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"Trois aspects de la théorie des textes possibles", par Bérenger Boulay

Notes d'une brève introduction prononcée lors la dernière séance du séminaire Anachronies pour l'année 2011-2012, qui s'inscrivait dans le cadre de la journée d'études ENS-Fabula-Paris8 organisée par Marc Escola, en partenariat avec le séminaire Anachronies, à l'occasion de la parution du volume collectif Théorie des textes possibles.




Trois aspects de la théorie des textes possibles.



Avant de donner la parole à Marc Douguet, Marc Escola, Sophie Rabau et Christine Noille, je propose une rapide mise au point, pour les étudiants qui suivent le séminaire et pour lesquels la théorie des textes possibles n'est peut-être pas familière. Cette théorie trouve un ancrage dans les propositions de Pierre Bayard ou de Jacques Dubois, que l'on a entendu ce matin, mais elle a surtout été développée, en particulier par Marc Escola et Sophie Rabau, dans la lignée des propositions de Michel Charles.


On peut d'abord se référer aux «trois aspects du possible» que distingue Michel Charles lui-même dans un article paru dans le n°164 de Poétique[1]. Le premier aspect est lié à la dynamique même de la lecture courante, qui implique une permanente anticipation, qui sera confirmée ou infirmée, de la suite du texte. Le deuxième aspect du possible est plutôt lié à la lecture savante du critique: dans cette perspective, un texte possible est un texte construit par le commentaire: «tout discours critique construit... un texte possible», écrit Michel Charles. Enfin, le troisième aspect du possible est lié à la conscience, chez le simple lecteur ou chez le lecteur professionnel qu'est le commentateur, que le texte qu'il a sous les yeux aurait pu être différent.


On peut ensuite essayer de démêler les différents fils qui se nouent dans la théorie des textes possibles: il s'agit alors de distinguer les différentes orientations de cette théorie, telle qu'elles sont construites ou telles qu'elles peuvent être construites à partir du réseau des propositions théoriques de Michel Charles. Ces différentes orientations peuvent être combinées dans les travaux des uns et des autres, dans ceux de Michel Charles et dans ceux de ses continuateurs, mais avec des dominantes.


  • Le premier fil est celui d'une réflexion d'ordre épistémologique, plus précisément métacritique. Une métacritique, c'est une théorie de la critique, ou une critique de la raison critique. Il s'agit d'une réflexion sur les conditions de possibilité du geste critique, en particulier sur la manière dont le commentaire construit son objet. Dans la perspective d'un constructivisme modéré, on dira qu'il y a le texte matériau, qui est donné au commentateur, et le texte objet, qui est construit par le commentateur à partir du matériau. Même tempéré, le constructivisme implique toutefois une proximité entre critique et création: lorsqu'il interprète ou décrit le texte, le commentateur à la fois construit et actualise un texte possible en réécrivant le matériau par «sélections, combinaisons et mises en relief[2]».

  • Le deuxième fil met l'accent sur cette question de la réécriture et sur l'idée d'une proximité entre commentaire et réécriture ou, pour le dire dans la terminologie de Gérard Genette dans Palimpsestes, entre métatextualité et hypertextualité. Les travaux de Michel Charles sont dans ce cas lus à la lumière de Palimpsestes, et inversement. Il s'agit alors de tracer des parcours dans les bibliothèques en posant que la multiplicité des réécritures et des commentaires d'un même texte est liée à la pluralité et à l'hétérogénéité de celui-ci. On postule que les variations ne sont pas seulement liées à la subjectivité des interprètes et qu'elles se trouvent en partie déjà dans l'hypotexte ou le texte commenté, qui est fait de plusieurs textes: tout en les construisant, les réécritures et les commentaires actualisent des textes possibles.

  • Le troisième fil est enfin celui d'une méthode pour l'analyse des textes, dans une perspective résolument descriptive et formaliste. Chez Michel Charles, cette méthode n'est peut-être pas réductible à la théorie des textes possibles (sur ce point, je renvoie à l'article de Christine Noille dans le n°169 de Poétique[3]), mais il reste que le commentateur qui cherche plus à décrire qu'à interpréter doit rendre compte de la pluralité et de l'hétérogénéité du matériau et «analyser les modes de coexistence des textes possibles». Il lui faut décrire les conditions de possibilité objectives de la multiplicité des commentaires et des réécritures, des différents textes actualisés par les différentes interprétations. Par ailleurs, imaginer le texte tel qu'il aurait pu être, prendre en compte les variantes effectives (dans une approche génétique) et les variantes simplement possibles, permet de décrire, par contraste, le fonctionnement et la composition du matériau textuel commenté (de même que, dans le discours d'un historien, le raisonnement contrefactuel est au service de la connaissance des événements).



Bérenger Boulay



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[1] Michel Charles, « Trois hypothèses pour l'analyse, avec un exemple », Poétique, n° 164. Paris: Éditions du Seuil, novembre 2010, p. 387-417.

[2] Ibid., p. 389.

[3] Christine Noille, «Sur un exemple de Michel Charles ou comment composer (avec) des textes», Poétique, n° 169. Paris: Éditions du Seuil, février 2012, p. 97-115.



Berenger Boulay

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Dernière mise à jour de cette page le 29 Mai 2013 à 20h13.