; notamment lorsqu'il s'agira de parodie, de satire.

Sophie Rabau: Qu'en est-il du premier auteur que tu contres?

LZ: Il reste présent. Ce qui m'intéresse est la dialectique, la manière dont nous sommes obligés de nous situer dans une dimension dialectique violente, et non pas dans le repos de la présence de l'auteur seul.

ME: Ce texte est de structure allégorique et c'est là que c'est le plus tentant, de mener une lecture contrauctoriale.

LZ: Les exemples que j'ai ne sont pas systématiquement de structure allégorique. Ce qui compte sont les moments du texte où l'auteur au sens où je le définis, sens élémentaire, comme ce qui nous impose quelque chose, surgit. Par exemple, je pense à un texte de Bataille sur lequel je travaille, sans structure allégorique, mais où la même chose, cette dialectique entre auteur et désauteur, se met en place. Ce qui compte est l'ouverture constitutive de l'œuvre, le lieu où l'instance de l'auteur se fissure. Pour revenir à Baudelaire, ce qui en fait un exemple particulièrement parlant, ceci étant, ne me semble pas tant être la structure allégorique que le schéma didactique. Il y a en effet chez Baudelaire des poèmes allégoriques qui ne s'accompagnent pas de ce schéma didactique (surtout présent dans les premiers poèmes, comme le souligne Ross Chambers), et où les choses sont donc plus compliquées.

Florian Pennanech: JP Richard lecture contrauctoriale interne oui et non: à la fin il y a un chapitre intitulé «écriture»où il dit : ma thématique à moi a pour modèle la thématique du narrateur dans La Prisonnière. C'est contrauctorial et pas contrauctorial.

ME: C'est une façon d'autoriser ce que le critique a trouvé.

LZ: En effet, pour Jean-Pierre Richard. Mais la question est celle d'imposer, en l'occurrence, une thématique autre au texte, même si cette thématique a pour modèle celle de Proust et qu'en ce sens elle n'est pas contre-auctoriale. Elle vient proposer quelque chose d'autre. Bien entendu, oui, il s'agit d'une façon d'autoriser ce que le critique a trouvé; il s'agit toujours de cela, parce qu'avec l'auteur, il s'agit de l'autorisation, de la manière dont une lecture nous est imposée et donc en retour de l'autorisation que l'on peut se donner en suivant cette voie imposée et donc légitime. Mais justement, ce que je propose permet de non plus s'autoriser mais chercher à comprendre comment l'autorité de l'auteur existe, mais se conteste toujours elle-même.

Florian Pennanech: Donc tu parles de désauteur en disant que ça se soutient de l'autorité de l'auteur?

LZ: Oui et non. Ce qu'il faudrait dire est quelque chose de proche de ce que Blanchot proposait à Bataille à propos de l'expérience: l'expérience est l'autorité mais l'autorité s'expie. Le désauteur s'oppose à l'auteur mais il est constitutif de l'instance de l'auteur, du moins dans une œuvre vraiment littéraire. On en arrive alors évidemment au paradoxe, analogue à celui que rencontre Bataille sur les questions de l'expérience et de la dépense (pour écrire sur la dépense, il faut bien un projet, souligne-t-il dans La part maudite), consistant à dire que le désauteur n'est jamais que l'auteur. Et pourquoi pas, du reste. Seulement, à un détail près, qui est important: il est un dédoublement et une opposition violentes que nous pourrions choisir de ne pas voir, ce qui fait toute la différence. Lire selon l'auteur, ou selon l'auteur et cette instance de contestation interne, ce n'est pas du tout la même chose. J'ai insisté sur cet exemple de Baudelaire parce qu'il me semblait particulièrement parlant: lire avec l'instance du désauteur conduit à considérer le texte tout autrement. Mais après, bien entendu, la perspective que je propose part du présupposé que nous ne pouvons pas faire disparaître totalement l'auteur, et ce qu'il s'agit de faire avec ma proposition est d'aller questionner le moment où l'auteur a une influence sur notre lecture, pour remarquer la complexité de cette influence, une certaine complexité en l'occurrence avec une contestation inhérente au geste littéraire.

SR: Quel est le gain à convoquer plusieurs figures d'auteurs: est-ce qu'il ne suffit pas de convoquer l'autorité du texte dans sa pluralité?

LZ: Non, les deux choses me semblent extrêmement différentes. On ne parle pas du même niveau d'expérience. Convoquer le texte dans sa pluralité, oui, bien sûr, est légitime et peut mener à de très nombreuses lectures. Mais je cherche à me situer à un niveau où il n'est pas possible d'éliminer l'auteur, et à travailler à ce niveau là.

SR: J'ai quand même l'impression que tu opposes l'autorité du texte pluriel à l'autorité des marques de l'auteur.

LZ: Non, parce qu'en parlant du texte pluriel, il serait possible d'aller dans bien des directions encore avec L'Albatros par exemple. Je cherche à montrer comment une instance se compose qui double celle de l'auteur et le conteste. C'est un point d'action très précis, ce n'est pas la pluralité du texte. Je sais que dans les études littéraires, on va vouloir se situer soit dans la perspective de l'auteur, soit dans celle du lecteur et donc du texte pluriel. C'est le grand débat sur ce point, la grande division qui domine et avec laquelle nous pensons. Mais justement j'aimerais essayer, avec ce travail que je mène sur cette notion de désauteur, de penser peut-être autrement, c'est quelque chose d'extrêmement important dans cette petite chose que je propose et c'est même tout l'enjeu.

FP: Est-ce que le moment où le désauteur apparaît n'est pas celui où l'herméneute est au chômage technique?

LZ: Oui, puisqu'encore une fois on ne se situe pas dans la perspective du texte pluriel.

ME: Les moments qui t'intéressent sont ceux où une instance prend la parole pour nous dire comment lire.

LZ: Oui, et je pense qu'il y a là une dimension toujours présente dans l'expérience de la lecture. Je ne crois pas en effet qu'on puisse totalement faire l'économie de l'auteur, tout simplement. Le débat après l'exposé de Marielle le montrait parfaitement. On peut se situer sur un plan où on se passe de l'auteur; c'est ce que faisait Marielle, et de manière très juste, en rendant compte de la lecture avec beaucoup de finesse, bien sûr. J'étais tout à fait en accord avec ce qu'elle proposait, qui rend compte d'une dimension essentielle de la lecture. Pour autant, il ne me semble pas possible de faire disparaître totalement, sur tous les plans, l'auteur. C'est ce qu'a dit Marielle en creux quand elle a précisé que le mode de lecture dont elle parlait ne devait pas être autorisé, selon elle, en classe pour les élèves. C'est qu'il y a bien un moment où on ne peut pas se passer de cette perspective là, de tenir compte de l'auteur. Je ne dis pas que cette perspective est unique, qu'il n'y a pas d'autres plans, peut-être plus importants, de l'expérience de la lecture. Je dis juste que ce plan existe, qu'il existe toujours, et qu'il s'accompagne de cette dialectique violente que j'essaie d'éclairer un peu.


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Laurent Zimmermann

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Dernière mise à jour de cette page le 8 Novembre 2009 à 18h30.