Atelier




La critique littéraire rend-elle plus empathique? Par Antonio Rodriguez.

Leçon inaugurale du 22 mars 2012 à l'Université de Lausanne pour le poste de professeur associé de littérature française moderne et contemporaine.

Dossier Empathie.




La critique littéraire rend-elle plus empathique?


Il y a de cela vingt ans, lorsque je commençais mes études littéraires, s'interroger sur l'empathie dans ce domaine caractérisait les plus naïfs d'entre nous. Car la notion d'«empathie» renvoyait et renvoie encore aujourd'hui trop systématiquement à la lecture commune et divertissante, alors qu'un horizon de pistes nouvelles émerge en sciences humaines[1] et commence à redonner place à cette activité en esthétique[2]. Le malentendu qui nourrit cette retenue provient d'une dichotomie entre les réceptions non critiques («Uncritical Reading» pour reprendre la formule de Michael Warner[3]), considérées comme personnelles, et les démarches académiques qui ont des visées interpersonnelles et publiques. L'implication émotionnelle serait la caractéristique principale d'une lecture privée, menée pour le plaisir, éloignée de l'explication et des savoirs. L'intérêt pour des genres mineurs (roman policier, romans à suspense ou sentimentaux, poésie lyrique peu élaborée, témoignages autobiographiques poignants) démontrerait en outre que le grand public serait plus enclin à sentir qu'à penser. La volonté de parvenir à un message émotionnel direct et clair impliquerait une transparence de la lecture, où seul un type d'interaction serait escompté sans s'arrêter sur la complexité du texte et sans savourer en profondeur ses subtilités. À l'inverse, dans une position académique, le critique devrait se détacher de ses impressions et de ses émotions par l'application de méthodes et de savoirs éprouvés[4]. Lecteur des médiations, l'universitaire s'inscrirait vis-à-vis des lectures spontanées et personnelles; son intérêt pour les genres majeurs, les œuvres particulièrement complexes, l'engageant dans un travail singulier sur la langue, la culture ou l'histoire. À lui les romans polyphoniques, la haute poésie et les pièces dramatiques du répertoire.

Je ne conteste pas la pertinence de certaines de ces différences, mais plutôt leur opposition systématique qui provoque un clivage irréductible, notamment lorsque nous y intégrons la problématique de l'empathie. Trois problèmes majeurs apparaissent alors: l'absence de circulation entre les modes de lecture (comme si nous étions forcément figés dans un rôle); l'absence d'intérêt pour la relation esthétique qui articule pourtant les deux modes généralement opposés; l'association systématique de la sensibilité au degré le plus spontané de la lecture, comme si elle était l'équivalent des sensations dans le monde empirique. Or il apparaît que la notion d'empathie engage un espace de réflexion nouveau entre les divers types de lecture et qu'elle pourrait devenir un élément fondateur pour comprendre le ressort naturel du lien esthétique à la littérature. Parmi les faits marquants de la poétique de ces dernières décennies se trouve en effet la volonté de renouer avec ce qu'Aristote posait au chapitre IV de sa poétique: une nécessité naturelle d'élaborer et d'entrer en relation avec les œuvres de langage («L'art poétique dans son ensemble paraît devoir sa naissance à deux causes, toutes deux naturelles», 48 b 4-24[5]). Mais les deux causes données par Aristote — la représentation et le rythme — exigent de nos jours d'être encore davantage définies selon nos aptitudes naturelles. Pourquoi la fiction? Question qui donne le titre d'un essai de Jean-Marie Schaeffer[6], à laquelle s'ajoutent le pourquoi et le comment du rythme (deuxième cause d'Aristote souvent oubliée). Dans les orientations actuelles, il s'agit désormais d'inscrire ces réflexions dans l'investissement du lecteur, dans sa manière d'entrer dans un monde, dans son comportement lors de la lecture. Le texte ne manifeste plus une autonomie textuelle («le texte pour le texte»), mais se comprend dans un ensemble d'activités relevant aussi bien de l'anthropologie, de la psychologie, des neurosciences que de la sociologie. La poétique s'intéresse particulièrement à ce qui permet de produire des interactions, de mener des conduites de lecture ou de toucher la cognition de façon spécifique. Le lecteur devient ainsi un être affecté par le texte, qui s'immerge en lui et apprend à travers lui. Pourquoi lit-on de manière participative? Pourquoi sommes-nous pris par des passions? Une nouvelle génération de poéticiens va dans ce sens, que ce soit Raphaël Baroni avec la «tension narrative»[7], Marielle Macé avec les «conduites de lecture»[8], Alexandre Gefen avec la prise en compte d'un cognitivisme évolutionniste et d'une éthique du «care»[9]. J'ai moi-même développé une poétique des interactions affectives à partir de la poésie et des configurations lyriques[10]. Outre un cadre propice dans les poétiques actuelles, cette remise en question des clivages affectifs entre lectures non critiques et démarches académiques bénéficie d'une tendance, dans les approches cognitivistes, à ne plus détacher les émotions de la raison, mais à saisir la «rationalité des émotions» dans nos actions et nos discours[11].

Dans la présente synthèse, je ne m'arrête pas sur l'histoire de la notion depuis la «sympathy» du XVIIIe siècle (p.e. chez Adam Smith et les philosophes anglophones) ou depuis l'«Einfühlung» de l'esthétique allemande de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle (chez Robert Vischer, Theodor Lipps), tout comme sur son intégration en philosophie et en psychologie (chez Titchener, Husserl, Scheler)[12]. Je ne m'arrête pas non plus sur les mouvements historiques majeurs de la discipline littéraire qui se sont souvent construits contre l'interprétation psychologique et toute «illusion affective»[13]. Mais je tiens compte de ces deux histoires, de leurs conséquences et de leurs héritages, dans la mesure où la crainte du «retour du psychologique» reste profondément ancrée dans le domaine littéraire. Une telle crainte justifie certaines résistances, souvent légitimes, face à ces questions, mais aussi un certain retard par rapport à d'autres disciplines en sciences humaines. Dans l'espace restreint de cette leçon, je vais me concentrer sur une question simple, donnée d'emblée par mon titre: savoir si la critique nous rend plus empathique? Pour ce faire, je vais d'abord revenir sur les définitions de cette notion, voir en quoi les apports récents des sciences humaines renouvellent les réflexions, puis prendre des exemples littéraires pour traiter des intérêts de ces questions pour la discipline.


De quoi l'empathie n'est-elle pas le nom?

Je lève d'emblée un point polémique: il n'est pas nécessaire de transformer la critique littéraire en une activité empathique pour supposer qu'elle nous rende plus empathique. Produire des effets empathiques chez des lecteurs ne nécessite pas d'être soi-même dans une position empathique. Se posent alors deux questions. Comment la critique aurait-elle la capacité de nous rendre plus empathiques sans être elle-même une activité empathique? Comment les méthodes académiques, employées quotidiennement, pourraient accroître et complexifier les facultés empathiques (affectives et cognitives) face à un texte? Pour répondre à ces deux questions, il importe de redéfinir cette notion, notamment à partir d'éléments qui sont devenus consensuels aujourd'hui en sciences humaines. L'empathie est généralement considérée comme une capacité de se mettre à la place d'autrui pour comprendre et ressentir ce qu'il éprouve[14]. Dans cette définition, «autrui» pose toutefois quelques problèmes, car si nous sommes bien empathiques face à un autre humain, nous ne devons exclure l'empathie face aux animaux, voire face aux objets (objets transitionnels ou objets intentionnels comme les œuvres d'art par exemple).

Par réflexe, nous pourrions commencer par nous demander face «à qui», «à quoi», «à quel autre» sommes-nous empathiques en littérature. Est-ce face aux personnages, à l'auteur ou au narrateur? Je propose pour l'instant de suspendre ce réflexe critique et de maintenir une indétermination, une absence d'objet momentanée, pour deux raisons principales. D'une part, nous semblons être empathiques face à divers éléments d'un texte et rarement face à la seule représentation d'un sujet. Nous pouvons être affectés par la terrifiante injustice d'une situation (Fantine obligée de vendre ses incisives dans Les Misérables) aussi bien que par la puissance d'une métaphore, la saisie d'un rythme ou l'impression musicale d'une prosodie. C'est pourquoi il est préférable de dire que nous sommes empathiques face à un texte (c'est «l'autre» le plus concret de l'activité littéraire qui ne peut être réduit à un simple objet, dans la mesure où il est un «objet intentionnel» — j'y reviendrai). D'autre part, l'empathie en elle-même renvoie aussi à une aptitude relationnelle: nous avons des compétences empathiques (avec des formes variées individuellement, culturellement, historiquement[15]), et non seulement des expériences empathiques dirigées sur un objet. La capacité de se représenter un autre affecté dérive d'une mobilité du point de vue qu'Alain Berthoz a particulièrement mise en évidence[16]. Cette mobilité se trouve réduite dans certaines pathologies psychiques (p.e. dans les psychopathies, l'autisme ou les dépressions pour des raisons radicalement différentes). La reconnaissance affective par une mobilité du point de vue ne se limite pas uniquement à définir l'objet, mais elle peut se déployer comme une capacité relationnelle, notamment dans une conduite esthétique[17].

Ces fondements établis, il est encore nécessaire d'assimiler quelques présupposés des recherches actuelles en sciences humaines, qui peuvent nous aider à préciser ce qu'est l'empathie en littérature. Le premier point consiste à distinguer l'empathie de la «contagion affective» ou de la «fusion affective». Bien qu'il s'agisse d'une différence déjà ancienne — nous la trouvons par exemple chez Max Scheler en 1923[18] —, elle est aujourd'hui un élément fondateur du débat, largement admis. Dans la contagion, l'un ressent à l'identique ce que l'autre éprouve et ne perçoit pas de différences profondes entre les deux situations. La «fusion» provient de l'absorption de son point de vue par la situation d'autrui. Le fou rire, le bâillement ou les pleurs des nourrissons servent souvent d'exemples, mais ce sont surtout les capacités de régulation émotionnelle et d'inhibition sensorielle qui se trouvent plus largement réduites. Dans l'empathie, la distinction entre soi et l'autre se maintient nécessairement: l'activité sensible se conjugue à l'activité cognitive et imaginaire, tandis que la distinction des points de vue est garantie.

Pour de nombreux critiques de la littérature du XXe siècle, l'activité empathique était assimilée à une contagion, notamment en poésie ou en théâtre, genres qui cherchent une participation affective importante du lecteur ou du spectateur. Je prends l'exemple d'Emil Staiger sur la poésie lyrique, qui a influencé plusieurs critiques contemporains avec une «communion» des Stimmungen (tonalités affectives):

Le fait que le lecteur ne prenne aucune distance est ce qui s'aperçoit le plus facilement. Il n'est pas possible de s'«expliquer» avec le lyrisme d'un poème. Il nous parle ou nous laisse froids. Il nous émeut pour autant que nous nous trouvions dans la même tonalité affective. Alors, les vers résonnent en nous comme s'ils jaillissaient de notre propre poitrine.[19]

Je ne reviens pas sur certaines perspectives de la théorie littéraire française contemporaine, que j'ai développées dans deux articles récents[20]. Je ne cite Staiger que pour éloigner la contagion affective de l'empathie, ce qui n'est pas toujours précisé dans les travaux. Une telle confusion provient du fait que les émotions en littérature sont assimilées à une absorption immédiate par le texte, à une saisie fulgurante et à une mise en péril de la distance de lecture. Or ces cas restent plutôt rares face aux œuvres: être pris de sommeil lorsqu'un personnage se couche, pleurer avec un orphelin, avoir le courage du sacrifice dans un combat; ces états, s'ils sont bien ressentis et compris, ne nous amènent pas, dans une perte de nos fonctions d'inhibition, à nous confondre avec les protagonistes.

En outre, il ne faudrait pas assimiler l'empathie, par opposition, à une simple «attribution théorique» des émotions[21]. Dans ce type d'attributions, il suffit d'inférer des états affectifs, comme la joie, la colère, l'angoisse, sans les ressentir soi-même minimalement. L'absence de partage affectif et de participation de l'observateur est une tendance cognitiviste qui transforme la relation empathique en une attitude distanciée faite de concepts et de propositions théoriques. Si l'empathie ne peut être réduite à l'attribution théorique, nous pouvons reconnaître qu'en littérature ce mode de lecture est caractéristique de la critique académique, qui détaille le fonctionnement sensible et émotionnel d'un texte en appliquant des savoirs. Mais un tel mode se retrouve également chez les lecteurs non critiques qui ne réussissent pas à «entrer» dans un monde. Ces derniers voient bien de quoi «parle» le texte, les émotions qu'il voudrait engager, mais ils ne parviennent guère à «être pris».

Dans ces définitions élémentaires, il convient enfin de distinguer l'empathie de l'identification, notamment de l'identification au personnage, qui a nourri de nombreuses approches psychologiques et psychanalytiques de la littérature[22]. S'identifier à autrui consiste à poursuivre une relation en miroir (comme dans la contagion, mais avec des degrés cognitifs élevés) qui entre dans un système de sympathie, par admiration ou reconnaissance du groupe, et d'antipathie, par aversion ou distance du groupe. On adopte ou on rejette des traits supposés communs ou distincts. Une telle identification permet la projection de caractéristiques générales ou de valeurs, avec une intensité singulière lorsqu'on se reconnaît. Je ressens ce que ressent le personnage car nous avons une appartenance commune ou une visée identique (à l'instar du modèle). De telles lectures sont encore fréquentes lorsqu'une esthétique de la communauté (gender, francophonie, queer) se met en place. Loin d'être condamnable d'un point de vue critique, l'identification doit être pensée en littérature, mais en l'écartant de la relation empathique, avec laquelle elle a trop souvent été confondue. Avec l'identification, le rapport d'appropriation à la situation détermine le ressenti; l'appartenance commune justifie et consolide l'échange. Cet autre comme moi adopte davantage le «comme» d'équivalence que celui de la comparaison. Outre dans les Studies, l'identification a trouvé ces dernières années un appui important dans la tradition de la réénonciation, déjà élaborée par Käte Hamburger. «Je» réénonce le «je» qui énonce, comme s'il y avait une équivalence initiale qui trouvait des composantes figuratives plus ou moins complexes — les plus élaborées, sur un mode de comparaison, se trouvant par exemple chez Michel Deguy[23]. Mais il arrive fréquemment que je puisse être en empathie face à une situation romanesque sans forcément m'identifier aux personnages, de manière figurée ou non. Chez Régis Jauffret, par exemple, nous trouvons des personnages particulièrement antipathiques qui n'empêchent guère des modes empathiques. Une Histoire d'amour[24] en est un exemple marquant: le point de vue est dominé par un violeur amoureux de sa victime. La plupart des phrases commencent par la première personne du singulier; il ne cesse d'obliger la femme violentée à penser selon sa perspective, jusqu'à vouloir la rendre heureuse par le mariage. Le tour de force consiste justement à rendre compréhensible la logique affective de ce personnage auquel il est difficile de s'identifier. Nous comprenons ses motivations, nous appréhendons les nuances de sa volonté et la violence qu'elle provoque[25], mais nous percevons l'écart entre les deux formes de participation affective. Par ailleurs, dans de nombreuses œuvres, il arrive, que l'écriture invite à une relation divergente de celle évoquée dans le monde du texte: tel sonnet parnassien parfaitement maîtrisé traitant de la mélancolie ou du spleen; tel narrateur son impuissance alors que l'auteur a écrit un long poème d'une rare tenue formelle. Une telle divergence à la source de relations affectives et esthétiques habituelles s'accommode difficilement du modèle d'une réénonciation ou de l'identification.

L'empathie en littérature a souvent été réduite à des formes de lecture qui seraient plus immédiates: contagion, identification ou réénonciation passive; le critique professionnel serait quant à lui dans une pure attribution théorique des affects. Le principe absent de ces considérations sur le lecteur tient justement à l'empathie qui permet une articulation plus souple des catégories affectives et des pratiques de lecture. Que faire de cette attitude naturelle, cognitive et sensible?


L'empathie et la lecture esthétique de la littérature

Est-il nécessaire de revenir aux travaux de l'équipe de Giacomo Rizzolatti sur les neurones miroirs[26] qui ont fait avancer les débats sur l'empathie dans les années quatre-vingt-dix? Ces résultats désormais bien connus peuvent être utiles, si nous cherchons à établir l'attitude naturelle en poétique et si nous ne voyons dans ces questions que les prémices de nos interrogations. Pour l'instant, les observations des neurosciences par l'imagerie cérébrale[27], tout comme les travaux des psychologues de la lecture, sont loin de nous permettre de saisir la complexité de ce qui a lieu dans la lecture d'un roman ou d'un poème. Mais des neurones miroirs avec leur résonance motrice, d'abord observés chez des animaux, localisés dans des zones précises du cerveau — aujourd'hui plus largement nommées «zones empathiques»[28] —, nous pouvons retenir ceci: les neurones moteurs s'activent aussi bien quand le sujet réalise une action que lorsqu'il voit quelqu'un réaliser une telle action ou lorsqu'il s'imagine la réalisation de l'action. La vision d'un acrobate sur une corde est bien connue: les têtes de spectateurs se penchent selon les mouvements du gymnaste. Plus que l'identification à un autre, nous comprenons ses mouvements, ses actions et surtout l'intentionnalité de ses gestes. Nous anticipons les possibles et nous sommes affectés par ce qu'ils impliquent dans une situation donnée. De surcroît, dans les fonctionnements empathiques, l'attribution d'états mentaux chez l'autre comme chez soi, selon nos compétences de représentations sociales, s'accompagne d'une inhibition exécutive du système nerveux qui empêche l'unique contagion[29].

Dans les différentes études alliant neurosciences et psychologie, deux types principaux d'empathie sont traités: l'empathie sensible (ou «empathie miroir») et l'empathie cognitive[30]. L'empathie sensible se rapproche de la contagion; elle possède un bas niveau de cognition et d'imagination, ne permettant guère des simulations élaborées. Elle est dominée par un partage affectif, en limitant les moyens de différencier les points de vue. La reconnaissance faciale des émotions au théâtre ou au cinéma favorise une telle interaction affective. L'empathie cognitive adopte quant à elle des composantes reconstructives plus proches de l'attribution théorique, quand bien même elle reste participative. Dès lors, plutôt que de scinder des catégories, il convient de les penser selon une gradation: l'empathie est plus ou moins sensible, plus ou moins cognitive, orientée vers la contagion ou la pure attribution théorique.

Une telle gradation permet de surmonter les antagonismes de certaines définitions: ainsi le neuroesthéticien Jean-Louis Patoine définit-il une empathie avant tout sensible, alors que d'autres chercheurs, comme Gregory Currie, adoptent des modèles plus largement cognitifs[31]. De ces premiers éléments de définition, nous pouvons tirer quelques leçons. Contrairement à ce que supposerait le sens commun, la lecture non critique ne consiste pas en une pure contagion ou une empathie miroir. Les lectures de ce type ont parfois été réduites à une alternative entre la fusion affective et l'incompréhension: soit le lecteur adhère et vibre, soit il ne saisit pas le texte et reste froid. Ce modèle de lecture constitue la simple opposition à la lecture critique, forcément compréhensive et éloignée de la contagion. Si les approches académiques se situent bien dans les attributions théoriques, il n'est pas avéré que les lectures non critiques soient purement sensibles; bien au contraire, nous le verrons. Il convient de se méfier d'une hiérarchisation de ce type, car la sensibilité face à un texte n'est pas forcément l'expérience la plus immédiate ou la plus accessible, contrairement à une expression faciale au théâtre.

Pour savoir si la critique littéraire (avec ses attributions théoriques) peut accroître l'empathie du lecteur non critique, il est nécessaire de mieux comprendre les «degrés» qui composent une telle activité, qu'ils soient sensibles ou cognitifs. Elisabeth Pacherie a particulièrement mis en valeur ces degrés dans leurs composantes cognitives. Dans sa série de travaux sur l'intentionnalité, la philosophe dégage trois stades principaux[32]. La reconnaissance des caractéristiques sensibles, psychiques, comportementales d'un état affectif donné correspond au premier degré. Il peut être figuré dans un texte par la saisie d'émotions simples, comme la joie, la tristesse, la colère, ou plus complexes, comme la honte. Mais une telle reconnaissance implique également l'enchaînement d'autres états affectifs, une causalité dans l'action ou les jugements. Le deuxième degré de l'empathie cognitive tient à la compréhension de la situation qui développe cet état (variations du milieu, du sujet et temporalité) ainsi qu'à son objet. Si, comme le souligne Bernard Rimé[33], une émotion est généralement due à un changement d'état ou du milieu, il est nécessaire de situer le milieu pour comprendre l'intentionnalité du sujet: les peurs se développent par exemple à partir d'un danger avéré ou supposé. Enfin, il reste les motivations complexes qui engendrent cet état affectif. Le fait que quelqu'un soit enclin à la jalousie (désirs, passions, caractères, intentions), qu'il ait tel caractère, telles préférences[34] ou encore dans notre cas qu'un type affectif soit développé dans telle œuvre. Avec quelles orientations prédéterminées évalue-t-on cette situation affective? Pourquoi l'évaluer de la sorte? Comment juge-t-on d'un comportement socialement? Quelles sont les raisons de ressentir la situation de cette manière?

Toute comme l'empathie cognitive, l'attention qui caractérise l'empathie sensible dispose elle-même de ses degrés. Ce point, moins développé par Elisabeth Pacherie, paraît fondamental dans les études littéraires. J'associe de manière complémentaire les réflexions sur l'intentionnalité et l'attentionnalité. Pour cette dernière, je renvoie pour les études littéraires aux propositions de Jean-Marie Schaeffer[35] et de Marielle Macé[36] sur les «styles cognitifs», mais il semble nécessaire d'explorer encore en détail cette voie. Les premiers degrés de l'attention sont généralement convergents; ils rassemblent la complexité du texte en une unité. Ils visent à donner à la multiplicité de signaux une unicité plus transparente. La lecture se fait adaptative, «économique» par rapport à la langue. Il ne s'agit guère de s'arrêter longuement sur le style, et le lecteur maximise le contexte — l'expérience peut ainsi devenir plus intense parce que les faits narrés ont été vécus par l'auteur lui-même. Dans les plus hauts degrés d'attention, les modalités divergentes l'emportent sur la transparence. La complexité syntaxique, la polyphonie, le dédoublement du sens ou l'ironie sont alors recherchés. La quête d'un sens par la transparence informationnelle du texte laisse place aux diverses strates du discours et aux relations entre ces strates. L'investissement de l'attention devient moins économique et le plaisir esthétique se développe. Le cas de l'attention sonore dans les textes pourrait être emblématique. Prêter attention à des allitérations pertinentes, à des enjambements à la césure des vers, à des contre-accents qui modifient le rythme ou même à l'organisation des rimes défait la seule linéarité d'un message émotionnel. Si une telle attention caractérise un mode de lecture singulier, il n'est pas pour autant un acte critique. Loin de se livrer à une analyse de texte, le lecteur attentif maintient la continuité de son immersion sans chercher à relever méthodiquement et systématiquement des phénomènes textuels. C'est pourquoi il lui est possible de réaliser une lecture esthétique non critique, sans forcément avoir une approche académique. Dans une étude demeurée célèbre, Kneepkens et Zwaan[37] ont montré que les personnes les plus sensibles à la matérialité des textes, à leurs agencements formels (qu'ils nomment «artefact emotions» à la différence des «fiction emotions») étaient les lecteurs «experts», préorientés et formés à la littérature, et non les lecteurs peu habitués à ce type d'attention, enclins par exemple à parcourir les journaux. Une telle étude rappelle combien la sensibilité face à un texte n'est de loin pas immédiate, mais nécessite des habitudes, des exercices de l'attention, voire une éducation esthétique.


Deux exemples littéraires

Prenons deux textes littéraires, et livrons-nous à quelques expériences, avant d'en venir aux conclusions. L'élément le plus singulier en littérature tient au fait que nous ne sommes pas face à un autre être humain, face à un être anthropomorphe ou face à un animal, mais face à un texte. À partir de celui-ci, nous construisons un monde cohérent par des actes de conscience. Comme l'avait indiqué dès les années 1930 Roman Ingarden, le lecteur se trouve face à un «objet intentionnel» qui existe par la conscience et pour la conscience[38]. Le texte agit comme une immersion (fictionnelle ou non) dans un monde orienté que nous traversons par des actes mentaux. Nous sommes loin de la théorie du texte pour le texte, ou encore du texte clos structuraliste, car un texte se définit par l'interaction avec les actes de conscience qui le produisent. Parmi ces actes de conscience l'empathie intervient. Afin de voir ce que nous pouvons en tirer d'un point de vue littéraire, prenons un poème sans indiquer tout d'abord qui en est l'auteur:

Nos vies sont Suisses –
Si calmes – si Tièdes –
Mais un après-midi étrange
Les Alpes oublient leurs Voilages
Et nous voyons plus loin!

L'Italie est là-bas!
Mais toujours faisant le guet –
Les Alpes graves –
Les Alpes fatales –
En interdisent l'accès!

Nous entrons d'emblée dans un paysage tendu par une vaste figuration affective: la Suisse et l'Italie représentent la clôture et l'ouverture, l'enfermement et la liberté. D'abord, la vie se fait quotidienne, banale; puis, nous désirons le bonheur, mais toujours se dresse un obstacle fatal, les Alpes. Est-il nécessaire de s'identifier à un personnage ou à un auteur pour comprendre ce texte? Cette situation affective se révèle assez simple pour qui est habitué à la littérature; elle permet une participation empathique par la figuration. Nous voyons combien la compréhension de la situation globale et de la configuration affective l'emporte sur l'empathie face à un personnage. La description d'un paysage suffit à donner une humeur générale et des orientations émotionnelles. Bien plus qu'un personnage enclin à la mélancolie, une vision du monde peut servir d'évocation; un enchaînement de mots permet de dégager une intentionnalité et, ici, un climat, celui du désir. Cet effet est d'autant plus marquant que ce texte est l'œuvre de la poétesse américaine Emily Dickinson, jamais venue en Europe[39]. Le nom de l'auteur, la connaissance de son œuvre et de son monde n'étaient pas nécessaires pour éprouver une empathie première face à ce texte; d'autant plus si je prends un texte d'Emily Dickinson traduit dans ma langue maternelle. En français, j'ai adopté le texte de Claire Mélançon, une de ses traductrices. Si je partais d'une empathie littéraire face à autrui et non avec le texte en tant qu'objet intentionnel, avec qui devrais-je être en résonance? Avec l'auteur ou son traducteur? À qui appartiennent ces mots? Si je relis le texte une fois l'information connue, je fais comme si ce texte était de la poétesse américaine, car elle en détiendrait l'intentionnalité affective première. De la même manière, nous croyons avoir lu Dostoïevski, être des intimes du monde torturé de l'auteur russe. Nous avons peut-être commencé à aimer Shakespeare dans notre langue maternelle avant de le découvrir en langue originale. Toutes ces nuances font aujourd'hui l'objet de nombreuses études de la part des traductologues[40]. Que puis-je en déduire d'un point de vue empathique? L'immersion n'est guère obstruée par une traduction (qui est forcément une réécriture, mais cherche à conserver l'intentionnalité affective du texte original). Les orientations émotionnelles ne sont pas bouleversées par le changement de langue, et il est parfaitement possible, comme pour des arguments, de se plonger dans le monde du texte avec notre empathie cognitive, même si notre empathie sensible face à l'écriture en est radicalement transformée. Les jeux rythmiques, polyphoniques, les calembours ne sont pas donnés instantanément, mais ils peuvent, selon le traducteur, trouver une reconstruction suggestive tout aussi puissante.

D'une telle expérience nous pouvons tirer une autre conséquence. Tout comme les sensibilités changent d'un individu à l'autre, d'un groupe à l'autre ou d'une époque à l'autre, nous ne sommes pas déterminés à réaliser uniquement des lectures au «premier degré» (participatives) ou au «second degré» (critiques), dans la mesure où les critiques eux-mêmes vivent des immersions participatives ou esthétiques: ils utilisent une traduction sans connaître la langue originale ni maîtriser les règles du genre dans une autre culture. Ainsi, j'ai l'impression d'apprécier des haïkus japonais ou de lire des contes de l'Ancienne Égypte sans en connaître les fondements linguistiques, voire les règles formelles. Une telle observation destitue les cloisonnements sociologiques en soulignant que la journée d'un lecteur, fût-il professionnel, se fait de multiples expériences dans lesquelles il n'investit pas forcément ses méthodes. Nous sommes capables de passer rapidement d'une relation empathique et esthétique à une forme d'analyse critique, sans être figés dans un rôle ou sur un seul mode. De là, il faut tirer que l'empathie n'est pas une activité homogène et continue, mais constitutivement hétérogène et discontinue. Nous passons d'un type de relation affective à un autre, d'une forme cognitive à la contagion, de la contagion à l'attribution, selon des degrés différents.

Pour appuyer mon argumentation, je prends un autre texte, Madame Bovary de Gustave Flaubert. Nous savons combien l'auteur a décrit avec son personnage féminin les travers de la lecture fusionnelle romantique; jusqu'à l'ouverture des voies psychologiques du «bovarysme» de Jules de Gautier[41]. Le «bovarysme» reste le signe d'un excès d'identification à la lecture et d'une contagion émotionnelle[42]. Je prends une séquence particulièrement connue qui suit le moment où Emma Bovary se livre pour la première fois à son amant Rodolphe. La description de son infidélité s'était concentrée sur l'évocation du paysage aux couleurs rougeoyantes, devenue par là même une figuration de l'acte sexuel. Après les délices de l'après-midi, Emma rentre chez elle retrouver Charles, son fade mari. Elle n'attend qu'une chose, s'enfermer dans sa chambre pour se ressouvenir du moment vécu avec Rodolphe. Alors que la description de la relation érotique passait par le paysage avec douceur et délicatesse, voire pudeur, la rêverie et le ressouvenir d'Emma dans sa chambre marquent des excès négatifs et violents.

Et, dès qu'elle fut débarrassée de Charles, elle monta s'enfermer dans sa chambre.
D'abord, ce fut comme un étourdissement; elle voyait les arbres, les chemins, les fossés, Rodolphe, et elle sentait encore l'étreinte de ses bras, tandis que le feuillage frémissait et que les joncs sifflaient. Mais, en s'apercevant dans la glace, elle s'étonna de son visage. Jamais elle n'avait eu les yeux si grands, si noirs, ni d'une telle profondeur. Quelque chose de subtil épandu sur sa personne la transfigurait. Elle se répétait: «J'ai un amant! un amant!» se délectant à cette idée comme à celle d'une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l'amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire […]
Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu'elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et réalisait la longue rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans ce type d'amoureuse qu'elle avait tant envié. D'ailleurs, Emma éprouvait une satisfaction de vengeance. N'avait-elle pas assez souffert! Mais elle triomphait maintenant, et l'amour, si longtemps contenu, jaillissait tout entier avec des bouillonnements joyeux. Elle le savourait sans remords, sans inquiétude, sans trouble.[43]

Dans une première forme empathique, nous saisissons par le biais du narrateur combien Emma s'enflamme: nous glissons de «l'étourdissement» à l'énumération ternaire «passion, extase, délire», de l'étonnement à la délectation. Son bouillonnement intérieur se manifeste aussi bien par la description de sa démesure que par un rythme frénétique. Les verbes de perception («voyait», «sentait», «s'apercevant») encadrent le ressouvenir. De cette jouissance de la mémoire, plus intense encore que l'acte lui-même, surgissent le plaisir de la vengeance et la référence aux héroïnes romanesques («la légion lyrique de ces femmes adultères»). Ces femmes ne sont pas uniquement des personnages, mais elles deviennent également des «sœurs» (la fraternité marquant ici l'identification et le sentiment d'appartenance) qui l'entraînent dans un chœur où tout chante, charme, et rien ne raisonne. Ce passage dresse un réquisitoire contre les «mauvaises lectrices», celles qui incarnent la contagion affective et l'identification. Ainsi, le ressentiment comme motivation de sa situation (deuxième degré de l'empathie cognitive), source de plaisir de l'infidélité, nous est fourni. Le lexique se teinte aussitôt de la dualité des valences positives et négatives de son sentiment, comme la «satisfaction de vengeance». À ces premiers degrés d'empathie cognitive, une lecture plus savante viendrait encore ajouter une composante historique, comme un dernier degré qui détaille les motivations souterraines du projet littéraire lui-même. Gustave Flaubert s'inscrivait en effet contre les notions de «romanesque» ou de «lyrisme» héritées du romantisme. Il distinguait deux catégories de lecteurs: ceux qui, telle Emma, sont dans une fusion et ceux qui, comme devaient l'être idéalement ses lecteurs, s'amusent de la distance et de l'ironie. Bien qu'il oscille parfois, le point de vue du narrateur dans le roman cherche l'adhésion complice pour saisir combien l'imaginaire vers le sublime d'Emma — et des romantiques — provoque finalement des ravages et le ridicule d'un adultère de province. L'affirmation ironique d'un écrivain face à un autre groupe littéraire dominant pourrait dès lors relever d'une conscience qui dépasse les seuls événements affectifs des personnages pour traiter d'une autre lutte pour la reconnaissance.


Les «situations affectives» et la pluralité des points de vue (conclusions)

Par l'investissement des diverses strates d'un texte, l'empathie que nous mettons en avant reste éloignée d'une psychologie de la lecture[44]. Il n'est pas nécessaire de s'identifier à un sujet, qu'il soit personnage, narrateur ou même auteur, pour éprouver une relation participative au texte. Une telle activité peut parfaitement être mobilisée par des orientations affectives minimales, comme la description d'un paysage sans sujet ou un cycle des saisons, qui sont des pratiques anciennes. Car l'empathie se développe principalement face à des situations affectives, non face à un sujet dans le texte ou le contexte, et ces situations sont saisies selon une mobilité du point de vue. Les émotions nous sont données par divers protagonistes, par le narrateur, par des effets d'écriture (le montage, les formes fixes). Il est rare qu'une situation affective ne soit définie que par une orientation, car ce sont souvent des pluralités de directions affectives qui nous guident dans la lecture. En outre, ces orientations évoluent au fil du texte, se trouvent en concomitance avec des systèmes de valeurs ou des logiques de l'action, guidées par certains personnages ou par des points de vue dominants, mais l'univocité n'est pas la norme. La même situation affective s'élabore à travers des séries de perspectives spatiales, temporelles ou encore idéologiques. Les personnages jugent les émotions des autres protagonistes, sont les porteurs de caractères nuancés, de types affectifs; le narrateur peut se placer dans un système ironique face aux personnages; l'auteur produire un montage de voix, créer des effets de poéticité ou jouer sur la métalepse. Au moment où le personnage ressent tel affect, l'écriture (d'un point de vue empirique) peut amener le lecteur à une saturation rythmique qui exhibe un style personnel ou le style d'une époque. Une telle conjonction de strates énonciatives et textuelles défait l'idée de la simple contagion ou de l'identification comme éléments dynamiques de la lecture empathique.

Si le modèle affectif de la lecture non critique se fonde sur des situations davantage que sur la contagion ou la seule identification, cette étude nous incite également à tirer une autre conclusion dans les liens entre la relation critique et la participation empathique. L'erreur habituelle consiste à souligner combien la lecture non critique serait émotionnelle et sensible, alors que la lecture critique serait rationnelle. Or la notion d'empathie, telle qu'elle est pensée aujourd'hui en sciences humaines, oblige à adopter davantage de prudence, voire à inverser certains termes. La lecture commune à bas degré esthétique se fonde avant tout sur une participation cognitive, qui cherche à comprendre le sens, les orientations affectives par exemple, avec une économie de moyens face au texte. Cette lecture empathique-là permet d'identifier des émotions, leurs objets, sans trop d'indéterminations, avec un faible coût attentionnel, en vue de conserver le plaisir et la facilité de la lecture. Elle réduit l'empathie sensible aux formes les plus convergentes afin de produire une transparence communicationnelle. Pour que des modes enrichis s'inscrivent dans l'empathie sensible, le lecteur doit porter une attention divergente propre à la relation esthétique: il s'arrête sur telle figure, tel détail; il apprécie tel phrasé. Par ailleurs, cette attention accroît l'investissement cognitif sur les situations affectives elles-mêmes. La considération du contexte d'écriture, des audaces historiques, des effets dans la tradition nationale intervient pour mieux comprendre le dessein de l'auteur. Deux modes empathiques se distinguent ainsi dans la lecture non critique: l'un à orientation cognitive, qui serait une lecture économique, et l'autre, plus esthétique, qui impliquerait un accroissement parallèle d'attention sensible et d'investissements cognitifs. Les textes à visée littéraire exploitent fréquemment cette deuxième forme empathique, lorsque la saturation d'effets va jusqu'à rendre la lecture économique difficile.

À distance de ces deux modes de lecture se trouve la réception académique. L'emploi de méthodes spécifiques ou de lexiques techniques s'inscrit dans un éloignement de l'investissement empathique, même si une attention divergente est également présente. La rigueur des méthodes et les possibilités d'une éthique de la discussion universitaire sont garanties par une telle séparation. Comme je l'avais indiqué d'emblée, mon objectif n'est guère de prétendre que les universitaires se livrent à des commentaires empathiques sans le savoir, mais ceux-ci, chargés d'attributions théoriques, notamment dans les domaines affectifs, peuvent accroître l'attention des lecteurs dans leur relation esthétique. Les cours et les séminaires académiques cherchent souvent à amener des novices (à la lecture économique) vers des formes plus élaborées d'attention aux textes. Une telle visée n'implique pas la séparation d'avec toute sensibilité, mais celle-ci se trouve avivée après coup, après les commentaires, au moment d'une nouvelle lecture esthétique. Lors d'un exercice critique, nous adoptons un système d'attributions théoriques qui n'est pas empathique, mais à la (re)lecture non critique, esthétique, nous prêtons une plus grande attention aux détails sensibles, aux motivations des personnages ou aux enjeux historiques du contexte d'écriture, comme un halo de connaissances. Les exercices académiques peuvent ainsi inciter à éprouver une conduite esthétique plus intensément face aux textes difficiles, inscrits dans des visées littéraires parfois audacieuses[45]. Loin de reconduire des frontières sociologiques étanches entre premier et deuxième degrés de la lecture, la question de l'empathie nous autorise à penser une circulation constante entre les modes de lecture. Même en tant qu'universitaires, nous adoptons différents comportements dans la journée (économique, esthétique ou critique), y compris dans des situations singulières. Pouvons-nous alors prétendre que la critique devrait surmonter les autres discours sur la lecture, quand bien même elle bénéficie d'un capital symbolique plus important en raison des modalités d'éducation qu'elle exige et de sa finalité publique? Car la lecture critique n'est pas uniquement destinée à un public d'universitaires; elle trouve sans cesse des liens — des applications — avec les lectures empathiques esthétiques. Les préfaces, l'établissement d'éditions rigoureuses, les notices dans les éditions d'œuvres complètes ou certains essais cherchent spécifiquement un tel public. C'était d'ailleurs une des exigences des critiques de l'école de Genève ou de l'école thématique qui cherchaient à concilier des savoirs avec une lecture empathique. Mais à la différence des craintes que certains d'entre eux pouvaient avoir, l'empathie ne serait guère menacée par des connaissances techniques, par des discours de sciences humaines austères, en apparence désincarnés[46]. La relation affective aux œuvres ne devrait plus être pensée comme une «chair» homogène et continue, ressourcée par une plume critique plaisante et habile, disloquée par les attributions théoriques, mais au contraire comme une relation hétérogène et discontinue qui s'enrichit de certains savoirs (sans tous les accepter ou les intégrer). Nous lisons un roman dans le métro après avoir entendu une conférence, et nous savourons certains passages évoqués tandis que notre conduite esthétique se trouve ponctuée par diverses distractions (un passager vient s'asseoir, le bruit dans le wagon, le nombre de stations qu'il reste à parcourir). En somme, le rapport empathique aux œuvres n'est pas si fragile — il n'est menacé ni par la critique ni par la discontinuité de la relation affective.

Grâce à la notion d'«empathie», il est possible de défaire quelques clichés qui perdurent dans les milieux académiques sur les questions affectives, en alliant la poétique aux composantes naturelles de l'imitation et du rythme. L'objectif de la critique consisterait à ne pas suspendre in fine toute participation affective aux textes, mais à mobiliser les savoirs et les méthodes pour augmenter la complexité des degrés cognitifs de l'empathie et indiquer les diverses strates qui provoquent certains effets sensibles. Elle inciterait les lecteurs à se diriger vers des modes attentionnels plus divergents et à accroître leur plaisir. Si elle parvient à ce résultat, la critique peut servir ses intérêts propres (dans l'enrichissement des connaissances et la précision des méthodes), tout en conduisant les lecteurs vers des degrés d'empathie et de sensibilité plus élevés. À la question de savoir si la critique peut nous amener vers une empathie accrue, la réponse serait affirmative, sans oublier pour autant qu'elle nous rend autrement plus empathique.



Antonio Rodriguez
Université de Lausanne



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Annexe

Lors de la conférence, un diaporama accompagnait les étapes de la réflexion; à chaque fois venait s'ajouter un élément du schéma suivant.



Il est ainsi possible de saisir visuellement une première ligne de tension (horizontale) où l'empathie (constituée de ses orientations sensibles et cognitives) est distinguée de la contagion affective et des attributions théoriques d'émotions. Une deuxième tension apparaît dans la verticalité qui détaille les modes de l'empathie sensible et de l'empathie cognitive: l'attention dans l'empathie sensible s'accroît, allant des styles convergents (économiques) aux styles divergents (esthétiques) selon Jean-Marie Schaeffer; la compréhension de l'intentionnalité affective se déploie en trois degrés cognitifs selon le modèle d'Elisabeth Pacherie.

Ces éléments conduisent à repérer les composantes de différents modes de lecture évoqués:

1. Les lectures non critiques, empathiques, avec un faible degré attentionnel, fait de styles convergents qui minimisent les composantes sensibles du texte, cherchent avant tout les deux premiers degrés d'empathie cognitive. Ces lectures attendent le plaisir et une aisance pour éprouver plus directement les émotions déployées dans le monde du texte.

2. Les lectures non critiques, empathiques, mais avec un haut degré attentionnel, fait de styles divergents, prêtent attention aux composantes sensibles du texte et interrogent les trois degrés d'une empathie cognitive.

3. Les lectures critiques, non empathiques, qui mènent des attributions théoriques d'émotions, plus systématiques (textuellement et contextuellement) tant sur les représentations des émotions que sur les caractéristiques sensibles du texte.

Une des dynamiques de la lecture esthétique est qu'elle peut débuter par un contact économique, sans forcément chercher la complexité. Confronté à des effets (syntaxe, formes) qui interrompent une saisie transparente ou qui développent une multiplicité de perspectives cognitives sur les mêmes situations, le lecteur peut se tourner vers la lecture critique (péritextes et paratextes) qui le coupe momentanément d'une relation esthétique et empathique directe au texte. Après la lecture, il parvient à lire le texte avec des styles plus divergents et une meilleure compréhension sur les trois degrés de l'empathie cognitive, retrouvant alors la participation affective par-delà ses connaissances.



Notes

Afin de tenir compte des dernières publications concernant cette problématique, je donne des références bibliographiques actualisées par rapport à la conférence de mars 2012.

[1] En français, le volume collectif dirigé par Alain Berthoz et Gérard Jorland, L'Empathie, Paris, Odile Jacob, 2004, a synthétisé de nombreuses propositions, tout comme Patricia Attigui et Alexis Cukier (dir.), Les Paradoxes de l'empathie: philosophie, psychanalyse, sciences sociales, Paris, CNRS éditions, 2011. Je renvoie à quelques travaux récents en sciences humaines: Jean Decety, William Ickes (dir.), The Social Neuroscience of Empathy, Cambridge (MA), MIT Press, 2011. Jean Decety et al., «The Neural Basis of Human Empathy - Effects of Perspective-Taking and Cognitive Appraisal: An Event-Related fMRI Study», Journal of Cognitive Neuroscience, n°19, 2007, p.42-58. Julien A. Deonna, «The Structure of Empathy», Journal of Moral Philosophy, vol.4, n°1, avril 2007, p.99-116. Frans De Waal, L'Âge de l'Empathie: leçons de la nature pour une société solidaire, Paris, Les liens qui libèrent, 2010 (2009). David Freedberg, «Empathy, Motion and Emotion», dans K. Herding et A. Krause-Wahl (dir.), Wie sich Gefühle Ausdruck verschaffen: Emotionen in Nahsicht, Berlin, Driesen, 2007, p.17-51 (en ligne sur URL: http://www.columbia.edu/cu/arthistory/faculty/Freedberg/Empathy.pdf).

[2] Outre le récent volume collectif en français dirigé par Alexandre Gefen et Bernard Vouilloux, Empathie et esthétique, Paris, Hermann, 2013, je renvoie aux travaux de Suzanne Keen en narratologie, Empathy and the Novel, Oxford/New York, Oxford University Press, 2007; «Narrrative Empathy», dans Peter Hühn et al. (dir.), The Living Handbook of Narratology, Hamburg, Hamburg University Press, 2012 (en ligne, URL: http://wikis.sub.uni-hamburg.de/lhn/index.php/Narrative_Empathy); «Empathetic Hardy: Bounded, Ambassadorial, and Broadcast Strategies of Narrative Empathy», Poetics Today, n°32, p.349–389. Voir également: Claudia de Berger et Fritz Breithaupt (dir.), Empathie und Erzählung, Freiburg, Rombach, 2010. En neuroesthétique, j'attire l'attention sur les études de Pierre-Louis Patoine: Du sémiotique au somatique: pour une approche neuroesthétique de la lecture empathique, thèse de doctorat en sémiologie à l'Université du Québec à Montréal, 2010 (en ligne: URL:http://www.archipel.uqam.ca/3883/1/D2102.pdf; «Is This Text Fucking With My Brain? A Neuroaesthetic Reading of Dennis Cooper's Guide», dans Paul Hegarty et Denny Kennedy (dir.), Dennis Cooper, Writing at the Edge, Portland: Sussex Academic Press, 2008, p.144-161.

[3] Michael Warner, «Uncritical Reading», dans Jane Gallop (dir.), Polemic: Critical or Uncritical, New York, Routledge, 2012, p.13-38.

[4] Je délaisse ici les lectures critiques d'écrivain, voire l'histoire littéraire des écrivains, dont l'un des objectifs est justement de rendre publiques des lectures empathiques ou de réaffecter des mémoires collectives, et j'en reste à la dichotomie entre public et académique, entre «premier» et «deuxième» degrés de la lecture pour reprendre les catégories de Jérôme David, «La littérature au premier degré», Versants: revue suisse des littératures romanes, n°57, 2010; Jérôme David, «Le premier degré de la littérature», Fabula-LHT, n°9, «Après le bovarysme», décembre 2011, URL: http://www.fabula.org/lht/9/index.php?id=304, page consultée le 29 juin 2013.

[5] Aristote, La Poétique, IV, 48 b 4-24, trad. R. Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Le Seuil, 1980, p.43.

[6] Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction?, Paris, Seuil, 1999.

[7] Raphaël Baroni, La Tension narrative: suspense, curiosité et surprise, Paris, Le Seuil, 2007.

[8] Marielle Macé, Façons de lire, manières d'être, Paris, Gallimard, 2011.

[9] Codirecteur de l'équipe de recherche A.N.R. «Émotions: pouvoirs des arts», Alexandre Gefen a initié plusieurs recherches collectives, en parallèle à ses recherches sur le «care» en littérature contemporaine. Voir les récents ouvrages: Alexandre Gefen, Bernard Vouilloux (dir.), Empathie et esthétique, Paris, Hermann, 2013. Emmanuel Bouju et Alexandre Gefen (dir.), L'Émotion, puissance de la littérature?, Modernités, n°34, 2012.

[10] Voir Le Pacte lyrique: configuration discursive et interaction affective, Liège, Mardaga, 2003; «Le chant comme imaginaire de la lecture empathique», dans Antonio Rodriguez, André Wyss (dir.), Le chant et l'écrit lyrique, Bern/New York, Peter Lang, 2009, p.63-80; «L'empathie en poésie lyrique: tension et degrés de lecture», dans Alexandre Gefen, Bernard Vouilloux (dir.), op. cit., 2013, p.73-101.

[11] Dans les orientations devenues classiques, Robert H. Frank, Passions within Reason: The Strategic Role of the Emotions, New York, Norton Press, 1899; ou Ronald de Sousa, The Rationality of Emotion, Cambridge (MA), MIT Press, 1987. Plus récemment: Alain Berthoz, La Décision, Paris, Odile Jacob, 2006.

[12] Gérard Jorland, «L'empathie, histoire d'un concept», dans Alain Berthoz, Gérard Jorland (dir.), op. cit., Paris: Odile Jacob, 2004, p.19-51; id. et Bérangère Thirioux «Note sur l'origine de l'empathie», Revue de métaphysique et de morale, n°2, 2008, p.269-280.

[13] Il s'agit de l'«affective fallacy» qu'indiquait Wayne Booth dans The Rhetoric of fiction, Chicago, Chicago University Press, 1961.

[14] Voir les chapitres suivants dans Alain Berthoz, Gérard Jorland (dir.), op. cit., 2004,: Alain Berthoz, «Physiologie du changement de point de vue»; Jean Decety, «L'empathie est-elle une simulation mentale de la subjectivité d'autrui?»; Elisabeth Pacherie, «L'empathie et ses degrés». Voir également: Jean Decety, William Ickes (dir.), The Social Neuroscience of Empathy, Cambridge (MA), The MIT Press, 2011.

[15] Il suffit de songer aux représentations variées du handicap, notamment lors de la période classique, qui peuvent choquer par rapport aux normes morales actuelles.

[16] Alain Berthoz, art. cit., 2004; id. et Jean-Luc Petit, Physiologie de l'action et phénoménologie, Paris, Odile Jacob, 2006.

[17] Je pense aux «conduites esthétiques» décrites par Jean-Marie Schaeffer dans: Les Célibataires de l'art: pour une esthétique sans mythes, Paris, Gallimard, 1996; Adieu à l'esthétique, Paris, PUF, 2000.

[18] Max Scheler, Nature et formes de la sympathie: contribution à l'étude des lois de la vie affective, Paris, Payot & Rivages, 2003 (1923).

[19] Emil Staiger, Les Concepts fondamentaux de la poétique, Bruxelles, Lebeer-Hossmann, 1990 (1946).

[20] Antonio Rodriguez, « Fiction, figuration et diction en poésie lyrique: énonciation et pragmatique dans la théorie française contemporaine», dans Elisa Bricco (dir.), Présences du sujet dans la poésie française contemporaine (1980-2008), Saint-Etienne, Presses Universitaires de Saint-Etienne, p.143-159; art. cit., dans Alexandre Gefen, Bernard Vouilloux (dir.), op. cit., 2013, p.73-101.

[21] Frédérique de Vignemont, «Empathie miroir et empathie reconstructive», Revue philosophique de la France et de l'étranger, 2008/3, p.337-345. Julien Deonna, «The Structure of Empathy», Journal of Moral Philosophy, v. 4, n°1, 2007, p.99-116.

[22] Je pense principalement au travail de Vincent Jouve dans L'Effet-personnage, Paris, Presses Universitaires de France, 1992. Voir le processus plus complexe d'identification «protéiforme» à des situations chez Michel Picard, La lecture comme jeu, Essai sur la littérature, Paris, Minuit, 1986. Dans les considérations sur l'identification en psychanalyse, voir: Jean Florence, L'Identification dans la théorie freudienne, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires de Saint-Louis, 1984. Sur les nécessités d'une considération de l'empathie en psychanalyse, par-delà la seule clinique, voir Marie-Laure Dimon (dir.), Psychanalyse et empathie: psychanalyse, neurosciences et sociopolitique, Paris, L'Harmattan, 2001.

[23] «Entendre; l'autre et soi; m'entendre en t'entendant et réciproquement = s'entendre = s'entendre soi-même en entendant l'autre dans une langue, selon la boucle du Ouï-Dire — ce que précisément je n'arrive pas à faire dans une autre langue que “la mienne” — c'est entendre deux fois les phrases simultanément: comme si je me les répétais instantanément. Deux en un. Comme si à la source leur ombre (écho? doublure? sous-titrage “lisible”) les escortait, doublait; comme si les entendant, les mots, une première fois sur les lèvres de l'énonciateur je me les redisais en même temps (quoiqu'“aussitôt après”), les entendais “dans” ma source, dans “mon” oreille ou “tête”; l'interlocuteur, je le “double” moi-même dans notre langue…» Michel Deguy, «Je – tu –il», Modernités, n°8, 1996.

[24] Régis Jauffret, Une Histoire d'amour, Paris, Verticales, 1998; repris en Folio Gallimard.

[25] Régis Jauffret le pense lui-même dans un entretien qu'il accorde à Dominique-Lucie Brard: «Je ne sais pas si la littérature, en tout cas les livres que j'écris, sont destinés à permettre de s'identifier aux personnages. (…) Je pense que s'identifier aux personnages c'est un peu quelque chose de révolu, parce que c'est quelque chose de donné par toutes les autres formes narratives, et surtout, par exemple, par le cinéma.» Extraits du film de Dominique-Lucie Brard, L'Ange du bizarre, Unlimited, Images plus, 2005.

[26] Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia, Les Neurones miroirs, Paris, Odile Jacob, 2011

[27] Voir par exemple Stanislas Deheane, Les Neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007.

[28] Jean Decety, Frédérique de Vignemont ou encore de manière vulgarisée, Christian Keysers évoquent un «Empathic Brain». Voir par exemple: Frédérique de Vignemont et Tania Singer, «The Empathic Brain: How, When and Why», Trends in Cognitive Sciences, vol. 10, n°10 octobre 2006, p.435-441. URL: http://jeannicod.ccsd.cnrs.fr/index.php?halsid=r0740guvnadlovnpqb9rqrqvf7&view_this_doc=ijn_00169584&version=1

[29] Pour une synthèse accessible de ces questions et du traitement qu'en fait Jean Decety, voir «Neurosciences: les mécanismes de l'empathie: entretien avec Jean Decety», Sciences humaines, n°150, juin 2004.

[30] Frédérique Vignemont, art. cit.; Julien Deonna, art. cit.

[31] Pierre-Louis Patoine, op. cit., 2010. Gregory Currie, Arts and Minds, Oxford/New York, Clarendon Press, 2004.

[32] Elisabeth Pacherie, «L'empathie et ses degrés», dans Alain Berthoz, Gérard Jorland (dir.), op. cit., p.149-189.

[33] Bernard Rimé, Le Partage social des émotions, Paris: PUF, 2005.

[34] En littérature, ce travail minutieux sur les préférences affectives de l'auteur a été un des objectifs de la critique thématique de Jean-Pierre Richard. Il a été étendu sous forme d'histoire culturelle par Jean Starobinski. Je montre quel type d'empathie convoque la démarche thématique dans: «La critique empathique de Jean-Pierre Richard: le continuum de l'incarnation textuelle», dans Dominique Combe, Christian Doumet (dir.), Jean-Pierre Richard, critique et écrivain, à paraître.

[35] Jean-Marie Schaeffer, «Styles attentionnels et relation esthétique», dans Laurent Jenny (dir.), Le Style en acte: vers une pragmatique du style, Genève, MétisPresses, 2011; Théorie des signaux coûteux, esthétique et art, Rimouski, Tangence éditeur, 2009.

[36] Marielle Macé, op. cit.

[37] E.W. Kneepkens, Rolf A. Zwaan, «Emotions and literary text compréhension», Poetics, n°23, 1994, p.125-138.

[38] Roman Ingarden, L'œuvre d'art littéraire, Lausanne, L'Âge d'Homme, 2000. Je renvoie aux actes du colloque récent: Jean-Marie Schaeffer, Christophe Potocki (dir.), Roman Ingarden: ontologie, esthétique, fiction, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2012.

[39] «Our lives are Swiss – / So still – so Cool – / Till some odd afternoon / The Alps neglect their Curtains / And whe lool farther on! // Italy stands the other side! / While like a guard between – / The solemn Alps – / The siren Alps – / Forever intervene!», Poème 80 d'Emily Dickinson, traduction de Charlotte Melançon, dans Escarmouches, Paris, La Différence (Orphée), 1992.

[40] Voir par exemple: Mathilde Vischer, La Traduction, du style vers la poétique: Philippe Jaccottet et Fabio Pusterla en dialogue, Paris, Kimé, 2009; Arno Renken, Babel heureuse. Pour lire la traduction, Paris, Van Dieren, 2011.

[41] Jules de Gautier, Le Bovarysme: la psychologie dans l'œuvre de Flaubert, Paris: Presses de l'université Paris-Sorbonne, coll. «Mémoire de la critique», 2006, 338 p.

[42] Voir le dossier suivant: Marielle Macé (dir.), «Après le bovarysme», Fabula-LHT (en ligne), n°9, 18 décembre 2011; URL: http://www.fabula.org/lht/9

[43] Gustave Flaubert, Madame Bovary, II, 9.

[44] Je pense aux travaux marquants de Nathalie Blanc qui convoque cependant de nombreux présupposés d'une psychologie de la lecture difficiles à intégrer à une activité littéraire plus complexe. Voir Nathalie Blanc, Denis Brouillet, Comprendre un texte: l'évaluation des processus cognitifs, Paris, InPress, 2005; Nathalie Blanc (dir.), Émotion et cognition, Paris, InPress, 2006.

[45] J'adopte cette perspective sur l'exercice de commentaire de texte, aujourd'hui passablement soumis à la critique après la vogue structuraliste: voir «Quel avenir pour le commentaire de texte? Attention et cognition dans une éthique de la discussion», dans Raphaël Baroni, Antonio Rodriguez (dir.), Comment repassionner l'enseignement de la littérature?, Etudes de Lettres, 2014/1, à paraître.

[46] Je pense avant tout aux craintes de Georges Poulet dans «Conscience de soi et conscience d'autrui», La Conscience critique, Paris, Corti, 1971, p.301-314, et à leur écho chez Jean-Pierre Richard.



Antonio Rodriguez

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