Atelier



Lecture contrauctoriale: "Besoin d'auteur", atelier proposé par Sophie Rabau.
Séminaire "en résidence" organisé par l'équipe Fabula du 7 au 11 septembre 2009, à Carqueiranne (83), en partenariat avec le projet HERMÈS (Histoires et théories de l'interprétation).



Atelier 2: La lecture contrauctoriale a besoin de l'auteur
(Notes)

Lecture de la «Lettre à Michel Leiris» de Bellemin-Noël extrait de Biographies du désir (Paris, PUF, 1988) et de «À propos du cimetière marin» de Paul Valéry (Valéry, P. «Au sujet du Cimetière Marin» in Variétés, pp. 1496-1507 in Œuvres I. Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1957).


Sophie Rabau:

Si j'ai proposé que nous lisions ces deux textes, c'est parce qu'ils me semblent poser la question d'une fidélité paradoxale à l'autorité de l'auteur en lien avec des projets de lecture contrauctoriale

Dans le cas de Bellemin-Noël, on peut en effet s'étonner que dans le contexte d'une lecture psychanalytique, en l'espèce la textanalyse inventée par Bellemin-Noël, qui présuppose qu'on lit en en sachant plus que l'auteur sur lui-même, voire en déjouant la censure qu'il introduit dans son texte pour y lire les traces d'un inconscient qui ne se trouvent jamais là où l'auteur pensait pouvoir les introduire, le critique se sente pourtant tenu de s'adresser à l'auteur Leiris en un (apparent?) hommage à son autorité.

Le cas de Valéry est plus simple et plus frappant: dans un texte souvent cité, il se défait de son autorité d'auteur et pose une solution de continuité entre le travail du poète et celui du commentateur. Il n'en reste pas moins que ce texte est de Valéry, écrit donc par l'auteur: quelle attitude alors adopter? Etre fidèle à Valéry (lire avec lui) serait-ce se défaire de toute fidélité à Valéry?

En somme dans ces deux cas, la lecture contrauctoriale est à la fois revendiquée ou demandée mais en même temps on s'aperçoit de la difficulté à se défaire de l'autorité sans en reconstruire une autre.


Synthèse des réflexions collectives:


- Remarques sur le texte de Bellemin-Noël


Cette lettre à Michel Leiris exacerbe un problème plus général dans Biographies du désir: Bellemin-Noël lecteur entre en une sorte de rivalité avec les auteurs qu'il «analyse», surtout dans le cas où ces auteurs ont prétendu avoir, comme Breton par exemple, un savoir de la psychanalyse. Mais la lettre à Leiris à ceci de particulier qu'elle crée une situation d'interlocution, motivée par la contemporanéité du critique et de l'auteur, où, sous l'apparence d'un hommage, Bellemin-Noël, fait apparaître une rivalité exacerbée.

Cette rivalité se décline sous deux angles:

- D'un côté, Leiris est susceptible de prendre la place de Bellemin-Noël au sens où il tient un discours sur la psychanalyse. L'un des enjeux de la lettre est donc pour le critique de reprendre cette autorité qui lui est volée, de se montrer plus fin analyste que l'auteur à qui il reproche d'avoir un projet un projet trop conscient: L'Age d'Homme est présenté comme un texte qui construit une série de paravents dissimulant l'essentiel.

- De l'autre côté, dans cette lettre très «écrite», Bellemin-Noël se donne également comme le véritable écrivain, capable d'écrire (en mieux?) le texte que Leiris aurait dû écrire (c'est-à-dire finalement le texte que Bellemin-Noël lit): ne trouve-t-on pas par deux fois l'affirmation qu'il va être auteur. (p. 215/p.217).?

En somme, tout se passe comme si Bellemin-Noël lançait à Leiris un défi: Vous avez cru faire de la textanalyse avant la lettre, je peux bien faire l'écrivain.

L'autorité qu'il semble donc reconnaître à Leiris au début de la lettre est donc un leurre et, en l'occurrence, on trouve bien une attaque contre l'auteur à qui il est reproché de n'avoir pas mené à bien le projet que l'on croit déceler dans son œuvre.

Non pas que bien des lecteurs professionnels ne se donnent le texte qu'ils pensent que l'auteur a écrit, mais ils l'attribuent la plupart du temps à l'auteur: l'intérêt du texte de Bellemin-Noël est alors de ne pas cacher, ou de mal cacher, ce mécanisme, et surtout d'en faire reproche à l'auteur soudainement détrôné.

Comment reconnaître l'autorité (?) d'un auteur quand on va lire contre lui?


- Le texte de Valéry


La question d'une réponse de Leiris n'est pas posée: il est pourtant donné comme agressé. On se prend alors à rêver de la réponse qu'aurait pu faire Valéry à une lettre similaire: dans la logique de son texte, on suppose qu'il eut refusé d'entrer en un quelconque dialogue avec son lecteur-agresseur, au motif que son travail de poète n'a rien à voir avec le travail du lecteur.

Or en refusant le rôle de l'auteur, Valéry priverait BN d'une figure auctoriale dont il a besoin pour autoriser son propose: Bellemin-Noël a absolument besoin de Leiris, comme d'un ennemi et comme d'un rival.

Se dessine ici deux types de lectures différentes: Valéry d'une manière qui deviendra classique après lui invite à une lecture para-auctoriale, où l'on se passe de l'auteur, tandis que Bellemin-Noël pratique bien une lecture contrauctoriale: sa lecture se fonde bien sur l'auteur. Où l'on retrouve les deux sens de contre: lire contre c'est attaquer mais c'est aussi s'appuyer sur et pour contrer il faut entrer en contact. La lecture contrauctoriale a besoin de l'auteur.


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Sophie Rabau

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Dernière mise à jour de cette page le 11 Novembre 2009 à 20h56.