Atelier



Journée Penser la poésie, organisée à Lyon (ENS-Lettres et Sciences Humaines) le 15 mars 2008 par Michèle Gally dans le cadre du GDR « Théories du poétique. XIVe-XVIe »


De la prétention de la phénoménologie à penser la poésie , notes de la communication de Stéphane Bacquey.



De la prétention de la phénoménologie à penser la poésie

Ne considérons, de manière résolument maximaliste, comme pensée de la poésie qu'une pensée qui, tout en affirmant son autonomie, envisage si fondamentalement son acte de penser la poésie que c'est son propre fondement en tant que pensée autonome dotée d'une méthode et d'un objet qu'elle envisage ainsi. Une telle manière de considérer les rapports de la pensée à la poésie acquiert une pertinence particulière dans les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, perpétuant par là même un ordre des discours hérité du romantisme. Deux pensées de la poésie, prises en ce sens, sont alors entrées en concurrence: la phénoménologie et le structuralisme.

La première se déploie à travers des héritiers de Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty. Pour eux, la poésie serait le lieu essentiel de toute expression artistique et correspondrait à un usage du langage qui résiste à celui de la conceptualisation scientifique. Certes, si Husserl a réfléchi à la genèse du jugement dans l'expérience ante-prédicative, c'était pour affirmer le primat de la pensée scientifique et logique telle que la resitue la philosophie transcendantale. Mais Heidegger a fait quant à lui le choix contraire de privilégier la poésie en tant qu'elle serait le lieu où, contrairement à la logique, se révèlerait aux hommes le sens de leur être historial. Pour Merleau-Ponty, la poésie en tant que «prose du monde» est le langage à l'état naissant: il s'agit précisément, prolongeant une phénoménologie de la perception, d'approcher l'ante-prédicatif, le phénomène du ressourcement du langage dans un acte d'expression du monde.

Ce programme poético-phénoménologique, Sartre a pu penser qu'une œuvre comme celle de Francis Ponge devait en être la réalisation conséquente. Et il lui fait grief que ce ne soit pas entièrement le cas. Ce seul exemple indique quelles peuvent être les limites d'une telle pensée de la poésie, et, en général, de toute pensée de la poésie. En effet, pour Ponge, la construction phénoménologique de l'opposition entre poésie et science n'est pas tenable. Pour lui, «conquérir» un paysage de Provence, comme il entreprend de le faire dans La Mounine, ce n'est pas se limiter à une description phénoménologique, mais se placer dans la visée d'un progrès indissociablement scientifique et moral.

On pourrait ainsi s'interroger, du point de vue de la poésie (autrement dit des poèmes), aussi bien que sur l'opposition présupposée de la poésie et de la science, sur les effets pour une lecture de la poésie de la réduction phénoménologique et d'une intuition moniste du monde et de l'être. D'une manière générale, sans doute s'agit-il moins de penser la poésie que d'écouter ce que pense la poésie.


Notes de la communication de Stéphane Bacquey

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Stéphane Bacquey

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Dernière mise à jour de cette page le 10 Juin 2008 à 20h11.