Atelier

Colloque international:

Organisation: Equipe d'accueil Littératures du XX ème siècle, Paris IV (EA 2577)

ACI Histoire littéraire des écrivains

G.D.R. Le Lipo (Le livre poétique au XX ème siècle) (C.N.R.S.)

Responsable: Didier Alexandre

Date: 21-22 septembre 2006.

Université Paris IV Sorbonne, maison de la recherche, Rue Serpente (Métro Odéon)

Programme

Argument du colloque

Le projet scientifique du colloque Anthologies d'écrivains au XXe siècle s'inscrit à la jonction de deux réflexions: la première prolonge le travail consacré aux formes du livre poétique dans le G. D. R. Le livre poétique; la seconde fédère les travaux organisés dans le cadre de l'Histoire littéraire des écrivains[1]. Il est possible en effet d'associer les deux démarches dans une analyse fondée sur le constat d'une incertaine littérarité de l'anthologie. L'objet est pour le moins paradoxal, et les contradictions ne manquent pas dans les présentations qui en sont données par leurs auteurs: l'anthologie peut être ordonnée selon un critère linguistique (Anthologie des poètes latins), un critère national (Leopold Sedar Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, 1948), un critère uniquement poétique (Gustave Lanson, Anthologie des poètes nouveaux, Paris, Figuière, 1913); elle a pour finalité ou le manifeste (André Breton, Anthologie de l'humour noir) ou la conservation et la fixation d'un passé (Alain Bosquet, Anthologie de la poésie française, de Villon à Rimbaud, Paris, Presses de la Renaissance, 1968); elle prend pour critère sélectif ou des auteurs (Anthologie des poètes de la N. R. F. , Paris, 1936, 1960), ou une tonalité générique (Georges Duhamel, Anthologie de la poésie lyrique en France, du XV ème siècle au XIX ème siècle, Paris, Flammarion, 1946), ou des thèmes (Max-Pol Fouchet, Anthologie de poésie française, classée d'après les thèmes, Paris, 1955), ou des textes (Jacques Roubaud, Soleil du soleil: le sonnet français de Marot à Malherbe, Paris, P. O. L., 1990); enfin, la distribution des textes peut se faire sur la base de l'exemplarité représentative d'une époque (siècle, période et esthétique) ou sur la valeur attribuée à un texte et/ou un auteur selon des critères de goût[2].

Ces distinctions persistent lorsque l'analyse se concentre sur les anthologies d'écrivains. En effet, l'anthologie n'est plus produite par une critique universitaire et savante, mais par une critique indigène, à la fois auctoriale, et/ou revuiste (Mercure de France, Lettres françaises, section Anthologie de la nouvelle poésie française), et/ou éditoriale (voir, par exemple, Anthologie de l'Effort, introduction de Léon Bazalgette, Editions de l'Effort, Poitiers, 1912; L'Effort est par ailleurs une revue). L'anthologie d'écrivain voit, de fait, la confrontation de deux types d'histoire littéraire, dont Jean-Louis Jeannelle[3] a montré les relations complexes de dépendance, où le discours savant ne peut faire l'économie de l'histoire des écrivains et des écritures, formes et genres, où le discours indigène doit se penser à l'intérieur d'une histoire institutionnalisée (par exemple, Jean-François Revel opte pour un ordre alphabétique où le refus de l'histoire littéraire officielle, chronologique, cède le pas à une approche par poète telle que la place accordée à un poète demeure, de manière problématique, fonction de sa notoriété, Une anthologie de la poésie française, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1984). La forme de l'objet anthologie oscille entre ces deux pôles, d'une proximité à l'anthologie savante au refus du discours savant. Par exemple, l'Anthologie de la poésie française de Marcel Arland (Stock, 1941, 1960) associe textes, notices, commentaires, qu'il conviendrait de confronter aux formes de l'édition savante.

L'anthologie rejoint d'autant plus les interrogations faites à l'histoire littéraire qu'elle met en place (ou refuse), à partir d'une discontinuité de textes et d'auteurs, sur un modèle chronologique et peu ou prou narratif, une continuité soumise à des critères susceptibles de variation, qui seront esthétiques, sociologiques, idéologiques. L'anthologie construit ainsi un cadre historique, puisqu'elle donne une origine et fixe un terme (Anthologie des poètes français depuis les origines jusqu'à la fin du XVIII ème siècle, précédée d'une étude d'Anatole France, Paris, Lemerre, 1905), ce qui prend tout son relief en regard des questions de langue, de nation, d'anthologie identitaire (Leopold Sedar Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, 1948). Dans ce cadre, elle instaure des continuités ou des ruptures, dont la formulation (par exemple, la métaphore organique ) peut retenir l'attention et dont l'origine peut être étudiée en référence l'histoire littéraire savante (par exemple, Jean Tardieu s'oppose à l'histoire littéraire des manuels en faisant du pré-romantisme une posture littéraire transhistorique qui lui permet de penser autant la poésie de poètes du XVI ème siècle que celle de Rimbaud, Pages d'écriture, Paris, Gallimard). Dans le même cadre, l'anthologie peut construire une géographie des lettres: en effet, une anthologie peut être autant régionaliste que nationale, autant européenne que mondiale. A l'intérieur de ce cadre sont disposés des auteurs et des textes: les critères de sélection et d'élection sont souvent définis dans les préfaces et commentaires qui accompagnent l'anthologie: par exemple, l'Anthologie des poètes de la N.R.F, l'Anthologie de la poésie française d'André Gide, de 1949, celle de Marcel Arland peuvent être questionnées par rapport à l'esthétique classique définie par la N. R. F.; mais les choix qui guident Thierry Maulnier dans son Introduction à la poésie française (Paris, Gallimard, 1939) sont d'un classicisme différent; l'Anthologie de la poésie française, XVII ème siècle , publiée chez Tchou (Paris, 1969), de Denis Roche ne peut guère être dissociée d'une pensée de la fin de la poésie; de même, dans un corpus d'anthologies, la place accordée à un écrivain et la lecture qui en est donnée peuvent révéler des diachronies et des continuités ou discontinuités littéraires qui diffèrent en fonction d'approches critiques et de valeurs différentes [4]).

L'anthologie d'écrivain apparaît ainsi comme le lieu ou d'une objectivation de l'histoire littéraire, l'influence de l'histoire savante insuffle alors un certain didactisme à l'ouvrage, ou d'une appropriation au présent des écrivains et des textes du passé. C'est donc une histoire littéraire diachronique et synchronique qui se donne à lire: ceci est encore plus manifeste dans les anthologies qui rassemblent le passé littéraire proche, telle l'anthologie de la poésie française de Van Bever et de Léautaud, l'Anthologie poétique du 20 ème siècle de Robert de la Vessière (Paris, G. Crès et Cie, 1924), ou celle de Léon-Pierre Quint et de Philippe Soupault (Anthologie de la nouvelle poésie

française, Paris, Ed. du sagittaire, Simon Kra, 1924) ou celle d'Alain Bosquet (Anthologie de la poésie française contemporaine, les trente dernière années, Paris, Le cherche midi, 1994). Ainsi l'anthologie n'a plus uniquement statut de collection patrimoniale destinée à fixer et à célébrer une mémoire littéraire construite par l'institution. Fondatrice d'un mouvement littéraire –que l'on pense au Parnasse, aux Poètes maudits-, peut-être d'une littérature nationale –on peut interroger ainsi le champ de la francophonie-, peut-être d'une identité définissable en termes essentialistes de genre (la poésie), de sensibilité (Benjamin Péret, Anthologie de l'amour sublime, Albin Michel, 1956), d'humanité excédant les frontières et les siècles (place accordée, par exemple, aux anthologies de textes des humanités classiques), l'anthologie acquiert un statut littéraire à part entière, si la littérarité réside bien dans la légitimation d'auteurs et de textes accordée par les savants et auteurs sur la base de valeurs relatives au temps présent.



[1] On trouvera le texte de communications faites dans les séances de travail antérieures sur le site: www.fabula.org/HLE , section Atelier de théorie littéraire, rubrique Histoire, puis L'histoire littéraire des écrivains.

[2] Sur ces points voir Emmanuel Fraisse, Les anthologies en France, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Ecritures, 1997; François Dumont, «Formes et fonctions de l'anthologie en poésie», dans Méthode!, revue de littératures, Le recueil poétique, textes réunis par Didier Alexandre, Madeleine Frédéric, Jean-Marie Gleize, Vallongues, 2002, p. 33 sv.

[3] «Qu'est-ce que l'histoire littéraire des écrivains?» communication faite au colloque Les écrivains auteurs de l'histoire littéraire (Université de Franche Comté, org. Bruno Curatolo et ACI Histoire littéraire des écrivains, 12-13 janvier 2006).

[4] Sur certaines valeurs de la critique de droite, voir Revue d'histoire littéraire de la France, juillet 2005, La critique de droite.



Didier Alexandre

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Dernière mise à jour de cette page le 9 Avril 2006 à 21h48.